plus d'influence sur le dix-septième siècle, et seul peut-être dans toute l'histoire des lettres, il a eu des imitateurs et des disciples qui étaient eux-mêmes des hommes de génie; il a laissé trace jusque sur Pascal qui le combat et il lui a fait dire, c'est la pensée qui fait l'être de l'homme: gloire immense ! Mais Descartes n'est pas l'écrivain complet, le grand écrivain français qui demande tribut et inspiration à toutes les facultés de l'âme, la raison, l'imagination, le cœur, compose de toutes ces richesses un tout harmonieux où pas un élément ne prédomine aux dépens des autres, où tout concourt à la même fin, le beau suprême, le beau de tous les temps, de tout homme et de tous les hommes. Aussi de tout Descartes on ne pourrait peut-être pas extraire une seule page empreinte de ce beau qui parle à tous, qui fait palpiter tous les cœurs et toutes les admirations, de ce beau que nous trouverions en ouvrant au hasard Pascal. Non moins profond que Descartes, Pascal avait des facultés plus variées et plus riches. Descartes n'a qu'un style; Pascal les a tous, le noble, le familier, le style du raisonnement, celui de la passion, et chacun d'eux porté à une perfection supérieure. Avant Descartes, a dit encore M. Cousin, il n'y avait guère que des styles d'emprunt, comme le style de Montaigne. La restriction était néces saire, car il y avait eu saint François de Sales et Balzac. Mais ce qui est vrai, c'est que Descartes a trouvé du côté de la raison une langue qui lui est propre et qu'en même temps tous ont reconnue, par conséquent, la langue véritablement française. Cette langue s'est perfectionnée, car le tour n'en était ni assez dégagé ni assez libre, et la phrase dans son large cours s'embarrassait et se perdait quelquefois ; mais elle n'a pas changé. Elle ne changera pas sans se fausser et se corrompre, car elle est en parfaite harmonie avec le vrai et la raison. Ce qui lui manque, l'imagination, le sentiment, manquait à la pensée de Descartes, mais n'était pas réclamé par le sujet tel qu'il l'avait conçu. Il ne voyait Dieu et la vérité que par la pure idée, et ne pouvait parler que le langage de la raison : à Pascal de voir ces grandes choses par le cœur, de les embrasser avec toutes les facultés de l'âme et de parler tous les langages. Le discours sur la Méthode fut publié en 1637, l'année même où tout Paris put admirer le Cid: grande et mémorable année, marquée dans notre histoire par deux chefs-d'œuvre immortels! La prose et la poésie française étaient enfin trouvées, trouvées le même jour, ce qui ne se rencontre pas chez les autres nations littéraires où les chefsd'œuvre poétiques précèdent toujours les chefs d'œuvre de la prose. Aussi se hâta-t-on de fixer cette langue qui venait de se révéler si belle et si riche, de la dégager de tout alliage impur, de tout ce qui pouvait en altérer le caractère, et de lui donner ce qui lui manquait encore. Les circonstances étaient favorables, car un heureux mouvement littéraire s'opérait alors en France. Au moment de la Renaissance, sous François I et sa sœur Marguerite, les gens de lettres n'avaient pu que s'inféoder au roi et aux grands, comme ils firent encore au commencement du xvir siècle. Mais, isolés dans une sorte de domesticité, ils ne recevaient pas inspiration d'un public qui leur manquait, et ne réagissaient pas sur une société qui n'existait pas encore. Dès-lors, pas de caractère national dans notre littérature, pas de goût, pas de ton général dans notre langue. Tout occupé de guerres et de plaisirs, Henri IV ne reprit pas le rôle littéraire de ses prédécesseurs et ne fit que continuer la corruption des Valois; Louis XIII, maladif et sauvage, s'enferma dans ses mélancoliques ennuis sans songer à donner le branle à la littérature. Les gens de lettres sortirent alors de la cour où ils ne rentreront qu'au règne de Louis XIV pour y conquérir pleinement leur indépendance sous sa noble et magnifique protection, jusqu'à ce qu'ils deviennent, au xvIII° siècle, les véritables rois de la France. Cet exil momentané de la cour fut un bonheur pour notre littérature, car il la força de se transporter sur un autre terrain où va s'opérer le mélange des grands et des gens de lettres, la fusion des diverses classes de la société, où les mours vont se purifier ou du moins se couvrir de décence, le goût se purifier avec les mœurs, où la langue va se former, à la fois noble et familière, grave et enjouée, majestueuse et délicate. C'est à l'hôtel de Rambouillet qu'appartient la gloire de cette double influence morale et littéraire. Dans ses salons, pendant l'espace d'un demi-siècle, on voit se presser d'un côté Malherbe, Vaugelas, Gombault, Racan, Chapelain, Voiture, Balzac, Conrart, Godeau, Patru, St-Evremond, Benserade, Ménage, Cotin, Segrais, Huet, Scudery et sa sœur, Rotrou, Mairet, les Corneille, etc.; et de l'autre, la princesse de Condé et sa fille la fameuse duchesse de Longueville, le grand Condé et ses fils, la duchesse d'Aiguillon, en un mot, toutes les illustrations aristocratiques de l'époque. Grands et littérateurs s'y coudoient librement, s'y mêlent dans une familière intimité, les grands mettant une sorte d'orgueil à tout supporter des gens de lettres, et les gens de lettres usant largement de cette condescendance, au point que le prince de Condé disait de Voiture, fils d'un marchand de vin : « Si Voiture était de notre condition, il n'y aurait pas moyen de le souffrir. » De ces relations naissait la société française dont notre littérature sera bientôt l'expression, et la langue pouvait se fixer. Puis à côté de l'hôtel de Rambouillet s'ouvrait la maison de Scarron où le mélange des classes s'opérait en sens inverse, non plus de haut en bas, mais de bas en haut; où se réunissaient les mêmes personnages, puis quelques autres, les familiers de la fameuse Ninon, que leurs mœurs et leurs habitudes empêchaient d'être admis à l'hôtel de Rambouillet; où se conservait l'esprit gaulois et grivois qui s'y était transmis, après avoir traversé Villon et Rabelais, pour passer ensuite à La Fontaine et à Molière. Ce mouvement littéraire fut interrompu par la guerre de la Fronde. L'hôtel de Rambouillet avait commencé à décliner sous la régence d'Anne d'Autriche, après le mariage de Julie d'Angennes avec le duc de Montausier, l'Alceste de Molière, qui, en 1645, emmena sa femme, la muse inspiratrice des poètes, dans son gouvernement d'Angoumois. Mais, après la Fronde, il fut rouvert jusqu'en 1658, année du mariage de Claire d'Angennes avec le comte de Grignan, le même qui épousa plus tard Me de Sévigné. Dès-lors il ne vécut plus que d'une vie agonisante et s'éteignit tout-à-fait en 1665 avec Mme de Rambouillet. |