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propres à soutenir mon courage par leur exemple, et je ne pus me dissimuler que la sainte œuvre que j'allois faire n'étoit au fond que l'action d'un bandit. Tout jeune encore je sentis que, quelque religion qui fût la bonne, j'allois vendre la mienne, et que, quand même je choisirois bien, j'allois au fond de mon cœur mentir au Saint-Esprit, et mériter le mépris dės hommes. Plus j'y pensois, plus je m'indignois contre moi-même, et je gémissois du sort qui m'avoit amené là, comme si ce sort n'eût pas été mon ouvrage. Il y eut des moments où ces réflexions devinrent si fortes que si j'avois un instant trouvé la porte ouverte, je me serois certainement évadé; mais il ne me fut pas possible, et cette résolution ne tint pas non plus bien fortement.

Trop de desirs secrets la combattoient pour ne la pas vaincre. D'ailleurs l'obstination du dessein formé de ne pas retourner à Genève; la honte, la difficulté même de repasser les monts; l'embarras de me voir loin de mon pays sans appui, sans ressources; tout cela concouroit à me faire regarder comme un repentir tardif les remords de ma conscience; j'affectois de me reprocher ce que j'avois fait pour excuser ce que j'allois faire. En aggravant les torts du passé, j'en regardois l'avenir comme une suite nécessaire. Je ne me disois pas, Rien n'est fait enoore, et tu peux être innocent si tu veux; mais je me disois, Gémis du crime dont tu t'es rendu

coupable, et que tu t'es mis dans la nécessité d'achever.

En effet, quelle rare force d'ame ne me falloitil point à mon âge pour révoquer tout ce que jusque-là j'avois pu promettre ou laisser espérer, pour rompre les chaînes dont je m'étois lié, pour déclarer avec intrépidité que je voulois rester dans la religion de mes pères, au risque de tout ce qui en pouvoit arriver ! Cette vigueur n'étoit pas de mon âge, et il est peu probable qu'elle eût eu un heureux succès. Les choses étoient trop avancées pour qu'on voulût en avoir le démenti; et plus ma résistance eût été grande, plus, de manière ou d'autre, on se fût fait une loi de la surmonter.

Le sophisme qui me perdit est celui de la plupart des hommes, qui se plaignent de manquer de force quand il n'est déja plus temps d'en user. La vertu ne nous coûte que par notre faute; et si nous voulions être toujours sages, rarement aurions-nous besoin d'être vertueux. Mais des penchants faciles à surmonter nous entraînent sans résistance: nous cédons à des tentations légères dont nous méprisons le danger. Insensiblement nous tombons dans des situations périlleuses dont nous pouvions aisément nous garantir, mais dont nous ne pouvons plus nous tirer sans des efforts héroïques qui nous effraient, et nous tombons enfin dans l'abyme, en disant à Dieu : Pourquoi m'as-tu fait si foible? Mais malgré nous il répond à nos con

sciences: Je t'ai fait trop foible pour sortir da gouffre, parceque je t'ai fait assez fort pour n'y pas tomber.

:

Je ne pris pas précisément la résolution de mè faire catholique mais voyant le terme encore éloigné, je pris le temps de m'apprivoiser à cette idée, et en attendant je me figurois quelque événement imprévu qui me tireroit d'embarras. Je résolus, pour gagner du temps, de faire la plus belle défense qu'il me seroit possible. Bientôt ma vanité me dispensa de songer à ma résclution; et dès que je m'aperçus que j'embarrassois quelquefois ceux qui vouloient m'instruire, il ne m'en fallut pas davantage pour chercher à les terrasser tout-à-fait. Je mis même à cette entreprise un zéle bien ridicule car, tandis qu'ils travailloient sur moi, je voulus travailler sur eux. Je croyois bonnement qu'il ne falloit que les convaincre, pour les engager à se faire pro

testants.

Ils ne trouvèrent donc pas en moi tout-à-fait autant de facilité qu'ils en attendoient, ni du côté des lumières ni du côté de la volonté. Les protestants sont généralement mieux instruits que les catholiques. Cela doit être: la doctrine des uns exige la discussion, celle des autres la soumission. Le catholique doit adopter la décision qu'on lui donne, le protestant doit apprendre à se décider. On savoit cela; mais on n'attendoit ni de mon état ni de mon âge de grandes difficultés pour des gens exercés. D'ailleurs, je

n'avois point fait encore ma première communion, ni reçu les instructions qui s'y rapportent; on le savoit encore: mais on ignoroit qu'en revanche j'avois été bien instruit chez M. Lambercier, et que de plus j'avois pardevers moi un petit magasin fort incommode à ces messieurs. dans l'histoire de l'église et de l'empire que j'avois. apprise presque par coeur chez mon père, et depuis presque oubliée, mais qui me revint à mesure que la dispute s'échauffoit.

Un vieux prêtre, petit, mais assez vénérable, nous fit en commun la première conférence. Cette conférence étoit pour mes camarades un catéchisme plutôt qu'une controverse, et il avoit plus à faire à les instruire qu'à résoudre leurs objections. Il n'en fut pas de même avec moi, Quand mon tour vint, je l'arrêtai sur tout, je ne lui sauvai pas une des objections que je pus lui faire. Cela rendit la conférence fort longue et fort ennuyeuse pour les assistants. Mon vieux prêtre parloit beaucoup, s'échauffoit, battoit la campagne, et se tiroit d'affaire en disant qu'il n'entendoit pas bien le françois. Le lendemain,

de

peur que mes indiscrètes objections ne scandalisassent mes camarades, on me mit à part dans une autre chambre avec un autre prêtre plus jeune, beau parleur, c'est-à-dire faiseur de longues phrases, et content de lui si jamais docteur le fut. Je ne me laissai pourtant pas trop subjuguer à sa mine imposante; et sentant qu'après tout je faisois ma tâche, je me mis à lui

répondre avec assez d'assurance, et à le bourrer par-ci par-là du mieux que je pus. Il croyoit m'assommer avec S. Augustin, S. Grégoire, et les autres pères, et il trouvoit avec une surprise incroyable que je maniois tous ces pères-là presque aussi légèrement que lui: ce n'étoit pas que je les eusse jamais lus, ni lui peut-être, mais j'en avois retenu beaucoup de passages tirés de mon Le Sueur; et sitôt qu'il m'en citoit un, sans disputer sur sa citation je lui ripostois par un autre du même père, et qui souvent l'embarrassoit beaucoup. Il l'emportoit pourtant à la fin par deux raisons. L'une, qu'il étoit le plus fort, et que, me sentant pour ainsi dire à sa merci, je jugeois bien, quelque jeune que je fusse, qu'il ne falloit pas le pousser à bout; car je voyois assez que le vieux petit prêtre n'avoit pris en amitié ni mon érudition ni moi. L'autre raison

étoit que le jeune avoit de l'étude et que je n'en avois point. Cela faisoit qu'il mettoit dans sa manière d'argumenter une méthode que je ne pouvois pas suivre, et que, sitôt qu'il se sentoit pressé d'une objection imprévue, il la remettoit au lendemain, disant que je sortois du sujet présent. Il rejetoit même quelquefois toutes mes citations, soutenant qu'elles étoient fausses, et, s'offrant à m'aller chercher le livre, me défioit de les y trouver. Il sentoit qu'il ne risquoit pas grand'chose, et qu'avec toute mon érudition d'emprunt j'étois trop peu exercé à manier les livres, et trop peu latiniste pour trouver un

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