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y établisse son désert! Et si, parfois, le plaisir que nous prenons aux bruits et aux promenades, dans cette contrée qui fait le soleil prisonnier, nous distrait d'un remords ou d'un vice, de la bête que le romancier fustige, l'ange ne nous apparaîtra que plus vite!

La poésie! Que cet adroit et fervent complice de la grâce ne l'abandonne pas! Comme le catholicisme y répand ses nappes souterraines, toujours la poésie doit irriguer ses récits. Et n'a-t-elle point, la première, attiré sur lui le regard d'un sourcier merveilleux? C'était en novembre 1909; les Mains jointes venaient de paraître, quand leur éditeur, modeste libraire de la rue Bonaparte qui publiait, je crois, la Revue du temps présent, reçut une lettre portant l'en-tête de la Chambre des députés. Aussitôt transmise à Mauriac, elle lui parut une plaisanterie de quelque camarade. Quoi! Barrès lui demandait un exemplaire (sur hollande) de son premier livre? A lui qui n'avait pas osé le lui envoyer, tant il considérait l'hommage de peu d'importance, à ce maître qu'il aimait depuis si longtemps, dont, étudiant à Bordeaux et « sous l'œil des barbares », il avait fait sa compagnie? A tout hasard il lui adressa son livre. Et le lundi 21 mars 1910, ouvrant l'Écho de Paris, François Mauriac y lisait un article sur les poèmes des Mains jointes dont Barrès révélait les dons et les promesses. « Beaucoup de mesure, nul mensonge, la plus douce et la plus vraie musique de chambre, rassemblent toutes ses émotions autour d'une pensée centrale catholique. C'est la poésie de l'enfant des familles heureuses, le poème du petit garçon sage, délicat, bien élevé, dont rien n'a terni la lumière, mais trop sensible, avec une note folle de volupté... » Et à Pâques, François Mauriac respirait encore cet encens qu'une lettre cette fois portait jusqu'à lui : « Soyez paisible, soyez sûr que votre avenir est aisé, ouvert, assuré, glorieux; soyez un heureux enfant. » Voilà de quoi mettre la tête à l'envers! Pourtant Mauriac travailla. Tout jeune licencié ès lettres, il était venu à Paris, avec le prétexte d'un stage, d'un concours à l'Ecole des Chartes, et logeait dans une maison de famille catholique, rue de Vaugirard, dont le seul attrait était un cercle où quelques esprits, amateurs de pensées et de poésies, composaient une stimulante atmosphère. Mais de trop fréquentes stations nocturnes aux bars du quartier Latin valurent à Mauriac d'être éloigné de la sage maison. Ses camarades le nommèrent tout de même président du cercle.

Cependant les Mains jointes lui attiraient quelques amitiés: Robert Vallery-Radot, Eusèbe de Brémond d'Ars, André Lafon, surtout, le plus aimé, et à qui François Mauriac vient de consacrer un petit livre : la Vie et la Mort d'un poète. Ces pages nous renseignent sur ces années incertaines où Mauriac composant l'Adieu à l'adolescence, l'Enfant chargé de chaînes, la Robe prétexte, se cherchait et ne se trouvait pas.

« Hésitation à quitter le rivage - avait écrit Barrès à propos des Mains jointes regret vague d'une enfance si douce, d'une quiétude tendre et si tiède, infinie sensibilité qui s'amasse et ne veut pas encore courir aux gaspillages de la jeunesse, non plus qu'aux songeries austères du couchant.. Mais il faudra sortir de cet attendrissement, de cet avril trouble... ». Entouré d'amis dévots, Mauriac les inquiète en ces années d'avant-guerre, mais il les suit de bonne grâce, et s'il se fâche un peu d'être désigné comme le parangon de l'école spiritualiste, il ne songe pas à « sortir de cet attendrissement ».

La Chair et le sang (1920), Préséances (1921), nous révèlent un homme nouveau, un romancier qui veut descendre au plus profond de nousmêmes et jusqu'à la division de la chair et de l'esprit, et qui réclame pour l'art catholique le droit de peindre les passions.

Sans doute, Mauriac souhaiterait-il de rendre sa part aussi à la grâce. Mais c'est peut-être là qu'échoue l'auteur du Fleuve de feu. Il nous le disait lui-même : « Quel artiste oserait imaginer les cheminements de la grâce, et ses ruses? C'est notre misère de ne pouvoir peindre sans mensonge que les passions... » Si l'on a, de certains côtés, jugé ses romans trop libres, il a été plus justement accusé de jansénisme par quelques théologiens. Mauriac, avec Genitrix, commence de réaliser la promesse qu'il confia à M. Frédéric Lefèvre : « Peindre la misère de l'homme sans Dieu. » Les protagonistes de Genitrix ne sont plus des croyants... Mais ces héros misérables et pantelants, soumis à la tyrannie d'une passion qui leur échappe, Mauriac est persuadé qu'ils rendent témoignage à Celui qu'ils ne connaissent pas.

Et il s'inquiète aussi de perfectionner sa technique. Depuis le Baiser au Lépreux, le souci de Mauriac est de tenir en haleine le lecteur pressé d'aujourd'hui; il s'efforce de ramasser l'essentiel en des formules brèves. Il élague, il nous jette d'abord en pleine action, il substitue aux lentes et ennuyeuses préparations, les rappels brusques du passé intercalés dans le présent. Il crée une atmosphère qui le dispense de décrire. Son métier le passionne et il souffre à Paris d'en être détourné. Mauriac considère que sa province est sa plus grande richesse. Il redoute plus que tout la dispersion. Goût de la retraite, du recueillement, du retour en soi-même, de l'examen de conscience, voilà le bénéfice, pour ce romancier, d'une éducation catholique et provinciale. De son étroit observatoire, juché sur l'immeuble le plus anonyme du quartier de Passy, d'où il surveille les héros humiliés de ses courts et brillants récits, il ne cesse jamais de jeter son regard inquiet et romanesque vers les landes et vers ce lointain domaine de Malagar où son génie poétique donna ses premières fleurs.

« Le Tombeau sous l'Arc de Triomphe. »

M. Raynal a intitulé sa pièce tragédie en trois actes. Les trois unités y sont respectées de si près qu'à l'inverse de ce qui se passe généralement, l'action met presque autant de temps à se dérouler sur la scène qu'elle n'en mettrait dans la réalité. Commencée un peu après minuit, elle doit être terminée à temps pour que le héros prenne le train de 7 h. 29 du matin. Elle ne met en scène que trois personnages, un homme, son père, et sa fiancée. Personnages si généreux qu'ils n'ont pas de nom. La fiancée n'a qu'un prénom : Aude; l'homme est appelé tour à tour Lui ou le Soldat, et le père s'appelle le Vieux. Ainsi M. Raynal nourrit-il l'immense ambition d'avoir écrit la tragédie de la guerre.

Il n'a pas imité la brièveté tragique. Publiée en librairie, sa pièce tient les trois cents pages d'un fort volume. Le troisième acte est composé d'une scène unique, qui occupe le tiers du livre. Chaque scène porte un titre. Celle qui emplit le troisième acte est intitulée simplement Zénith. La dernière scène du premier acte s'appelle Le plus pur de tous les mariages.

L'action se passe dans une salle d'un château de province, en septembre 1915, au moment de l'offensive de Champagne. Un simple soldat d'infanterie arrive en permission de quatre jours. Tout est préparé pour son mariage avec Aude, qui s'est retirée dans cette solitude sous la protection de son futur beau-père. Le soldat symbolique est un agriculteur lettré. Il résume toutes les supériorités. Il est beau, intelligent, généreux, sublime, héroïque à la limite de l'héroïsme. Il accepte le terrible destin avec une âme que rien n'émeut. I accepte, par modestie, de servir au plus bas de la hiérarchie en mesurant sa supériorité sur ceux qui le commandent. Ses sentiments patriotiques sont irréprochables et ils font corps avec un amour magnanime de l'humanité. Il se bat non seulement pour sauver la France, mais pour que cette guerre soit la dernière qui ensanglante la terre. Il n'attend aucune récompense ni en ce monde ni dans un autre, car il ne croit pas en Dieu. Ce trait étant une vertu aux yeux de M. Raynal, son soldat représente exactement toutes les vertus.

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Sa fiancée, son père l'interrogent. La guerre va-t-elle prendre fin bientôt? Il répond par l'affirmative la victoire de Champagne est décisive; avant trois mois, tout sera fini. Cependant, une dépêche est arrivée au château avant lui : elle le rappelle au front immédiatement. C'est bien, il partira dès l'aube. Il n'a plus que quelques heures à passer avec les siens. Impossible, par conséquent, de songer au mariage. Le père décide d'aller dormir pendant quelques heures et de revenir à six heures du matin. Le soldat reste seul avec Aude, qui s'offre à lui. Il hésite à peine un instant, puis accepte, après avoir

pris à témoin tous ses camarades morts à l'ennemi. Le rideau tombe. Ce premier acte tient à lui seul cent vingt-cinq pages.

Au second acte, on voit sur la scène de la Comédie-Française un lit plus grand que nature. Tandis que le soldat veille, Aude s'est endormie. Au réveil, ils s'exaltent. Leur amour fient des circonstances tant de gravité, de noblesse, de grandeur, que rien de bas ne doit le ternir. Ils se doivent l'un à l'autre la vérité, toute la vérité. Se taire, c'est mentir encore. C'est pourquoi le soldat révèle à Aude que tout à l'heure, il n'a pas été sincère. Non seulement la guerre n'est pas finie, mais l'offensive a échoué. Il faut s'attendre encore à des années d'épreuve. Aude s'écrie: « Je suis perdue! »>

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A son tour, elle livre son secret : son amour n'a pas pu résister à l'absence. Elle a beau se contraindre, elle n'aime plus son fiancé. S'il est vrai que la guerre doive durer encore, toute espérance est vaine, l'amour sera bien tué dans son cœur. Bouleversé par cet aveu, le soldat livre à son tour un troisième secret: il n'a obtenu sa permission qu'en offrant sa vie. En échange d'une courte liberté, il a accepté, pour le jour du retour, une de ces missions dont on ne revient pas. Dans trois jours il sera mort. Il ne leur reste plus qu'à se désespérer abondamment en attendant l'aurore. Elle vient, et Aude, bercée par le soldat, s'endort, cependant qu'il songe à son destin.

A six heures du matin, comme il était convenu, le père reparaît. Il comprend tout et il a l'imprudence de s'en plaindre. Le soldat entre dans une violente colère et fait à son père une scène au cours de laquelle il l'accable de toutes les injures qu'il est possible d'inventer. Il l'accuse, pour commencer, d'avoir enveloppé sa future belle-fille d'une sorte d'amour coupable. Il a commis, au moins en esprit, le péché du roi Salomon. Ensuite le soldat accuse le vieillard de lâcheté. Pourquoi ne se bat-il pas, lui aussi? Le père répond tout naturellement que c'est à cause de son âge, et alors le soldat généralise le débat : tous ceux qui ne se battent pas pour une raison ou pour une autre, quelle qu'elle soit, sont odieux.

Tu n'as pas conçu la scélératesse de te faire du plaisir avec la personne de ma fiancée. Mais tu t'es fait un bonheur avec ma douleur. Que t'en resterait-il si je restais vivant? Ça te gênerait tant, que je reste vivant... Ah! guerre, délectable aux vieux! Comment ne la chérirais-tu pas? Il te faudrait un cœur d'une autre trempe. Elle t'a comblé. Qu'il fait bon être vieux ! Les vieux s'en vont tout éveillés et bien vivants dans le plus fabuleux des rêves...

Comment soutiendrais-tu seulement mon regard? Je suis ton bienfaiteur, que tu as trahi. Je te sauve. Et tu me hais...

Tu m'as transmis un jour, sans y penser, la vie. Chaque jour je préserve la tienne. Que parles-tu de ta paternité encore! Les rôles sont

intervertis. Tu n'as rien qui ne vienne de moi. C'est moi qui suis ton père...

A la Comédie-Française, il a tout de même fallu couper ces gentillesses.

Aude, ravie, sent aussitôt se rallumer son amour. Elle le crie au soldat: s'il meurt, elle mourra. Mais le soldat, de plus en plus sublime, lui rappelle que son devoir est d'être aimée et d'aimer. Elle se remariera, en souvenir de lui, il l'ordonne du fond de sa tombe, sous condition qu'elle n'épouse qu'un combattant. Le père, soudain illuminé, tombe aux genoux de son fils, qui pardonne. Enfin, épuisé par tant de générosité, le soldat s'éloigne en chancelant et s'en va vers la

mort.

On demeure ébloui que M. Raynal ait tiré une pareille pauvreté d'un pareil sujet. Il avait en main les plus grands sentiments du monde, et voilà ce qu'il en a fait ! En vérité, c'est presque incroyable.

Les trois personnages n'ont pas le sens commun. Ce soldat n'est qu'une entité de toute les perfections. Un écrivain français a le droit, mettons même le devoir, de présenter ainsi le combattant; mais c'est une conception lyrique, non dramatique. Le combattant, dit M. Raynal, est au-dessus de toutes les lois humaines, parce qu'il a donné sa vie. Mais le combattant ennemi donnait la sienne aussi, et cependant M. Raynal tirait sur lui. Qui veut trop prouver ne prouve rien. Comment M. Raynal ne s'aperçoit-il pas que son soldat au-dessus de l'humanité devient aussi conventionnel que le poilu de M. Georges Scott ou des journaux illustrés qui nous a tous tant agacés pendant la guerre?

A part cette volonté d'être sublime, ce soldat ne présente aucun caractère saisissable. Il ne sait pas même ce qu'il veut et sa conduite est en contradiction avec ses paroles, ce qui n'est pas très étonnant, car il parle, il parle... Celui de qui on exige tout a le droit de tout exiger, dit-il. Non seulement il s'exige rien, mais il donne tout, sa femme, sa vie, et il part sans rien demander.

Mais quel parleur! Quelle machine à fabriquer de la fausse éloquence! Quels discours, quelle langue! Il faudrait, pour en donner une faible idée, recopier des pages et des pages. M. Raynal a cru qu'on atteignait le sublime, en entassant un amas de mots sur un amas de sentiments. Il a cru faire du Corneille, de qui il a imité jusqu'à la coupe; des dialogues entiers sont en alexandrins alternés auxquels il ne manque que la rime :

LE VIEUX

Tu te serais passé de gagner tant de gloire.

LUI

Tout à fait volontiers, je m'en serais passé.

LE VIEUX

Et tu pourrais garder la pudeur de ta gloire.

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