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LUI

Moi, je n'ai jamais dit ni pensé ce mot-là.
Toi, tu passes ton droit lorsque tu le prononces.
Pour juger d'un soldat, il faut s'être battu.

LE VIEUX

Ah! Assez de Français ne se battent-ils pas?

LUI

Quand ils veillent sur nous, veillons sur nos paroles.

LE VIEUX

Tu voudrais voir couler tout le sang du pays.

LUI

J'aurais voulu qu'il n'en coulât pas une goutte.

LE VIEUX

Mais le sang innocent peut bien être épargné.

LUI

Et le sang des soldats, il n'est pas innocent?

On voit, hélas! le péché de M. Raynal: il a barbouillé le plus noble des sujets d'exécrable littérature.

Les caractères des deux autres personnages sont aussi nuls que celui du soldat. Le vieux puisque c'est ainsi que parle M. Raynal change subitement entre le premier et le troisième acte; c'était un brave homme bien conservé, il lui suffit de dormir pendant quelques heures : quand il s'éveille, ce n'est plus qu'une vieille bête ridicule, sinon odieuse. La scène que lui fait son fils est d'une puérilité qui passe les limites, et qui a soulevé des orages. Le fils ne l'accuse pas de telle mauvaise action déterminée. Il l'accuse d'être son père :

Le triste, c'est que je ne t'estime pas. Je ne t'ai jamais estimé. Il y avait eu seulement, d'abord, les illusions caressantes du premier âge...

Quand (la paternité) se résume dans un incident physiologique, tu comptes que je vais me pâmer de vénération dès que tu l'invoqueras...

Les souffrances subies par M. Raynal quand il était combattant l'ont si totalement égaré qu'il serait injuste d'insister. M. Raynal doit cependant avoir eu un père... Les pères, généralement, élèvent leurs enfants... M. Raynal n'a voulu penser à rien de tout cela. Cette colère serait justifiée, tout le monde l'approuverait si elle tombait sur un profiteur malhonnête. Mais non, l'auteur peint le père innocent pour souligner son dessein : le père a eu tort de vivre pendant que M. Raynal combattait. Le printemps a eu tort d'être le printemps. Répétons à M. Raynal que le souvenir de ses souffrances l'a entraîné trop loin.

Mais le caractère le plus insensé est celui de la fiancée. Elle reçoit le soldat avec des transports d'enthousiasme. Le premier acte, nous

le rappelons, tient cent vingt-cinq pages; on imagine les hyperboles délirantes qu'Aude peut prodiguer tout au long. En quel langage! « Votre affection, dit-elle au père, n'est à présent qu'une survivance. Elle ne jaillit plus des geysers de l'instinct. Elle a perdu la propulsion incoercible de la toute-puissante nature. » Sitôt qu'elle reste seule avec le soldat, elle s'offre à lui. En quels termes!« Je vous jure, dit-elle, que j'ai l'approbation du ciel. » A quoi le soldat répond: « C'est le plus beau de tous les mariages. Le plus saint. Si Dieu existe, je veux dire le Dieu équitable et bon auquel aspire l'inquiétude humaine, si ce Dieu cxiste, il est là. » Aude poursuit : « Mettez votre femme en état de grâce. Elevezmoi jusqu'à vous. Faites de moi une héroïne. Que tout votre passage soit et reste, dans ma mémoire éblouie, une montée vers le soleil sanglant de l'honneur militaire, une ascension jusqu'à ce zénith. »

Ce jargon revient d'ailleurs à tout instant à la scène finale, le soldat se comparera au Christ. Mais une heure après, Aude crie à l'homme à qui elle vient de se donner qu'elle ne l'aime pas. On pourrait demander à M. Raynal comment il peut bien concevoir l'amour, puisque Aude n'est pas amoureuse! Les contradictions ne s'arrêtent pas là. Après toute cette furieuse exaltation, Aude s'endort tranquillement, et quand elle a fini son petit somme, il suffit qu'elle entende son amant injurier un père innocent pour qu'elle s'aperçoive tout à coup qu'elle ne peut vivre sans lui. Pas du tout, dit le héros, il ne faut pas mourir. Quand je n'y serai plus, vous en épouserez un autre. -Bon, dit Aude, puisque vous l'ordonnez, entendu. « Attention, - dit le vieillard à son fils : elle touche aux limites de son âme. » -« Je te supplie, dit Aude, que tu croies en ta femme. » Quel français ! Toute cette scène serait d'un comique inouï s'il était possible de parler de comique à propos d'un tel sujet. Les deux personnages se répètent Monte! pendant un quart d'heure. Aude s'exprime ainsi :

Tu as grandi par delà les saintetés sacrées. Tu ne peux plus monter sans entrer dans le ciel... Si tu ne reviens pas, c'est toi que je prierai.

Le soldat répond: Où sommes-nous? Je partage en frissonnant cette allégresse martyrisée qui dépasse notre nature, dont on renonce à distinguer si c'est la volupté du délice ou du supplice, où notre âme n'est plus qu'un cri éperdu vers l'infini, et sur laquelle nous ne savons rien, sinon que voici l'extrême atmosphère humaine, que nous avons atteint un zenith trop vertigineux et que, s'il survenait des émotions encore, le cœur le plus vaillant pourrait bien les soutenir sans demander grâce, mais non pas sans se briser.

De même que la Roche Tarpéienne était près du Capitole, comme le sublime est près du ridicule! M. Raynal était parti pour écrire une tragédiela tragédie moderne. Les personnages tragiques ont pour caractère la généralité, l'universalité; il a voulu que les siens fussent aussi généraux que possible. Il est clair que son soldat

n'est pas un soldat vivant, mais qu'il représente tous les combattants, le vieux tous les non-combattants et Aude toutes les femmes. C'est de ce point de vue qu'il tentera d'expliquer les sourdes colères du combattant, l'égoïsme du non-combattant, la versatilité de la femme. Aude symbolise la femme qui ne peut pas attendre éternellement l'amour. Le vieillard symbolise tous ceux qui ont vécu tranquilles pendant que d'autres souffraient. Le soldat symbolise tous ceux qui ont souffert. Ainsi M. Raynal nous répondra qu'il est vain de lui reprocher des invraisemblances psychologiques. Il ne s'agit que de symboles, des données essentielles du conflit réduites à la simplicité des grandes entités tragiques.

Ce dessein était-il impossible à remplir? Du moins, il était difficile de le remplir directement, par la voie du symbolisme volontaire. Il n'est pas certain qu'on écrive un jour « la tragédie de la guerre ». Personne n'a jamais écrit la tragédie de 1870, ou de l'Empire, ou de la Révolution, ou de la Guerre de Cent ans. Mais enfin, il y a un exemple, les Perses, d'Eschyle. Est-il impossible d'atteindre la majesté tragique avec des acteurs en veston ou en bleu horizon qui interprètent devant nous des sentiments que nous avons partagés? Eschyle l'a fait, mutatis mutandis. Il ne semble donc pas qu'on puisse répondre négativement a priori. Mais on peut affirmer sans crainte que M. Raynal n'y a pas réussi. Son dessein était grand, mais il ne l'a pas rempli. Il partait pour nous donner « la tragédie » : il ne nous a donné qu'un mauvais drame romantique. Le soldat recommande à sa fiancée de n'épouser qu'un homme « qui se soit battu sans emphase et qui n'en tire pas des récits. » A coup sûr, elle n'épousera pas M. Raynal.

LUCIEN DUBbech.

LES FAITS DE LA QUINZAINE

LE VOTE DES LOIS FISCALES. La Chambre des députés termine. après des séances nombreuses et agitées, le vote du projet gouvernemental qui crée de nouveaux impôts. Le double décime est adopté (19 février). Le monopole des allumettes est supprimé (21 février). Enfin, l'ensemble du projet est adopté, le 23, par 354 voix contre 218.

Cependant, le 18 février, pour la première fois, la livre sterling dépasse le cours de 100 francs. Le 29 février, elle cote encore plus de 102 francs.

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LE REDRESSEMENT DE L'ALLEMAGNE. LES TRAVAUX DES EXRetour de Berlin, le comité des experts se réunit à Paris dans le courant de la quinzaine. On dit que les experts se seraient mis

PERTS.

L

d'accord sur la nécessité de la création d'une banque allemande d'émission de billets à valeur-or, sur les conditions d'assainissement et d'équilibre des finances du Reich et la nécessité de créer un budget spécial des réparations. Ils estimeraient que les chemins de fer allemands doivens servir à gager un emprunt international, mais que la France et la Belgique doivent renoncer au contrôle économique de la Rhénanie.

Tandis qu'on discute ainsi l'éternel sujet des réparations, l'Allemagne donne l'impression qu'elle se relève rapidement. L'élimination du socialisme et de la démocratie se fait plus vite qu'on ne pouvait le penser, et de pair avec l'assainissement monétaire. Les élections dans le Mecklembourg-Schwerin (17 février) en sont une nouvelle preuve. Elles donnent une majorité écrasante à la droite nationaliste.

Le socialisme éliminé et la dictature du général von Seeckt établie à Berlin, la reconstitution de l'unité du Reich, un instant battue en brèche par la Bavière, s'opère dans le sens de l'abandon des revendications particularistes. Von Kahr et von Lossow, les dictateurs de Munich, donnent leur démission, le 18 février, à la suite de l'accord avec Berlin sur le statut des troupes bavaroises.

Comme mesures propres à protéger les autonomistes contre les représailles nationalistes, le Comité spécial mandaté par la Haute Commission interalliée adopte un règlement qui rend le président de la Diète palatine seul responsable du rétablissement de l'ordre et qui autorise le retour progressif des fonctionnaires bavarois chassés par le gouvernement autonome (19 février).

Le 23 février, M. Stresemann, ministre des Affaires étrangères du Reich, prononce, à Dresde, un discours nuancé de défi, où il parle de la flotte allemande et des colonies allemandes perdues. A peine remise en selle, l'Allemagne regarde au delà des frontières que lui a assignées le traité de Versailles.

ANGLETERRE. Le gouvernement travailliste annonce que, pour faire diminuer le chômage, il va mettre en chantier cinq nouveaux croiseurs de bataille (21 février).

Le ministre Henderson, candidat à Burnley, parle de la nécessité de reviser le traité de Versailles.

Interpellé à ce propos à la Chambre des Communes, M. Ramsay Macdonald répond par des paroles évasives (27 février).

BELGIQUE. M. Theunis est mis en minorité à la Chambre des représentants, à propos du projet de convention économique avec la France. Il remet sa démission. Socialistes et flamingants se sont unis pour faire échec à la politique de la Ruhr (27 février).

A. M.

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