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du moindre avocat qu'il faut paroître accablé d'affaires, froncer le sourcil, et rêver à rien trèsprofondément; savoir à propos perdre le boire et le manger, ne faire qu'apparoir dans sa maison s'évanouir et se perdre comme un fantôme dans le sombre de son cabinet; se cacher au public, éviter le théâtre, le laisser à ceux qui ne courent aucun risque à s'y montrer, qui en ont à peine le loisir, aux Gomons, aux Duhamels.

Il y a un certain nombre (*) de jeunes magistrats que les grands biens et les plaisirs ont associés à quelques-uns de ceux qu'on nomme à la cour de petits-maîtres: ils les imitent, ils se tiennent fort au-dessus de la gravité de la robe, et se croient dispensés par leur âge et par leur fortune d'être sages et modérés. Ils prennent de la cour ce qu'elle a de pire, ils s'approprient la vanité, la mollesse, l'intempérance, le libertinage, comme si tous ces vices leur étoient dus; et affectant ainsi un caractère éloigné de celui qu'ils ont à soutenir, ils deviennent enfin, selon leurs

(*) De Mesme, fils du président à mortier, et ensuite premier président, a épousé en 1695, la fille de M. Fédeau de Brou, président au grand-conseil, dont il a eu trois cents cinquante mille livres. On veut que la mère lui ait encore assuré deux cents, mille livres après sa mort. La demoiselle étoit petite, un peu boiteuse, passablement belle, et toute jeune.

souhaits, des copies fidelles de très-méchans origi

naux.

Un homme de robe (1) à la ville, et le même à la cour, ce sont deux hommes. Revenu chez soi il reprend ses moeurs, sa taille et son visage qu'il avoit laissés: il n'est plus ni si embarrassé, ni si honnête.

y

Les Crispins (2) se cotisent et rassemblent dans leur famille jusques à six chevaux pour alonger un équipage, qui avec un essaim de gens de livrées où ils ont fourni chacun leur part, les fait triompher au cours ou à Vincennes, et aller de pair avec les nouvelles mariées, avec Jason qui se ruine, et avec Thrason qui veut se marier, et qui a consigné (3).

J'entends dire des Sannions (4) même nom,

(1) Le premier président, ou M. Talon.

(2) MM. Malo, ou M. Charpentier. Les premiers sont trois frères.

(3) Déposé son argent au trésor public pour une grande charge.

(4) MM. de Lesseville, descendus d'un Tanneur de Meulan, mort fort riche, et qui a laissé deux enfans; l'un conseiller aux requêtes du palais, et l'autre au grandconseil, dont il est mort doyen, et qui ne voulut pas se rendre à Mantes en 1652, quand le grand-conseil s'y rendit du temps de la Fronde, de crainte que l'on n'approfondit dans son voisinage son extraction. De ces deux

mêmes armes; la branche aînée, la branche cadette. les cadets de la seconde branche; ceux-là portent les armes pleines, ceux-ci brisent d'un lambel, et les autres d'une bordure dentelée. Ils ont avec les Bourbons sur une même couleur, un même métal, ils portent comme eux, deux et une: ce ne sont pas des fleurs-de-lys, mais ils s'en consolent, peut-être dans leur cœur trouvent-ils leurs pièces

branches sont venus MM. de Lesseville, qui sont presque dans toutes les cours souveraines, y en ayant un maître des requêtes, un autre conseiller au parlement, l'autre au grand-conseil, et l'autre en la chambre des comptes, Ils vivent tous de fort bonne intelligence, portant les mêmes livrées, qu'ils renouvellent tous ensemble. Ils ont pour armes trois croissans d'or en champ d'azur. La branche cadette a chargé son écu d'un lambel. M. le Clerc de la Neuville est de cette famille. L'on veut qu'après la bataille d'Ivry en 1590, Henri IV s'étant retiré du côté de Mantes, et manquant d'argent, ayant appris que ledit le Clerc et Pelletier, qui étoient deux riches Tan-, neurs, le dernier de Mantes, pouvoient lui en prêter, les manda à cet effet, et tira d'eux vingt mille écus, dont il voulut leur donner son billet; mais que le Pelletier lui ayant représenté qu'il falloit donc créer un huissier exprès pour faire payer le Roi, ils se contentèrent de sa parole. Il leur donna ensuite des lettres de noblesse, dont s'est servi depuis le Pelletier, ayant quitté son métier de Tanneur, et non le Clerc. Le Pelletier est aïeul de M. Pelletier d'aujourd'hui, dont il y en a eu un premier président, et son fils est président à mortier.

aussi honorables, et ils les ont communes avec de grands seigneurs qui en sont contens. On les voit sur les litres et sur les vitrages, sur la porte de leur château, sur le pilier de leur haute-justice, où ils viennent de faire pendre un homme qui méritoit le bannissement: elles s'offrent aux yeux de toutes parts, elles sont sur les meubles et sur les serrures, elles sont semées sur les carrosses : leurs livrées ne déshonorent point leurs armoiries. Je dirois volontiers aux Sannions: votre folie est prématurée, attendez du moins que le siècle s'achève sur votre race: ceux qui ont vu votre grand-père, qui lui ont parlé, sont vieux, et ne sauroient plus vivre long-temps: qui pourra dire comme eux', là il étaloit et vendoit très-cher?

Les Sannions et les Crispins veulent encore davantage que l'on dise d'eux qu'ils font une grande dépensé, qu'ils n'aiment à la faire : ils font un récit long et ennuyeux d'une fête ou d'un repas qu'ils ont donné, ils disent l'argent qu'ils ont perdu au jeu, et ils plaignent fort haut celui qu'ils n'ont pas songé à perdre. Ils parlent jargon et mystère sur de certaines femmes, ils ont réciproquement cent choses plaisantes à se conter, ils ont fait depuis peu des découvertes, ils se passent les uns aux autres qu'ils sont gens à belles aventures. L'un d'eux qui s'est couché tard à la campagne, et qui voudroit dormir, se lève matin, chausse des guêtres,

endosse un habit de toile, passe un cordon où pend le fourniment, renoue ses cheveux, prend un fusil, le voilà chasseur s'il tiroit bien: il revient de nuit mouillé et mouillé et recru sans avoir tué il retourne à la chasse le lendemain, et il passe tout le jour à manquer des grives ou des perdrix.

Un autre (*), avec quelques mauvais chiens, auroit envie de dire, ma meute, il sait un rendez

(*) Le feu président le Coigneux, qui aimoit fort la chasse, dont il avoit un fort gros équipage à sa terre de Mort-Fontaine, où il alloit quand le palais le lui pouvoit permettre. Il n'étoit pas riche. Son aïeul étoit procureur au parlement. L'on trouve encore des expéditions de lui. Il épousa en secondes noces la veuve de Galand, fameux partisan, qui lui apporta de grands biens, dont il a depuis subsisté. Il ne s'étoit pas même mis en dépense d'une robe-de-chambre pour ce mariage, ensorte qu'étant obligé, selon l'usage de Paris, de se rendre à la toilette, de sa nouvelle femme, qu'il apprit être des plus magnifiques, il fut obligé, par l'avis de son valet-de-chambre, d'y aller en robe de palais, et en robe rouge fourrée, supposant qu'il ne pouvoit rien montrer de plus agréable aux yeux de cette dame, qui ne l'avoit épousé que pour sa dignité, que la robe, qui en faisoit la marque ; ce qui fit rire l'assemblée. Il a épousé en troisième noces Mile de Navaille, dont il a eu un fils, qui, bien qu'unique, ne devoit pas être riche: Ou Jacquiet, sieur de Rieux Montirel, conseiller de la cour, fils de Jacquiet des Vivres, fort entêté de la chasse.

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