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qu'elle vieillit, et qui s'étonne d'éprouver la foiblesse et les incommodités qu'amènent l'âge et une vie molle? Il en fait un apologue. C'est Irène qui va au temple d'Epidaure consulter Esculape. D'abord elle se plaint qu'elle est fatiguée : « l'oracle pro» nonce que c'est par la longueur du chemin qu'elle » vient de faire. Elle déclare que le vin lui est nui»sible; l'oracle lui dit de boire de l'eau. Ma vue » s'affoiblit, dit Irène; prenez des lunettes, dit Esculape. Je m'affoiblis moi-même, continue-t-elle, » je ne suis ni si forte, ni si saine que je l'ai été; » c'est, dit le dieu, que vous vieillissez. Mais quel

moyen de guérir de cette langueur ? Le plus court, » Irène, c'est de mourir, comme ont fait votre » mère et votre aïeule ». A ce dialogue, d'une tournure naïve et originale, substituez une simple description à la manière de Théophraste, et vous verrez comment la même pensée peut paroître commune ou piquante, suivant que l'esprit et l'ima gination sont plus ou moins intéressés par les idées et les sentimens accessoires dont l'écrivain a su l'embellir.

La Bruyère emploie souvent cette forme d'apo logie, et presque toujours avec autant d'esprit que de goût. Il y a peu de chose dans notre langue d'aussi parfait que l'histoire d'Emire. C'est un petit roman plein de finesse, de grace, et même d'intérêt.

Ce n'est pas seulement par la nouveauté et par

la variété des mouvemens et des tours que la Bruyère se fait remarquer, c'est encore par un choix d'expressions vives, figurées, pittoresques. C'est sur-tout par ces heureuses alliances de mots, ressource féconde des grands écrivains, dans une langue qui ne permet pas, comme presque toutes les autres, de créer, ou de composer des mots, ni d'en transplanter d'un idiome étranger.

Tout excellent écrivain est excellent peintre, dit la Bruyère lui-même, et il le prouve dans tout le cours de son livre. Tout vit et s'anime sous son pinceau, tout y parle à l'imagination: «<La véri» table grandeur se laisse toucher et manier....; elle »se courbe avec bonté vers ses inférieurs, et » revient sans effort à son état naturel ».

«Il n'y a rien, dit-il ailleurs, qui ne mette plus » subtilement un homme à la mode, et qui le sou» lève davantage, que le grand jeu ».

Veut-il peindre ces hommes qui n'osent avoir un avis sur un ouvrage, avant de savoir le jugement du public: « Ils ne hasardent point leurs suffrages; ils veulent être portés par la foule, et » entraînés par la multitude ».

La Bruyère veut-il peindre la manie du fleuriste; il vous le montre planté et ayant pris racine devant ses tulipes; il en fait un arbre de son jardin. Cette figure hardie est piquante sur-tout par l'analogie des objets.

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» Il n'y a rien qui rafraîchisse le sang, comme » d'avoir su éviter une sottise ». C'est une figure bien heureuse que celle qui transforme ainsi en sensation le sentiment qu'on veut exprimer.

L'énergie de l'expression dépend de la force avec laquelle l'écrivain s'est pénétré du sentiment ou de l'idée qu'il a voulu rendre. Ainsi la Bruyère s'élevant contre l'usage des sermens, dit: «Un hon» nête homme qui dit cui ou non, mérite d'être >>cru: son caractère jure pour lui ».

Il est d'autres figures de style d'un effet moins frappant, parce que les rapports qu'elles expriment demandent, pour être saisis, plus de finesse et d'attention dans l'esprit je n'en citerai qu'un exemple.

« Il y a dans quelques femmes un mérite paisible, » mais solide, accompagné de mille vertus, qu'elles » ne peuvent couvrir de toute leur modestie ».

Ce mérite paisible offre à l'esprit une combinaison d'idées très-fines, qui doit, ce me semble, plaire d'autant plus qu'on aura le goût plus délicat et plus exercé.

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Mais les grands effets de l'art d'écrire, comme de tous les arts, tiennent sur-tout aux contrastes. Ce sont les rapprochemens ou les oppositions de sentimens et d'idées, de formes et de couleurs, qui faisant ressortir tous les objets les uns par les autres, répandent dans une composition la variété, le mouTome I.

C

vement et la vie. Aucun écrivain peut-être n'a mieux connu ce secret, et n'en a fait un plus heureux usage que la Bruyère. Il a un grand nombre de pensées qui n'ont d'effet que par le contraste.

«Il s'est trouvé des filles qui avoient de la » vertu, de la santé, de la ferveur, et une bonne » vocation; mais qui n'étoient pas assez riches » pour faire dans une riche abbaye vou de pau» vreté ».

Ce dernier trait, rejetté si heureusement à la fin de la période, pour donner plus de saillie au contraste, n'échappera pas à ceux qui aiment à observer dans les productions des arts les procédés de l'artiste. Mettez à la place, qui n'étoient pas assez riches pour faire vœu de pauvreté dans une riche abbaye; et voyez combien cette légère transposition, quoique peut-être plus favorable à l'harmonie, affoibliroit l'effet de la phrase. Ce sont ces artifices que les anciens recherchoient avec tant d'études, et que les modernes négligent trop: lorsqu'on en trouve des exemples chez nos bons écrivains, il semble que c'est plutôt l'effet de l'instinct que de la réflexion.

On a cité ce beau trait de Florus, lorsqu'il nous montre Scipion, encore enfant, qui croît pour la ruine de l'Afrique: qui in exitium Africa crescit. Ce rapport supposé entre deux faits naturellement indépendans l'un de l'autre, plaît à l'imagination

et attache l'esprit. Je trouve un effet semblable dans cette pensée de la Bruyèrė.

<<< Pendant qu'Oronte augmente, avec ses années; » son fonds et ses revenus, une fille naît dans » quelque famille, s'élève, croît, s'embellit, et » entre dans sa seizième année: il se fait prier à » cinquante ans pour l'épouser, jeune, belle, spiri»tuelle. Cet homme, sans naissance, sans esprit » et sans le moindre mérite, est préféré à tous » ses rivaux ».

Si je voulois, par un seul passage, donner à la fois une idée du grand talent de la Bruyère et un exemple frappant de la puissance des contrastes dans le style, je citerois le bel apologue qui contient la plus éloquente satyre du faste insolent et scandaleux des parvenus.

«Ni les troubles, Zénobie, qui agitent votre em» pire, ni la guerre que vous soutenez virilement » contre une nation puissante, depuis la mort du Roi » votre époux, ne diminuent rien de votre magni»ficence. Vous avez préféré à toute autre contrée » les rives de l'Euphrate, pour y élever un superbe » édifice; l'air y est sain et tempéré; la situation » en est riante; un bois sacré l'ombrage du côté » du couchant; les Dieux de Syrie, qui habitent » quelquefois la terre, n'y auroient, pu choisir une » plus belle demeure. La campagne autour est » couverte d'hommes qui taillent et qui coupent,

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