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avoit voulu parler, ou du moins qu'on s'est imaginé qu'il avoit eu en vue.

Après la première publication du livre de la Bruyère, la république des lettres se vit bientôt inondée de Caractères faits à l'imitation des siens; mais qui tombèrent peu après dans l'oubli. Ceux qui se sont le mieux soutenus parurent sous le titre de suite des Caractères de Théophraste et des Mours de ce siècle. Paris, 1700, in-12. On les a joints à ceux de la Bruyère dans quelques éditions d'Hollande. Ce livre, dit l'auteur de la République des Lettres, (1700, avril, page 466), « est d'un Avocat

qui demeure à Rouen, nommé Aleaume. » Il a de l'esprit et de la politesse. On trouve » dans son ouvrage des pensées assez bien » tournées, mais il y en a d'autres qui n'ont » pas le même caractère. On prétend aussi » qu'il y a quelques fautes dans le langage ».

2o. Discours prononcé le 15 juin 1693, à sa réception à l'Académie Françoise. Paris, 1693, in-4°. It. dans les recueils de cette Académie.

3o. Dialogue sur le Quiétisme. Paris, 1699, in-12. La Bruyère n'avoit fait qu'ébaucher ces dialogues, dont M. Dupin a procuré l'édition, en y ajoutant ce qui y manquoit.

4°. Son éloge par l'abbé d'Olivet, dans son histoire de l'Académie Françoise.

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DE L'ACADÉMI E.

JEAN DE LA BRUYÈRE, reçu à l'Académie

le 15 juin 1693, mort le 10 mai 1696.

Il descendoit (*) d'un fameux ligueur, qui, dans le temps des barricades de Paris, exerça la charge de lieutenant civil.

Il acheta une charge de trésorier de France à Caen; mais à peine la possédoit-il, qu'il fut mis par M. Bossuet, évêque de Meaux, auprès de feu M. le Duc, pour lui enseigner l'histoire, et il y passa le reste de ses jours en qualité d'homme de lettres avec mille écus de pension, et non pas en qualité de gentilhomme ordinaire, comme quelques auteurs le disent.

On me l'a dépeint comme un philosophe qui ne songeoit qu'à vivre tranquille avec des amis et des livres; faisant un bon choix des uns et des autres; ne cherchant, ni ne fuyant le plaisir; toujours disposé à une joie modeste, et ingénieux à la faire naître ;

(*) Voyez entre autres les nouvelles remarques fur la satyre Ménippée, tome II, page 338.

poli dans ses manières et sage dans ses discours; craignant toute sorte d'ambition, même celle de montrer de l'esprit.

Il ne laisse pas d'en montrer beaucoup dans son livre des Caractères, et peutêtre qu'il y en montre trop du moins en jugera-t-on ainsi lorsqu'on jugera de sa manière d'écrire par comparaison à celle de Théophraste dont il a traduit les Caractères. Théophraste décrit les mœurs de son temps; moeurs bien simples au prix des nôtres, et il les décrit avec simplicité: aujourd'hui tout est fardé, tout est masqué; le discours se ressent des mœurs; aussi l'auteur François a-t-il plus d'art, et par conséquent moins de ce naturel aimable que l'auteur Grec.

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Mais pourquoi les Caractères de la Bruyère, que nous avons vu si fort en vogue durant quinze ou vingt ans, commencentils à n'être plus si recherchés? Ce n'est pas que le public se lasse enfin de tout, puisqu'aujourd'hui la Fontaine, Racine, Despréaux, ne sont pas moins lus qu'autre

fois. Pourquoi, dis-je, de la Bruyère n'apas tout-à-fait le même avantage?

t-il

Prenons nous-en, du moins en partie, à la malignité du cœur humain. Tant qu'on a cru voir dans ce livre les portraits de gens vivans, on l'a dévoré, pour se nourrir du triste plaisir que donne la satyre personnelle. Mais à mesure que ces gens-là ont disparu, il a cessé de plaire si fort par la matière, et peut-être aussi que la forme n'a pas suffi toute seule pour le sauver, quoiqu'il soit plein de tours admirables et d'expressions heureuses qui n'étoient pas dans notre langue auparavant.

Quand je dis qu'elles n'étoient pas dans notre langue avant M. de la Bruyère, ce n'est pas que je l'accuse d'avoir fait des mots nouveaux. Personne n'a droit, ni besoin d'en faire : Vaugelas et d'Ablancourt n'ont-ils pas dit excellemment tout ce qu'ils ont voulu, et ne l'ont-ils pas dit sans faire de mots nouveaux? Mais lorsqu'une langue a tous les mots nécessaires pour exprimer toutes les idées simples et distinctes, le

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