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lire, je pris soin de lui désigner cette seconde augmentation par une marque particulière: je crus aussi qu'il ne seroit pas inutile de lui distinguer la première augmentation par une autre marque plus simple, qui servêt à lui montrer le progrès de mes caractères, et à aider son choix dans la lecture qu'il en voudroit faire (*); et comme il pouvoit craindre que ce progrès n'allât à l'infini, j'ajoutois à toutes ces exactitudes une promesse sincère de ne plus rien hasarder en ce genre. Que si quelqu'un m'accuse d'avoir manqué à ma parole, en insérant dans les trois éditions qui ont suivi un assez grand nombre de nouvelles remarques, il verra du moins qu'en les confondant avec les an ciennes par la suppression entière de ces différences, qui se voient par apostille, j'ai moins pensé à lui faire lire rien de nouveau, qu'à laisser peut-être un ouvrage de moeurs plus complet, plus fini et plus régulier à la postérité. Ce ne sont point au reste des maximes que j'aie voulu écrire: elles sont comme des loix dans la morale, et j'avoue que je n'ai ni assez d'autorité, ni assez de génie, pour faire le législateur. Je sais même que j'aurois péché contre l'usage des maximes, qui veut qu'à la manière des oracles elles soient courtes et concises. Quelques-unes de ces remarques le sont,

(*) On a retranché ces marques, devenues actuelle ment inutiles.

quelques autres sont plus étendues: on pense les choses d'une manière différente, et on les explique par un tout aussi tout différent; par une sentence, par un raisonnement, par une métaphore ou quelque autre figure, par un parallèle, par une simple comparaison, par un fait tout entier, par une description, par une peinture: de-là procède la longueur ou la briéveté de mes réflexions. Ceux enfin qui font des maximes veulent être crus: je consens au contraire que l'on dise de moi que je n'ai pas quelquefois bien remarqué, pourvu que l'on remarque mieux,

DES OUVRAGÈS DE L'ESPRIT.

TOUT est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent. Sur ce qui concerne les mœurs le plus beau et le meilleur est enlevé : l'on ne fait que glaner après les anciens et les habiles d'entre les modernes.

Il faut chercher seulement à penser et à parler juste, sans vouloir amener les autres à notre goût et à nos sentimens; c'est une trop grande entreprise.

C'est un métier que de faire un livre comme de faire une pendule. Il faut plus que de l'esprit pour être auteur. Un magistrat (*) alloit par son mérite à la première dignité, il etoit homme délié et pratique dans les affaires; il a fait imprimer un ouvrage moral qui est rare par le ridicule.

Il n'est pas si aisé de se faire un nom par un ouvrage parfait, que d'en faire valoir un médiocre par le nom qu'on s'est déjà acquis.

Un ouvrage satyrique ou qui contient des faits, qui est donné en feuilles sous le manteau aux

(*) M. Poncet de la Rivière, mort doyen des conseillers d'état, qui prétendoit être chancelier, et qui avoit fait un mauvais livre des avantages de la vieillesse.

conditions d'être rendu de même, s'il est médiocre, passe pour merveilleux: l'impression est l'écueil.

Si l'on ôte de beaucoup d'ouvrages de morale l'avertissement au lecteur, l'épître dédicatoire, la préface, la table, les approbations, il reste à peine assez de pages pour mériter le nom de livre.

Il y a de certaines choses dont la médiocrité est insupportable, la poésie, la musique, la peinture, le discours public.

Quel supplice que celui d'entendre déclamer pompeusement un froid discours, ou prononcer de médiocres vers avec toute l'emphase d'un mauvais poëte!

Certains poëtes (*) sont sujets dans le dramatique à de longues suites de vers pompeux, qui semblent forts, élevés, et remplis de grands sen→ timens. Le peuple écoute avidement, les yeux élevés et la bouche ouverte, croit que cela lui plaît, et à mesure qu'il y comprend moins, l'admire davantage, il n'a pas le temps de respirer, il a à peine celui de se récrier et d'applaudir.

(*) Corneille le jeune dans sa Bérénice, dont les quatre premiers vers sont un pur galimatias:

Dans les bouillans transports d'une juste colère
Contre un fils criminel excusable est un père;
Ouvre les yeux...... et moins aveugle voi
Le plus sage conseil l'inspirer à ton Roi.

J'ai cru autrefois et dans ma première jeunesse, que ces endroits étoient clairs et intelligibles pour les acteurs, pour le parterre et l'amphithéâtre que leurs auteurs s'entendoient eux-mêmes; et qu'avec toute l'attention que je donnois à leur récit, j'avois tort de n'y rien entendre: je suis détrompé.

L'on n'a guère vu (*) jusqu'à présent un chefd'œuvre d'esprit qui soit l'ouvrage de plusieurs: Homère a fait l'Iliade, Virgile P'Enéïde, Tite-Live ses Décades, et l'Orateur Romain ses Oraisons.

Il y a dans l'art un point de perfection comme de bonté ou de maturité dans la nature; celui qui le sent et qui l'aime a le goût parfait; celui qui ne le sent pas, et qui aime en-deçà ou au-delà, a le goût défectueux. Il y a donc un bon et un mauvais goût, et l'on dispute des goûts avec fondement.

Il y a beaucoup plus de vivacité que de goût parmi les hommes; ou, pour mieux dire, il y a peu d'hommes dont l'esprit soit accompagné d'un goût sûr et d'une critique judicieuse.

La vie des héros a enrichi l'histoire, et l'histoire a embelli les actions des héros: ainsi je ne sais

(*) Le Dictionnaire de l'Académie françoise qui a paru enfin en 1694, après avoir été attendu pendant plus de

quarante ans.

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