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Si vous aviez pris la peine de lire les écrits que vous me faites l'honneur de mépriser, et que vous devez du moins fort hair, car ils sont d'un ennemi des méchans, vous y auriez vu une distinction perpétuelle entre les nombreuses sottises que nous honorons du nom de science, celles, par exemple, dont vos recueils sont pleins, et la connaissance réelle de la vérité ; vous y auriez vu, par l'énunération des maux causés par la première, combien la culture en est dangereuse; et par l'examen de l'esprit de l'homme, combien il est incapable de la seconde, si ce n'est dans les choses immédiatement nécessaires à sa couscrvation et sur lesquelles le plus grossier paysan en sait du moins autant quele meilleur philosophe. De sorte que, pour mettre quelque apparence de parité dans les deux questions, vous deviez supposer, non-seulement un jour illusoire et trompeur, qui ne montre les choses que sous une fausse apparence, mais encore un vice dans l'organe visuel, qui altère la sensation de la lumière, des figures et des couleurs; et alors vous eussiez trouvé qu'en effet il vaudrait encore mieux rester dans une éternelle obscurité, que de ne voir à se conduire que pour s'aller casser le nez

contre des rochers, ou se vautrer dans la fange, ou mordre et déchirer tous les honnêtes gens qu'on pourrait atteindre. La comparaison du jour convient à la raison naturelle, dont la pure et bienfaisante lumière éclaire et guide les hommes : la science peut mieux se comparer à ces feux follets qui, diton, ne semblent éclairer les passans que pour les mener à des précipices.

Pénétré d'une sincère admiration pour ces rares génies, dont les écrits immortels et les mœurs pures et honnêtes éclairent et instruisent l'univers, j'apperçois chaque jour davantage le danger qu'il y a de tolérer ce tas de grimauds, qui ne déshonorent pas moins la littérature par les louanges qu'ils lui donnent, que par la manière dont ils la cultivent. Si tous les hommes étaient des Montesquieux, des Buffons, des Duclos, etc., je désirerais ardemment qu'ils cultivassent tous les sciences, afin que le humain ne fût qu'une genre société de sages: mais vous, Monsieur, qui sans doute êtes si modeste, puisque vous me reprochez tant mon orgueil, vous conviendres volontiers, je m'assure, que si tous les hommes étaient des Frérons, leurs livres n'offri

raient

raient pas des instructions fort utiles, ni leur caractère une société fort aimable.

Ne manquez pas, Monsieur, je vous prie, quand votre pièce aura remporté le prix, de faire entrer ces petits éclaircissemens dans la préface. En attendant, je vous souhaite bien des lauriers; mais si dans la carrière que vous allez courir, le succès ne répond pas à votre attente, gardez-vous de prendre, comme vous dites, le parti de vous envelopper dans votre propre estime; car vous auriez là un méchant

manteau.

Lettres. Tome IV.

A M. LE COMTE

D'ARGENSON,

MINISTRE ET SECRÉTAIRE D'ÉTAT. (*)

A Paris, le 6 mars 1754.

MONSIEUR,

AYANT donné l'année dernière à l'Opéra

ua intermède, intitulé le Devin du Village, sous des conditions que les directeurs de ce théâtre ont enfreintes, je vous supplie d'ordonner que la partition de cet ouvrage me soit rendue, et que les représentations leur en soient à jamais interdites, comme d'un bien qui ne leur appartient pas restitution à laquelle ils doivent avoir d'autant moins de répugnance, qu'après quatre-vingt représentations en doubles, il ne leur reste aucun

(*) L'académie royale de musique était de son département,

parti à tirer de la pièce, ni aucun tort à faire à l'auteur. Le mémoire ci-joint (a) contient les justes raisons sur lesquelles cette demande est fondée. On oppose à ces raisons des réglemens qui n'existent pas, et qui, quand ils existeraient, ne sauraient les détruire; puisque le marché par lequel j'ai cédé mon ouvrage étant rompu, cet ouvrage me revient en toute justice. Permettez, monsieur le Comte, que j'aie recours à la vôtre en cette occasion, et que j'implore celle qui m'est due.

Je suis avec un profond respect, etc.

(a) Ce mémoire étant presque le même que celui que l'on trouvera ci-après, à la suite de la lettre à M. le comte de S. Florentin, du 11 février 1759, on y renvoie le lecteur, pour ne pas donner ce morceau à double. (Note de l'éditeur).

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