Quant à leur caractère, il est difficile d'en juger, tant il est offusqué de manières; ils se croient polis, parce qu'ils sont façonniers, et gais, parce qu'ils sont turbulens. Je crois qu'il n'y a que les Chinois au monde qui puissent l'emporter sur eux à faire des complimens. Arrivez-vous fatigué, pressé, n'importe il faut d'abord prêter le flanc à la longue bordée: tant que la machine est montée, elle joue, et elle se remonte toujours à chaque arrivant. La politesse française est de mettre les gens à leur aise, et même de s'y mettre aussi. La politesse Neuchateloise est de gêner soi-même et les autres. Ils ne consultent jamais ce qui vous convient, mais ce qui peut étaler leur prétendu savoir-vivre. Leurs offres exagérées ne tentent point; elles ont toujours je ne sais quel air de formule, je ne sais quoi de sec et d'apprêté, qui vous invite au refus. Ils sont pourtant obligeans officieux, hospitaliers très-réellement, surtout pour les gens de qualité : on est toujours sûr d'être accucilli d'eux en se donnant pour marquis ou comte ; et comme une ressource aussi facile ne manque pas aux aventuriers ils en ont souvent dans leur ville, qui pour l'ordinaire y sont très-fêtés: un simple hon nête homme avec des malheurs et des vertus, ne le serait pas de même: on peut y porter un grand nom sans mérite, mais non pas un grand mérite sans nom. Du reste, ceux qu'ils servent une fois ils les servent bien. Ils sont fidelles à leurs promesses, et n'abandonnent pas aisément leurs protégés. Il se peut même qu'ils soient aimans et sensibles; mais rien n'est plus éloigné du ton du sentiment, que celui qu'ils prennent; tout ce qu'ils font par humanité semble être fait par ostentation, et leur vanité cache leur bon cœur. Cette vanité est leur vice dominant; elle perce par-tout, et d'autant plus aisément, qu'elle est mal-adroite. Ils se croient tous gentilshommes, quoique leurs souverains ne fussent que des gentilshommes eux-mêmes. Ils aiment la chasse, moins par goût, que parce que c'est un amusement noble. Enfin jamais on ne vit des bourgeois si pleins de leur naissance: ils ne la vantent pourtant pas, mais on voit qu'ils s'en occupent; ils n'en sont pas fiers, ils n'en sont qu'entêtés. Au défaut de dignités et de titres de noblesse, ils ont des titres militaires ou municipaux en telle abondance, qu'il y a plus de gens titrés que de gens qui ne le sont pas. C'est monsieur le Colonel, monsieur le Major, monsieur le Capitaine, monsieur le Licuteuant, monsieur le Conseiller, monsieur le Châtelain, monsieur le Maire, monsieur le Justicier, monsieur le Professeur, monsieur le Docteur, monsieur l'Ancien ; si j'avais pu reprendre ici mon ancien métier, je ne doute pas que je n'y fusse Monsieur le Copiste. Les femmes portent aussi les titres de leurs maris, madame la Conseillère, madame la Ministre; j'ai pour voisine madame la Major; et comme on n'y nomme les gens que par leurs titres, on est embarrassé comment dire aux gens qui n'ont que leur nom, c'est comme s'ils n'en avaient point. Le sexe n'y est pas beau; on dit qu'il a dégénéré. Les filles out beaucoup de liberté, et en font usage. Elles se rassemblent souvent en société où l'on jouc, où l'on goûte, où l'on babille, et où l'on attire tant qu'on peut les jeunes gens; mais par malheur ils sout rares, et il faut se les arracher. Les femmes vivent assez sagement: il y a daus le pays d'assez bons ménages, et il y en aurait bien davantage, si c'était un air de bien vivre avec son mari. Du reste vivant beaucoup en campagne, lisant moins, et avec moins de fruit que les hommes, elles n'ont pas l'esprit fort orné; et dans le désœuvrement de leur vie, elles n'ont d'autre ressource que de faire de la dentelle, d'épier curieusement les affaires des autres, de médire et de jouer. Il y en a pourtant de fort aimables ; mais en général on ne trouve pas dans leur entretien ee ton que la décence et l'honnêteté même rendent séducteur, ce tou que les Françaises savent si bien prendre quand elles veulent, qui montre du sentiment, de l'ame, et qui promet des héroïnes de roman. La conversation des Neuchateloises est aride ou badine; elle tarit sitôt qu'on ne plaisante pas. Les deux sexes ne manquent pas de bon naturel, et je crois que ce n'est pas un peuple sans mœurs, mais c'est un peuple sans principes, et le mot de vertu y est aussi étranger ou aussi ridicule qu'en Italie. La religion dont ils se piquent sert plutôt à les rendre hargneux que bons. Guidés par leur clergé, ils épilogueront sur le dogme, mais pour la morate, ils ne savent ce que c'est ; car quoiqu'ils parlent beaucoup de charité, celle qu'ils ont n'est assurément pas l'amour du prochain, c'est seulement l'affectation de donner l'aumône. Un chrétien pour eux est un homme qui va au prêche tous les dimanches; quoi qu'il fasse dans l'intervalle, il n'importe pas. Leurs ministres qui se sont acquis un grand crédit sur le peuple, tandis que leurs princes étaient catholiques, voudraient conserver ce crédit en se mêlant de tout, en chicanant sur tout, en étendant à tout la jurisdiction de l'Eglise; ils ne voient pas que leur temps est passé. Cependant ils viennent encore d'exciter dans l'Etat une fermentation qui achèvera de les perdre. L'importante affaire dont il s'agissait était de savoir si les peines des damnés étaient éternelles. Vous auriez peine à croire avec quelle chaleur cette dispute a éte agitée; celle du jansénisme en France n'en a pas approché. Tous les corps assemblés, les peuples prêts à prendre les armes, ministres destitués, magistrats interdits, tout marquait les approches d'une guerre civile, et cette affaire n'est pas tellement finie qu'elle ne puisse laisser de longs souvenirs. Quand ils se seraient tous arrangés pour aller en enfer, ils n'auraient pas plus de souci de ce qui s'y passe. Voilà les principales remarques que j'ai faites jusqu'ici sur les gens du pays où je suis, Elles yous paraîtraient peut-être un peu dures |