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part des principes essentiels, le principe de contradiction et le principe de la raison suffisante; c'est la solution de ces problèmes qu'il cherche dans toutes les doctrines; c'est d'après ces principes qu'il les juge. En second lieu, Leibniz n'amnistie pas tous les systèmes. A coup sûr, nul ne professe une tolérance plus entière que lui les doctrines et surtout pour

leurs auteurs.

pour

<< Il serait à souhaiter, écrivait-il, que des hommes d'ailleurs illustres, quittant le vain espoir de s'emparer de la tyrannie dans l'empire de la philosophie, renonçassent aussi à l'ambition de former une secte. Car de là naissent les passions insensées des partis, de là des guerres littéraires stériles, qui compromettent la science et où se perd un temps précieux. Que n'imitet-on les géomètres! On ne distingue point parmi eux des Euclidistes, des Archimédistes, des Apolloniens. Une même secte les réunit tous; car ils s'attachent tous à la vérité, d'où qu'elle vienne1. »

Leibniz voudrait donc qu'une seule secte réunît toutes les sectes, et on ne saurait trop applaudir à ces généreux sentiments. Mais cette indulgence n'est pas chez lui indifférence; elle n'attiédit point son amour pour la vérité. Loin d'accepter également tous les systèmes, il en est qu'il repousse comme absolument pernicieux et qu'il condamne, ceux de Hobbes, de Spinoza, par exemple. « Nous devons penser, remarque-t-il quelque part avec fermeté, que d'autres, aussi

1. Dutens, t. V, p. 394. Leibnitii notata quædam circa vitam et doctrinam Cartesii. Il faut rapprocher de ce passage ces autres trèsbelles paroles de Leibniz: « Je me plais extrêmement aux objections des personnes habiles et modérées, car je sens que cela me donne de nouvelles forces comme dans la fable d'Antée terrassé. »

persuadés que nous-mêmes, ont autant de droit de maintenir leurs sentiments et même de les répandre, s'ils les croient importants. On doit excepter les opinions. qui enseignent les crimes qu'on ne doit point souffrir et qu'on a droit d'étouffer par les voies de la rigueur, quand il serait vrai même que celui qui les soutient ne peut point s'en faire, comme on a le droit de détruire une bête venimeuse, tout innocente qu'elle est. Mais je parle d'étouffer la secte et non les hommes, puisqu'on peut les empêcher de nuire et de dogmatiser'.

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Enfin, ajoutons que Leibniz n'a cessé d'avoir les yeux fixés sur la théologie chrétienne, et que c'est à la lumière de ce flambeau qu'il a su accomplir toutes ses explorations. Effectivement, s'il tient « que la raison est une révélation naturelle, dont Dieu est l'auteur, de même qu'il l'est de la nature,» il professe aussi « que la révélation est une raison surnaturelle, c'est-à-dire une raison étendue par un nouveau fonds de découvertes, émanées immédiatement de Dieu. »

Dans cette scrupuleuse et fructueuse révision du passé, Aristote seul semblait avoir frayé la voie au philosophe de Hanovre. On sait en effet que cet analyste incomparable a consacré le premier livre de sa Métaphysique à s'enquérir des doctrines de ceux qui l'ont précédé et à les résumer".

Leibniz a fait à la fois plus et moins qu'Aristote. Il a fait moins que le Stagirite; car ce n'est pas de suite, mais par occasion, et pour ainsi dire d'une manière discursive, qu'il a examiné les systèmes des antérieurs.

1. Erdmann, p. 387, Nouveaux Essais, 1. IV, ch. XVI, S 4. 2. Id., p. 406, Nouveaux Essais, liv. IV, chap. xix, S 4.

3. Voy. une thèse de M. Jacques: Aristote considéré comme historien de la philosophie. Paris, 1837, in-8.

Il a fait plus que lui; car, outre qu'il a embrassé un champ nécessairement beaucoup plus vaste, son enquête a été plus impartiale et plus large. « La vérité, écrivait excellemment Leibniz, la vérité est plus répandue qu'on ne pense; mais elle est très-souvent fardée et très-souvent aussi enveloppée, et même affaiblie, mutilée, corrompue par des additions qui la gâtent ou la rendent moins utile. En faisant remarquer ces traces de la vérité dans les anciens, ou, pour parler plus généralement, dans les antérieurs, on tirerait l'or de la boue, le diamant de la mine et la lumière des ténèbres; et ce serait en effet perennis quædam philosophia1. »

Leibniz, en introduisant dans la philosophie l'histoire même de la philosophie, obéissait à l'idée de progrès qu'Aristote ne soupçonnait pas, et tandis qu'Aristote ne rappelait guère la tradition que pour en marquer les faiblesses et la négliger, c'était sur la base de la tradition que Leibniz s'efforçait d'asseoir son propre système.

C'est donc en invoquant la tradition, autant qu'au nom de sa propre doctrine, que Leibniz entreprendra de corriger ou de réfuter les théories de ses trois grands contemporains, Descartes, Spinoza et Locke.

1. Dutens, t. V, p. 13, Lettre à Montmort.

2. Cf. Id., ibid., p. 370, Epistola ad Bierlingium. « Si pergit ge<<nus humanum, quo cœpit gradu, mirabitur aliquando non expectatas << opes.

Post aliquot, mea regna videns, mirabor aristas. »

LIVRE II.

POLÉMIQUE DE LEIBNIZ.

CHAPITRE I.

Polémique contre Descartes.

Dogmatique et critique à la fois, Leibniz a procédé à l'établissement de ses propres principes par la discussion des systèmes antérieurs et notamment par l'examen des théories de ses trois illustres contemporains, Descartes, Spinoza et Locke.

La doctrine de Leibniz se trouve répandue dans tous ses écrits, où il est intéressant d'en suivre le développement, d'en constater les évolutions, d'en remarquer les modifications successives. Exposée et justifiée dans les Lettres à Arnauld, condensée dans quelques écrits spéciaux, tels que la Monadologie, elle reçoit dans la Théodicée sa complète expression et ses applications suprêmes.

La critique de Leibniz, comme sa doctrine, se reproduit à chaque instant et se multiplie sous sa plume agile. Mais elle prend corps, en quelque sorte, dans quelques traités particuliers.

Les Nouveaux Essais sont une réfutation pied à pied de l'Essai de Locke concernant l'entendement humain. De la même manière et dans un écrit tout spécial,

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