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nité. Cette méthode anticartésienne est ce qui a le plus égaré Spinoza, et, de nos jours, ramène et entretient encore le Spinozisme1. >>>

Leibniz n'a point assez vécu dans le monde de l'âme; il n'a point assez souvent demandé à l'observation psychologique la confirmation ou l'origine des principes sur lesquels il s'appuie.

Toutefois, la partie polémique de la critique de Leibniz contre Spinoza n'en subsiste pas moins, et l'argumentation qu'il oppose au système du Juif hollandais reste aussi profonde qu'irrésistible.

Or le même intérêt de saine métaphysique et de bonne morale qui avait porté Leibniz à entreprendre une réfutation de Spinoza, devait l'inviter aussi à réfuter Locke.

« J'ai tâché aussi de combattre en passant certains philosophes relâchés, comme M. Locke, M. Le Clerc et leurs semblables, qui ont des idées fausses et basses de l'homme, de l'âme, de l'entendement et même de la divinité; et qui traitent de chimérique tout ce qui passe leurs notions populaires et superficielles. Ce qui leur a fait du tort, c'est que, étant peu informés des connaissances mathématiques, ils n'ont pas assez connu la nature des vérités éternelles. >>>

Leibniz a démontré que Spinoza péchait par trop de géométrie. C'est un défaut contraire qu'il signalera chez Locke, le défaut de connaissances mathématiques.

« M. Locke, disait-il, avait de la subtilité et de l'adresse, et quelque espèce de métaphysique superficielle qu'il savait relever, mais il ignorait la méthode des mathématiciens2. >>>

1. Cf. Erdmann, Fragments de philosophie Cartésienne, p. 379; Correspondance inédite de Malebranche et de Leibniz. 2. Dutens, t. V, p. 11, Lettre i à Montmort.

CHAPITRE III.

(

Polémique contre Locke.

Leibniz écrivait, en novembre 1715, à la princesse de Galles :

« Il semble que la religion naturelle s'affaiblit extrêmement en Angleterre. Plusieurs font les âmes corporelles, d'autres font Dieu lui-même corporel.

« M. Locke et ses sectateurs doutent au moins si les âmes ne sont point matérielles et naturellement périssables 1. >>>

C'est qu'en effet les théories de Locke avaient de bonne heure attirél'attention de Leibniz, qui crut même devoir les réfuter.

On peut noter qu'il s'y prit comme à deux fois, pour établir cette réfutation.

En 1696, ce sont de simples remarques qu'il rédige sur l'Essai concernant l'entendement humain. Ces remarques ne s'adressent même pas directement au public; ce sont comme de simples réflexions que Leibniz soumet à Locke, avec qui il se montre désireux d'entrer en relation.

1. Erdmann, p. 746, Recueil de lettres entre Leibniz et Clarke sur Dieu, l'âme, l'espace, la durée, etc.

2. Id., p. 136, Réflexions sur l'Essai de l'entendement humain de M. Locke. Cf. Ibid., p. 450, Remarques sur le sentiment du P. Malebranche, qui porte que nous voyons tout en Dieu, concernant l'examen que M. Locke en a fait.

« Je vous supplie, écrit-il, en 1697, à Thomas Burnet, de faire mes compliments et remercîments à M. Locke; quand j'aurai reçu les livres dont il me fait présent, je les lirai avec toute l'application que je sais qu'ils méritent; car tout ce qui vient de lui est profond et instructif1. »

Il ne semble pas que Locke correspondît de tout point à cet empressement de Leibniz, qui, la même année, récrivait à Burnet:

« Je ne voudrais pas que M. Locke se portât à considérer mes remarques dansle dessein deme satisfaire, suivant ce que vous dites, monsieur; car je n'ai garde de vouloir lui en donner la peine. Vous m'avez demandé si vous les lui pouviez communiquer et j'y ai consenti; s'il ne trouve pas qu'elles lui donnent sujet à de nouvelles et utiles réflexions, il faudra le prier de n'y point songer. Il faut que ce soit pour l'amour de la vérité et non pour l'amour de moi qu'il y pense. Ma métaphysique est un peu plus platonicienne que la sienne; mais c'est aussi pour cela qu'elle n'est pas si conforme au goût général. »

Malgré ces instigations, Locke garde le silence et ne témoigne pour les objections qu'on lui propose qu'un dédain, dont Leibniz devait connaître plus tard l'expression.

1. Dutens, t. VI, pars I, p. 249, Lettre vi. Cf. Ibid., p. 260, Lettre vir, « Il faut que je vous supplie encore, monsieur, de faire mes compliments à M. Locke, que je remercie très-humblement des pièces considérables de sa façon qu'il m'a fait envoyer, 1697. »

2. Id., Ibid., p. 253. Lettre vi.

« Il paraît par une lettre de M. Locke à M. Molineux, insérée dans les lettres posthumes de M. Locke, que cet habile Anglais ne souffrait pas volontiers les objections. Comme on ne m'avait point communiqué ce qu'il avait répondu aux miennes, il ne m'a point été permis d'y répliquer1. >>>

En 4703, soit qu'il fût mécontent du silence de Locke, soit qu'il vît une opportunité croissante à combattre sa doctrine, Leibniz met la dernière main aux Nouveaux Essais. Dans une lettre, écrite, cette année-là même, à Hugony, il développe le plan de cet ouvrage, composé, dit-il, aux heures perdues, en voyage ou à Herrhenhausen.

«M. Locke, écrit Leibniz, parle également de la liberté, dans un chapitre qui agit de la puissance, de sorte que cela m'a engagé à en parler aussi; je m'attache surtout à vindiquer l'immatérialité de l'âme que M. Locke laisse douteuse; je justifie les idées innées et je montre que l'âme en tire la perception de son propre fonds; je justifie les axiomes, dont M. Locke méprise l'usage; je montre, contre le sentiment de Locke, que l'individualité de l'homme, qui le fait demeurer le même, consiste dans la durée de la substance simple ou immatérielle qui est en lui; que l'âme n'est jamais sans pensée; qu'il n'y a point de vide ni d'atomes; que la matière, en ce qui est passif, ne saurait avoir de la pensée, à moins que Dieu n'y ajoute une substance qui pense.

« Il y a beaucoup d'autres points où nous sommes différents, parce que je trouve qu'il affaiblit trop cette philosophie généreuse des Platoniciens, que M. Descartes a relevée en partie, et qu'il met à la place des sentiments, qui nous abaissent et peuvent faire du tort dans la morale même, quoique je sois persuadé que l'intention de l'auteur est fort bonne. >>

1. Dutens, t.V, p. 17, Lettre iv à Montmort, 1714.

2. Résidence des électeurs de Brunswick, près de Hanovre.

Leibniz ajoute qu'il voudrait faire corriger les Nouveaux Essais par quelqu'un de savant en philosophie et en français, et qu'il a choisi le français, parce que depuis que le livre de M. Locke a été traduit en cette langue, « il se promène dans le grand monde hors de l'Angleterre. » Il termine en disant que M. Locke étant fort âgé, on le presse de publier sa réfutation, afin que l'auteur de l'Essai sur l'entendement y puisse répliquer. Et en effet, dans ce but, Leibniz soumet, à la même époque, son ouvrage à Barbeyrac.

Cependant, l'année suivante, 1704, Locke meurt avant que les Nouveaux Essais aient paru. La mort de l'auteur semble, dès lors, à Leibniz rendre inutile la réfutation de l'ouvrage. C'est là du moins ce qu'il déclare à plusieurs de ses correspondants.

« La mort de M. Locke m'a ôté l'envie de publier mes remarques sur ses ouvrages; j'aime mieux publier maintenant mes pensées indépendamment de ceux d'un autre'.

« M. Hugony a vu mes réflexions assez étendues sur l'ouvrage de M. Locke, qui traite de l'entendement de l'homme. Je me suis dégoûté de publier des réfutations des auteurs morts, quoiqu'elles dussent paraître durant leur vie, et être communiquées à eux-mêmes. Quelques petites remarques m'échappèrent, je ne sais comment, et furent portées en Angleterre par un

1. Dutens, t. VI, pars I, p. 273, Lettre xi à Th. Burnet, 1706.

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