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Cette doctrine des voies générales donne néanmoins ouverture à une nouvelle difficulté.

Car si Dieu ne règle jamais que le général, comment expliquer des faits très-particuliers, tels que les miracles, les vœux exaucés, les prières entendues, les bonnes actions récompensées ?

Leibniz répond que le caractère des miracles consiste en ce qu'on ne peut les expliquer par la nature des choses créées. Il'ajoute qu'au surplus, les miracles, tout aussi bien que les autres événements, sont décidés de tout temps.

« Comme Dieu ne saurait rien faire sans raison, lors même qu'il agit miraculeusement; il s'ensuit qu'il n'a aucune volonté sur les événements individuels, qui ne soit la conséquence d'une vérité ou d'une volonté générale1. »

La même solution s'applique aux difficultés qui se tirent des vœux, des prières, des bonnes actions.

Les vœux ont été prévus de tout temps par Dieu, et aussi ce qui devait s'ensuivre; les prières et la satisfaction qu'il jugeait à propos de leur accorder; les bonnes actions et leurs conséquences.

C'est la même réponse que celle qu'il convient d'opposer à ce qu'on appelle en philosophie l'argument paresseux. Quoi que je fasse, dit-on, ce qui doit arriver arrivera. Sans doute, ce qui doit arriver est prévu; mais ce qui doit arriver aura une cause, d'où il dépend. Sans doute encore, Dieu connaît la cause de ce qui arrivera; mais sa prévision n'influe pas plus sur cette cause, que n'influe sur le passé la connaissance que nous en pouvons avoir.

1. Erdmann, p. 567, Théodicée, P. II, 206.

En somme, tous les embarras qu'on éprouve à concilier la notion de la Providence avec l'existence du mal, viennent d'une assimilation à contre-sens de la nature divine à la nature humaine. C'est un pur anthropomorphisme.

La volonté humaine ne se propose que des fins particulières. Rarement même, elle entrevoit toutes les conséquences de l'action qu'elle se propose.

Il n'en est pas ainsi de la volonté divine. Dieu veut tout à la fois, et tout avec toutes les conséquences de

tout.

En somme, une exacte notion de Dieu suffit à restituer dans les âmes la notion de la Providence.

Le mal métaphysique ne peut être imputé à Dieu, puisqu'il tient à la nature idéale des créatures.

Dieu, d'un autre côté, ne concourt pas au mal physique. S'il le veut quelquefois, c'est pour nous éprouver, ou pour nous punir.

Dieu enfin ne concourt pas au mal moral. Il ne le veut jamais, et, s'il le permet quelquefois, c'est comme condition d'un plus grand bien. Antécédemment en effet Dieu veut le bien; mais conséquemment, il veut le meilleur.

En est-il ainsi? Dieu veut-il,. a-t-il voulu le meilleur? Ne pourrait-on pas concevoir un monde meilleur que celui qu'il a créé ?

Affirmer que le monde que Dieu a créé est le meilleur des mondes possibles, c'est soutenir la doctrine de l'optimisme.

C'est cette doctrine qui occupe toute la troisième division de la Théodicée, et qui se trouve comme la conclusion suprême de tout l'ouvrage.

CHAPITRE IV.

L'Optimisme.

Reprenons en quelques mots les idées principales comprises dans les deux premières divisions de la

Théodicée.

La Théodicée a pour objet de concilier les attributs de Dieu entre eux et aussi avec la nature des êtres créés.

Dans une première division, Leibniz a cru concilier la liberté humaine et la prescience divine.

Il a montré réellement de quelle façon s'accordent la toute-puissance de Dieu et son concours perpétuel avec la causalité des créatures.

Enfin il a fait voir comment la liberté divine ne combat point la divine sagesse.

Dans une deuxième division, Leibniz a expliqué l'origine du mal.

Avant tout, en marquant la nature, il a distingué le mal métaphysique, le mal moral, le mal physique. Le mal métaphysique ne saurait être imputé à Dieu; il tient uniquement à la nature idéale des créatures.

Le mal physique est d'ordinaire la conséquence des abus que nous faisons de notre liberté. Si Dieu nonseulement le permet, mais le veut quelquefois; c'est pour nous punir ou pour nous éprouver.

Quant au mal moral, Dieu ne le veut jamais; seulement il le permet quelquefois comme condition d'un plus grand bien.

La volonté de Dieu en effet n'est point courte, partielle, comme celle de l'homme. D'un seul et même acte de volonté, Dieu embrasse toutes les conséquences de tout. Il y a donc à distinguer en Dieu une volonté antécédente et une volonté conséquente. Par volonté antécédente, Dieu ne veut jamais le mal moral; par volonté conséquente, Dieu le permet quelquefois comme condition d'un plus grand bien. Antécédemment, Dieu veut le bien; conséquemment, il veut le meilleur possible.

Dieu, en créant le monde, l'a-t-il donc voulu le meilleur possible? Ou ne peut-on rien concevoir de meilleur que le monde qu'il a créé ?

Soutenir que Dieu a créé le meilleur des mondes possibles, c'est défendre l'optimisme. Nier que le monde créé de Dieu soit le meilleur des mondes possibles, c'est combattre l'optimisme.

Leibniz est partisan décidé de l'optimisme. La troisième division de la Théodicée est consacrée tout entière à établir cette doctrine d'abord, à la défendre ensuite contre les objections qu'elle soulève.

Or, tout l'optimisme peut se ramener, sans plus, aux deux propositions suivantes :

1o Il y avait une infinité de mondes possibles ou prétendants à l'existence.

2o Parmi tous ces mondes possibles, Dieu a choisi

le meilleur:

Ces deux propositions maintenues ou ruinées, l'optimisme subsiste ou croule.

Leibniz établit l'optimisme de deux manières, a posteriori et a priori, par l'expérience et par la raison. Et en premier lieu, a posteriori ou par l'expérience. En effet, à prendre le monde tel qu'il est, on y rencontre beaucoup moins de mal qu'on n'aime à le dire par habitude de gémir et par. goût de rhétorique plaintive.

Ainsi, on représente d'ordinaire l'inégalité des conditions comme un mal. Qui ne voit qu'elle est, au contraire, un grand bien, le ressort essentiel de toute vie sociale?

On argumente de ce qu'on appelle désordre. Mais qui nous assure que, ce désordre supprimé, il n'en naîtrait pas un plus grand? Qui nous assure que ce désordre apparent ne rentre pas dans un ordre qui nous est caché? Les révolutions de notre globe, par exemple, n'ont-elles pas préparé l'admirable harmonie que nous voyons maintenant régner sur la terre ?

En définitive, la somme des biens l'emporte de beaucoup sur la somme des maux.

Aussi bien, on prend trop souvent la partie pour le

tout.

Il s'agit des espèces, et on considère la destinée séparée des individus.

Il s'agit de tous les êtres, et on considère l'homme à l'exclusion de tous autres.

N'est-ce pas tomber dans cette maxime suspecte que tout a été fait pour l'homme?

« Il est sûr, ose écrire Leibniz, que Dieu fait plus de cas d'un homme que d'un lion; cependant je ne sais si l'on peut assurer que Dieu préfère un seul homme

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