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reste de Cartésianisme, car j'avoue que j'approuve une partie de la doctrine des Cartésiens1. »

Tout prévenu qu'il fût contre les Cartésiens, c'est en métaphysique que Leibniz trouvait qu'ils avaient dépassé leur maître. Et, entre tous autres, c'était Malebranche qu'il plaçait le plus haut dans son estime.

« Il n'y a que la métaphysique où on peut dire que les Cartésiens ont enchéri sur leur maître, surtout le R. P. Malebranche, qui a joint à des méditations profondes une belle manière de les expliquer. Mais il paraît aussi que c'est le dernier effort de cette espèce de philosophie2. »

Nous sommes ainsi naturellement conduit à comparer la théodicée de Malebranche avec la théodicée leibnizienne.

1. Erdmann, p. 677, Lettre à M. Des Maizeaux, contenant quelques éclaircissements sur quelques endroits du système de l'harmonie préétablie.

2. Dutens, t. VI, pars I, p. 304, Leibnitiana, LVI.

CHAPITRE VIII,

Malebranche, Leibniz.

La théodicée cartésienne reçoit chez Malebranche ses derniers développements. Il est tout simple, par conséquent, après avoir comparé cette théodicée à celle de Leibniz, de comparér, de même, à la théodicée leibnizienne la théodicée de Malebranche.

Aussi bien, entre le méditatif de l'Oratoire et le sage de Hanovre, les rapports ont été assez étroits, assez longs, assez soutenus, pour qu'on puisse utilement s'enquérir des analogies et des différences de leur pensée.

Ces rapports sont attestés par toute une correspondance, où ces deux sublimes génies agitent les problèmes les plus délicats.

Cette correspondance s'entame à Paris même, durant le séjour qu'y fit Leibniz, de 1672 à 1676. Elle a principalement pour objet, durant cette période, la question de savoir si l'étendue est l'attribut fondamental de la matière.

En 1679, les deux philosophes se remettent à s'écrire, et leurs lettres roulent alors sur les rapports de l'âme et du corps, dont Malebranche, suivant Leibniz, n'a compris qu'à demi la nature.

<< Je suis tout à fait de votre sentiment, lui écrit-il, touchant l'impossibilité qu'il y a de concevoir qu'une substance, qui n'a rien que l'étendue sans pensée, puisse agir sur une substance qui n'a rien que la pensée sans étendue. Mais je crois que vous n'avez fait que la moitié du chemin, et qu'on en peut tirer d'autres conséquences que celles que vous avez faites. A mon avis, il s'ensuit que la matière est quelque autre chose que l'étendue toute seule, dont je crois d'ailleurs qu'il y a démonstration1. >>>

Interrompue de nouveau pendant près de quatorze années, la correspondance se renoue en 1693.

Les Cartésiens soutenaient que le corps implique quelque force; que la même quantité de mouvement est toujours conservée dans l'univers. Malebranche abandonne le premier principe et maintient le second. C'est pourquoi, Leibniz reconnaît qu'on est redevable à Malebranche de la correction de quelques préjugés cartésiens assez graves. Mais il pense que c'est de la même quantité de force, non de mouvement, qu'il faut parler, en même temps qu'il convient d'affirmer que la direction de la force reste la même dès l'origine.

Enfin, interrompu une dernière fois en 1699, le commerce des deux philosophes reprend en 1710, année où Leibniz envoie à Malebranche sa Théodicée, et se continue jusqu'en 1712.

Depuis son voyage en France, jusqu'à la fin de sa vie, Leibniz a donc été en fréquentes relations avec Malebranche.

Commençons par exposer la théodicée du pieux Oratorien. Nous la comparerons ensuite à la théodicée du penseur allemand.

1. M. Cousin, Fragments de Philosophie Cartésienne, p. 371, Correspondance inédite de Malebranche et de Leibniz.

Or, c'est dans la Recherche de la vérité, dans les Entretiens sur la métaphysique et la religion, enfin dans le Traité de la nature et de la grâce, que se trouve la théodicée de Malebranche.

Pour Malebranche comme pour Descartes, il n'y a que des esprits et des corps, de la matière et des âmes. La matière a deux capacités : celle de recevoir certaines figures; celle de recevoir certains mouvements. L'âme a également deux capacités correspondantes: celle de recevoir certaines idées; celle de recevoir certaines inclinations.

La matière est passive, l'âme est passive.

D'où viennent à l'âme ses idées? A cette question, Malebranche répond par la Théorie de la vision en Dieu.

Il y a, suivant Malebranche, quatre manières de connaître : 1° immédiatement, 2o par les idées, 3o par sentiment, 4o par conjecture.

1o Nous connaissons Dieu en lui-même;

2o Nous connaissons les corps par les idées; 3o Nous connaissons notre âme par sentiment; 4° Nous connaissons les âmes de nos semblables par conjecture.

Assertion singulière chez un Cartésien! L'âme, à ce compte, nous est moins bien connue que le corps.

En effet, ce n'est pas seulement Dieu que nous voyons en Dieu, en même temps que l'idée d'ordre, dont Malebranche, à l'encontre de Descartes, a raison d'affirmer l'immutabilité. Ce sont aussi les corps que nous voyons en Dieu, dans l'étendue intelligible qui est en lui. De là, l'irrésistible clarté de cette connaissance. La connaissance de l'âme, au contraire, est obscure, parce qu'elle ne nous vient que du sentiment.

Quoi qu'il en soit de cette distinction entre la manière dont nous connaissons les corps et la manière dont nous connaissons l'âme, Malebranche n'en affirme pas moins que nous voyons tout en Dieu.

Mais si c'est de Dieu que viennent à l'âme ses idées, c'est de Dieu aussi que lui viennent ses inclinations. A la Théorie de la vision en Dieu, est liée la Théorie des causes occasionnelles.

Malebranche est tout Cartésien sur la nature des êtres. Avec Descartes, il n'admet que des âmes et des corps. Les animaux lui sont des automates. Avec Descartes, conséquemment, il nie qu'il y ait influence réciproque des âmes et des corps. Car quelle influence un sujet étendu sans pensée pourrait-il exercer sur un sujet pensant sans étendue, ou réciproquement?

L'âme et le corps n'agissant pas l'un sur l'autre, c'est Dieu qui exerce cette réciproque action. L'âme, par ses idées, produit les occasions, à propos desquelles Dieu excite dans les corps des mouvements correspondants. Le corps, par ses mouvements, produit les occasions, à propos desquelles Dieu excite dans l'âme des idées qui y correspondent. Ainsi l'âme et le corps, les âmes et les corps ne sont que des pièces de mécanique; Dieu est le seul acteur.

La Théorie de la vision en Dieu, la Théorie des causes occasionnelles, impliquent si manifestement l'existence de Dieu, que toute démonstration de cette existence est superflue.

Indiquons cependant une preuve de l'existence de Dieu proposée par Malebranche. C'est la preuve cartésienne par excellence, qui se tire de l'idée d'infini.

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