chez Leibniz les préoccupations théologiques, qui sont celles du temps où il vit et du pays où il est né. De là, dès 1669, un écrit de polémique religieuse, qu'il y aurait inconvénient à ne pas citer. Defensio Trinitatis per nova reperta logica contra epistolam Ariani, ad Baronum Boineburgium dedicatio, und responsio ad objectiones Wissowatii, contra Trinitatem et Incarnationem Dei Altissimi : « Défense de la Trinité par de nouveaux arguments logiques contre la lettre d'un Arien, dédiée au Baron de Boinebourg, et réponse aux objections de Wissowatius contre la Trinité et l'Incarnation de Dieu tout-puissant'. » Une note, due à M. Guhrauer, nous révèle un autre écrit de Leibniz; qui a également pour objet les difficultés les plus hautes de la théologie et qui marque ainsi la nature des problèmes où se portait de préférence cette précoce intelligence. Dans la succession de Leibniz, dit M. Guhrauer, se trouve, à la date de 1671, un écrit intitulé : Demonstratio possibilitatis mysteriorum Eucharistiæ. «Démonstration de la possibilité des mystères de l'Eucharistie. >>> On y lit le passage suivant : « Moi qui appartiens à la Confession d'Augsbourg, comme je travaillais à trouver la démonstration de la possibilité de la présence réelle, je tombai contre mon espoir et du même coup sur la démonstration de la transsubstantiation; il y a plus, je découvris que la transsubstantiation et la présence réelle s'impliquent l'une l'autre dans une intime et suprême analyse, et que tous les débats qui s'agitent dans l'Église tiennent à ce qu'on ne s'avise pas d'expliquer ces deux mystères l'un par l'autre. » Et à la fin : « Mon unique désir est d'être à même d'entretenir en personne d'une démonstration de cette importance l'illustre Arnauld, à qui je sais qu'on pourrait malaisément faire une communication qui lui fût plus agréable1. >>> 1. Dutens, t. I, Leibnitii Vita, p. LXX. Cf. Guhrauer, opere citato, t. I, p. 69 Cette note, la publication de 1669, ne pouvaient être omises. Car c'est dans ces tentatives théologiques, dans cette application de la dialectique aux mystères de la religion révélée que se découvre chez Leibniz, antérieurement à 1672, le plus décisif effort peut-être vers les conceptions qui serviront de base à sa doctrine. En somme, deux conséquences résultent de l'examen que nous avons fait des premiers écrits de Leib niz : 1o Dès le début, l'érudition de Leibniz est immense; car son éducation, conforme à son génie, l'a promené en quelque sorte par toutes les connaissances humaines. Disciple curieux de toutes les écoles, on comprend qu'il doive être le prince de l'éclectisme. Il s'est attaché en premier lieu à l'étude de la Scolastique; il en est venu ensuite aux anciens, à Aristote, à Platon; mais presque en même temps il a connu les modernes. Dès 1661, de l'aveu même de M. Guhrauer, Descartes lui est tombé entre les mains. De là, chez Leibniz, des réminiscences de Descartes. Elles sont frappantes dans le fragment de la Vie heureuse. 1. Guhrauer, opere citato, t. I, Anmerkungen, p. 15. - « Ego qui « Augustanæ Confessioni addictus sum, cum laborarem aliquando in « demonstratione possibilitatis præsentiæ realis, incidi præter spem « meam eadem opera in Transsubstantiationem, imo reperi Transsub<< stantiationem præsentiamque realem in intima ultimaque analysi in « se invicem contineri et inde tantam litem in Ecclesia esse, quod alter < alteri non intelligatur. >>> Leibniz enfin cite souvent Descartes, qu'il loue tour à tour et qu'il contredit. Il croit même avoir à se défendre d'être Cartésien. « J'avoue, écrit-il à Thomasius en 1669, que je ne suis rien moins que Cartésien. » « Je n'hésite pas à dire que dans les livres d'Aristote περὶ φυσικῆς ἀκροάσεως, j'approuve plus de choses que dans les Méditations de Descartes, tant il s'en faut que je sois Cartésien'. » 2o On peut remarquer, dès le début, de même, que Leibniz se pose les questions auxquelles il appliquera plus tard toute la puissance de son génie; il s'enquiert, il traite de l'existence de Dieu, de l'immortalité de l'âme, de l'origine du mal et aussi de la nature des substances. Mais il n'a pas acquis, ou du moins nettement exprimé et mis en lumière, sur la nature de la substance, l'idée de force, l'idée-mère, par laquelle il renouvellera la métaphysique. Leibniz pressent le besoin de cette idée; il la cherche, mais il n'en est qu'au mécanisme*. Toutefois, on serait incomplet et on ne pénétrerait qu'imparfaitement la formation des idées de ce grand esprit, si après avoir consulté ses principales publications, on ne consultait aussi sa correspondance et jusqu'aux manuscrits que mentionnent ses biographes. Leibniz en effet est un polygraphe, qui aime à se répandre, à s'épancher, à se raconter. Et presque toujours ses lettres sont un commentaire instructif de ses ouvrages'. Aussi, dans cette nouvelle série d'écrits antérieurs à 1672, rencontre-t-on de précieux renseignements qui corroborent cette double affirmation : 1. Erdmann, Epistola ad Thomasium, p. 48. 2. Dans la dissertation De principio individui, Leibniz traite de la substance. (Erdmann, p. 1.) - Il y revient dans la dissertation De arte combinatoria. (Définition 2.) Là même l'axiome 4 se rapporte à la notion du continu, laquelle doit si fort l'occuper. Erdmann, p. 7. 3. Cf. Dutens, t. IV, pars. I, p. 70, Leibnitii Annotationes in M. Nizolii anti-barbarum, etc. « L. II, cap. ix, p. 178. Nizolius: Substantia est ea, quæ per se stat «et accidentibus substat. << Leibnitius: Quid autem est per se stare? » 4. Cf. Erdmann, Epistola ad Thomasium, p. 53: < Probandum est nulla dari Entia in mundo, præter Mentem, Spa « tium, Materiam, Motum. » 1o Dès sa jeunesse, Leibniz a été imbu des principes de Descartes, qu'il combat et en jeune homme, mais enfin qu'il célèbre plus d'une fois et qu'il admire; dont, en tout cas, il se montre sans cesse préoccupé. 2o Dès sa jeunesse, Leibniz a remué et comme simultanément toutes les idées que plus tard il s'efforcera de rendre claires, dominantes. Mais elles lui sont encore obscures et le laissent indécis. 1. Cf. Dutens, t. VI, pars I, p. 59, Leibnitius Placcio, 1695: « Magno numero litteras et accipio et dimitto. Habeo vero tam << multa nova in mathematicis, tot cogitationes in philosophicis, tot « alias litterarias observationes, quas vellem non perire, ut sæpe << inter agenda anceps hæream, et prope illud Ovidianum sentiam : « Іпорет те сopia fecit. » CHAPITRE III. Correspondance de Leibniz, antérieure à 1672. Dans les dernières années de sa vie, Leibniz aimait à revenir sur les travaux de son heureuse jeunesse, à se rappeler cet âge d'or de son esprit. Les belles-lettres l'avaient un moment occupé; il excellait dans la poésie; mais bientôt il s'était hardiment enfoncé dans les épines de la philosophie la plus abtruse. << Au sortir du commerce des Muses, écrivait-il en 1707 à Kortholt, je n'hésitai pas à me jeter dans les aridités de la philosophie, et je n'étais qu'un enfant que je publiais et soutenais une thèse sur le Principe d'individuation. Puis, devenu maître ès arts, mais encore d'une extrême jeunesse, je fis paraître et défendis des questions philosophiques tirées du droit. Je ne parle point ici de considérations plus profondes que dès lors je jetai sur le papier1. >>> Or, dès le principe, dans ses lettres comme dans ses dissertations ou dans ses thèses, Leibniz agite les problèmes les plus relevés. Qu'il s'entretienne avec ses 1. Dutens, t. V, p. 304. Epistola III. |