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sa doctrine, comme si la matière seule était le principe des choses, et que par la nécessité qui lui est inhérente, le monde fût sorti du chaos, ainsi que l'imaginait Démocrite. Telle est la doctrine de nos modernes physiciens, qui négligent les causes rationnelles des choses pour en chercher les causes matérielles, tandis que pourtant la sagesse du suprême auteur éclate surtout en ce qu'il a réglé l'horloge du monde de telle sorte que ultérieurement toutes choses conspirent d'une manière nécessaire à une universelle harmonie. Ce n'est donc point assez dans l'étude de la nature, de transporter à la physique la géométrie (car la géométrie ne fournit point la notion de cause finale); il faut aussi appliquer à la physique la morale. Le monde, en effet, est une espèce de grande république, où les esprits sont traités comme des fils ou comme des ennemis, et les autres créatures, comme des esclaves1. >>>

Presque à la même date, Leibniz mandait à Thomasius que Hobbes, plus qu'octogénaire, était tombé en enfance. « Hobbium ipsum octuagenario majorem re<< puerascere nuper ex litteris responsoriis Henrici Ol«denburgii, Societatis regiæ Anglicanæ secretarii, << didici*. » Francfort, déc. 1670.

Cependant cette année même, Leibniz écrivait dans les termes les plus admiratifs à ce patriarche de la philosophie anglaise.

« Il ne me reste plus qu'à vous assurer, disait Leibniz en terminant, que je fais profession parmi mes amis, et que Dieu aidant, je ferai toujours profession publique de ne connaître aucun écrivain qui ait philosophé avec plus d'exactitude, de clarté et d'élégance que vous, non pas même le divin Descartes. Laissezmoi ajouter amicalement qu'il eût été bien désirable que vous, qui de tous les mortels en étiez le plus capable, vous eussiez pourvu au bonheur du genre humain en confirmant ses espérances d'immortalité, ce que Descartes a tenté plus qu'effectué

1. Dutens, t. IV, pars I, p. 31, Epistola XII. 2. Id., ibid., p. 30, Epistola XI.

3. Hobbes, né en 1588, mort en 1679, avait donc quatre-vingtdeux ans lorsque, en juillet 1670, Leibniz lui écrivait de Mayence.

>>

Et de quoi Leibniz entretient-il Thomas Hobbes ? Du mouvement, de la substance, de la force. Il tombe particulièrement d'accord avec lui « qu'un corps ne peut être mû que par un corps qui soit contigu et lui-même en mouvement, et que le mouvement persiste tel qu'il a commencé, à moins qu'il n'y ait quelque obstacle qui l'arrête2. >>

1. Guhrauer, Leibnitz Biographie, t. II, Anmerkungen, p. 64.

2. Id., ibid., t. II, Anmerkungen, p. 62.

< Tibi quidem prorsus assentior, corpus a corpore non moveri, nisi « contiguo et moto, motum, qualis cœpit durare, nisi sit quod impe< diat. In quibusdam tamen fateor me hæsisse, maxime autem in eo, « quod causam consistentiæ, seu quod idem est, cohæsionis in rebus a liquidam redditam non deprehendi....

« Ego crediderim, ad cohæsionem corporum efficiendam sufficere < partium conatum ad invicem, seu motum, quo una aliam premit. « Quia quæ se premunt, sunt in conatu penetrationis. Conatus est « initium, penetratio 'unio. Sunt ergo in initio unionis. Quæ autem « sunt in initio unionis, eorum initia vel termini sunt unum. Quorum « termini sunt unum, seu τὰ ἔσχατα ἕν, etiam Aristotele definitore, < non jam contigua tantum, sed continua sunt et vere unum corpus, « uno motu mobile.... Restat probem, quæ se premunt, esse in co< natu penetrationis. Premere est, conari in locum alterius adhuc <<< inexistentis. Conatus est initium motus. Ergo initium existendi in « loco, in quem corpus conatur. Existere in loco, in quo existit aliud, < est penetrasse. Ergo pressio est conatus penetrationis. >>

Cf. ibid., p. 65, une autre lettre de Leibniz à Hobbes, qu'il lui écrit, cette fois, de Paris, en 167....

En somme, Leibniz se trouve donc en plein mécanisme, quoiqu'il s'évertue à en sortir. Fait surprenant et toutefois indubitable! Ce n'est point par la psychologie uniquement, ni même par la physique'; c'est par les mathématiques et par la théologie que Leibniz arrivera à la vraie notion de la sub

stance.

Et d'abord par la théologie.

A la suite de la Demonstratio possibilitatis mysteriorum Eucharistiæ, et la même année, en 1671, Leibniz écrivait à Arnauld « que ce n'est pas dans l'étendue que consiste l'essence des corps; que même la substance du corps est sans étendue; que la substance du corps en soi n'est pas assujettie à l'étendue, avec la condition de lieu, ce qui deviendrait d'une démonstration rigoureuse, lorsqu'on aurait bien résolu cette question: qu'est-ce que la substance?? >>>

Leibniz ne fit que s'affermir dans la pensée qu'expriment ces remarquables paroles. C'est ce que prouve la lettre que deux ans après il adressait au duc Jean

Frédéric3.

L'étude des mathématiques complétée en France, car Leibniz n'avait lu en Allemagne ni la Géométrie de Descartes, ni sa Dioptrique', une connaissance plus profonde et plus immédiate de Descartes par la fréquentation des Cartésiens, en développant le génie de Leibniz, achevèrent de lui ouvrir la voie à la notion de substance, fondement de ses théories.

1. Cf. Correspondance de Leibniz et de Bernouilli. Commercium philosophicum et mathematicum, 1694-1716; Lausanne et Genève, 2 v. in-4°, 1745.

« Nec minus gratum est quod mea explicatio duritiei, per motum « conspirantem, ad mentem tuam fuit. Cum anno 1670 vel 1671, ede« rem hypotheseos physicæ novæ specimen, jam propugnabam duri<< tiem non a quiete (ut vult Cartesius), a motu esse.... Leibniz à Bernouilli, 1697, t. I, p. 307.

2. Cf. Guhrauer, opere citato, t. I, Anmerkungen, p. 15.

3. Voyez le chapitre suivant.

1. En 1746, Leibniz écrivait à l'abbé Conti :

« Il est bon de savoir qu'en 1673, je n'avais pas la moindre connaissance des Séries infinies, telles que M. Mercator venait de les donner, ni d'autre matière de la géométrie avancée par les dernières méthodes. Je n'étais pas même assez versé dans l'analyse de Descartes. Je ne traitais les mathématiques que comme un Parergon, et je ne savais guère que la géométrie des indivisibles de Cavallieri, et un livre du P. Léotaud, où il donnait les quadratures des lunules et figures semblables. » Dutens, t. III, p. 467.

CHAPITRE IV.

Leibniz en France.

Nous avons interrogé la vie et la correspondance de Leibniz, nous avons passé rapidement en revue ses écrits philosophiques de 1663 à 4672.

Dans sa thèse sur le principe d'individuation, Leibniz se déclare contre le Réalisme. Ce n'est pas qu'il soit Formaliste, à la suite des disciples de Duns Scot, ni même Conceptualiste. Il appartient bien plutôt à la secte des Nominaux. Encore faut-il entendre que c'est un Nominaliste d'une espèce particulière, que celui qui pose que « tout individu est individualisé par son entité tout entière. »

Plus tard vient l'ingénieuse dissertation De l'art des combinaisons, où nous nous sommes contenté de relever quelques principes et aussi de noter une démonstration géométrique de l'existence de Dieu.

Cette démonstration est reprise, avec plus d'étendue, dans un écrit, d'ailleurs très-court, intitulé Témoignage de la nature contre les athées, et Leibniz y a joint une démonstration de l'immortalité de l'âme.

Enfin nous en sommes venu à la préface que Leibniz écrivit pour l'édition qu'il donna de l'ouvrage de

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