tance de la matière); et puis la force active, à l'égard de sa forme spécifique, qui est variable selon l'espèce. <<< Car il faut savoir que tout corps fait effort d'agir au dehors et agirait notablement, si les efforts contraires des ambiants ne l'en empêchaient. C'est ce que nos modernes n'ont pas assez conçu. Ils s'imaginent qu'un corps pourrait être dans un parfait repos sans aucun effort, faute d'avoir entendu ce que c'est que la substance corporelle; car, à mon avis (au moins naturellement), la substance ne saurait être sans action. C'est par ce moyen qu'on connaît la substance du corps d'avec son étendue et que rien n'empêche que la substance d'un même corps ne puisse être appliquée à plusieurs lieux. Mais si la substance du corps n'était autre chose que l'étendue avec ses modifications ou figures, il semble qu'il y aurait autant de corps qu'il y a de lieux ou d'étendues qu'il occupe. Cependant je n'ai garde d'accuser messieurs les Cartésiens d'être contraires à ce qui est de foi, et je loue les efforts qu'ils font pour se sauver de cette difficulté; mais comme on y trouve beaucoup de peine, j'aime mieux me tenir à la voie la plus sûre, d'autant que je la trouve la plus raisonnable d'ailleurs1. >>> Aussi bien, cela est manifeste. Même en 1691, pour ne pas remonter à trois ou quatre années en deçà, cette théorie dynamique de la substance, proposée par Leibniz, semble avoir exclusivement pour objet à ses yeux, d'expliquer ce qui est de foi. Elle manque de ce caractère de généralité, qui la rendra le support de toute une philosophie. Elle n'acquiert définitivement cette importance générale qu'en 1694, dans l'écrit intitulé : De primæ philosophiæ emendatione et de notione substantiæ. - D'une réforme de la philosophie première et de la notion de substance1. 1. Dutens, t. I, p. 733. Il y a plus, en 1695, Leibniz en est encore aux commentaires de cet écrit. « Depuis, dit-il, que j'ai parlé de fonder une nouvelle science dynamique, beaucoup d'hommes considérables, et de divers côtés, ont réclamé une plus ample explication de cette doc trine*. >>> En 1695, Leibniz n'a même pas donné à sa théorie dynamique son expression définitive. « Avant toutes choses, écrit-il à Placcius, je voudrais en avoir fini avec ma dynamique. Je m'assure qu'elle me permet d'embrasser enfin les lois de la nature corporelle et de résoudre, relativement à l'action réciproque des corps, des problèmes que laissent insolubles les principes connus jusqu'ici3. » C'est donc de 1691 à 1695 très-exactement qu'apparaît véritablement le principe qui appartient à Leibniz, que <<< la force est l'essence de toute sub stance. >>> En résumé, Leibniz, dans les Universités allemandes, où il a passé sa jeunesse, s'est déjà imbu de Cartésianisme. Pendant son séjour en France, de 1672 à 1676, il a vécu dans la familiarité des partisans les plus accrédités de cette grande philosophie. Il a compris toute la puissance de ses principes, reconnu tout le péril de leurs excès. Ce n'est même que plusieurs années après son retour à Hanovre que, de son propre aveu, il est parvenu à fixer décidément sa doctrine. 1. Erdmann, p. 121. 2. Dutens, t. III, p. 315. Specimen dynamicum, 1695. 3. Id., t. VỊ, pars I, p. 60. 4. Sur l'histoire du mouvement Cartésien en Allemagne et particulièrement en Hollande, voyez M. F. Bouillier, Histoire de la philosophie Cartésienne, Paris, 1854, 2 vol. in-8°, t. I, p. 235, chap. xi et suiv. Tout originale qu'elle soit, cette doctrine a donc des antécédents, et son auteur un maître. Ce maître, c'est Descartes. Ces antécédents, ce sont les développements mêmes du Cartésianisme. D'où vient néanmoins qu'en tout temps, au commencement, comme au milieu, comme à la fin de sa carrière, Leibniz s'est si expressément et avec tant de soin défendu d'avoir fait à Descartes aucun emprunt? En 1669, dans sa lettre à Thomasius, nous l'avons entendu déclarer qu'il n'était rien moins que Cartésien1. En 1679, il adresse à Malebranche ces singulières paroles, qui forment une contradiction flagrante avec les circonstances que nous avons rapportées : << Comme j'ai commencé à méditer lorsque je n'étais pas encore imbu des opinions cartésiennes, cela m'a fait entrer dans l'intérieur des choses par une autre porte et découvrir de nouveaux pays; comme les voyageurs qui font le tour de France suivant la trace de ceux qui les ont précédés, n'apprennent presque rien d'extraordinaire, à moins qu'ils soient fort exacts ou fort heureux; mais celui qui prend un chemin de traverse, même au hasard de s'égarer, pourra plus aisément rencontrer des choses inconnues aux autres voyageurs2. >>> 1. Erdmann, p. 48. 2. M. Cousin. Fragments de philosophie Cartésienne, p. 384. Lettre à Malebranche. - Cf. Dutens, t. VI, pars I, p. 304, Leibnitiana, LVI. En 1711, il écrit à Bierlingius : « Baillet a trop exalté Descartes, Daniel' l'a trop moqué; l'un et l'autre ne l'a pas assez compris. La philosophie cartésienne est déjà moins florissante qu'il y a trente ans; car, dès qu'il a fallu en venir aux applications, on a vu qu'on ne pouvait presque rien établir sur ses principes*. >>> L'antagonisme d'Aristote contre Platon n'a jamais été clairement expliqué. Il est sans doute malaisé de rendre compte, par de meilleurs motifs, de la constante opposition de Leibniz à Descartes et au Car-tésianisme. N'y aurait-il pas à dire toutefois que Leibniz, offusqué peut-être de la gloire de Descartes, fut blessé aussi de l'esprit d'exclusion des Cartésiens, de leur prétention à l'empire des esprits, de l'injuste oubli où ils affectaient de tenir les anciens, pour donner plus de prix à ce qu'ils croyaient des nouveautés? Au contraire, jamais penseur ne connut mieux le passé que Leibniz et ne l'apprécia davantage. On peut même affirmer que ce fut lui qui introduisit dans la philosophie l'histoire de la philosophie, jusqu'alors ignorée ou trop négligée. 1. Le P. Daniel, Jésuite, auteur, entre autres ouvrages, du Voyage autour du monde de Descartes, 1690, 1696, réfutation du système des tourbillons. Cf. Dutens, t. V, p. 12, lettre 11, à Montmort, 1714. « Je ne serais point fâché d'être informé des brochures du R. P. Daniel, Jésuite, dont, pour le dire entre nous, le Voyage du Monde de Descartes, quoique plein d'esprit, ne me contente pas. Il ne paraît pas même trop informé des faits. >>> 2. Dutens, t. V, p. 370. CHAPITRE V. De l'éclectisme de Leibniz. Durant des siècles, l'autorité d'Aristote avait régné sans partage. Les textes du Stagirite traduits, commentés, étaient devenus comme une sorte de raison écrite. Partout on invoquait son témoignage, ou on appliquait ses formules. Il semblait, à lui seul, résumer le passé. Aussi la Renaissance ne fut-elle pas uniquement une émancipation de la pensée, longtemps paralysée ou asservie; ce fut, de plus, un salutaire retour, en tout sens, vers les traditions oubliées. Durant cette période à jamais célèbre, l'érudition donna ses ailes au génie. Mais si alors on se montrait curieux des monuments de l'antiquité, ou, pour parler plus exactement, des antérieurs, on n'avait garde de jurer par la parole d'un maître, Nullius addictus jurare in verba magistri. Ce qui caractérise les novateurs de cette époque, c'est tout à la fois une érudition profonde, souvent |