NOTICE CRITIQUE SUR LA PERSONNE ET LES DIVERS ÉCRITS DU CARDINAL DE LA LUZERNE CHAPITRE PREMIER. But de cette notice. Il a paru convenable de placer en tête d'une édition complète des OŒuvres de M. le cardinal de La Luzerne une biographie de l'illustre prélat. Plusieurs Journaux lui ont consacré quelques pages à l'époque de sa mort; et l'on trouve une esquisse de sa vie en tête de diverses éditions partielles de ses ouvrages; mais il est évident que ces notices sont insuffisantes pour révéler le vrai caractère et les vertus do M. de La Luzerne, faire apprécier la valeur de ses doctrines, le rôle important qu'il a rempli dans l'Eglise et dans l'Etat, et pour déterminer son rang parmi les écrivains ecclésiastiques. C'est là cependant une chose qu'il est opportun d'entreprendre: à côté de l'écrivain élevé et nourri dans les idées gallicanes, il faut montrer le canoniste et le théologien libre des préjugés d'éducation et d'école; en face de l'homme politique, il est bou de placer le pasteur et l'homme vertueux; peut-être alors le confesseur de la foi, mieux connu dans son dévouement pour l'Eglise et pour ses frères, obtiendra-t-il d'être jugé plus justement par des écrivains trop ardents, selon nous, à la défense de leurs propres opinions. Difficulté d'une biographie complète. - Nous concevons du reste qu'on se soit arrêté devant les difficultés que cette tâche présente. L'existence de M. de La Luzerne ne s'est point écoulée sur un théâtre fixe; ses premiers pas dans la carrière ecclésiastique le transportent d'un bout de la France à l'autre, les bouleversements politiques lejettent sur une terre d'exil; là encore les circonstances le conduisent de la Suisse en Autriche, de l'Autriche en Italie, à Vienne, à Venise, jusqu'à ce qu'elles le ramènent avec la dynastie des Bourbons dans la capitale de la France. La mort vient l'y frapper au moment où il pensait reprendre possession de son siége épiscopal. Durant ces années d'administration paisible ou d'agitations violentes, de paix et d'études solitaires ou d'activité politique, il échappe souvent à nos regards. Les témoins de ses actes, ceux qui furent associés à ses travaux, n'ont pas consigné par écrit leurs souvenirs. Nous en avons interrogé quelques-uns; mais le plus grand nombre est descendu daus la tombe, et ce que nous avons pu recueillir ne nous fait que mieux sentir ce qui nous manque. Toutefois les notions biographiques que nous avons réunies nous donnent l'espoir que, malgré les lacunes qu'il n'a pas dépendu de nous de combler, la vie que nous allons tracer, ne sera pas entièrement dépourvue d'intérêt ni d'utilité. Un autre obstacle a pu, dans le passé, retenir celui qui aurait voulu se faire l'historien Luzerne. S'il était facile de retrouver ses écrits épars, mais imprimés, it l'était de M. de La moins de découvrir ses manuscrits inédits dont l'existence n'était pas douteuse, mais qui étaient tombés dans des mains inconnues. En 1844, M. l'abbé Migne publiait l'énorine volume des Dissertations sur les droits et devoirs respectifs des évêques et des prêtres, généreusement donné par la famille de Vibraye, héritière du cardinal; nous retrouvions depuis, dans la poussière des archives de l'évêché de Langres, un certain nombre de pièces administratives, et dans divers autres dépôts plusieurs monuments égarés. Dès lors il devenait possible d'embrasser le vaste ensemble des productions sorties de la plume de M. de La Luzerne; un éditeur pouvait tenter une édition presque complète de ses œuvres, comme aussi la critique s'exercer sur un terrain mieux exploré. C'est ainsi que nous fumes amené à écrire cette notice. Nous regrettons qu'un plus habile ne s'en soit pas chargé et que les exigences d'une imprimerie qui dévore pour ainsi dire en un clin d'œil des compositions étendues, nous obligent à borner nos recherches et à précipiter notre rédaction. Naissance de M. de La Luzerne. Sa famille. - César Guillaume de La Luzerne est né à Paris, le 7 juillet 1738, d'une des plus anciennes et des plus illustres familles de NorOEUVRES COMPL. DE LA LUZERNE. 1. mandie. (a) Son père, César-Antoine, maréchal de camp, avait épousé en secondes noces Marie-Elisabeth de Lamoignon, fille de Guillaume II de Lamoignon, seigneur de Malesherbes, qui fut nommé chancelier de France en 1750 et dont la vie est une magnifique page de l'histoire de la magistrature. Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, le ministre, l'ami, le défenseur de Louis XVI à la convention, était frère de Marie-Elisabeth. L'éclat de la noblesse environne donc le berceau de César-Guillaume de La Luzerne; il le maintiendra dans sa personne en alliant à la simplicité un mérite qui, après des ancêtres moins illustres, lui aurait donné le droit de dire comme Cicéron: Ego mea virtute meis majoribus præluxi. Le lendemain de sa naissance, il fut baptisé dans l'église paroissiale de SaintSulpice (b). Son frère, César-Henri. Il avait un frère aîné, César-Henri, né à Paris en 1737 et il eut un second frère, Anne-César, qui vint aussi au monde à Paris en 1741. Il y a des familles privilégiées où le talent et les grandes qualités semblent se transmettre avec le sang. Les trois tils de La Luzerne en fournissent un exemple. L'aîné parvenu au grade de lieutenant général fut nommé, en avril 1786, gouverneur général des Iles sous le Vent et ministre de la marine en octobre 1787. Bientôt les factions politiques l'accablèrent d'accusations repoussées par l'Assemblée nationale; il persista néanmoins à déposer une bonorable démission entre les mains du roi, plein de reconnaissance pour ses loyaux ser (a) Madeleine Le Veneur, épousa, par contrat du 15 janvier 1633, Antoine de La Luzerne, chevalier, seigneur, de Beusseville et de Lorey, capitaine des côtes de la mer de la province de Normandie. Il était arrière-petit-fils de Jacques de La Luzerne, chevalier, seigneur de Mondeville, lequel épousa Marie du Bois, dame de Beusseville, fille de Jean du Bois, seigneur de Picot, et de Jeanne, dame de Bensseville. Les enfants de Jacques furent: 1° Antoine; 2o Louis de La Luzerne, seigneur de Beusseville, lequel épousa Marie de Saint-Germain; 3o Anne de La Luzerne, qui épousa, le 31 mars 1558, Gilles le Sens, seigneur de Villedon; 4o Catherine de La Luzerne, femme 1o de François du Buzet, seig eur de Vassy; 2. de Nicolas de Faoucq, seigneur de Rochefort. Antoine de La Luzerne, premier du nom, chevafier, seigneur de Beusseville, de Lorey, et de Brevant, capitaine des côtes de Normandie, épousa par contrat du 25 novembre 1549, Marie le Marquetel, fille de Jean le Marquetel, seigneur de Saint-Denis le-Guast et de Montfort, et de Jeanne Martel de Fontaines. De ce mariage naquirent: 1. Jacques de La Luzerne; 2o Pierre de La Luzerne, chevalier, seigneur de Brevant, dont la postérité subsiste en Normandie; 5o Jalien de La Luzerne; 4o Jeanne de La Luzerne, femme de Pierre de Grimonville, seigneur de La Lan e d'Ayron; 5o Marie de La Luzerne, qui épousa Julien d'Escayeul, seigneur de la Rame; 6° Marguerite de La Luzerne, femme 1o de Gilles Arnel, seigneur de Saint-Martin-le-Vieil, 2o de Jean Collas Rolin, seigneur du Bois-Ollivier et de Mous; 7° Olive de La Luzerne, qui épousa Jacques de Faoucq, seigneur de Jucoville et de Rochefort; 8° Roberte de La Luzerne, femme de Pierre le Sauvage, seigneur de Saint-Marcouffet de Vireville. Jacques de La Luzerne, chevalier, seigneur de Beusseville, fut député de la noblesse de la basse Normandie pour assister aux états de cette province, par commission du 16 novembre 1573, et épousa, par contrat du 20 mai 1589, Barbe de Carbonnel, fille de Philippe de Carbonnel, seigneur de Canisy, chevalier de l'ordre du roi, et de Guillemette de Cambernon, dont il laissa Antoine de La Luzerne, deuxième du nom, lequel de Madeleine Le Veneur, sa femme, eut: 1° Paul-Tanneguy de La Luzerne; 2. François de La Luzerne; 3o Henriette de La Luzerne. Paul-Tanneguy de La Luzerne, chevalier, seigneur de Beusseville, baron de Tollvast, épousa, le 14 octobre 1656, Marie-Césarine de Montenay, fille unique de César de Montenay, baron de Garencière et de Baudemont, et de Jeanne le Maçon, fille de Christophe le Maçon, seigneur de Gousseville et de Houllebeck. Il est pour enfants: 1o Guy-César de La Luzerne; 2o Antoine-François de La Luzerne, seigneur de Houllebeck, colonel d'un régiment d'infanterie de son nom; 3° Paul-Roger de La Luzerne, scigueur de Milerey, chevalier de l'orde de Saint-Jean de Jérusalem, commandeur d'Auxerre; 4o Catherine de La Luzerne, Temme d'Adrien du Bosc, seigneur de Vitermont. - Guy-César de La Luzerne, marquis de Beusseville, cornt the des chevau-légers de la garde du roi, épousa, le 22 juillet 1687, Madeleine-Françoise de Pommereuil, fille unique d'Henri de Pommereuil et de Miserey, et de Madeleine Desmares. De ce mariage sont nés: 1. César-Antoine de La Luzerne; 2° Henri-Paul de La Luzerne, chevalier de Malte, capitaine ine dans le régiment des cuirassiers du roi; 3o Madeleine de La Luzerne, qui épousa en 1720 René-François de Maillé. César-Antoine de La Luzerne, comte de Beusseville, seigneur de lloullebec et du Moutinchapelle, maître de camp du régiment des cuirassiers du roi, épousa, le 22 novembre 1724, Germaine-Françoise de La Vieuville, morte à Paris le 19 décembre 1729, ne laissant qu'un fils: César-François de La Luzerne, né le 16 du même mois de décembre. (6) Nous avons sous les yeux un extrait des registres de baptême de Saint-Sulpice, dont voici le texte: Le huit juillet mil sept cent trente-huit a été baptisé Cesar-Guillaume, né hier, fils du haut et puissant seigneur Messire César-Antoine de La Luzerne, marquis de Beusseville, seigneur de Moulin, Chapel et autres lieux, maréchal des camps et armées du roy, et de haute et puissante dame Marie-Elisabeth de Lamoignon, son épouse, demeurant rue de l'Université. Le parrain haut et puissant seigneur Messire Guillaume de Lamoignon de Blanc-Mesnil, seigneur de Soisy, le Bois, Malzherbes et autres lieux, ayeul maternel de l'enfant; la marraine haute et puissante dame madame Anne-Magdelaine Françoise de La Luzerne Beusseville, veuve de haut et puissant seigneur Messire René-François de Maillé, vivant marquis de Behenars (?), seigneur de la Chahaigne, Béville, Le Lauvoñer et autres lieux, représentée par baute et puissante dane inadame Marie-Louise de Lamoignon, épouse de haut et puissant seigneur Messire Guillaume Castagnières, seigneur d'Oriac et autres lieux, maître des requêtes ordinaire de l'Hotel du roy et secrétaire des cominmandements de la reine, fondée pour cela en procuration, en date du 19 may; le père présent et ont signé. Collationné à l'original par moi soussigné prètre, docteur de la maison et société de Sorbonne, vicaire de ladite paroisse. A Paris, sixième jour de juillet, mil sept cent cinquante et un. Signé: HUBERT, vicaire. vices. En 1791, il passa en Angleterré pour assister à la mort du plus jeune de ses frères Anne-César, ambassadeur de France à Londres. Quelques années après, il se retira da'r la terre de Bernau, près de Wels en Autriche. C'est là que l'évêque de Langres ira l rejoindre. Henri de La Luzerne, après huit mois seulement d'étude de la langue grecque, publia, en 1786, une remarquable traduction de la Retraite des dix-mille, et en 1793 on vit paraître à Londres un autre ouvrage, traduit encore de Xénophon, sur la constitution des Athéniens: c'était le fruit des loisirs que lui imposait la révolution. Son frère Anne-César. Anne-César, après avoir été aide-de-camp de son parent le maréchal duc de Broglie, puis major général de la cavalerie et colonel des grenadiers de France, abandonna l'état militaire, recommença ses études et entra dans la diplomatie. Il compte au premier rang des hommes qui se sont distingués dans cette carrière. La France lui est redevable d'immenses services. Il la représentait en Bavière à la mort de Maximilien-Joseph, dont la succession pouvait troubler l'Europe entière; de 1779 à 1783, il fut ambassadeur aux Etats-Unis. Durant la guerre de l'Indépendance, ami et conseiller de Washington, il se conduisit avec une habileté et une prudence consommées. La reconnaissance publique donna son nom à l'un des comtés de la Pensylvanie. Il était depuis près de quatre ans ambassadeur à Londres, lorsqu'il mourut en celle ville le 14 septembre 1791. Ces lignes consacrées aux frères de l'évêque de Langres ne sont pas superflues: nonseulement parce qu'il y a solidarité de gloire entre les membres d'une même famille, mais parce qu'elles nous donnent lieu de remarquer que l'amour de l'étude, un génie facile, une aptitude rare pour les affaires sont des dons naturels communs aux trois frères, et qui distinguent éminemment César-Guillaume. Premières études de César-Guillaume. Dès le premier age il en fit paraître des indices. La vivacité de son esprit secondée par une mémoire étonnante lui fit parcourir d'un pas rapide la carrière des belles-lettres qui embellissent l'imagination et celle des sciences qui guident le raisonnement dans le dédale des opinions humaines. Ce que l'histoire a de plus intéressant et de plus instructif, ce que l'éloquence a de plus fort et de plus touchant, ce que la poésie a de plus noble et de plus gracieux, ce que la philosophie a de plus abstrait, ce que les mathématiques ont de plus subtil et de plus profond, voilà quels furent les amusements de son enfance. » Ainsi parle M. l'abbé Bellouet, dans l'oraison funèbre qu'il prononça en 1821, à la cathédrale de Langres, à la mémoire du prélat. Elève du séminaire de Langres avantla révolution, l'orateur avait pu juger lui-même des connaissances classiques que M. de La Luzerne déployait fréquemment en présence de cette communauté. Il entre dans l'état ecclésiastique. - Les premières études ecclésiastiques de César-Guillaume se firent au séminaire de Saint-Magloire où il entra au sortir du collége. Il avait senti naître une vocation différente de celle qu'il semblait d'abord appelé à suivre. Dirigé vers l'ordre de Malte, il y fut reçu au rang, ou pour parler le langage de l'ordre, dans l'état des chevaliers. Les chevaliers étaient nobles de quatre races des côtés paternel et maternel et portaient les armes. Sous la direction des Pères de l'Oratoire, le jeune séminariste fit de brillantes études. Le 19 août 1751, il fut tonsuré par M. Christophe de Beaumont dans la chapelle du palais archiepiscopal; François Dondel, évêque, comte de Dol, lui conféra les ordres mineurs dans le même sanctuaire, le 20 mai 1758; il y fut élevé au sous-diaconat le 22 mars 1760, par M. de Beaumont, au diaconat le 7 mars de l'année suivante et enfin à la prêtrise, le 27 mars 1762. Il avait un peu moins de 24 ans. La même année, l'abbé de La Luzerne terminait ses études théologiques au collége de Navarre, cette maison fameuse d'où sont sorties tant et de si grandes lumières de i Eglise de France. Là où avaient brillé avant lui les Cornet, les Bossuet, il éclipsa des rivaux nombreux. Il renonça à la place d'honneur que l'usage attachait à son titre de nobilis-sime et fut proclamé le premier de sa licence en 1762, après un examen qui eut beaucoup d'éclat. Il prit dans la suite le bonnet de docteur (a). Dès cette époque l'archevêque de Paris l'avait distingué entre les hommes qui promettaient à l'Eglise un appui solide contre les attaques auxquelles elle était en butte de la part de tant d'ennemis acharnés. Nous croyons qu'en lui imposant les mains le jour de son élévation au sacerdoce, il lui communiqua cette abondance de l'esprit de force et de zèle pour la foi, qui t'anima lui-même pendant trente-cinq ans, sur le siége métropolitain de Paris. Il est pourvu de divers bénéfices. - Le crédit de sa famille, les hautes qualités qui perçaient en lui malgré sa jeunesse, avaient mis de bonne heure M. de La Luzerne en possession de plusieurs bénéfices dont il reçut la collation selon les usages du temps. En 1754, à l'âge de seize ans, il fut nommé chanoine in minoribus de la métropole de Paris. Le droit donne ce titre, ou celui de canonici domiciliares aux jeunes chanoines qui ne sont pas dans les ordres sacrés, et il ne requiert pas plus de quatorze ans pour (a) Ce titre lui est attribué par l'abbé Matthieu, Abregé chronologique de l'Ilist. des évêq. de Langres, p. 235, 2. édit. les sujets auxquels on la confère (a). L'abbaye de Mortemer fut donnée à l'abbé de la Luzerne en 1756. Elle était située au diocèse de Rouen. Il est choisi pour vieaire général par M. Dillon, archevêque de Narbonne. Il reçut plus tard un troisième bénéfice, la chapellenie de Notre-Dame de Pitié, au diocèse de Grenoble. Le moment était venu pour lui de se consacrer activement au service de l'Eglise. Il débuta dans les fonctions de grand vicaire à l'archevêché de Narbonne. M. Dillon nommé à ce siége en 1762, s'attacha immédiatement l'abbé de La Luzerne en cette qualité. Celuici fut donc initié au maniement des affaires d'un diocèse à une époque où d'autres n'avancent que timidement dans le cercle d'un ministère très-borné. Mais on reconnut bientôt la maturité de son jugement, cette promptitude et cette perspicacité de l'esprit qui lui faisaient éclaircir en quelques instants de réflexion les questions les plus embrouillées et les plus épineuses. Il est élu agent général du clergé. - C'étaient là des qualités essentielles pour remplir dignement les fonctions d'agent général du clergé de France, auxquelles il fut appelé en 1765. Avant la révolution, deux des provinces ecclésiastiques du royaume nommaient tour à tour et pour cinq ans, c'est-à-dire pour l'intervalle qu'il y avait entre les assemblées ordinaires du clergé, deux agents généraux. Elles ne pouvaient choisir que parmi les prêtres pourvus d'un bénéfice payant dîme, d'un titre plus élevé qu'une simple chapelle et compris dans leur territoire (b). L'abbé de Mortemer remplissait ces conditions pour la province de Vienne; et c'est sur lui qu'elle arrêta son choix. Idée de cette charge. - Je n'ai pas à rappeler longuement ici ce qu'étaient les assemblées du clergé de France. Etablies dans l'origine pour régler les décimes que les ecclésiastiques payaient au roi, elles traitaient ordinairement et spécialement des affaires temporelles du clergé, et accidentellement des matières de foi ou de discipline. Outre les grandes assemblées tenues de dix en dix ans, il y avait les 'assemblées intermédiaires convoquées après cinq ans. Aux premières les provinces envoyaient deux députés du premier ordre du clergé et deux du second ordre; mais un seulement de chaque ordre aux assemblées moins importantes. Or les agents généraux avaient mission de surveiller les recettes des deniers du clergé, d'en assurer l'emploi conforme aux décisions de l'assemblée; il leur appartenait de maintenir les priviléges du clergé et l'exécution des contrats dans lesquels il était engagé, de correspondre avec les évêques pour cet objet, d'adresser au besoin des remontrances au roi, à son conseil, aux parlements; ils devaient enfin conserver, mettre en ordre le dépôt des archives du clergé et délivrer par copie les communications voulues. Telle est l'idée que nous prenons de la charge des agents généraux au titre 5 du VIII tome des Mémoires du clergé de France. Nul ne sera surpris que l'assemblée de 1583 et 1586 demande d'eux << non-seulement qu'ils soient savants, mais aussi qu'ils aient une grande expérience des affaires du monde, de la cour et du clergé (c). » Les circonstances la rendent très-difficile. - M. de La Luzerne entra dans cette charge en tout temps difficile, mais rendue alors plus laborieuse et plus délicate à cause de la situation de l'Eglise de France. Il fallait luiter contre les parlements dont les efforts ne tendaient à rien moins qu'à la destruction du pouvoir spirituel, et contre la secte philosophique dont les détestables écrits pullulaient. Ajoutez à cela les hésitations et les faiblesses de la cour. Champion de Cicé. - Il était nécessaire que l'assemblée du clergé ne renfermât point ses opérations dans les limites ordinaires; elle devait, avec plus de raison qu'en 1682, les étendre à des questions de doctrine. Mêlé à toutes ces affaires, chargé pour une part de leur direction, mis en rappport avec les évêques et les hommes d'Etat les plus influents, M. de La Luzerne acheva d'acquérir ces vastes et solides connaissances en droit canonique qui se révéleront à nous dans ses écrits polémiques et ses dissertations. Il avait pour collègue l'abbé Champion de Cicé, dont les lumières ne peuvent être mises en doute; l'agence générale devait être pour l'un et pour l'autre la perte de l'épiscopat (d). Mais ce dernier, député comme son aini à l'Assemblée nationale, ne saura pas se maintenir avec la même fermeté dans les principes sacrés que viola en 91 la constitution civile du clergé. Assemblée du clergé de 1765. - Investis de leur importante fonction, ils prirent part aux actes de l'assemblée de 1765, dont la défense leur était confiée pour les cinq années suivantes. Ces actes seront à jamais une des gloires de l'Eglise gallicane. L'assemblée y dévoile les plans des prétendus philosophes et condamne leurs principaux et plus dangereux ouvrages, entr'autres l'Encyclopédie, Emile, le Contrat social, le Dictionnaire philosophique; elle trace ensuite contre les parlements les droits sacrés et impérissables de la (a) Il ne demande que dix ans pour la possession d'un canonicat dans une collégiale. (b) Mém. du clergé, t. VIII, col. 2554. (c) Mém., t. VIH, col. 2554. (d) M. de Cicé fut nommé en 1770 évêque de Rodez; en 1781, archevêque de Bordeaux; il était garde-des-sceaux lorsque la Constituante décréta la constitution civile, et il apposa comme ministre le aceau de l'Etat à une pièce qu'il rejetait comme évêque. |