puissance spirituelle pour l'enseignement et le jugement des doctrines, la direction des consciences et l'administration des sacrements; enfin elle reconnaît la bulle Unigenitus, et refuse, selon l'ordre de Benoît XIV, les sacrements aux jansénistes. Une pluie de libelles, on le conçoit, accueillit ces déclarations, et le parlement de Paris prétendit les proscrire. Malgré l'appui du roi qui vit les évêques de France, quatre exceptés, adhérer à ces actes, les parlements, foyers où la révolution couvait depuis longtemps, et d'où elle commençait à faire éruption, continuèrent l'opposition anti-catholique dont celui de Paris donnait l'exemple. M. de La Luzerne et son collègue suivaient d'un milattentif ces débordements auxquels on n'opposait que des barrières impuissantes. Le devoir ne leur permettait pas de rester inactifs. Affaire du réquisitoire de M. de Castillon. En 1766, ils s'attaquèrent à un des plus violents réquisitoires émanés des parlements contre l'assemblée; ils tentèrent avec succès de l'accabler par une condamnation qui envelopperait les actes de semblable nature et inspirés par le même esprit. M. de Castillon, procureur général au parlement d'Aix, homme recommandable à divers titres, mais rempli de cet esprit philosophique qui l'empecha de distinguer le vrai du faux dans les anciens monuments de la jurisprudence, se laissa emporter hors de toute mesure dans un réquisitoire où il fait la leçon à l'Eglise catholique, au pape et aux évêques de France, sur la ligne de démarcation entre les deux pouvoirs. Il allait jusqu'à noter les actes de 1765 comme attentatoires aux droits de l'Etat, comme séditieux et schismatiques. Les agents généraux présentèrent, en mars 1766, une requête motivée de la manière la plus forte et la plusjuste, contre ces pitoyables excès qui ébranlaient les fondements de la société religieuse et substituaient des maximes nouvelles au droit ancien, reconnu des jurisconsultes aussi bien que des canonistes. Un arrêt du conseil supprima le réquisitoire de M. de Castillon. Mais ses partisans firent observer que cette condamnation, portant sur des expressions outrées du réquisitoire et non sur le fond de la doctrine, ne soutenait en rien les actes du clergé. L'arrêt le supprima comme « plein de chaleur, d'imputations fausses, d'une censure amère et pouvant produire les impressions les plus dangereuses. » Cette sorte de ménagement trahissait un pouvoir dirigé par des mains débiles et dominé par les factions. Aussi MM. de La Luzerne et de Cicé, tout en publiant leur requête et la condamnation qu'ils avaient obtenue (a), ne se dissimulaient pas qu'on n'accordait qu'une demie satisfaction à la vérité et à la justice outragées. C'était un nouveau motif de déployer une activité et un dévouement sans bornes pourla cause de la religion. Assemblée de 1766. - Le 2 mai 1766, l'assemblée du clergé reprit séance. Quoique ses agents aient eu une grande part à ses actes, ce serait pourtant nous écarter de notre sujet que de passer en revue tout ce qui s'accomplit avec leur concours: elle remontra au roi que l'Eglise ne pouvait garder le silence sur les assertions des hérétiques; elle réclama en faveur de prêtres injustement bannis, des jésuites persécutés, contre les envahissements illégaux des soit-disant réformés, les arrêts impies des parlements et la faiblesse immorale de la censure des livres; elle condamna le faux conseil d'Utrecht tenu par les jansénistes en 1763 et qui renversait la hiérarchie catholique; elle défendit enfin contre les parlements ses actes passés et proposa de recourir au pape pour la réforme désirée des ordres monastiques. Assemblée de 1770. - Réimpression des actes, etc... des assemblées du clergé. - L'action personnelle de M. de La Luzerne est absorbée ici dans l'action commune du clergé; aussi nous ne croyons pas devoir nous appesantir sur ces faits. Nous dirons la même chose de l'assemblée de 1770 où le clergé fit de suprêmes efforts pour conjurer les périls qui menaçaient l'Eglise et la société, en montrant au roi la profondeur de l'abime où la France se précipitait et en publiant l'Avertissement aux fidèles sur les dangers de l'incrédulité. M. de La Luzerne et son collègue, sans négliger le côté des finances ecclésiastiques, avaient donc aussi traité les questions d'un ordre plus élevé, et en quelque sorte embrassé le gouvernement général de l'Eglise gallicane. Ils avaient encore dirigé un travail important, la réimpression des Actes, titres, mémoires, concernant les affaires du clergé de France, augmentés de plusieurs pièces et titres mis dans un nouvel ordre (b). La collection divisée en douze tomes in-4° fut imprimée de 1768 à 1771; elle forme en effet treize gros volumes. Un quatorzième volume fut depuis ajouté. C'est une table analytique de cet important recueil dont elle facilite l'usage (c). De si grands services ne pouvaient être sans récompense, et la reconnaissance du (a) Actes de la dernière assemblée du clergé sur la religion, vengés par le clergé et par le roi des attaques de M. de Castillon, 1767, in-12. (b) Voy. le Privilége du roi, tome 1, p. xxxi. (c) Nous n'avons découvert qu'une seule pièce qui fût personnelle à l'abbé de La Luzerne comme agent général du clergé ; c'est un Rapport fait à l'Assemblée de 1765 concernant l'affaire du bureau diocésain Le Rodez, contre un sieur Cabrière, receveur des décimes. Nous la reproduirons dans notre édition vacant par la mort de Gilbert de Montmorin de Saint-Herem, survenue le 19 mai 1770. La nomination de M. de La Luzerne est du 24 juin suivant; le sacre eut lieu à Paris le 10 septembre. Désormais l'action de l'évêque ne s'effacera plus comme celle de l'ecclésiastique de second ordre. Placé à la tête d'un grand diocèse, héritier du ministère apostolique, il s'offre à nous sous les qualités du pasteur et semblable à la lumière posée sur le chandelier, pour éclairer tous ceux qui habitent la maison: Ut luceat omnibus qui in domo sunt. (Matth. v, 15.) Etat de son diocèse. Le diocèse de Langres, quoique démembré par l'érection de l'évêché de Dijon en 1731, était encore vaste et beau: vaste, il comptait environ sept cents paroisses ou annexes divisées en quinze doyennés (a); beau par son antiquité, par le souvenir de ses saints et de ses grands évêques, par ses institutions religieuses, ses célèbres abbayes: Clairvaux, Morimond, Molesme, Saint-Michel de Tonnerre, Quincy, le Val des Ecoliers et plusieurs autres. Le temporel de l'évêché était considérable. L'évêque de Langres était, comme on sait, duc et pair; à ce titre au sacre des rois il portait le sceptre, et il siégeait à son gré au parlement de Paris avec voix délibérative. Les revenus du siége ont été officiellement réglés en 1790 à 130,000 livres; les Mémoires de la généralité de Champagne, dressés en 1695 par ordre du gouvernement, ne les portaient qu'à 22,000 livres (b). Ce n'est pas sans raison que nous faisons connaître les ressources matérielles dont M. de La Luzerne entrait en possession; car nous devons dire que sa charité, sa générosité, son désintéressement y étaient proportionnés. Sa vertu n'en paraîtra que plus admirable, lorsque nous le verrons, dans le désastre des temps, se dépouiller de tout pour soulager les autres et donner en aumône sa dernière obole ! L'état moral de son diocèse n'appelle pas de réflexions particulières : on connaît celui de la France à cette époque. Son prédécesseur, de M. Montmorin, avait combattu vigoureusement le jansénisme, expulsé du séminaire les Oratoriens qui en étaient infectés, travaillé autant que sa juridiction le lui permettait, à rétablir l'exacte discipline dans les monastères; et peut-être il serait juste de dire que M. de La Luzerne trouva la religion plus florissante au milieu de son troupeau qu'elle ne l'était en beaucoup d'autres diocèses. à la Il y envoie des aumônes. Ce n'est pas qu'il n'ait rencontré tout d'abord des difficultés à aplanir, comme de cruelles misères à soulager. L'année 1770 fut affligée par la disette. MM. les vénérables du chapitre, administrateurs de l'évêché, sede vacante, publiaient, le 3 juillet, une ordonnance qui commence par ces mots: La main de Dieu s'est appesantie sur nous, nos très-chers frères; une disette extreme se fait sentir de toutes parts. Les campagnes désolées se jettent dans les villes pour y trouver des ressources dans leurs calamités; les villes elles-mêmes se trouvent dans l'impuissance de secourir tous les pauvres. Pour comble de malheur, un incendie dévorait l'h pital de Langres. M. de La Luzerne s'émut pensée deces souffrances, et, avant même qu'il eût pu connaître ces malheureux déjà chers à son cœur, il s'empressa de leur envoyer des secours. Il fit un premier don de 6,000 livres pour la reconstruction de l'hôpital de la Charité (c). Affaire du procès entre M. de Montmorin et les chanoines de Saint-Mammès. - Le 21 août 1770, avant la prise de possession de son siége, il adresse aux chanoines de la cathédrale une lettre conciliante sur un procès pendant entre le chapitre et l'évêché. Il s'agissait de déterminer Ja part que chacune des parties devait prendre à la reconstruction du portail et des tours de la cathédrale, Ce grand œuvre, exécuté de 1761 à 1768, exigea plus do 250,000 livres. Le différent soulevé à cette occasion se termina par la cession au chapitre d'une forêt de l'évêché (d). Espérances fondées sur la réputation de M. de La Luzerne.-M. de La Luzerne justifiait dès l'abord les termes dans lesquels MM. du chapitre cathédral annonçaient au diocèse l'élection de son nouveau pasteur. Nous les citons parce qu'ils montrent quelle réputation déjà lui était acquise : « Le ciel nous a exaucés, nos très-chers frères, rendons de solennelles actions de grâces au souverain Pasteur de nos âmes. Le Seigneur, dans sa miséricorde, nous a donné un évêque selon son cœur, M. de La Luzerne sera l'ange tutétaire de ce diocèse. Il sera l'ornement de l'Eglise gallicane, l'appui de la religion au milieu des périls dout (a) Langres qu la Chrétienté; du Môge, à l'est et au sud-est de Langres; de Grancey, de Tonnerre, de Molesme, de Moutier-Saint-Jean, de Saint-Vinnemer, de Bar-sur-Aube, de Château-Villain, de Chaumont, de Bar-sur-Seine, de Châtillon, d'ls, de Pierrefsite et de Fonvent. On voit combien le concordat a modifié le territoire de ce diocèse. Il renfermait plus de 1,200 paroisses avant 1751. (b) Voici les terres titrées dont se composa le duché-pairie de Langres, le comté de Langres, fut donné, en 967, par le roi Lothaire aux évêques de Langres qui en confièrent l'administration aux sires de Saula; qui la rendirent béréditaire dans leur famille, puis l'aliénèrent. Elle fut rachetée en 1779 de Henri de Bar et de llugues de Bourgogne, par Ganthier de Bourgogne évêques de Langres; le comté de Montsaugeon, le marquisat de Coublam, les baronnies de Luzy et de Gurgy-la-Ville, les châtellenies de Ja Chaume et de Gevrølles, les prévôtés d'llartes et de Neuilly-l'Evêque, les baillages de Châtillon et de Mus-y-l'Evêque, etc. prisonniers. (c) Voy. le sermon préché à la cathédrale de Langres en avril 1772, Sur l'aumône envers les (d) Le chapitre de Langres était exempt de la juridiction épiscopale; it se composait de cinquante prébendos y compris les dignités ; ses revenus s'él vaient à plus de 250,000 livres, i elle est menacée. O vous qui gémissez dans les horreurs de l'indigence et de la maladie, consolez-vous! Sa main paternelle vient essuyer vos larmes. Pauvres, vous êtes ses enfants. Voilà vos titres à ses bienfaits, titres précieux et dont il reconnaît les droits dans toute leur étendue (a). » Ces paroles ont quelque chose de prophétique. Remarquons seulement ce titre d'ange tutélaire. Oni, M. de La Luzerne devait être l'ange tutélaire de l'Eglise de Langres. Depuis le moment où le sacre scelle son union spirituelle avec cette Eglise, il la cultive avec amour et la protége de tout son dévouement; le plus grand sacrifice que Dieu lui ait demandé fut celui de son siége supprimé en 1802; enfin, si l'Eglise de Langres ressuscite quinze ans plus tard, c'est à lui qu'elle en est redevable. Son entrée à Langres. Le 17 septembre 1770, le prélat fait son entrée à Langres et prend possession de l'antique chaire de saint sénateur et de saint Didier dans l'église cathédrale. Au milieu de la salle capitulaire, il prête à genoux, la main sur l'Evangile, le serment de conserver les priviléges du chapitre. Aperçu général. - Nous entrons dans la première période de son administration épiscopate. Elle s'étend depuis la fin de 1770 jusqu'à sa nomination comme député aux états généraux en 1789. De 1789 à son départ pour la terre étrangère, en 1791, il traverse une phase nouvelle, beaucoup moins longue, mais caractérisée par sa lutte personnelle et directe contre la révolution. De 1791, nous le suivons dans l'exil, jusqu'au moment où il donne la démission de son siége en 1802. Une quatrième période s'étend de 1802 à 1814, époque de son retour en France. L'année 1814 ouvre une dernière phase où reparaît l'évêque de Langres, l'homme politique, le conseiller des rois. La mort vient clore, en 1821, cette carrière si pleine de jours et de mérites. Il ne nous reste plus, ensuite, qu'à envisager, sous quelques rapports particuliers les doctrines de M. de La Luzerne, et à donner notre pensée sur la présente édition de ses œuvres complètes. CHAPITRE II Idée de la première période de son épiscopat. - De 1770 à 1789, la vie de M. de La Luzerne s'écoule tantôt à París, tantôt dans son diocèse. Son activité pour l'administration de son troupeau est incessante et rien n'échappe à sa sollicitude. Ce qu'il ne peut point faire par lui-même, il en charge des représentants dignes de sa confiance et dont le choix suppose en lui l'art de discerner les hommes selon leurs vertus et leur capacité. Il est souvent à Paris; il est jeune, il n'a que trente-deux ans; son rang, sa naissance et ses antécédents le mêlent au tourbillon du siècle. Mais ce serait se tromper étrangement que de soupçonner en lui les habitudes et les goûts des abbés de cour, ou des prélats qui entendaient à la lettre l'expression consacrée: exiler un évéque dans son diocèse. Les intérêts généraux de l'Eglise, ceux de l'Eglise de France en particulier, le désir de sauver le trône et la société en péril sont les motifs qui l'autorisaient à interrompre sa résidence. Et que dis-je, ils l'autorisaient? ne lui en faisaient-ils pas un devoir, à raison des moyens qui étaient en sa puissance et que n'avaient pas beaucoup d'autres évêques pour travailler au bien commun et au salut de la France. La position de M. de La Luzerne était alors assez semblable à celle où se trouva de 1848 à 1852 l'illustre prélat qui fut un de ses successeurs, Mgr Parisis, maintenant évêque d'Arras, Il est essentiel de juger sa conduite au point de vue des circonstances, et lorsqu'on verra d'ailleurs qu'elle ne laissait point le diocèse en souffrance, ce ne sera plus qu'un nouveau motif de rendre hommage au zèle de l'évêque. Mandement pour le Jubilé de 1770. Humilité du prélat. - Le 19 octobre 1770, il publia son premier mandement pour annoncer le jubilé accordé par Clément XIV à son avénement. La présence de cette pièce et d'autres semblables dans cette édition me dispensera d'en offrir l'analyse. On y observe toujours un enseignement solide et clair, largement appuyé sur l'Ecriture et la tradition, mis à la portée des peuples. Un passage du premier mandement mérite d'être signalé : « Pouvons-nous, s'écrie le digne évêque, ne pas être saisis de terreur... lorsque nous comparons ce que nous sommes à ce que nous devons être; lorsque nous considérons la faiblesse de nos vertus, la multitude de nos défauts, la médiocrité de nos connaissances et spécialement notre peu d'expérience dans le gouvernement des âmes. » C'était l'expression d'une humilité sincère. Tous ceux qui ont approché M. de La Luzerne et vécu dans son intimité s'accordent à dire qu'il était d'ure grande simplicité et d'une franchise admirable. Quêtes pour les incendiés. Ces qualités jointes à la bonté du cœur lui concilièrent l'attachement de tous. Il s'occupait avec prédilection de ce qui avait pour but l'adoucissement des misères des pauvres. Il compléta, en 1771, une œuvre de charité commencéu par son prédécesseur M. de Montmorin. Un sage règlement fixe les mesures relatives aux quêtes générales pour les incendiés du diocèse. Ces quêtes se faisaient deux ou trois fois l'an dans toutes les paroisses. Elles apportaient aux malheureux des secours prompts, des quêtes particulières trop sou considérables, et vent favorables à la paresse et au mensonge. A la dernière de ces quêtes, en 1790, la (a) Mandement du 20 août. total des recettes de l'année montait à plus de 7,000 livres, et plus de 1,000 livres restaient en caisse de l'année précédente, Le château de Mussy-l'Evêque. Le règlement pour ces quêtes est daté de Mussyl'Evêque, 1" septembre. Le château de Mussy était une demeure affectionnée par les évêques de Langres et spécialement par M. de La Luzerne. Sébastien Zamet l'avait fait reconstruire avec magnificence, au milieu du xvn siècle, après un incendie; M. de Clermont-Tonnerre y ajoutait en 1700 des embellissements somptueux; M. de La Luzerne y entreprit des travaux d'agrandissement que la révolution vint arrêter. Le riche mobilier qu'il lui destinait fut la proie de pillards avides. La position topographique de Mussy, bien plus que les agréments du séjour, explique le choix d'une résidence assez éloignée du siége de l'évêché, mais plus centrale relativement au diocèse. Canonisation de sainte Françoise de Chantal. - Le 8 décembre 1771 et l'octave de la fête de la Conception furent consacrés, à Langres, à de belles solennités en l'honneur de sainte Françoise de Chantal récemment canonisée. Le diocèse de Langres revendiquait à bon droit une sainte qui lui appartenait par sa naissance, qui avait reçu dans son sein Jes enseignements de la foi, dont l'ordre s'était fondé et propagé avec le secours de ses évêques. M. de La Luzerne publia le 31 novembre un mandement où il gloritie sainte Jeanne-Françoise de Chantal et il présida lui-même à l'ouverture des fêtes célébrées à la cathédrale et au monastère de la Visitation Sainte-Marie (a). Ordre dans l'administration. - Peu de temps après, le 4 février 1772, l'évêque prit une mesure administrative qui met en relief le soin qu'il voulait apporter aux affaires du diocèse. Il révoqua toutes les permissions, priviléges ou dispenses précédemment accordés, afin de les soumettre à une révision, de corriger les abus qui se seraient introduits à l'ombre de l'autorité et qui en sont d'autant plus dangereux. Ces permissions devaient Jui être présentées dans l'année même, avec les motifs pour lesquels on les avait obtenues, celles qui ne le seraient pas demeureraient supprimées. Sermon sur l'aumône envers les prisonniers -- Au mois d'avril, il prêcha dans sa cathédrale un sermon sur l'aumône envers les prisonniers. Il y plaide éloquemment la cause de ces malheureux négligés par la charité des Langrois, d'ailleurs si dignes de louanges, et il fait valoir les raisons qui doivent attirer sur les victimes de la justice humaine une commisération spéciale. Le pathétique s'allie de même à la vigueur du raisonnement dans le discours sur la paix et l'union, que ses papiers inédits nous ont fait connaître et qui ne porte aucune date. Leprélat siége au parlement en 1772. - Les occupations et les soucis assiégent nécessairement un évêque à son entrée dans un diocèse. Avant la révolution l'administration ecclésiastique était compliquée, au temporel surtout, beaucoup plus qu'aujourd'hui; cependant M. de La Luzerne ne perdait pas de vue les affaires politiques étroitement liées à la cause de la religion. Il assista en 1772 aux séances du parlement qui était, comme on le sait, la cour des Pairs et qui connaissait au nom du roi de toutes les matières appartenant à l'administration de la justice en dernier ressort. Oraison funèbre de Charles-Emmanuel III. - La France en 1773 partagea le deuil que la mort de Charles-Emmanuel III répandit sur le royaume de Sardaigne. Cet événement arrivait au moment où la maison de Savoie formait les nœuds les plus étroits avec la France et la maison de Bourbon. Deux des petites-filles de Charles-Emmanuel III devaient épouser bientôt les frères de Louis XVI, et le prince de Piémont, son petit-tils, une sœur de ce monarque. M. de La Luzerne fait allusion à cette alliance dans l'exorde de l'oraison funèbre du roi de Sardaigne qu'il fut chargé de prononcer à Paris. La cérémonie eut lieu Je 25 mai 1773 à Notre-Dame, en présence de M. le comte d'Artois. La Savoie, l'Europe, la religion ne pouvaient choisir un plus digne interprète de leur juste douleur, dironsnous, en répétant le jugement porté alors sur cette oraison funèbre (6). La tâche était belle, facile même; car Charles-Emmanuel III avait consacré les traditions de l'illustre et catholique famille de Savoie, tombée si bas à l'heure où je parle. Les hommes politiques remarquèrent un mot qui résume heureusement à lui seul les efforts de Richelieu dans la lutte contre la maison d'Autriche et dans l'alliance avec la Suède. L'orateur avait dit du grand ministre : Il posa dans le Nord le contrepoids du Midi. La troisième partie du discours, où le défunt paraît au tribunal de Dieu, est pleine de courageuses leçons qui frappaient directement une cour irréligieuse et corrompue, un roi oublieux d'une grande partie de ses devoirs. Elle prouve aussi que M. de La Luzerne dans la chaire s'enflammait du feu de l'éloquence sans perdre les qualités solides de l'écrivain, qui ne l'abandonnaient jamais. Oraison funèbre de Louis XV. - Il remonta dans la chaire de Notre-Dame, le 7 septembre 1774, pour y remplir une mission plus honorable encore, mais infiniment plus délicate, pour y prononcer, devant Monsieur, depuis Louis XVIII, l'oraison funèbre de Louis XV, décédé le 10 du mois de mai. En lisant ces pages, où britte un talent supérieur, on saura comment le cœur d'un évêque sait aller les sentiments qu'il doit à l'Eglise et (a) La maison des Visitandines a subi le sort des couvents à la révolution. Elle renferme aujourd'hui l'arsenal. (b) Approbation donnée en Sorbonne par Davoisin, professeur royal. à la rertu, au dévouement et au respect qu'il doit à la personne de son roi, et à la réserve que commande la mémoire d'un défunt, dont le corps, en quelque sorte présent, est environné des membres de sa famille. Ce n'est pas un courtisan, c'est un évêque et un sujet fidèle qui déjà dans un mandement, du 20 mai 1774, disait à ses diocésains : Pendant tout le cours de sa vie, jusqu'au milieu des égarements où il a eu le malheur d'être entraîné, il a fait éclater les principes religieux dont son cœur était pénétré. » Si l'histoire en effet ne jette point un voile sur les turpitudes qui souillent le nom de ce prince, elle est tenue de reconnaître ce qu'il conserva de vertu dens ses déréglements et d'énergie parmi ses faiblesses. En 1817, Louis XVIII encore pénétré de cette parole éloquente, disait à M. de La Luzerne: « Si je vaux quelque chose, c'est que je me suis constamment appliqué à suivre les avis que vous m'avez donnés, il y a quarante ans, en terminant l'oraison funèbre de mon grand-père. » Mécontentement des Jansénistes. Elle fut accueillie par les applaudissements unanimes des gens de bien; mais « la secte souple et audacieuse, » qui s'était reconnue apparemment au portrait que l'orateur en avait esquissé, ne fut pas satisfaite. On vit paraître une Lettre à M. de La Luzerne, datée du 9 octobre 1774, où l'on exhalait en 24 pages in-12 des plaintes mal fondées, qui se perdirent dans le tumulte d'affaires plus importantes, comme sous l'indifférence du prélat et du public. Cette lettre était l'œuvre anonyme de Joseph Massillon, neveu dégénéré d'un grand homme. Le petit séminaire de Langres. M. de La Luzerne mit à profit son séjour à Paris pour réaliser promptement, en vertu d'un arrêt du conseil du roi, la fondation d'un petit séminaire pour les élèves de philosophie. Le petit séminaire de Langres, aujourd'hui si florissant et l'un des mieux organisés de notre temps, paraît ne s'être établi qu'à grand' peine et en subissant depuis l'origine des changements divers. Armand de Simianes de Gordes aurait obtenu du conseil du roi, dès 1674, une fondation spéciale pour cette école (a). Je ne découvre pas de traces de ce petit séminaire dans nos chroniques. En 1762 on signale une tentative de M. de Montmorin pour instituer un petit sémihaire dans la maison des Ursulines d'Arc-en-Barrois. Il se composait d'un directeur et de deux professeurs, l'un pour la logique, l'autre pour la physique; mais il n'exista qu'un an (b). C'est donc une création nouvelle qu'il faut attribuer à M. de La Luzerne. La communauté des cleres en philosophie fut distincte de celle du grand séminaire, dont nous parlerons dans la suite et où l'on étudiait la théologie, mais elle occupait un corps de bâtiment de la même maison (c). Le plus ancien règlement du petit séminaire de Langres, à notre connaissance, fut rédigé en 1778; il a été nécessairement revêtu de la sanction épiscopale, mais la forme et le style ne nous permettent pas d'en attribuer la rédaction à M. de La Luzerne. Il est reproduit, quant à la substance, dans le règlement du petit séminaire actuel, installé dans l'ancien couvent des Carmes de Langres, depuis son rétablissement. Lectiones philosophicæ ad usum seminarii Lingonensis. - Pour assurer au cours de philosophie un enseignement convenable, l'évêque fit composer par un de ses grands vicaicaires un traité intitulé: Lectiones philosophicæ ad usum seminarii Lingonensis, en 3 volumes in-12, imprimés à Langres, chez Pierre Defay, en 1778 et l'année suivante. Cet ouvrage anonyme est de M. l'abbé Forget, très-instruit spécialement dans les matières de droit canonique. On a de lui un livre remarquable intitulé: Traité des grands vicaires. Ses leçons de philosophie répondirent-elles à l'attente de M. de La Luzerne? Nous ne le pensons pas; car elles sout très-défectueuses (d). Collèges de Langres et de Chaumont, après l'expulsion des Jésuites. - L'enseignement des colléges séculiers appelait aussi l'attention de l'évêque. Depuis dix ans les jésuites avaient été expulsés de France, et les pieux instituteurs de la jeunesse avaient dû abandonner les colléges de Langres et de Chaumont. M. de Montmorin avait, dans un mandement, déploré publiquement ce triomphe scandaleux et funeste de l'hérésie et de l'incrédulité. Ce triomphe fut complet en 1773. Une conjuration éternellement flétrie par l'histoire, au nom de la justice, de la religion et des lettres, arracha à Clément XIV le bref de la suppression des jésuites. Il ne fallait pas compter sur leur retour pour combler le vide causé par leur dispersion. (a) C'est du moins ce que l'on assure p. 25 de l'Almanach hist. de la ville et du diocèse de Langres, de 1787. (6) L'abbé Matthieu Abrég., chr., p. 236, 2a édit. (c) Rue du Repos, au prieuré de S.-Amâtre. (d) L'auteur fait peu de cas de la métaphysique pure ou de l'étude des abstractions; il se montre engoué du XVIIIe siècle et de la méthode de Bacon, et il méprise les scolastiques. Disciple de Locke, il place l'origine des idées dans la sensation et la réflexion sur la sensation. Il rejette les idées innées. Son critérium de certitude réside dans le sens intime. Il pose le fondement de la morale non pas dans la conformité des actes humains avec la volonté de Dieu, mais dans leur conformité avec la nature et la raison de l'homme. Cette doctrine ne doit pas être attribuée à l'évêque de Langres. M. Forget renfermait la philosophie dans la pneumatologie, la physique et l'anthropologie. Il n'a traité que de la pneumatologie. Elle embrasse la p-ychologie et ta théo licie. La logique et la morale rentrent dans la psychologie. |