ments, mais leurs causes, c'est-à-dire les actes libres de volonté dont les événements émaneraient. Ne détachons donc pas les déterminations de la volonté humaine du système général de providence dont elles font partie. Il est impossible de refuser à Dieu le pouvoir de créer un univers dans lequel il y ait des êtres libres, produisant des volitions intérieures et des actions extérieures. Il est également impossible que Dieu, choisissant et voulant cet ordre de choses, il ne veuille tout ce qui y entre, tout ce qui en fait partie, et que par conséquent il ne veuille à la fois ces trois choses que les événements civils et politiques de cet univers arrivent; qu'ils soient opérés par des agents libres; qu'ils soient les effets de la liberté de ces agents. Ainsi, loin d'infirmer notre liberté, son décret unique, universel, la confirme, parce qu'il la comprend, parce que les opérations libres de la volonté font partie de son décret; parce que c'est avec la connaissance qu'il a que tels événements seront le produit de la liberté, qu'il les décrète; parce qu'il décrète que ce sera par la liberté que ces événements seront produits (48). « Dieu, dit-on, décrétant les déterminations futures de la volonté, les a nécessitées. Il est impossible, il répugne que ce que Dieu a décrété n'ait pas lieu. Distinguons la certitude d'un fait de sa nécessité; ce sont deux choses différentes, quoiqu'il résulte de toutes les deux une conséquence commune. Il est impossible qu'un fait, soit certain, soit nécessaire, n'ait pas lieu. En le supposant certain, il répugne qu'il n'arrive pas, de même qu'en le supposant nécessaire. Tout décret de Dieu rend les événements certains; tout décret de Dieu ne les rend pas nécessaires. En voici la raison: Dieu décrétant les événements, décrète en même temps leurs causes secondes. Quand il les fait dépendre de causes nécessitantes, il les rend nécessaires; tels sont les phénomènes de la nature, le cours des astres, la végétation des plantes, Porganisation des animaux, etc.; ils sont nécessaires, comme leurs causes secondes, d'une nécessité physique. Mais quand Dieu décrète qu'un fait, tel qu'un événement civil ou politique, sera l'effet d'une volonté libre, il rend le fait certain; il ne le rend pas nécessaire, puisqu'il le fait dépendre d'une cause au pouvoir de laquelle il est de donner ou de ne pas donner l'être à ce fait, L'usage que fera cette cause de son pouvoir est certain; 1; il n'est pourtant pas nécessité, puisqu'il est statué que ce sera librement qu'elle le produira. L'objection pèche en ce point qu'elle considère partiellement le décret divin; elle s'attache uni (48) On sent que je ne parle pas ici de l'influence de la grace sur les actions libres. La conciliation de la liberté humaine avec la grâce divine est étrangère à notre question actuelle. Ce n'est que par la révélation que nous connaissons le dogme de la quement à la futurition des choses décrétées; elle omet ce qui est pareillement contenu dans le décret, ce qui en fait aussi essentiellement partie que l'ordre de la futurition, c'est-à-dire le mode de cette futurition, la manière dont elle doit être opérée, la liberté de la détermination qui l'opérera. « Il y a, ajoute-t-on, entre le décret divin et l'acte de la volonté, une relation nécessaire. >>> Mais cette relation existe, non pas avec l'acte de la volonté considéré in abstracta et séparé de son mode, mais avec son acte tel qu'il doit être, tel que le décret divin porte qu'il sera, c'est-à-dire avec l'acte librement produit par la volonté. Je rétorque donc l'argument, et je dis: Il y a une relation nécessaire entre le décret divin et la liberté avec laquelle la détermination sera prise par la volonté; donc, d'après le décret suprême, la détermination de la volonté doit nécessairement être libre. Qu'on ne nous dise pas, qu'en faisant consister tout l'ordre de la Providence dans un seul et unique décret, qui embrasse tout le système du monde et des événements qui doivent s'y succéder, nous réduisons la Providence à une simple vue générale, et nous lui rendons étrangers tous les détails; en sorte que Dieu n'est plus qu'un proviseur général et non particulier: ce décret de Dieu embrasse à la fois l'ensemble et les détails. En choisissant entre tous les mondes possibles le monde actuel, Dieu en voyait toutes les parties, tous les événements, et jusqu'aux plus minutieuses circonstances. Tout cela était donc compris, et généralement et spécialement, dans le décret. S'il y avait, dans Dieu, des décrets successifs, ils ne seraient pas éter nels; si Dieu pouvait prendre des déter minations nouvelles, il ne serait pas im. muable. Si on nous objecte encore que Dieu, réglant par sa providence tous les événements, ordonne parlà même les péchés des hommes et s'en rend l'auteur, je dirai que j'ai déjà répondu à cette objection; j'ai montré que Dieu, créant un ordre de choses où l'homme pourra abuser de sa liberté, n'est pas l'auteur de cet abus; qu'il ne l'est même pas quoiqu'il le prévoie. Il est inutile de répé ter ici ce que j'ai suffisamment expliqué ail leurs (49). et aux lois et au gouvernement qui les régissent, et qui les tiennent unis. Or, l'un P'autre ordre social supposent évidemment la liberté (50). 1. Pour démontrer au fataliste la première partie, je m'adresse à lui-même, etje lui soutiens que sa propre conduite est la preuve évidente de sa liberté. Vous donnez quelquefois des conseils aux personnes qui vous intéressent; vous les exhortez, vous les engagez à faire ce que vous jugez honnête ou utile. Mais tout cela prouve que vous les croyez libres (51). Car, si vous les jugeznécessitées, vous devez penser qu'elles le sont, ou aux choses que vous leur proposez ou au contraire. Vos conseils, vos exhortations sont, dans le premier cas, inutiles; dans le second, superflus. Dans le fait, vous n'imaginezjamais d'induire des hommes aux choses qui sont hors de leur pouvoir; lors donc que vous leur conseillez quelque action, vous croyez qu'ils sont les maîtres de la faire (52). Dans la maladie vous appelez un médecin. Dans votre système de fatalité c'est encore une inconséquence; il ne pourra vous prescrire que ce à quoi la nécessité le contraindra. Si vous êtes nécessité à guérir, il ne vous aura servi de rien; si vous l'êtes à mourir, il ne vous en empêchera pas (53). (50)lique ita disserebant: Si omnia fato fiunt, omnia fiunt causa antecedente; et si appetitus, illa etiam quæ appetitum sequuntur; ergo etiam assentiones. At si causa appetitus non est sita in nobis, ne ipse quidem appetitus est in nostra potestate. Quod si ita est, ne illa quidem quæ appetitu efficiuntur, sita sunt in nobis; non sunt igitur, neque assentiones, neque actiones, in nostra potestate. Ex quo efficitur, ut nec laudationes justæ sint, nec vituperationes, nec honores, nec supplicia: quod cum sit vitiosum, probabiliter concludi potest non omnia fato fieri quæcunque fiunt. (CICERO, De fato, cap. 17.) - Neque hinc tantum, sed etiam ex his quæ agimus liquet neque fatum, neque fortunam, neque genesim, neque cursum astrorum nostra regere. Nam si hine pendent omnia quæ geruntur, non autem ex libero hominis arbitrio, cur flagellas servum furantem ? Cur adulteram uxorem in forum trahis? Cur te pudet, cum absurda perpetras? Qua de causa ne verba quidem vituperantium sustines? sed si quis te, aut fornicatorem, aut ebriosum, vel quid simile vocet, id contumeliam appellas. Nam si non tuo arbitrio peccas, nec crimen erit quod feceris, nec contu. melia quod dicatur. Nunc autem et quod peccantibus non parcas, et quod peccans erubescas, et latere cures, et quod contumeliosos putes eos qui hæc tibi exprobrant, his certe omnibus confiteris nostra non necessitate vincta esse, sed arbitrii libertate ornari, lis certe qui necessitate detinentur, parcere solemus. (S. JOANN. CHRYSOST., De perfecta charitate, no 3.)- Nam si fatum... rerum om. nium imperium tenet, non philosophiæ opera dauda est, nec leges condendæ, nec judicandi munus suscipiendum, nec colenda medicina, nec scientia aut ars ulla consectanda; nec meditationi studendum, nec virtus amplectenda, nec vitium fugiendum. Hæc enim omnia, vir beate, sermo ille, qui de fortuna jactatur, evertet, resque omnes honestas et laude dignas funditus evellet. Quis autem eorum qui mentis ac prudentiæ compotes sunt, hoc ferat? Vous donnez des ordres à vos inférieurs; quand ils vous désobéissent, vous les réprimandez, vous les punissez: mais s'ils n'ont pas été libres d'obéir, vos commandements sont absurdes, vos reproches injustes, vos châtiments barbares. Les préceptes de Dieu lui-même à des créatures qu'il aurait nécessitées sont illusoires (54). Vous confiez un secret à votre ami, vous lui remettez un dépôt. Mais, dans votre système de fatalité, vous êtes souverainement déraisonnable: où il n'y a pas de liberté, la fidélité est un effet sans cause... Et quel reproche aurez-vous droit de faire à celui qui aura trahi votre confiance, quand, pour sa justification, il vous rappellera à votre propre principe, qu'il a été nécessité à ce qu'il a fait? Vous vous croyez tenu à la reconnaissance pour le bien que vous avez reçu; vous pensez qu'on vous en doit pour celui qua vous avez fait. C'est encore là un sentiment inconciliable avec votre persuasion que lo bien, comme le mal, se fait par par nécessité. Vous jugez-vous redevable de quelque chose envers la fontaine qui vous fournit ses eaux? Vous vous liez tous les jours avec d'autres hommes par des contrats, Sans les conventions réciproques, la société ne pourrait sub (S. ISIDORUS Pelus., lib. im, epist. 154; voyez ibid., epist. 191.) potestate (51) Habet autem et in semetipsa natura rationabilis vigentem et ad hæc liberam arbitrii libertatem, qua, vel obedire, si velit, provocanti; vel, si nolit, spernere possit hortantem. (ORIGENFS, in Epist. ad Rom., lib. vIn, no 11.) (52) Esse autem aliqua qua in nostra exhortationes ostendunt. Nemo enim hominem hortatur ad non esuriendum, vel ad non sitiendum, neque ad volandum; non enim hæc in nostra potestate sunt. Quare perspicuum est quarum rerum, hortationes sunt, eas in nostra potestate esse. Quod de hortatione et admonitione dicimus, idem de vituperationibus, et laudibus, cæterisque quæ evertunt hanc sententiam, omnia fato fieri, intelligendum est. (NEMESIUS, De natura hominis, cap. 39.) (53) Sic enim interrogant: si fatum tibi est ex, hoc morbo convalescere, sive tu medicum adhibueris, sive non adhibueris convalesces: item, si fatum tibi est ex hoc morbo non convalescere, sive tu medicum adhibueris, sive non adhibueris, non convalesces: et alterutrum factum est; medicunt ergo adhibere nihil attinet. Recte genus hoc interrogationis ignavum atque iners nominatum est : quod eadem ratione omnis e vita tollatur actio. › (CICERO, De fato, cap. 12 et 13.) (54) Libero enim arbitrio gubernamur, neque fati necessitate, ut quidam putant, subjicimur: cum, definitum sit ut intra velle et nolle, bona malave sita sint. Ideo namque Deus, et regnum promisit, et supplieium minatus est. Atque id nunquam egisset erga necessitate vinctos; nam eorum quæ ex necessitate fiunt, alterutra sors datur. Nunquam leges posuisset, nec monita dedisset, si nos fati vinculis detineremur. (S. JOAN. CHRYS., De perf. charit., n° 5.) - Quid illud quod tam multis locis omnia mandata sua custodire, et fieri jubet Deus? Quomodo jubet, si non est liberum arbitrium. (S. AUGUST., De gratia et libero arbitrio, cap. 2, п. 4.) sister. Mais vous croyant entraîné par une nécessité absolue, vous devez les juger sans motif et sans but: vous n'avez pas de raison pour contracter un engagement, s'il n'est pas en votre pouvoir de letenir: vous êtes dans l'impuissance de le tenir, si vous êtes nécessité à l'enfreindre. Celui-là ne peut pas être soumis à l'empire de l'obligation, qui l'est au joug de la nécessité. Vous ne pouvez concevoir, ni une société sans devoirs mutuels, ni un devoir sans liberté. Enfin, pour terminer ce détail, que je pourrais étendre beaucoup plus, il n'y a pas jusqu'aux efforts que vous faites pour établir votre doctrine, qui montrent que vous n'en êtes pas persuadé. Si vous pensez réellement que je suis nécessité à me croire libre, qu'espérez-vous de tous les arguments que vous entassez pour me prouver que je ne le suis pas ? Ainsi, il n'y a pas un jour de votre vie où vous ne contredisiez votre système, pas une de vos actions qui ne soit un démenti à vos principes. Si vous croyez de bonne foi votre doctrine véritable, essayez de la suivre dans la pratique. Si vous êtes contraint de l'abandonner dans votre conduite, vous devez l'abjurer dans la spéculation. II. L'ordre civil qui régit les hommes en société suppose pareillement leur liberté. Il serait absurde de prétendre diriger, par des lois morales, des êtres nécessités à toutes leurs actions (55): il ne peut y avoir pour ceux-là que des lois physiques, quiles contraignent irrésistiblement, tellus que les lois du mouvement pour la matière. L'être privé de liberté est dans l'impuissance d'obéir au précepte; il ne peut que céder à la nécessité. Il n'y a personne, pas même le fataliste, qui prescrive les actes nécessaires, tels que de s'aimer soi-même. Si tous les actes humains sont également nécessités, il est également déraisonnable de les commander: la loi est inutile pour celui qui est nécessité à l'observer, impuissante contre celui qui est nécessité à l'enfreindre. III. Les lois, pour être observées, sont munies de la sanction des récompenses, et surtout des peines. Mais c'est encore une absurdité, c'est même un barbarie, s'il n'y a pas de liberté (56). De quel droit pourraitou punir l'être qui ne fait que recevoir l'impulsion de l'invincible nécessité? Punit-on le couteau avec lequel un homme s'est blessé? La punition suppose le crime, et le crime, la liberté. Il serait aussi déraisonnable que cruel, de punir celui qui a été contraint (55) Non enim poneretur lex ei qui non haberet obsequium debitum legi in sua potestate: nec rursus comminatio mortis transgressioni adscriberetur, si non contemptus legis in arbitrii libertatem deputaretur, (TERTULLIAN., contra Marc., lib. 11, cap, 5.) - Si nihil in nostra potestate est, supervacaneæ sunt leges; et tamen naturaliter omnes gentes legibus quibusdam utuntur. Quod sciunt se habere potestatem agendi quæ legibus sanciunt, et pleræque gentes leges suas ad deos auctores referunt; ut Cretenses ad Jovem, Lacædemonii ad Apollinem. Quare naturaliter omnium hominum par une force majeure irrésistible; par exemple, de qui des hommes plus forts que lui ont tenu et poussé le bras. Que ce soit par contrainte, que ce soit par nécessité que l'homme ait été forcé à son action, dès qu'il n'a pas pu s'en abstenir, il n'a pas pu devenir coupable. Si donc les actions humaines ne sont pas produites par la liberté, il faut abolir toutes les lois, supprimer toutes les peines, renverser tous les tribunaux. On rit, au théâtre, du juge qui gravement fait le procès à un chien, pour avoir mangé un chapon: le procès intenté à un homme sans liberté serait tout aussi ridicule. Y a-t-il une loi qui ordonne de punir les personnes privées de liberté, les enfants, les insensés, les matades en délire? S'est-il jamais trouvé un juge qui ait imaginé de les citer à son tribunal? On a vu des accusés, pour se soustraire à la condamnation, employer toutes sortes de moyens, excepté l'excuse de l'impérieuse nécessité: et si un fataliste, étant juge, entendait un criminel se justifier par cette allégation, croirait-il devoir l'absoudre ? Il est juste d'examiner ce qu'opposent à ces raisons les adversaires de la liberté. Voici comment s'exprime l'un d'entre eux IV. « On nous dit que, si toutes les actions des hommes sont nécessaires, l'on n'est point en droit de punir ceux qui en commettent de mauvaises, ni même de se sacher contre eux; qu'on ne peut rien leur imputer; que les lois seraient injustes si elles décernaient des peines contre eux; en un mot, que l'homme, dans ce cas, ne peut ni mériter, ni démériter. Je réponds qu'imputer une action à quelqu'un, c'est la lui attribuer, c'est l'en reconnaître pour l'auteur. Ainsi, quand même on supposerait que cette action fût l'effet d'un agent nécessité, l'imputation pourrait avoir lieu. Les lois ne sont faites que pour maintenir la société, et pour empêcher er les hommes associés de se nuire: elles peuvent done punir ceux qui la troublent, ou qui commettent des actions nuisibles à leurs semblables; soit que ces associés soient des agents nécessités, soit qu'ils agissent librement: il leur suffit de savoir que ces agents peuvent être modifiés. Les lois pénales sont des motifs que l'expérience nous montre comme capables de contenir ou d'anéantir les impulsions que les passions donnent aux volontés des hommes. De quelque cause nécessaire que ces passions leur viennent, le législateur se propose d'en arrêter l'effet; mentes hæc imbuit opinio, esse aliquid in nostra potestate. (NEMESIUS, De nat. hominis, cap. 39.) (56) Neque enim præmiis bonos, suppliciis improbos afficeretis, si penes illos situm non esset vitium et virtus. (ATHENAGORAS, Legat, pro Christo, п. 24.) - Si malum non esset voluntarium, bec in nostra potestate situm, injuriam inferentibus non impenderet tantus timor a legibus, sicque jadiciorum pœnæ quæ debitam molestis rependunt mercedem, forent inevitabiles. (S. BASILIUS, IN Hexameron, homil. 2, n. 5.) et quand il s'y prend d'une manière convenable, il est sûr du succès. En décernant des châtiments quelconques aux crimes, il ne fait autre chose que celui qui, en bâtissant une maison, y place des gouttières, pour empêcher les eaux de la pluie de dégrader les fondements de sa demeure. Quelle que soit la cause qui fait agir les hommes, on est en droit d'arrêter les effets de leurs actions; de même que celui dont un fleuve pourrait entraîner le champ, est en droit de contenir ses eaux par une digue, ou même, s'il le peut, de détourner son cours. C'est en vertu de ce droit, que la société peut effrayer et punir, en vue de sa conservalion, ceux qui seraient tentés de lui nuire, ou qui commettent des actions qu'elle reconnaît vraiment nuisibles à son repos, à sa sûreté, à son bonheur. Si la société a le droit de se conserver, elle a droit d'en prendre les moyens. Ces moyens sont les lois, qui présentent aux volontés des hommes les motifs les plus propres à les détourner des actions nuisibles. Ces motifs ne peuventils rien sur eux? La société, pour son propre bien, est forcée de leur ôter le pouvoir - de lui nuire. De quelque source que partent leurs actions, soit qu'elles soient libres, soit qu'elles soient nécessaires, elle les pumit, quand, après leur avoir présenté des motifs assez puissants pour agir sur êtres raisonnables, elle voit que ces motifs n'ont pu vaincre les impulsions de leur nature dépravée. La folie est sans doute un état involontaire et nécessaire. Cependant personne ne trouve qu'il soit injuste de priver de leur liberté les fous, quoique leurs actions ne puissent être imputées qu'au dérangement de leur cerveau. Les méchants sont des hommes dont le cerveau est, soit continuellement soit passagèrement, troublé: il faut donc les punir en comparaison du mal qu'ils font, et les mettre pour toujours dans l'impuissance de nuire, si l'on n'a point l'espoir de pouvoir les ramener à une conduite plus conforme au but de la société (57). » des Toute cette longue tirade n'est autre chose que l'abus des mots, et la confusion des notions. V. Il n'est pas vrai, qu'imputer et attribuer une action soient la même chose. L'imputation est l'attribution, non d'un fait, mais de la moralité du fait à un agent. On attribue un effet, on impute un crime. J'attribue à l'éruption du Vésuve la destruction d'Herculanum; je ne la lui impute pas. J'attribue à l'homme en démence le mal qu'il a fait dans sa fureur; je ne lelui impute pas. La cause contrainte et la cause nécessitée ne sont pas susceptibles d'imputation: il n'y a que la cause libre à laquelle on ait droit d'imputer ses actions. trouble; elle n'a droit de punir que ce qui la trouble librement. Eile enferme les fous, elle punit les coupables; ces deux idées sont essentiellement distinctes. Il n'est donc pas vrai que, de quelque source que partent les actions, la société soit en droit de les punir. D'après ce principe tout nouveau, la punition du délit involontaire serait aussi équitable que celle du crime prémédité; celle du malade on délire, que celle de l'homme sain; celle de l'insensé, que celle de l'homme jouissant de sa raison. En supposant tous les actes humains nécessités, la société n'a surses membres d'autre droit que celui qu'elle a sur les fous; son pouvoir se borne à les mettre hors d'état de nuire: le législateur qui ordonnerait quelque chose au delà seraitaussi déraisonnable, aussi inique, aussi barbare, que celui qui infligerait des peines aux malheureux privés de raison; il serait aussi ridicule que ce Xercès, qui faisait fouetter la mer, pour la punir du malheur de sa flotte. VII. La comparaison du législateur qui dicte des lois pour le maintien de l'état politique, avec l'architecte qui pose des gouttières pour prévenir la dégradation de la maison, est de la dernière absurdité. L'un parle à des êtres doués de raison, l'autre construit une machine matérielle: l'un engage par des motifs moraux, l'autre nécessite par des moyens physiques. Le citoyen qui n'obéit pas à la loi mérite punition : si la comparaison est juste, il faudra donc aussi punir la gouttière, quand elle sera dérangée, et aura laissé aux eaux un écoulement dangereux. Il en est de même de l'autre comparaison de la législation pour prévenir les crimes, avec les moyens employés pour préserver un champ de l'inondation. Qu'un homme méchant, rompant la digue qui garantissait un pays, le submerge sous les eaux d'un fleuve, il aura, selon nos adversaires, été aussi nécessité à co qu'il a fait, que le fleuve à se déborder: il faudra donc, pour se conformer à l'équité, les traiter également: il faudra, ou purir l'homme et le fleuve, ou ne punir ni l'un ni l'autre, des dévastations dont ils auront été conjointement et pareillement les causes nécessitées. VIII. La société, dit-on, a droit de punir ceux sur qui les motifs assez puissants pour agir sur des êtres raisonnables, n'ont pas eu assez de force pour vaincre les impulsions de leur nature dépravée. Sur cela, je ferai deux réflexions: 1o c'est convenir formellement que des motifs assez puissants pour agir sur des êtres raisonnables, manquent quelquefois d'efficacité; qu'il n'y a donc pas entre ces motifs puissants et la détermination de l'être raisonnable, une connexion nécessaire. Ou les motifs de la loi nécessitent la volonté à l'observation; dans ce cas, la punition ne pouvant pas avoir lieu, la menace est inutile et absurde: ou les motifs ne nécessitent pas la volonté, et alors l'homme est libre. 2o C'est une injustice révoltante de punir un homme, parce qu'il n'a pas déféré à des motifs trop faibles pour vaincre les impulsions de sa nature dépravée. Ces motifs, qui pouvaient être puissants pour d'autres, étaient impuissants à son égard: la société a donc eu un premier tort de ne pas lui en présenter de plus forts; elle en a un second plus grave encore, quand elle lui inflige des supplices, pour n'avoir pas cédé à des motifs qu'elle-même avait rendus inefficaces; pour avoir fait ce qu'il était nécessité à faire. Dans les principes du fatalisme, le criminel ne mérite pas plus la punition que la boule qui, recevant deux impulsions contraires et inégales, cède à la plus forte. VI. On confond ensuite, et c'est le vice principal de tous les raisonnements de l'objection, la punition et la prohibition. La société a droit d'empêcher tout ce qui la (57) Système de la nature, tome I, chapitre 12. Considérons quel est l'objet de la sanction des lois humaines. Ce n'est pas tant pour punir le coupable qu'elles lui décernent des châtiments, que pour empêcher d'autres personnes de devenir coupables. Le but principal, selon tous les jurisconsultes et les philosophes, même, selon quelquesuns, le but unique de la législation pénale est de donner des exemples qui effraient et qui retiennent ceux qui seraient tentés du même crime. Mais les exemples de scélérats punis ne peuvent influer que sur des volontés libres: le supplice de dix assassins n'aura aucune force contre la nécessité qui contraint un homme à l'assassinat. On fortifie encore ce raisonnement, en disant que c'est un homme dont le cerveau est troublé : les menaces de la loi, les punitions infligées d'après la loi, sont-elles capables de raccommoder une organisation mal arrangée ? IX. Revenons donc aux véritables prin. cipes, et concluons. Dans le système de la fatalité, toute législation est absurde: le précepte de la loi est sans objet sur des êtres nécessités à faire ou la chose ordennée, ou la chose contraire: la sanction de la loi, sans utilité pour l'individu, sans force pour l'exemple, n'est qu'une barbarie sans justice. Au contraire, la totalité de la législation repose sur la doctrine de la liberté humaine. Le précepte de la loi suppose que l'homme est libre de l'observer; la sanction de la loi suppose qu'il est libre de l'enfreindre. DISSERTATION SUR LA LOI NATURELLE. CHAPITRE PREMIER. NOTIONS. 1. Quand Dieu, par sa bonté, se déterminait à la création; quand il l'effectuait par sa puissance, il était nécessairement dirigé par sa souveraine sagesse. La sagesse, comme nous l'avons vu, consiste en deux choses: dans les fins qu'elle se propose et dans les moyens qu'elle emploie pour y parvenir. Ces moyens que Dieu donne à ses créatures, pour leur faire atteindre la fin à laquelle il les destine, sont des lois qu'il leur impose. Toute loi, de quelque genre qu'elle soit, est un moyen par lequel un ètre est dirigé vers sa fin. Telle est la notion générale du mot loi, pris dans son sens le plus étendu. Qu'on l'applique à toutes les espèces de lois, on en reconnaitra la justesse. Dans l'ordre physique, les lois du cours des astres, de la végétation, de l'organisation, etc., sont les moyens par lesquels les constellations, les plantes, les substances animales sont amenées à leur destination. Dans l'ordre civil, les lois sont (1) Ratio divinæ Isapientiæ moventis omnia ad rebitam finem obtinet rationem legis. Et secundum hoc, lex æterna nihil aliud est quam ratio divinæ les moyens qui font tendre les citoyens au bien de la société. Il en est de même, daus la littérature, des lois de la grammaire, de l'éloquence, etc. Elles ont pour objet de donner à l'écrivain la pureté du langage; à l'orateur, le talent de persuader. Dans l'ordre moral, les lois sont encore des moyens donnés à l'être susceptible de moralité, pour lui faire atteindre la fin pour laquelle il a été créé. Cette notion de la loi, en général, est conforme à celle que donne saint Thomas. Selon ce grand docteur, l'ordre de la divino Sagesse qui dirige tout vers une fin couvenable, a force de loi. En conséquence, il définit la loi éternelle, la raison de la divine Sagesse, en tant qu'elle dirige toutes les actions et tous les mouvements (1). Selon Montesquieu, les lois sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses, et dans ce sens, tous les êtres out leurs lois.... Il y a une raison primitive, et les lois sont les rapports qui se trouvent entre elle et les différents êtres, et les rap ports de ces divers êtres entre eux. Dieu a sapientiæ, in quantum est directiva omnium ac tionum ac motionum. (S. THOMAS, 12, qurol 83, art. 1.) |