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M. de Lameth présentait, le 20 août, un article commençant par ces mots : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. » M. de La Luzerne demandait que l'on ajoutât liberté civile, et une discussion sur la distinction du droit naturel et du droit civil s'engageait à ce propos. On repoussa l'amendement, car l'assemblée, qui était dans le faux, envisageait alors l'homme primitif des philosophes du xvun siècle, Thomme de la nature et en dehors de toute société, espèce d'animal qui n'a jamais existé.

M. de La Luzerne président de l'Assemblée constituante. - L'évêque de Langres porté à la présidence de l'Assemblée nationale entra en fonction le 31 août. Sur 809 votants, il

avait en 499 voix, et l'évêque d'Autun, Talleyrand Périgord, 228. La proclamation de C

l'élu fut applaudie. Il adressa ces paroles à l'Assemblée :

« Comblé de vos bontés, j'ose les implorer encore pour l'amour du bien public, pour le maintien de l'ordre; je réclame votre indulgence. Achevez votre ouvrage, soutenez nia faiblesse, et aidez-moi à supporter un fardeau que mes prédécesseurs m'ont rendu pénible. Concourons tous à ce grand ouvrage du bonheur public; que le zèle du bien nous réunisse, et que cette heureuse constitution soit non-seulement le fruit de vos lumières, mais encore de votre union et de votre concert. »

Hélas! autant ces vœux étaient sincères, autant leur accomplissement était improbable.

Comment il fut porté à la présidence. Nous devons expliquer les raisons et les circonstances qui portèrent M. de La Luzerne à la présidence, le second du clergé après M. Lefranc de Pompignan, archevêque de Vienne. Il ne marchait pas en général avec l'Assemblée et n'était même pas de la majorité de son ordre. Il obtint, malgré cela, plus du double de suffrages que l'évêque d'Autun, coryphée de la majorité.

Tous les partis rendaient hommage à sa capacité, à l'étendue de ses lumières, à la sûreté de son coup d'œil, au calme et à l'énergie de son caractère. Il ne fallait rien moins que toutes ces qualités pour présider une pareille assemblée, où s'agitaient les passions et les questions les plus brûlantes.

Et puis, dans les assemblées délibérantes, ceux que le courant entraîne plus loin qu'ils ne voulaient aller essayent quelquefois de lui résister ou de le remonter. La tournure prise par les discussions au sujet des biens de l'Eglise, les principes en vertu desquels on arrachait au clergé, comme de plein droit, ce qu'il pouvait à peine concéder pas un sacrifice volontaire et par tolérance, avaient peut-être fait réfléchir des députés trop peu fermes. En se rattachant à un homme aussi sage qu'inébranlable, ils pouvaient espérer de se retenir sur une pente trop rapide.

Mais cette élection fut d'ailleurs amenée par un concours de circonstances exposé dans le Moniteur du 28 au 31 août 1789. Je le cite sans qu'il soit besoin de prévenir que son autorité ne peut être invoquée que sur le fond des faits et en réservant toute appréciation.

Le projet du comité de constitution sur la division du corps législatif en deux chambres, ayant le vero l'une sur l'autre, le veto royal et le pouvoir attribué au monarque de dissou-dre à son gré l'assemblée des représentants, tous ces avantages réunis faisaient craindre aux patriotes qu'on ne tentat de donner au prince une prérogative plus redoutable que celle dont il avait joui jusqu'alors, et qu'on ne voulût consacrer le despotisme en lui imprimant le saint caractère de la loi.

Ce plan, développé dans les « Considérations sur les gouvernements » de M. Mounier, uvait révolté tous les ennemis de l'ancien système; mais les talents reconnus de l'auteur de cel ouvrage, et les services qu'il avait rendus à la chose publique, suspendaient leurs résolutions, et les engagèrent d'abord à le mitiger plutôt qu'à le combattre. Ils lui proposèrent donc de ze pas s'opposer à la sanction royale, et de voter pour les deux chambres, à condition que la seconde n'aurait que le « veto suspensif, » qu'on ne conférerait point au roi le droit de dissoudre l'assemblée, et que, par une loi fondamentale, on établirait des convocations nationales à des époques fixes, sur la réquisition des représentants, ou sur la demande des provinces, pour revoir la constitution et y faire tous les changements qui seraient jugés nécessaires. Mais M. Mounier étant demeuré inébranlable dans ses opinions, les amis de la liberté, convaincus qu'il fallait que la nation fût libre, et qu'elle ne pouvait le devenir par de tels moyens, jugèrent que celle considération devait l'emporter sur toutes les autres, et que toute voie d'accommodement étant fermée, il fallait traiter la question dans toute la rigueur des principes. De là une espèce de scission dans le parti des patriotes. L'influence de M. Mounier en entraina un grand nombre; et les aristocrates, sentant tout l'avantage qu'ils pouvaient retirer de ses idées sur la constitution, s'empressèrent de les adopter, les propagèrent avec zèle, et portèrent à la présidence Mgr l'évêque de Langres, ardent défenseur du système des deux chambres, en faveur duquel il avait écrit, méme avant la réunion des trois ordres (a). Voilà comment M. de La Luzerne parvint à la présidence. Pendant le peu de temps qu'il remplit cette fonction, les discussions de l'Assemblée furent dirigées avec sagesse et impartialité.

(a) Voyez le discours prononcé par Mounier, à la seance du 4 septembre, au rom du comité de constitution, Sur l'organisation du corps légistatif et la nécessité de la sanction royale.

Incident de la séance du 7 septembre. - Je ne puis omettre un curieux incident de la séance du 7 septembre; j'en emprunte encore le récit au Moniteur; il y a dans son langage un commencement du pathos conventionnel qui peint mieux que je ne saurais le faire les dispositions intimes de l'Assemblée. Il met d'ailleurs suffisamment en relief l'esprit d'à-propos et la politesse du président:

« M. le président demande audience pour des citoyennes qui viennent offrir leurs bijoux à la patrie. Elles entrent au milieu des applaudissements, en robes blanches, sans parure, sans faste, mais ornées de cette belle simplicité qui caractérise la vertu; ou plutôt elles sont parées du dépouillement de leurs joyaux et du sacrifice qu'elles en font'à la patrie.

<< M. le président observe que la politesse française exige qu'elles soient reçues dans l'enceinte: on leur présente des siéges et l'huissier leur donne la main.

« M. Bouche est leur organe, et lit de leur part le discours suivant :

« La régénération de l'Etat sera l'ouvrage des représentants de la nation, et la libéra<< tion de l'Etat doit être celui du patriotisme.

« Lorsque les Romaines firent l'hommage de leurs bijoux au sénat, c'était pour lui << procurer l'or nécessaire à l'accomplissement du vœu fait à Apollon par Camille, avant « la prise de Véies. Les engagements contractés envers les créanciers de l'Etat sont << aussi sacrés qu'un vœu. La dette publique doit être scrupuleusement acquittée, mais « par des moyens qui ne soient pas onéreux au peuple.

<< C'est dans ces vues que des femmes d'artistes viennent offrir à l'auguste Assemblée natio<<nale des bijoux qu'elles rougiraient de porter, quand le patriotisme encommande le sacrifice. << Eh! quelle est la femme qui ne préférera l'inexprimable satisfaction d'en faire un si « noble usage, au stérile plaisir de contenter sa vanité ?

<< Notre offrande est de peu de valeur; mais dans les arts on recherche plus la gloire << que la fortune. Notre hommage est proportionné à nos facultés et non aux sentiments « qui nous l'inspirent.

<< Puisse cet exemple être suivi des citoyennes dont les fortunes sont supérieures aux a nôtres!

« Il le sera, Messeigneurs, si vous daignez établir, dès à présent, une caisse nationale « pour recevoir tous les bijoux et toutes les sommes dont le fonds sera destiné à l'acquit< ment de la dette publique. »

M. LE PRÉSIDENT. « L'Assemblée nationale voit avec une vraie satisfaction les offres gé«néreuses auxquelles votre patriotisme vous détermine. Puisse le noble exemple quo << vous venez de donner propager le patriotisme, et trouver autant d'imitateurs qu'il trouvera d'approbateurs! Vous serez plus ornées de vos vertus et de vos privations,que << des bijoux dont vous venez faire le sacritice à la patrie.

«L'Assemblée nationale s'occupera de votre proposition avec tout l'intérêt qu'elle inspire.» ✓ Le discours et la réponse sont vivement applaudis.

« Un membre propose qu'en votant des remerciements pour ces dames, on leur permette de porter une marque distinctive.

<< Cette motion n'a pas de suite.

« La plus jeune de ces citoyennes porte sur le bureau une cassette qui renferme leur offrande. Le bureau devient en ce moment le véritable autel de la patrie, où des femmes immolent l'idole des femmes, l'amour de la parure. >>>

La paix règne dans les colonnes du Moniteur jusqu'au 9 septembre. M. le président avait résumé le 8 toutes les questions auxquelles se réduisaient la permanence de l'Assemblée, l'organisation du pouvoir législatif et la sanction royale. Ces questions étaient si nombreuses qu'on en rejeta la série, et l'on tâcha d'en réduire le nombre. Les quesLions suivantes présentées par M. Camus furent adoptées : 1o L'Assemblée nationale sera1-elle permanente ou périodique? 2o Y aura-t-il une ou deux chambres? 3o La sanction royale aura-t-elle lieu ou non? 4° Sera-t-elle suspensive ou pure et simple?

Tumulte soulevé par Mirabeau.

On vote pour la permanence de l'Assemblée, et on allait passer à la question suivante quand Mirabeau se lève et dit : « Attendu que l'Assemblée nationale a décrété qu'elle serait perpétuelle, qu'il est décidé qu'il y aura une assemblée toujours permanente et qu'il est jugé par là qu'il n'y aura pas deux chambres, il n'y a pas lieu à délibérer. » Une grande rumeur s'éleva dans la chambre à cette motion inattendue. M. de La Luzerne la prévit grosse d'orage et leva la séance.

Le tumulte recommence le 9 septembre. - Le lendemain 9, on s'insurgea contre la surprise au moyen de laquelle Mirabeau essayait d'enlever l'unité d'assemblée. Et cette question n'avait-elle pas été en effet distinguée? Pouvait-on prétendre avec une ombre de bonne foi que l'Assemblée, en votant la permanence, avait eu en vue de voter l'unité, parce qu'au jugement de M. Mirabeau, l'une découlait de l'autre ? M. le comte de Virieu, ne pouvant contenir son indignation contre un tel procédé, s'écrie: Faut-il donc qu'une assemblée nationale soit emportée par des démagogues et une fougue populaire! Non, Messieurs, f..... Mille voix s'élèvent, le désordre est à son comble, M. de La Luzerne montre le règlement. Il obtient à grand'peine quelques intermittences dans le tumulte. L'assemblée est près de se dissoudre. Le président l'arrête: Faut-il donc, dit-il, perdre de vue les grands objets qui nous occupent pour nous livrer à des personnalités? Il déclere ensuite qu'i a trouvé une des expressions de M. de Virieu trop forte. Il met aux voix la motion de Mirabeau; elle est rejetée: Les uns réclament aussitôt le vote sur l'unité du pouvoir lé gislatif, les autres s'y opposent. Les premiers insistent avec force et somment le présisident de poser la question. Lally-Tollendal demande la parole: on la lui refuse. Le président pose la question, y aura-t-il une ou deux chambres? Le trouble recommence avec les objections. On accuse le président d'avoir fait prier par un huissier Lally-Tollendal de monter à la tribune. Un député somme M. de La Luzerne de déclarer s'il n'est pas las de fatiguer l'assemblée. Le président est offensé, il convoque l'assemblée en bureaux pour nommer un autre président, lève la séance et se retire. L'assemblée reste immobile. M. de Clermont Tonnerre, comme ancien président, monte à la tribune, défend la conduite de M. de La Luzerne et condamne le député qui a manqué de toute convenance à son égard, l'assemblée applaudit.

A la séance du 9 au soir on donne lecture d'une lettre de M. l'évêque de Langres où il prie l'assemblée de recevoir sa démission. On va aux voix; la démission n'est pas acceptée. M. de La Luzerne reprend ses fonctions de président le 12 septembre au soir. Mais dans cet intervalle, la séance du 10 avait fait évanouir une de ses dernières espérances fondées sur un système qu'il regardait comme une planche de salut, 499 voix contre 89 avaient voté pour l'unité de chambre. On comptait 122 voix perdues. Le 14 septembre, les quinze jours de présidence étant échus, M. de La Luzerne rentra dans son rang à l'assemblée.

Délibération sur l'hérédité du trône. - Le 15, la délibération sur l'hérédité du trône donne naissance à une motion qui avait pour but de faire exclure de la succession à la couronne de France la branche régnante en Espagne qui y avait renoncé par le traité d'Utrecht. « La solution de cette question, dit M. de La Luzerne pourrait donner à l'Europe une commotion générale. En admettant la branche d'Espagne au trône, ce serait mécontenter toutes les nations voisines, qui ne verraient pas sans crainte l'équilibre entre les puissances de l'Europe rompu. En déclarant la maison d'Espagne exclue, ce serait perdre le seul allié attaché à la France. Je pense donc qu'il n'y a lieu de délibérer. » L'assemblée partagea cet avis.

M. de La Luzerne défend en vain les prérogatives royales. - Elle décréta dans la séance du 23 que tous les pouvoirs émanant essentiellement de la nation, ne peuvent émaner que d'elle et que le pouvoir législatif réside dans l'Assemblée nationale. Ainsi tombaient pièce à pièce sous une force irrésistible l'édifice du pouvoir et les doctrines de l'évêque de Langres. Ainsi disparaissait avec elle à ses yeux toute chance d'ordre pour la France. Il demanda dans la séance du 29 septembre au soir que l'on accordât au roi, au pouvoir exécutif déjà si réduit, le pouvoir de faire des règlements administratifs, non pas seulement provisoires, mais définitifs. Sur ce point même l'opposition. fut grande et la question renvoyée à une époque ultérieure. Le lendemain on se hatait, malgré les observations du prélat qui assignait une autre place à ces débats, d'enlever au roi le droit de création et de substitution d'offices civils ou militaires pour investir de ce droit le pouvoir législatif, toutefois en soumettant ces actes à la sanction royale.

Il quitte l'assemblée après les 5 et 6 octobre. - Convaincu de l'inutilité de ses efforts pour sauver la patrie et de l'impossibilité de retirer la chambre de la route funeste où désormais elle était fatalement engagée, M. de La Luzerne quitta définitivement l'Assemblée. Cette détermination avait été résolue après les affreuses journées des 5 et 6 octobre où des milliers de brigands accourus à Versailles massacrèrent les gardes du roi, l'emmenèrent prisonnier dans Paris, tandis que l'assemblée continuait froidement ses délibérations. Pour M. de La Luzerne, le naufrage était commencé. Et si je puis employer une comparaison devenue vulgaire sans perdre sa justesse, le vaisseau de l'Etat battu par les vagues d'une tempête que nulle puissance humaine ne pouvait calmer, devait infailliblement s'en aller en débris. Il y avait alors moins de deux ans que M. de La Luzerne au point de départ de la convocation des états généraux s'était écrié: Tout va se perdre. Mandement à l'occasion des troubles du royaume. - Le 6 septembre, durant sa présidence, il s'était soustrait un instant aux travaux de l'Assemblée pour adresser au clergé de son diocèse un mandement à l'occasion des troubles du royaume. Il demande aux prètres d'employer leur influence salutaire à inspirer aux peuples la crainte de Dieu, l'obéissance au roi, la soumission à la loi nécessaire de l'impôt, en un mot les dispositions favorables à l'ordre et à la paix.

CHAPITRE V.

M. de La Luzerne à Clairvaux. - La paix! Elle n'avait pas été ravie sans doute au cœur du pontife. Les convulsions qui agitent le inonde troublent à peine la surface de l'ame vraiment unie à Dieu. Mais il est des peines, des angoisses, des abattements plus forts que la nature et qui tournent les aspirations de l'âme vers la solitude et les régions sereines où l'emporte la prière. M. de La Luzerne, en quittant Paris, vint frapper à la porte du monastère de Clairvaux, au milieu des moines, dans ces vallées ombreuses, sous les voûtes de cette chapelle et dans tous ces lieux encore pleins du souvenir de saint

Bernard, au delà du seuil où les bruits du monde expirent, il venait rafratehir son âme et la renouveler pour les prochains combats. Ces heures passées dans le silence claustral ne devaient être qu'une armistice; il fallait le lendemain recommencer la lutte. Et encore faut-il dire que l'agitation révolutionnaire troublait les asiles les plus retirés. Le décret du 10 février qui supprima les ordres religieux était déjà suspendu sur leur tête.

A une autre époque, saint Bernard avait vu des bouleversements politiques et des divisions sanglantes. Il avait lui aussi pris part aux grandes affaires de son siècle et reçu du ciel la mission de pacifier les peuples et de les protéger contre des doctrines antisociales. Ses restos sacrés durent parler éloquemment à l'athlète d'un autre temps.et les exemples de l'abbé, revivre aux yeux de l'évêque comme une lumière pour lui tracer la route. Le siècle, hélas! n'était plus le même. La parole de Jésus-Christ n'avait pas d'écho dans l'âme des philosophes qui foulaient aux pieds le pouvoir.

Instructions sur le Rituel de Langres. - M. de La Luzerne revint à Langres après avoir visité le château de Mussy, où des ouvrages importants donnaient à des ouvriers du travail et du pain. Il n'avait point négligé les projets formés au synode de 1783; il mit la dernière main aux Instructions sur le Rituel de Langres, qui parurent cette année même en un volume in-4° (a). M. Méquignon, produisit la deuxième édition dans le même format en 1818; Mgr Alfre, en 1835, lorsqu'il n'était encore que vicaire-général du diocèse de Paris, en donna une nouvelle, corrigée, augmentée d'un grand nombre de notes et en 3 volumes in-12. Il existe une traduction italienne des Instructions en 6 volumes; on la doit à M. l'abbé Pietro Pianton, dont nous parlerons ailleurs.

Il faut conclure de ces faits que si les Instructions contenaient des décisions peu exactes et quelques principes sujets à difficulté, elles étaient néanmoins un bon et savant ouvrage. M. Affre, juge compétent, les qualitiait excellent résumé de théologie et de discipline ecclésiastique, concernant les sacrements, les censures et la conduite des clercs. Le rédacteur de l'Ami de la religion et du roi releva les taches principales que l'on y remarquait. Ses observations ont été insérées dans les notes des éditions subséquentes. Mais il rendait sincèrement justice à l'incontestable mérite de cette solide composition.

Catechisme.-M. de La Luzerne revit aussi le catéchisme du diocèse de Langres publié par un de ses prédécesseurs, M. de Pardaillain de Gondrin d'Antin (b).

Situation du diocèse en 1790.- Pour l'intelligence des faits qui vont suivre, je dois rappeler ici la situation où se trouvait alors le diocèse de Langres, à raison des décrets de l'Assemblée nationale.

La France, par le décret du 28 janvier 1790, fut divisée en 83 départements. Langres, Chaumont, Joinvillle, Wassy, Saint-Dizier étaient compris dans celui de la Haute-Marne dont le chef-lieu fut établi à Chaumont. Le département se divisa en six districts. De nouvelles municipalités furent organisées. L'Assemblée, après avoir décrété dès le 4 novembre 1789 que tous les biens ecclésiastiques appartenaient à la nation, supprimé les ordres religieux le 13 février 1790 et détruit les chapitres, décida le 7 juillet, de sa propre autorité et sans le concours du Pape, qu'il n'y aurait plus en France que 10 archevêchés et 73 évéchés dont la circonscription territoriale serait celle des départements. L'évêque de Langres devenait ainsi évêque de la Haute-Marne. Tout le lien des évêques avec le Pape consistait à reconnaitre au successeur de saint Pierre une primauté d'honneur et à lui écrire, en prenant possession des siéges épiscopaux, qu'ils étaient de sa communion.

L'évêque était pasteur immédiat de l'église cathédrale devenue paroissiale; il la desservait avec des vicaires qui formaient son conseil, et sans l'avis desquels il ne pouvait faire aucun acte de juridiction. Les curés choisissaient leurs vicaires sans avoir besoin de l'approbation de l'évêque.

Pie VI, dans un bref à Louis XVI en date du 10 juillet, lui rappela l'autorité de l'Eglise renversée par la constitution. Mais ce prince n'était en quelque sorte plus maître de ses actes, et le 24 août il apposa son sceau à la constitution schismatique. L'épiscopat s'unit an Saint-Siége pour la condamner. Le schisme se déclara nettement après le 29 novembre, quand l'Assemblée eut exigé le serment de fidélité à la constitution de la part de tous les ecclésiastiques qui occupaient une charge dans le royaume. La place de ceux qui le refuseraient serait considérée comme vacante.

Conduite de l'évêque de Langres. - Durant ce laps de temps, quelle fut la conduite de l'évêque de Langres relativement aux circonstances politiques? Le 14 juillet 1790, tandis

(a) Il a été imprimé à Besançon, sans date. On fixe ordinairement sa publication à 1786; mais c'est

une erreur.

(b) Ou connaît les anciens catéchismes suivants du diocèse de Langres: 1. Grand catéchisme de Sébastien Zamet, qu'il fit imprimer en 1621, et dont il prescrit l'usage au synode de cette année; 2° le Grand catéchisme du diocèse de Langres, dressé par M. Gautier, grand vicaire et prévôt de la SainteChapelle du roi à Dijon; Dijon 1664; 5o Deux imprimés, par M. de Clermont-Tonnerre : Le Grand catéchisme de Langres, un autre plus abrégé et un Petit catéchisme publiés en 1751 par M. d'Antin; 1. Le Catéchisme revu par M. de La Luzerne avec les instructions de M. de Montmorin sur la confirmation. M. d'Orcet le réédita et Mgr Parisis n'y a fait que de légers changements.

que

que l'anniversaire de la prise de la Bastille était célébré par la fête de la Fédération, tandis que le prélat patriote Talleyrand Périgord montait à l'autel au Champ-de-Mars, les gardes nationales du district de Langres, qui avaient député vingt des leurs à Paris, célébraient le même anniversaire au champ de Navarre, et M. de La Luzerne y offrait à Dieu l'auguste sacrifice, mais sans doute avec des sentiments bien autres que ceux de Talleyrand. Nous voyons dans cet acte le même esprit de conciliation qui porta le clergé en 1848 à prendre part à des fêtes civiques qui n'avaient rien de mauvais en elles-mêmes, et pour lesquelles on demandait la bénédiction de l'Eglise. Quatre bataillons de la garde nationale occupaient le champ de Navarre, et au centre du carré qu'ils formaient, l'autel s'élevait entouré du clergé et des autorités de la ville.

Constitution civile du clergé. - L'avant-veille de la fédération, l'Assemblée nationale avait décrété la constitution civile. Cette charte fit horreur au clergé de France, sauf aux meinHires laches, ignorants ou gangrenés. Le 30 octobre parut l'Exposition des principes par les évêques députés à l'Assemblée nationale. Bientôt 110 évêques de France, ou dont le diocèse s'étendait sur le territoire français, souscrivirent à ce jugement que l'on put regarder comme celui de l'Eglise gallicane. Il y manque la souscription de quatre évêques; mais cette défection quoique lamentable ne détruisait pas la valeur de cette profession de foi, conforme aux doctrines de M. de La Luzerne. Il y adhéra pleinement et invita son chapitre à l'imiter. Quoi de plus beau que l'extrait suivant du registre des délibérations de ce corps vénérable?

Union de l'évéque et du chapitre contre la constitution. - « Nous doyens, chanoines et chapitre de Langres, capitulairement assemblés, extraordinairement et ostiatem à l'issue des complies, le mardi 23 novembre 1790: après avoir pris communication d'une Exposition des principes sur la constitution du clergé par les évêques députés à l'Assemblée nationale, qui nous a été donnée par notre évêque, et de son projet d'adhésion à ces principes dont suit la teneur :

« César-Guillaume de La Luzerne, par la miséricorde divine et la grâce du Saint-Siége apostolique, évêque de Langres.

< Après avoir examiné et médité devant Dieu l'Exposition des principes sur la constitution du clergé par les évêques députés à l'Assemblée nationale, nous déclarons que nous avons reconnu dans cet ouvrage les principes sacrés qui ont été persévéramment et universellement enseignés dans l'Eglise catholique, principes sur lesquels reposent le dogme précieux de l'apostolicité du ministère ecclésiastique et les droits irréfragables de la puissance spirituelle. En conséquence, après avoir imploré les lumières du SaintEsprit et en avoir conféré avec nos vénérables frères les doyens, chanoines et chapitre de notre église cathédrale, nous adhérons purement et simplement à la die Exposition et nous nous réunissons de cœur et d'esprit aux respectables prélats qui l'out rédigée, voulant que notre signature apposée à la présente adliésion soit pour les peuples contiés à notre sollicitude, pour les vertueux coopérateurs associés à nos fonctions saintes, pour nos vénérables collègues dans l'épiscopat, pour l'Eglise universelle un témoignage de notre soumission à la foi catholique, de notre attachement à l'unité de l'Eglise et de notre tidélité aux principes religieux qu'avec l'aide de la divine Providence nous professerons jusqu'à notre dernier moment.

Fait à Langres, le 23 novembre 1790, sous notre seing et le contre-seing de notre

secrétaire.

Et plus bas :

« Signé: † C. G., év. de Langres.

• Par ordonnance: GARNIER."

« Nous avons tous de concert béni le ciel d'avoir donné à ces illustres évêques l'utile et sainte pensée de dresser dans ces circonstances difficiles un corps de doctrine autour duquel puissent se rallier les ministres et les peuples, et d'avoir inspiré à notre Prélat respectable la généreuse résolution d'adhérer par un acte public à ce monument précieux pour le maintien de la foi et de l'unité de l'Eglise. Nous reconnaissons dans son acte d'adhésion le zèle des apôtres, le langage des, Pères, le courage des saints confesseurs, et dans l'exposition des principes qu'il professe avec les évêques députés la foi de l'Eglise universelle et celle de notre Eglise particulière. Ces principes seront pour nous, au milieu de l'orage dont le vaisseau de l'Eglise se voit menacé, comme une ancre ferme à laquelle nous jurons de demeurer constamment attachés. Nous regardons comme notre devoir d'y adhérer publiquement avec notre digne chef, et d'une voix unanime Hous joignons notre adhésion à la sienne, résolus comme lui avec l'aide de Dieu d'y persévérer jusqu'à la mort.

a Fait et délibéré et signé en chapitre les jour, mois et an que dessus, par tous les membres composant ledit chapitre.

«Signé: PETIT, trésorier président.

• Pour copie conforme : LEBOULLEUR, prélre, chanoine secrétaire. .

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