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Lutte entre l'évêque et l'assemblée administrative du département - M. Becquey. - Un duel allait s'engager nécessairement entre l'évêque défenseur par droit et par devoir de l'Eglise dont il est le chef et les administrateurs du département qui recevaient les ordres du pouvoir central. A la tête de l'assemblée, ou du moins à côté du président apparaît le procureur général syndic qui représentait le pouvoir exécutif, quoiqu'il fût élu comme les autres membres de l'administration. C'était M. Louis Becquey, dont la vie politique a été retracée dans un panégyrique publié en 1852 par M. Beugnot, sous ce titre: Vie de Becquey, ministre d'Etat et directeur général des ponts et chaussées et des mines sous la Restauration. M. Beugnot a passé complétement sous silence la vive et intéressante polémique qui s'éleva entre M. de La Luzerne et M. Becquey. Il avait les plus respectables motifs de jeter un voile épais sur le rôle de ce dernier; ce rôle ne cadre point avec les éloges que son illustre biographe voulait lui donner. Mais nous n'avons, quant à nous, aucune raison de dissimuler la vérité que l'on est en droit d'exiger de l'impartiale histoire.

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M. Becquey ne se contenta pas de remplir purement et simplement ses fonctions de procureur général syndic. Il semble que les lauriers de tant d'autres procureurs généraux l'eussent empêché de dormir. Il descendit dans la lice en jurisconsulte, en canoniste et en théologien improvisé; il motiva publiquement dans des lettres volumineuses à l'évêque de Langres, plusieurs décrets de l'assemblée administrative.

Résistance du chapitre. - Les chanoines de Langres, qui considéraient comme nul de plein droit le décret du 12 juillet 1790, par lequel l'Assemblée nationale avait prétendu les supprimer, continuaient leurs fonctions canoniales, disposés à ne céder qu'à la force. M. Becquey les dénonça à l'Assemblée administrative le 1" décembre, an II de la liberté, et requit les magistrats de délibérer sur les moyens de faire cesser cette infraction à la loi. Il signalait en même temps d'une manière générale d'autres ecclésiastiques également coupables. On arrêta qu'on notitierait aux bénéficiers, par l'intermédiaire des directoires de district, la défense de continuer l'exercice de leurs charges, désormais anéanties, et de se réunir à cet effet. A la diligence du procureur général, la délibération serait expédiée à toutes les municipalités pour être lue aux prônes des paroisses. Or les considérant de l'arrêté fournissent un aperçu de l'ignorance des matières ecclésiastiques et canoniques dans laquelle MM, les administrateurs, et en particulier M. Bесquey, étaient pleinement ensevelis (a).

L'évêque défenseur du chapitre. - En conséquence de cette décision les commissaires du district de Langres invitèrent M. de La Luzerne à concourir aux opérations ordonnées par l'instruction du comité d'aliénations ecclésiastiques, à fournir l'état des ornements, vases sacrés et autres objets consacrés au service du culte dans l'église Saint

(a) L'Assemblée considérant: 1° Que si elle gardait le silence sur l'inexécution des décrets de l'Assemblée nationale, et en particulier ceux relatifs au clergé, les ennemis de la révolution, ces hommes qui ne désirent que les troubles et les désordres, ne manqueraient pas de chercher à tromper les peuples par de fausses insinuations, et à inspirer des doutes sur l'obéissance que les ecclésiastiques doivent aux lois de l'empire: comme si tout ce qui est dans l'Etat n'était pas nécessairement soumis aux lois de l'Etat: comme si une nation souveraine n'avait pas le droit de supprimer tous ceux des offices ecclésiastiques qui sont inutiles au culte; de réduire les ministres de la religion au nombre nécessaire, de fixer les limites dans lesquelles ils doivent exercer leurs fonctions, et de déterminer leur traitement, amsi que celui des autres fonctionnaires publics;

2. Que c'est de la fidèle exécution des lois, que dépend le maintien de la constitution; et que le bonheur des peuples est fondé sur le principe de la soumission de tous à la loi, principe qui fait céder tous les intérêts particuliers à la volonté générale, garantit les droits de la nation et du citoyen, et assure l'ordre de la société : que, d'ailleurs, si on laissait plus longtemps des prêtres, dont le caractère est par lui seul imposant, donner l'exemple de l'insubordination, cet exemple dangereux pourrait avoir des suites funestes, et servir de prétexte à d'autres infractions qu'il est de la sagesse de l'administration de pré

yenir;

3. Que c'est surtout au moment où une nation se régénère et organise les différents offices publics, qu'il faut s'opposer soigneusement à ce qu'on n'en exerce d'autres que ceux admis par la constitution, sans quoi on verrait s'etablir la confusion des pouvoirs, l'ancien régime subsister en partie, et les ennemis de la révolution garder l'espoir de le faire renature en entier;

4. Que parmi les bienfaits qu'assure la nouvelle constitution de la France, on doit surtout compter le rétablissement de la discipline de la primitive Eglise et la réforme des abus de tout genre qui s'étaient successivement introduits dans le régime du clergé, abus qui avaient accumulé les richesses dans les mains des bénéficiers, pour la plupart sans fonction, ou que ces mêmes richesses détournaient de leur devoir; tandis que les pasteurs utiles, ces vrais apotres de la religion, ces ministres de paix, ces consolateurs des malheureux et de l'indigent, recevaient à peine de quoi pourvoir à leurs premiers besoins;

Considérant, enfin, que c'est un bien inappréciable pour la nation, d'ètre rentrée dans l'exercice du droit d'élire aux places ecclésiastiques, comme à toutes les autres, puisqu'on ne verra plus la faveur et l'intrigue, mais bien le choix libre des citoyens, porter aux diguntés de l'Eglise les plus dignes de la confiance publique; qu'ainsi, les ecclésiastiques qui se seront appliqués à la mériter recevront le prix de leur zele et de leurs vertus, et que l'interèt du peuple, celui de la religion et de ses ministres, demandent également la très-prompte exécution du cecret sur la constitution civile du clergé.

Arrête, etc,

Mammès, devenue paroissiale aux yeux de la loi. L'évêque déclara que cet acte supposait la destruction du chapitre de la cathédrale et la substitution d'une paroisse au chapitre; qu'il fallait, pour opérer ces changements, l'autorité spirituelle du Souverain Pontife, dont il attendrait la décision, réclamée d'ailleurs par le roi lui-même.

Destruction violente du chapitre. - Les commissaires se transportèrent alors à la cathédrale, où ils trouvèrent les cy-devant chanoines assemblés en la chambre cy-devant capitulaire, auxquels ils firent part de leur mission; il leur fut répondu par le cy-devant trésorier (je me dispenserai dans la suite de ces ridicules ci-devant) que le chapitre ne pouvait coopérer à sa propre destruction; établi par l'Eglise, il ne pouvait être aboli que par'elle; c'est à lui que l'administration du diocèse était confiée dans la vacance du siége; il trahirait son devoir s'il exposait le troupeau à demeurer sans gouvernement, ou s'il abandonnait comme conseil épiscopal ses fonctions et sa dignité. >>>

Les commissaires se retirent. Le syndic du directoire demanda à l'évêque s'il était vrai que MM. les curés de Saint-Pierre et de Saint-Amâtre (a) eussent différé de lire au prone les décrets sur l'organisation du clergé, et que dans la sacristie d'une église de la ville on ent au contraire donné lecture de l'Exposition des principes sur la constitution, lecture qui aurait été suivie d'adhésions. M. de La Luzerne répondit que ces faits s'étaient passés par son ordre en suivant l'invitation qu'il en avait faite. Un décret du 2 novembre dispensait les curés de continuer à lire au prône les décrets de l'Assemblée nationale, et la constitutior: prétendue civile du clergé ne pouvait être publiée avant que la puissance spirituelle ne lui eût accordé la consécration. Pour la lecture de l'Exposition des principes, rien ne s'y opposait, puisque l'Assemblée nationale avait déclaré libres les manifestations de toutes les opinions. L'évêque priait enfin que l'on tournât sur lui l'animadversion que ces faits soulèveraient.

L'assemblée administrative, informée par le directoire de Langres, délibéra le 8 sur les procès-verbaux. Plusieurs membres, emportés par un zèle que M. Becquey dut réprimer, ne demandaient rien moins que la mise en accusation de l'évêque et des chanoines, comme coupables de lèze-nation ! Mais l'Assemblée reconnut que sous le prétexte d'attendre de Rome une réponse sollicitée du roi sur des matières purement temporelles, on violait les libertés gallicanes, et qu'on tendait à soustraire le clergé, classe de fonctionnaires publics, à l'autorité de l'Etat. Elle qualifia de torts, de délits on d'attentats contre l'ordre social les divers actes dont l'évêque se reconnaissait l'auteur; elle imputait de simples délits aux chanoines; elle reprochait enfin à l'évêque de manquer de cœur autant que de soumission en refusant opiniâtrément d'exercer les fonctions épiscopales dans les parties du département qui n'étaient pas de son ancien diocèse.

L'assemblée suspendit en conséquence le traitement de l'évêque et des chanoines, sauf leur recours à l'Assemblée nationale; elle les menaça de les faire poursuivre comme perturbateurs du repos public, s'ils ne se désistaient de leur désobéissance; il fut enjoint au directoire de Langres d'apposer des scellés sur toutes les portes de la cathédrale en attendant que l'évêque eût organisé le clergé suivant la constitution; enfiu on expédiait les pièces de cette affaire au comité des recherches de l'Assemblée nationale et la délibération aux municipalités qui la feraient lire aux prônes des paroisses. Le dimanche 12 décembre, à l'issue des vêpres, les ordres du directoire furent signifiés au chapitre. Ceux qui devaient les exécuter ne pouvaient craindre aucune résistance de MM. les chanoines: cependant ils s'étaien formé un cortége de misérables, tirés des faubourgs de la ville, et qui représentaient sans doute le peuple souverain. Le chapitre fit ses protestations. Les portes de la cathédrale furent fermées et l'on y plaça des gardes nationaux en sentinelles. On expulsa si précipitamment MM. les chanoines qu'ils n'eurent pas le temps d'enlever de l'autel le saint sacrement. Ce n'est que trois jours après et en cédant à de vives instances, que l'on autorisa un prêtre sacristain du chapitre à pénétrer dans l'église. Il s'y rendit revêtu du surplis et de l'étole, il en retira le saint ciboire et le porta sans solennité à la chapelle de l'hôpital Saint-Laurent.

Ainsi disparaissait cet antique et illustre chapitre qui avait vu sortir de son sein des Papes et des cardinaux, un grand nombre d'évêques et de personnages distingués par ta science et la sainteté (b). Ainsi s'écroulait une des gloires de Langres, une institution à laquelle cette ville devait presque toutes ses fondations d'instruction et de charité.

Lettre à MM. les administrateurs. La délibération du 8 décembre fut notitiée ১ M. de La Luzerne. Le 20 décembre il y répondit par une Lettre à MM. les administrateurs du département de la Haute-Marne, 62 pages in-4°. Après avoir exposé et prouvé les principes généraux sur l'autorité et l'indépendance de la puissance spirituelle, il passe à leur application et montre que les décrets invoqués contre lui et son clergé empiètent sur la puissance spirituelle, puisqu'ils touchent à la mission en vertu de laquelle le prêtre enseigne; à la juridiction en vertu de laquelle il absout. Sur le terrain de l'histoire, il établit que jamais aucun prince catholique n'a fait sans le Pape ce que l'Assemblée nationale a osé. Si des capitulaires portent sur des objets de l'ordre spirituel, c'est qu'ils

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(a) Saint-Pierre.

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(b) Voy. Hommes illustres du diocèse de Langres, par Charlet, chanoine de Grancey, me partie, mss.

émanent des conciles ou ne font que sanctionner des décrets eclésiastiques antérieurs.

M. de La Luzerne repousse vivement la qualification de puissance ultramontaine donnée à la papauté, et il proteste que les défenseurs les plus zélés des libertés gallicanes n'en ont pas moins manifesté leur attachement et leur soumission à la chaire de saint Pierre. A l'outre-cuidante parole de ses adversaires, il oppose le magnifique témoignage de Bossuet dans le sermon sur l'unité de l'Eglise.

Il insère article par article, dans son plaidoyer, la délibération des administrateurs et ne laisse aucune des assertions sans les pulvériser. Il invoque contre eux cette liberté illusoire proclamée dans la charte et les ramène à une plus exacte interprétation des décrets au nom desquels ils ont lancé leur condamnation. La lecture de ces pages pent seule donner une juste idée de la supériorité des lumières de l'évêque et de son admirable talent comme dialecticien. On a dit avec raison que cette controverse était un combat de pigmées contre un géant. Du reste, dans cette polémique où la modération et la raison ne sont que du côté de M. de La Luzerne, il sait parfaitement se poser en évêque plutôt qu'en accusé, et il dit avec infiniment de convenance et de dignité à ses accusateurs qu'il leur fait selon son devoir une leçon de catéchisme.

M. Becquey argumente contre M. de La Luzerne. - Le 8 janvier 1791, M. Becquey communique au directoire du département la lettre de l'évêque; il argumente contre elle d'une manière incroyable. Il faut citer au moins la thèse générale: On n'a jamais regardé et on ne peut regarder comme spirituel dans l'Eglise que ce qui intéresse le dogme et la foi; tous les autres objets ne concernent que la discipline extérieure; ils sont par conséquent temporels. » M. Becquey fait bon marché des questions de morale et de juridiction: ce qui touche par un pointau temporel est temporel: Risum teneatis. Il obtint facilement du directoire un arrêté qui improuve la lettre, interdit à lévêque de publier de pareils principes et dénonce l'écrit à l'Assemblée nationale et au roi.

Lettre de M. de La Luzerne à M. Becquey. - M. de La Luzerne répondit à ce nouvel acte par une lettre à M. Becquey datée du 19 janvier. Après avoir dévoilé la fausseté du principe général énoncé dans son réquisitoire, il lui démontre quela constitution du clergé blesse le dogme lui-même, en suposant, par exemple, que la juridiction spirituelle ne vient pas de l'Eglise. Il termine en défendant le courage héroïque des évêques de l'Assemblée nationale contre les outrages du syndic, et il repousse avec une noble indignation l'accusation qui le représente comme perturbateur du repos public. Ceux-là méritent ce titre qui plongentia France dans un schisme désastreux.

Lettre de M. de La Luzerne aux municipaux de Langres. - Les délais fixés pour la prestation du serment que la loi avait imposé aux ecclésiastiques expirait. M. de La Luzerne crut devoir avertir de ses intentions à cet égard les municipaux de la ville de Langres, et il leur adressa dans ce but une lettre en date du 27 janvier. Il exprime d'abord le regret de ne pouvoir parler à son troupeau dans cette cathédrale fermée depuis le dimanche soir 12 décembre 1790, par l'ordre de l'administration départementale. Il résume ensuite les motifs qui ne lui permettent pas de jurer fidélité à la constitution. Il avait prêté l'année précédente le serment civique; mais celui-là ne renfermait ni le schisme, ni l'hérésie. Il le prêterait encore et il s'offrait à prononcer celui qui avait été proposé par l'Assemblée nationale: « Je jure de veiller avec soin sur les fidèles dont la conduite m'a été ou me sera confiée par l'Eglise; d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir en ce qui concerne l'ordre public la constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi, exceptant formellement les objets qui dépendent essentiellement de l'autorité spirituelle. »

M. de La Luzerne déclarait ensuite que le refus de prêter l'autre serment ne pouvait nullement entraîner sa destitution: et il écrivait ces paroles qu'il nous importe de recueillir: « Je vous le déclare donc, Messieurs, de la part de Dieu, quelque événement qui arrive, je serai toujours votre évêque et votre seul évêque. Elevé canoniquement sur le siége de cette ville, je ne puis en être dépossédé que de deux manières, ou par la puissance qui m'y a placé, ou par ma propre démission volontaire et formelle. La puissance temporelle n'a donc le droit ni de me destituer, ni de me considérer comme démis. L'Eglise ne m'a point dépouillé de mon titre et je ne veux pas m'en démettre parce qué je ne le dois pas. »

Dans ces termes où il reconnaît qu'il peut être dépossédé de son siége par la puissance qui l'y a placé, nous pouvons pressentir les dispositions d'obéissance envers le SaintSiége qui détermineront en 1802 l'évêque de Langres à remettre sa démission aux mains de Pie VII. En effet il suppose, ce me semble, qu'il ne croyait pas impossible qu'une autorité souveraine et visible exigeât de lui l'abandon de son siége en lui retirant sa juridiction. Nous verrons tout à l'heure quelles furent les suites du refus de serment. M. Becquey rappelle en ce moment notre attention.

Lettre de M. Becquey à M. de La Luzerne. - Il répondit le 4 février par un opuscule sous la forme d'une lettre à celle que M. de La Luzerne lui avait adressée le mois précédent. Le ton change et tourne à l'aigre. M. Becquey se déclare évêque; il va juger la doctrine même des évêques et défendre contre eux l'Eglise : « J'écris, dit-il, pour ma patrie, dont votre doctrine pourrait troubler le repos; j'écris pour la vérité; j'écris pour notre religion sainte, que le système de résistance, suivi par les évêques mettrait en danger si les peuples n'étaient éclairés sur les vrais motifs de cette résistance. » Trouvant qu'il n'a point fait assez de controverse théologique, il revient sur ses malencontreuses assertions relatives à la juridiction ecclésiastique, à la distinction du spirituel et du temporel. Il confond plus que jamais les concessions faites aux princes et au peuple par l'Eglise, dans des circonstances et des temps bien différents, avec les droits naturels de la puissance politique ou de la nation, et le pouvoir qui assure dans un Etat l'observation des canons par des décrets confirmatifs, avec le pouvoir qui a fait les canons eux-mêmes. Il ignore complétement la distinction du pouvoir d'ordre et du pouvoir de juridiction, ce qui lui permet d'établir que les intrus sont pasteurs légitimes. Tout ce fatras se compose de raisonnements boiteux, de citations altérées, de commentaires hasardés sur divers passages de l'Ecriture, et de vagues déclamations.

Réponse de M. de La Luzerne. Réquisitoire de M. Becquey. — C'est ce que mit dans tout son jour la Réponse de M. de La Luzerne en date du 7 mars, 33 pages serrées à deux colonnes. La lettre précédente datée du 4 février n'avait été remise au prélat que le 24 du même mois. Tandis que cette réponse était à l'impression, M. de La Luzerne recevait un nouvel arrêté du directoire départemental, en date du 4 mars, précédé d'un réquisitoire de M. Becquey. Le magistrat n'était plus un théologien, mais simplement un calomniateur oubliant jusqu'aux vulgaires convenances. Il accuse l'évêque de Langres « de prêcher sans pudeur la résistance aux lois de l'Etat, de chercher à tromper les fidèles pasteurs, d'attaquer sous le nom de la religion et par la voix de la conscience les droits imprescriptibles du peuple, mesure insidieuse et criminelle, employée dans tous les siècles par les factieux et les fanatiques, d'outrager là nation dans ses représentants et dans la personne du Roi, de publier un libelle incendiaire qui est un véritable délit national. » M. de La Luzerne se contenta d'ajouter un post-scriptum à la réponse du 7 mars. Il se borne à faire voir le caractère de cette diatribe, et il termine ainsi : « En voilà assez, Monsieur, pour vous prouver que votre dénonciation est également injuste et odieuse. Je pourrais relever toutes les phrases de votre violent réquisitoire, et vous prouver qu'elles sont toutes contraires à la vérité comme à l'honnêteté: je pourrais, reprenant les expressions injurieuses dont vous vous êtes servi, vous prouver que ce n'est pas à moi qu'elles doivent être appliquées. Mais ne craignez pas une récrimination indigne de moi. Je veux vous donner un exemple dont il eût été à désirer pour votre honneur que vous n'eussiez pas besoin. Puisse-t-il vous ramener à des sentiments plus modérés et à un ton plus convenable ! >>>

Réflexions sur la conduite de M. Becquey. - Ses aveux. - Nous devions exposer ainsi la progression des mesures violentes dont l'inévitable résultat sera le départ de l'évêque obligé, pour sauver sa tête, d'abandonner le diocèse que la force brutale lui arrache. Mais avant d'arriver au terme de ce drame douloureux, où la personne de M. Becquey ne reparaîtra plus, je dois dire que les événements de la révolution dessillèrent les yeux de ce magistrat réservé à une brillante carrière politique. S'il adopta des principes erronés, on ne le compta jamais parmi les persécuteurs qui ne reculaient pas devant l'effusion du sang pour les imposer aux autres. C'était simplement alors un de ces personnages dangereux, honnêtes hommes selon le monde, qui, par la modération avec laquelle ils appliquent des principes subversifs de leur nature, préparent les voies aux factieux qui en veulent toutes les conséquences. Il est rare que les révolutions soient uniquement le résultat d'un complot et d'un mouvement subit. Elles ne seraient presque pas possibles si les artisans de troubles n'avaient pour auxiliaires et pour pionniers des ambitieux et des dupes séduits par les mots sonores de réforme et de progrès.

M. Becquey revit plus d'une fois M. de La Luzerne en 1814 et en 1815. Il lui avouait alors ingenument qu'il avait autrefois agi en aveugle et par entraînement. Lui-même faisait une plaisante peinture du concile ridicule qui fabriquait les lettres à M. de La Luzerne. Ils étaient huit pour réfuter le prélat. Sept recherchaient à la sueur de leur front, dans les Pères et les collections historiques, des passages dont ils tordaient le sens et M. Becquey parachevait la rédaction.

Lettre aux électeurs de la Haute-Marne.

Tandis que l'évêque de Langres défendait sa conduite et celle de son clergé fidèle contre le directoire du département, il adressa aux électeurs de la Haute-Marne, sur le point de lui choisir un successeur en conséquence du refus de serment, une lettre datée du 24 février, dans laquelle il les éclaire sur la nature et la portée de cette élection. Il s'efforce de les retenir sur le bord de Tablme du schisme, en commentant ces paroles du Catéchisme de Langres qu'ils avaient apprises dès l'enfance et qui leur enseignaient une vérité fondamentale, incontestable pour un catholique :

« L'Eglise est la société des fidèles qui font profession d'une même foi et qui participent aux mêmes sacrements sous la conduite des pasteurs légitimes et principalement de notre Saint-Père le Pape. » Les intelligences les plus bornées devaient comprendre, après avoir entendu les explications du pasteur, qu'il n'était pas au pouvoir de l'Assemblée nationale de priver un évêque de la juridiction spirituelle, que M. de La Luzerne resterait évêque de Langres tant que l'Eglise le reconnaîtrait comme tel ou qu'il ne donOEUVRES COMPL. De La LuzernE. I.

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nerait pas lui-même sa démission; entin que l'élection faite en vertu d'une constitution schismatique serait nulle en elle-même et ne placerait sur le siége de Langres qu'un intrus. « Arrêtez-vous donc, Messieurs, s'écriait le digne évêque en finissant, tandis qu'il en est temps encore, et considérez les suites terribles et inévitables de la funeste démarche dans laquelle on vous entraîne. En vous proposant de nommer un évêque qui ne pourrait être qu'un schismatique, c'est au schisme que l'on vous engage. On veut l'opérer par vos mains; on veut vous y précipiter à la suite de celui que vous aurez choisi. Arrivant au milieu de vous, sans aucun pouvoir réel, tous ceux qu'il voudra communiquer seront nuls comme les siens. Tous les actes faits en vertu de ces pouvoirs seront nuls. Le ministère nouveau qui, sous ses mains coupables, va se former et s'étendre dans tout ce département ne pourra être d'aucune utilité à votre salut. Que dis-je, il sera pour vous une source de perdition; ce sera une contagion placée au milieu de vous qui vous atteindra à la moindre communication, et cependant le légitime ministère sera repoussé comme aux siècles de persécution, dans les lieux écartés et inconnus. C'est là, c'est dans ces retraites inaccessibles aux regards profanes que sera l'Eglise de JésusChrist; c'est là que vous serez obligés d'aller chercher vos véritables pasteurs; c'est là seulement qu'il vous sera permis de participer aux saints mystères et de recevoir les sacrements de l'Eglise; c'est là enfin et là uniquement que vous pourrez trouver la rémission de vos fautes. Essayez de peindre à votre esprit, et calculez, s'il vous est possible, toutes les profanations, tous les malheurs qui vont résulter de ce déplorable schisme. Et c'est vous, Messieurs, que l'on veut faire les artisans de tant de maux. Ah! craignez de devenir à la fois les victimes et les instruments du schisme, d'y précipiter d'un même coup et vous et tout le peuple que vous représentez et toutes les générations qui vous suivront. Osez donner à la France le plus grand exemple de religion el de patriotisme, rejetez ce ministère coupable dont on veut vous charger: déclarez hautement qu'aucune loi ne peut vous autoriser à nommer un évêque pour un siége qui n'est pas vacant, et qu'une loi supérieure à toutes les autres, votre conscience vous défend de concourir au schisme. »

Instructions aux curés, etc., qui n'ont pas prété le serment. M. de La Luzerne, guide du clergé de France. - Non content de renverser l'échafaudage d'arguties élevé contre la saine doctrine par d'ignorants magistrats, M. de La Luzerne, dont l'activité en ces circonstances a quelque chose de prodigieux, publie à Langres, le 15 mars, une Instruction aux curés, vicaires et autres ecclésiastiques de son diocèse qui n'ont pas prété le serment ordonné par l'Assemblée nationale. La situation critique où se trouvait alors l'Eglise de France plongeait une foule de prêtres dans l'angoisse et de terribles embarras de conscience sur la conduite à tenir en mille cas divers. Jusqu'ici des règles détaillés leur manquaient; ils les appelaient de tous leurs vœux. L'écrit de M. de La Luzerne vint les satisfaire sinon complétement, du moins autant que le permettait la difficulté de prévoir et d'ordonner toutes choses avec exactitude au commencement du schisme. Il fut comme un point de ralliement pour les évêques français. Plusieurs d'entre eux l'adoptèrent purement et simplement; d'autres en prirent la substance, en changeant quelques articles qui leur semblaient plus ou moins faciles ou expédients dans la pratique. Parmi les premiers sout Messeigneurs : le cardinal de La Rochefoucauld, d'Arles, de Reims, de Bourges, coadjuteur d'Alby, de Tours, d'Arras, d'Uzès, de Clermont, de Limoges, de Séez, de Boulogne, de la Rochelle, de Luçon, de Montpellier, de Nîmes, de Poitiers, de Chartres, de Beauvais, de Saintes, de Condom, de Perpignan, de Saint-Flour, de Meaux, d'Oléron, de Pamiers, d'Aire, de Sisteron, d'Angoulème, de Lisieux, du Mans, de Laon : l'intrépide abbé Barruel, dans son Journal ecclésiastique, numéro d'avril 1791, inséra une analyse des Instructions, pour répondre aux demandes que les prêtres lui adressaient de toutes parts sur la conduite qu'ils devaient suivre. On peut dire que M. de La Luzerne devint alors en France et sous ce rapport le principal guide de 'Eg ise gallicane.

Il conseille aux ecclésiastiques insermentés le courage et la prudence et rappelle aux cutés la nature de la juridiction spirituelle qu'ils exercent; il leur montre que le refus du serment ne peut opérer l'effet d'une démission; il las exhorte à ne point donner une démission volontaire; il ne l'accepterait point, parce que ce serait pour ainsi dire favoriser l'intrusion des successeurs. Autant que possible ils doivent résider dans leur paroisse; s'ils en sortent ce ne peut être que pour éviter le péril qui les menace personnellement ou les émeutes que susciterait la présence d'un schismatique. Si la charité les oblige à se retirer, elle leur prescrit de garder avec leurs paroissiens autant de relations que possible. Ils retuseront toute communication avec le prétendu évêque de Langres issu d'une élection condamnée par l'Eglise.

« Nous les conjurons avec instance, disait le vrai pasteur, de s'unir plus intimement que jamais à leur véritable chef, auquel ils sont déjà attachés par l'unité de doctrine, par la conformité de sort et, nous osons nous en flatter, par des sentiments constamment soutenus et successivement accrus depuis vingt années. Le plus sensible témoignage que nous puissions recevoir de l'affection qu'ils ont toujours eue pour nous et que nos malheurs communs doivent encore augmenter, est de s'adresser à nous dans leurs incertitudes, dans leurs embarras, dans leurs traverses, avec cette confiance entière qui faisait notre

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