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motifs capables de les déterminer à les remplir?

Comment parviendront-ils à ce but, ceux dont les facultés sont trop bornées pour qu'ils soient susceptibles de ce genre d'étude, ceux que la légèreté de leur esprit détourne sans cesse do toute application, et ceux que la nécessité toujours pressante de pourvoir à leur subsistance, assujettit sans relâche à des travaux pénibles ?

Avee plus d'aptitude, plus d'application, plus de loisir, il serait, il est vrai, possible d'acquérir quelques connaissances utiles: mais d'abord, que ces découvertes seraient tardives! Qu'il y a de préalables nécessaires, avant qu'on puisse s'appliquer avec fruit à l'étude de ce qui concerne la religion et la vertu! Et que l'âme est peu propre aux réflexions profondes que cette étude exige, Iorsque durant la jeunesse elle est sans cesse agitée par les mouvements des passions! Quel serait ensuite le degré de certitude que ces découvertes pourraient obtenir, tandis que chacun n'aurait que ses faibles lumières pour garant de ses succès dans la recherche de la vérité: et qu'on saurait d'ailIcurs que d'autres, après s'être livrés à de semblables recherches, embrassent des opinions différentes, professent même des maximes opposées?

Enfin, sans pousser plus loin ces détails, bornons-nous à dire qu'il est hors de doute que ceux même qui auraient plus d'aptitude, qui pourraient apporter plus d'application, qui jouiraient de plus de loisir, ne renverseront jamais par la seule force de leur raison les obstacles que mettent à la recherche de la vérité et à la pratique de la vertu l'empire des préjugés et la tyrannie des passions. Et pour s'en convaincre, ne suffit-il pas de considérer combien de fois la raison a eu à rougir de sa défaite, quand elle a lutté seule contre les préjugés; et combien elles ont toujours été faibles, les digues qu'opposent aux passions la beauté de la vertu, de la difformité du vice, le bonheur que procure le témoignage d'une bonne conscience, les remords qu'enfante le crime, et l'idée même d'une vie future où Dieu récompensera les bons et punira les méchants, lorsque cette idée n'est aperçue qu'à la lueur de la raison, et n'est point mise dans tout son jour par la lumière de la révélation (210)?

S'obstinera-t-on à méconnaître la nécessité de ce secours divin, en prétendant que, malgré tous les obstacles qui semblent s'op

(210) S. THOM., 1. 1, contra gentes, cap. 4: Sequerentur tria inconvenientia si hujusmodi veritas solummodo rationi inquirenda relinqueretur. Unum est quod paucis hominibus Dei cognitio saltem accurata inesset: idque tam ob tardum multorum ingenium qui ad sciendum naturaliter indispositi sunt: tum ob necessitatem rei familiaris : tum ob pigritiam. Secundum inconveniens est quod illi qui ad prædictæ veritatis cognitionem vel in ventionem pervenirent, vix post longum tempus pertingerent; tum propter veritatis profunditatem, tum propter multa quæ præexiguntur, tum quod

poser à ce que la multitude découvre le vrai, et pratique le bien, elle ne sera pas néanmoins sans ressources, et qu'il est inutile que le ciel s'ébranle et que Dieu intervienne pour lui en fournir, parce que sur la terre elle en trouvera de suffisantes que des hommes auront su lui ménager? Mettra-t-on en avant qu'il se rencontrera des hommes qui, après avoir consacré leurs veilles à l'étude de la sagesse, feront part au reste du genre humain des fruits de leurs travaux, et l'instruiront de tout ce qu'il lui sera nécessaire de savoir, en lui communiquant les connaissances qu'ils auront acquises? Voudra-t-on, en un mot, persuader au genre humain qu'il n'a aucun besoin de la révélation divine, en lui promettant des philosophes pour instituteurs? Mais cette fonetion qui n'a pu être remplie par les philosophes de l'antiquité, l'a-t-elle mieux été par les philosophes des derniers siècles? Ces nouveaux docteurs ont-ils acquis plus de droit à la confiance des peuples? Ou plutôt ne sont-ils pas convaincus par leurs écrits et leur conduite, de n'y en avoir aucun? Leurs écrits d'abord sont tout à la fois leurs accusateurs, leurs témoins et leurs juges; puisqu'ils semblent avoir pris à tâche d'y reproduire toutes les erreurs et les absurdités qu'on a eu à reprocher aux différentes écoles du paganisme. Et pour peu qu'on veuille ensuite considérer attentivement le tableau des philosophes modernes, tracé de nos jours par une main non suspecte, qu'il est facile de se convaincre que les hommes qu'il représente sont absolument incapables de former les autres hommes à la religion et à la vertu.

<< Je consultai les philosophes, dit le trop fameux citoyen de Genève; je feuilletai leurs livres, j'examinai leurs diverses opinions; je les trouvai tous fiers, affirmatifs, dogmatiques même dans leur scepticisme prétendu; n'ignorant rien, ne prouvant rien, se moquant les uns des autres; et ce point commun à tous me parut le seul sur lequel ils ont tous raison. Triomphants quand ils attaquent, ils sont sans vigueur en se défendant. Si vous pesez les raisons, ils n'en ont que pour détruire; si vous comptez les voix, chacun est réduit à la sienne; ils ne s'accordent que pour disputer: les écouter n'etait pas le moyen de sortir de mon incertitude.... Quand les philosophes seraient en état de découvrir la vérité, qui d'entre eux prendrait intérêt à elle? Chacun sait bien que son système n'est pas mieux fondé que

tempore juventutis, dum diversis motibus passinum anima æstuat, non est apta ad tam altæ veritatis cognitionem. Tertium inconveniens est quod investigationi rationis humanæ plerumque falsitas admisceatur, propter debilitatem intellectus nostri in judicando, el phantasmatum permixtionem; et ideo apud eos in dubitatione remanerent ea que sunt etiam verissime demonstrata, dum vim demonstrationis ignorant, et præcipue cum videant a diversis qui sapientes dicuntur, diversa doceri.

les autres; mais il le soutient, parce qu'il est à lui. Il n'y en a pas un seul qui, venant à connaître le vrai et le faux, ne préférât le mensonge qu'il a trouvé, à la vérité découverte par un autre. Où est le philosophe qui, pour sa gloire, ne tromperait pas volontiers le genre humain? Où est celui qui, dans le secret de son cœur, se propose un autre objet que de se distinguer? Pourvu qu'il s'élève au-dessus du vulgaire, pourvu qu'il efface ses coucurrents, que demandet-il de plus? L'essentiel est de penser autrement que les autres: chez les croyants il est athée; chez les athées il serait croyant (211).»

Et quand on supposerait que les nouveaux instituteurs qu'on promet au genre humain, profitant des fautes de ceux qui les ont précédés dans la carrière de la prétendue philosophie, travaillassent sérieusement à s'atfranchir du joug des passions, et à épurer leur doctrine; dans cette supposition-là même, ils ne pourront pas remplir la tâche dont on veut les charger.

En effet, par quelle autorité obligeront ils les hommes à se rendre leurs disciples? Qui pourra garantir qu'ils ne laisseront ignorer à leurs élèves aucune des vérités nécessaires à connaître ? Quel sera enfin le terme des travaux de ceux qui iront prendre leurs leçons?

Ces instituteurs philosophes, si jaloux des droits de la raison, ne prétendront pas sans doute qu'on les croie sur leur parole: ils laisseront sans doute la liberté de leur demander des preuves de ce qu'ils auront avancé, et de n'embrasser leur doctrine qu'après qu'on aura bien saisi la force des motifs sur lesquels elle sera appuyée: or, s'ils en agissent ainsi, que de temps ne faudra-t-il pas pour rendre ces preuves sensibles à tous les esprits; pour les convaincre tous de la nécessité d'adopter les maximes qui leur auront été proposées pour leur persuader à tous de mettre en pratique les règles de conduite qui leur auront été tracées?

Cependant il y a nécessité de bien vivre à tout âge, comme dans tous les états. « Il faut être sage de bonne heure; car ce serait se tromper, que de croire que cette vie nous est donnée pour chercher la sagesse, et qu'il nous en sera accordé une autre pour vivre avec sagesse : les deux choses doivent être faites dans la vie présente: la sagesse doit donc se trouver promptement, pour qu'on puisse l'embrasser promptement, et ne rien perdre de cette vie dont le terme est si incertain (212). »

Et s'il en est ainsi, comme on ne peut pas raisonnablement le révoquer en doute, ne

(211) Emile, 1. m.

faut-il pas conclure de tout ce qui vient d'être dit, que pour former les hommes à la religion et à la vertu, il leur faut un maître qui n'ait qu'à parler pour se faire croire et obéir; un maître dont les leçons soient démontrées infaillibles, par cela même que c'est lui qui les donne; qui, par l'étendue et la perfection de son enseignement, épargne à ceux qu'il instruit la difficulté des recherches, et l'embarras des examens; un maître dont l'autorité suprême assujettisse l'esprit et soumette le cœur; dont la science, la sagesse, la sainteté, la bonté infinies, ne laissent aucun doute sur la vérité de ses paroles, ni sur l'équité de ses précéptes; un maître, enfin, dont la puissance et la justice sans bornes impriment aux lois qu'il dicte la sanction la plus imposante: en un mot, que, pour former les hommes à la religion et à la vertu, il leur faut Dieu pour maître?

Ce besoin des hommes est si réel, qu'au milieu même des ténèbres de la gentilité, il s'est rencontré des philosophes qui ont su l'apercevoir, et qui, après avoir reconnu qu'il n'y avait rien parmi les hommes qui fût au-dessus de la piété, sont convenus que personne ne pouvait l'enseigner, s'il n'avait eu d'abord Dieu même pour guide et pour maître (213).

Aussi Dieu a-t-il daigné accorder aux hommes ce secours dont ils avaient un besoin si pressant: il leur a parlé; il les a instruits: il leur a donné une religion dont on voit la suite immuable dès l'origine du monde (214).

Oui, la religion sainte que nous professons « est toujours uniforme, ou plutôt toujours la même dès l'origine du monde. On y a toujours reconnu le même Dieu comme auteur, et le même Christ comme sauveur du genre humain (215). »

La Loi vient au-devant de l'Evangile; la succession de Moïse et des patriarches ne fait qu'une même suite avec celle de JésusChrist: être attendu, venir, être reconnu par une postérité qui dure autant que le monde, c'est le caractère du Messie en qui nous croyons (216). Jésus-Christ est aujourd'hui, il était hier, il est aux siècles des siècles (217).

Pendant que Jésus-Christ attendu faisait la consolation des vrais fidèles, Dieu s'est plu à annoncer, jusque dans les moindres détails, tout ce qui regardait ce Sauveur qu'il avait promis. Il a fait marquer la tribu, la famille dont le Sauveur devait tirer son origine selon la chair; la virginité de sa mère, l'époque, le lieu de sa naissance dans le temps; le signe prodigieux qui devait le révéler aux gentils, et en conduire les pré

(213) PLATO in Epinomide: Pietate nihil majus Sa-inter homines... docere eam neminem posse, nisi Deus quasi dux et magister præiverit. ›

(212) LACTANT., Instit div., lib. in, cap. 16: piendum est, et quidem mature. Non enim nobis altera vita conceditur ut, cum in hac sapientiam quæramus, in illa sapere possimus. In hac utrumque fieri necesse est: cito inveniri debet, ut cito suscipi possit, ne quid pereat ex hac vita cujus finis incertus est.

(214) BOSSUET, Disc. sur l'Hist. univ., no partie, mices aux pieds de sa crèche; la persécution qu'il devait éprouver dès son berceau; sa présentation dans le second temple; la sainteté de sa vie et de sa doctrine; les miracles qui devaient accompagner sa mission; les contradictions qu'il devait essuyer pendant l'exercice de son ministère; les opprobres dont il devait être rassasié; les tourments qu'il devait souffrir; la patience invincible dont il devait donner l'exemple; toutes les circonstances de son supplice, de sa mort, de sa sépulture; la gloire de son tombeau ; son élévation dans le ciel; le châtiment terrible du peuple qui l'aurait renoncé; la rapidité des conquêtes faites en son nom; l'étendue, la stabilité, la perpétuité de son règne.

n° 12.

(215) Ibid., no 1.
(216) Ibid., no 13.
(217) Heb. xin, 8.

En vain chercherait-on à élever des qoutes sur l'ancienneté et l'authenticité de ces oracles: l'une et l'autre sont garanties par les Juifs eux-mêmes qui, depuis tant de siècles, conservent avec un religieux respect ces titres divins du christianisme. Et quand on vient à comparer les événements avec les prophéties, l'accord se trouve si parfait, que les prophètes semblent n'avoir été que des historiens.

Lorsque la plénitude des temps est accomplie, et que le Sauveur promis paraît sur la terre; il fait « ressentir aux hommes une autorité et une douceur qui n'avaient jamais paru qu'en sa personne; il annonce de hauts mystères, mais il les confirme par de grands miracles; il commande de grandes vertus, mais il donne en même temps de grandes lumières.... Tout se soutient en sa personne: sa vie, sa doctrine, ses miracles. La même vérité y reluit partout: tout concourt à y faire voir le Maître du genre humain, et le modèle de la perfection.

« Lui seul, vivant au milieu des hommes, à la vue de tout le monde, a pu dire: Qui de vous me reprendra de 'péché (218)? Et encore: Je suis la lumière du monde: ma nourriture est de faire la volonté de mon Pere; celui qui m'a envoyé est avec moi, el ne me luisse pas seul; parce que je fais toujours ce qui lui plaît (219). Ses miracles sont d'un ordre particulier et d'un caractère nouveau.... Il les fait presque tous sur les hommes mêmes et pour guérir leurs infirmités. Tous ces miracles tiennent plus de la bonté que de la puissance, et ne surprennent pas tant les spectateurs, qu'ils ne les touchent au fond du cœur. Il les fait avec empire: les démons et les maladies lui obéissent: à sa parole, les aveugles-nés reçoivent la vue, les morts sortent du tombeau, et les péchés sont remis. Le principe est en lui-même, ils coulent de source. Je sens, dit-il, qu'une vertu est sortie de moi (220). Aussi personne n'en avait-il fait de si grands, ni en si grand nombre. Et toutefois il promet que ses disciples feront, en son

(218) Joan. viii, 46.

(219) Joan. vi, 12; iv, 34; VIII, 29.
(220) Luc. viii, 46.
(221) Joan. XIV, 12.

(222) BOSSUET, Disc, sur l'Hist. univ., u' partie,

nom, encore de plus grandes choses (221): tant est féconde et inépuisable la vertu qu'il porte en lui-même (222).

<< Ces miracles sont si incontestables, que les gentils, non plus que les Juifs, ne les ont jamais niés... Seulement, pour les obscurcir, ils ont dit qu'il les avait faits par les enchantements qu'il avait appris en Egyple; ou même par le nom de Dieu, ce nom inconnu et ineffable, dont la vertu peut tout, selon les Juifs, et que Jésus-Christ avait découvert, on ne sait comment, dans le sanctuaire; ou enfia, parce qu'il était un de ces prophètes marqués par Moïse, dont les miracles trompeurs devaient porter le peuple à l'idolâtrie. Jésus-Christ, vainqueur des idoles, dont l'Evangile a fait reconnaître un seul Dieu par toute la terre, n'a pas besoin d'être justifié de ce reproche: les vrais prophètes n'ont pas moins prêché sa divinité, qu'il ne l'a fait lui-même; et ce qui doit résulter du témoignage des Juifs, c'est que Jésus-Christ a fait des miracles pour justifier sa mission.

<< Il en est de même du témoignage des gentils. Celse, le grand ennemi des Chrétiens, et qui les attaque dès les premiers temps avec toute l'habileté imaginable, recherchant avec un soin intini tout ce qui pouvait leur nuire, n'a pas nié tous les miracles de Notre-Seigneur: il s'en défend, en disant, avec les Juifs, que Jésus-Christ avait appris les secrets des Egyptiens, c'està-dire la magie, et qu'il voulut s'attribuer la divinité par les merveilles qu'il fit en vertu de cet art admirable. C'est pour la même raison que les Chrétiens passaient pour magiciens: et nous avons un passage de Julien l'Apostat qui méprise les miracles de Notre-Seigneur, mais qui ne les révoque pas en doute. Volusien, dans son épître à saint Augustin en fait de même; et ce discours était commun parmi les païens (223).

Le plus grand et le plus décisif de tous les miracles de l'Evangile est sans doute la résurrection de Jésus-Christ; mais sa vérité n'est-elle pas portée au plus haut point de certitude, puisque les apôtres et les disciples qui prêchent cette ineffable merveille, opèrent eux-mêmes des prodiges, en scellent leur témoignage de leur sang.

Que si de la considération des miracles on passe à celle de l'enseignement, le Sauveur du monde ne paraît pas moins admirable, lorsqu'il prêche l'Evangile du royaume (224), que forsqu'il commande à la nature, et qu'à son gré il en suspend toutes les lois.

Quand Jésus-Christ annonce sa doctrine, on le voit « plein des secrets de Dieu; mais on voit qu'il n'en est pas étonné, comme les autres hommes à qui Dieu se communique: il en parle naturellement, comme étani né dans ce secret et dans cette gloire (225). »

n° 6.

(223) Ibid., no 12. (224) Matth. iv, 23.

(225) BOSSUET, ut sup., no 6.

D

Il propose à croire des dogmes incompréhensibles, et vent que tous les esprits soient réduits en servitude, et soumis par la foi à son obéissance (225*).

Il n'exige pas moins le sacrifice du cœur. La voie dans ns laquelle il ordonne d'entrer est la voie étroite (226). Il faut sortir de soimême, renoncer à tout, tout crucifier pour le suivre.

« Il propose de nouvelles idées de vertu, des pratiques plus parfaites et plus épurées. La fin de la religion, l'âme des vertus, et l'abrégé de la loi, c'est la charité. Mais jusqu'à Jésus-Christ, on peut dire que la perfection et les effets de cette vertu n'étaient pas entièrement connus. C'est Jésus-Christ, proprement, qui nous apprend à nous contenter de Dieu seul. Pour établir le règne de la charité, et nous en découvrir tous les devoirs, il nous propose l'amour de Dieu, jusqu'à nous hair nous-mêmes, et persécuter sans relâche le principe de corruption que nous avons tous dans le

« Mais la loi la plus propre à l'Evangile est celle de porter sa croix. La croix est la vraie épreuve de la foi, le vrai fondement de l'espérance, le parfait épurement de la charité, en un mot le chemin du ciel. JésusChrist est mort à la croix, il a porté la croix toute sa vie, et c'est à la croix qu'il vout qu'on le suive; et il met la vie éternelle à ce prix (227).

& Etcette doctrine, quelque opposée qu'elle soit à tous les préjugés et à toutes les passions, se répand de famille en famille, et de peuple en peuple, et malgré toute la puissance romaine, on voit les Chrétiens, sans révolte, sans faire aucun trouble, et seulement en souffrant toute sorte d'inhumanités, changer la face du monde...

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La promptitude inouïe avec laquelle se fait ce changement est un miracle visible. Jésus-Christ avait prédit que son Evangile serait bientôt prêché par toute la terre; cette merveille devait arriver incontinent après sa mort, et il avait dit: qu'après qu'on l'au

cœur. Il nous propose l'amour du pro-rait élevé de terre, c'est-à-dire qu'on l'aurait des peuples entiers, qu'un peu devant on n'y mettait pas. Ceux qu'Origène exceptait, qui étaient les plus éloignés du monde connu, y sont mis un peu après par Arnobe. Que pouvait avoir vu le monde, pour se rendre si promptement à Jésus-Christ? S'il a vu des miracles, Dieu s'est mêlé visiblement de cet ouvrage, et s'il se pouvait faire qu'il n'en eût pas vu, ne serait-ce pas un nouveau miracle plus grand et plus incroyable que ceux qu'on ne veut pas croire, d'avoir convertile monde sans miracles, d'avoir fait entrer tant d'ignorants dans des mystères si hauts; d'avoir inspiré à tant de savants une humble soumission, et d'avoir persuadé tant de choses à des incrédules (232). »

chain, jusqu'à étendre sur tous les hommes cette inclination bienfaisante, sans en excepter nos persécuteurs; il nous propose la modération des désirs sensuels, jusqu'à retrancher tout à fait nos propres membres, c'est-à-dire, ce qui tient le plus vivement et le plus intimement à notre cœur; il nous propose la soumission aux ordres de Dieu, jusqu'à nous réjouir des souffrances qu'il nous envoie; il nous propose l'humilité, jusqu'à aimer les opprobres pour la gloire de Dieu, et à croire que nulle injure ne nous peut mettre si bas devant les hommes, que nous ne soyous encore plus bas devant Dieu par nos péchés. Sur ce fondement de la charité, il perfectionne tous les états de la vie humaine. C'est par là que le mariage est réduit à sa forme primitive; l'amour conjugal n'est plus partagé; une si sainte société n'a plus de fin que celle de la vie, et les enfants ne voient plus chasser leur mère pour mettre à sa place une marâtre. Le célibat est montré comme une imitation de la vie des anges, uniquement occupée de Dieu et des chastes délices de son amour. Les supérieurs apprennent qu'ils sont serviteurs des autres, et dévoués à leur bien: les inférieurs reconnaissent l'ordre de Dieu dans les puissances légitimes, lors même qu'elles abusent de leur autorité: cette pensée adoucit les peines de la sujétion; et, sous des maîtres fâcheux, l'obéissance n'est plus facheuse au Chrétien.

«A ces préceptes il joint des conseils de perfection éminente: renoncer à tout plaisir, vivre avec le corps, comme si l'on était sans corps; quitter tout, donner tout aux pauvres, pour ne posséder que Dieu seul; vivre de peu et presque de rien, et attendre ce peu de la divine Providence.

(225) II Cor. x, 5. (226) Matth. vi, 13.

(227) BOSSUET, ut sup., no 6.

(228) Joan. x1, 32.

attaché à la croix, il attirerait à lui toutes choses (228). Ses apôtres n'avaient pas encore achevé leur course, et saint Paul disait déjà aux Romains que leur foi était annoncée dans tout le monde (229). Il disait aux Colossiens que l'Evangile était oui de toute créature qui était sous le ciel; qu'il fructifiait, qu'il croissait partout l'univers (230). Une tradition constante nous apprend que saint Thomas le porta aux Indes, et les autres en d'autres pays éloignés. Mais on n'a pas besoin des histoires pour confirmer cette vérité; l'effet parle, et on voit assez avec combien de raison saint Paul applique aux apôtres ce passage du psalmiste: leur voix s'est fait entendre par toute la terre et leur parole a été portée jusqu'aux extrémités du monde (231). Sous leurs disciples, il n'y avait plus de pays si reculé et si inconnu, où l'Évangile n'eût pénétré. Cent ans après Jésus-Christ, saint Justin comptait déjà parmi les fidèles beaucoup de nations sauvages, et jusqu'à ces peuples vagabonds qui erraient deçà et delà, sans avoir aucune demeure fixe. Če n'était point une vaine exagération, c'était un fait constant et notoire qu'il avançait en présence des empereurs et à la face de tout l'univers. Saint Irénée vient un peu après, et on voit croître le dénombrement qui se faisait des Eglises. Leur concorde était admirable, ce qu'on croyait dans les Gaules, dans les Espagnes, dans la Germanie, on le croyait dans l'Egypte et dans l'Orient; et comme il n'y avait qu'un même soleil dans tout l'univers, on voyait dans toute l'Eglise, depuis une extrémité du monde jusqu'à l'autre, la même lumière de la vérité.

« Si peu qu'on avance, on est étonné des progrès qu'on voit. Au milieu du m siècle, Tertullien et Origène font voir dans l'Eglise

(229) Rom. 1, 8. (230) Rom. x, 18. (231) Coloss. 1, 6-23.

de bonne foi s'empêcher de reconnaître dans une parcille constance l'intervention de la Divinité qui fortifiait ses serviteurs, pour rendre témoignage à sa religion, et se servait pour l'étendre du moyen même que les puissances du siècle avaient regardé comme le plus propre à l'anéantir?

Mais pendant que les gentils reçoivent la lumière, et qu'unis aux Juifs convertis, ils deviennent par la foi enfants d'Abraham et héritiers des promesses faites à ce grand patriarche, en quel état tombent les Juifs incrédules! et qu'il est éclatant, le témoi gnage que ne cesse de rendre à la divinité de l'Evangile la désolation de ce peuple autrefois si favorisé!

Le Sauveur du monde avait prédit que Jérusalem, en punition de ce qu'elle l'avait méconnu, serait assiégée; que la ville et le temole seraient détruits, qu'il n'y resterail pas pierre sur pierre (234). Et la soixantedouzième année de l'ère chrétienne, Jérusalenst assiégée par les Romains; onze cent mille hommes y périssent en sept mois de siége, la ville est ruinée de fond en comble; Tite, malgré toute sa puissance et tous ses efforts, ne peut empêcher que le temple ne devienne la proie des flammes; et il aper

En effet quels ont été les instruments d'une si étonnante révolution? « Ce ne sont point « les sages, ce ne sont point les nobles, ce « ne sont point les puissants qui ont fait « un si grand miracle: l'œuvre de Dieu a « été suivie, et ce qu'il avait commencé par « les humiliations de Jésus-Christ, il l'a con« sommé par les humiliations de ses disci« ples.... Les apôtres et leurs disciples le « rebut du monde et le néant même, à les « regarder par les yeux humains, ont pré<< valu à tous les empereurs et à tout l'em« pire. Les hommes avaient oublié la créa-çoit d'une manière si sensible le doigt de

«tion, et Dieu l'a renouvelée, en tirant de « ce néant son Eglise qu'il a rendue toute<< puissante contre l'erreur. Il a confondu << avec les idoles toute la grandeur humaine « qui s'intéressait à les défendre: et il a fait « un si grand ouvrage, comme il avait fait « l'univers, par la seule force de sa pa« role (233). »

Que cette force de sa parole, et la vertu de sa grâce, paraissent d'une manière bien admirable dans la constance des martyrs? Car cette constance n'a pas été passagère, elle a daré trois siècles consécutifs, elle n'a pas été concentrée en un seul lieu, elle s'est manifestée par toute la terre. Elle n'a pas été restreinte à un petit nombre de personnes, elle a éclaté dans une multitude innombrable d'hommes et de femmes, de riches et de pauvres, de savants et d'ignorants, de vieillards, de jeunes gens, de jeunes filles, d'enfants même. Elle ne se bornait pas à faire faire le sacrifice de la vie, elle faisait supporter une longue mort, au milieu des tourments les plus recherchés et les plus cruels; et elle la faisait supporter avec paix, avec calme, avec sérénité, avec joie, de manière que les martyrs regardaient les instruments de leurs supplices, comme le char de leur triomphe. Enfin, sans parler des autres prodiges qu'opéraient les martyrs souvent même en faveur des tyrans qui les avaient condamnés et des bourreaux qui les tourmentaient; la constance de ces héros de l'Evangile, en multipliant les victimes qui tombatent sous le fer des persécuteurs, augmentait le nombre des Chrétiens: et qui peut

(232) S. AUG., De cirit. Dei, xx1, 7; xx1, 5 BOSSUET, loc. cit., n. 7. (233) Ibid., no 11.

Dieu dans cette destruction de la capitale de la Judée, qu'il ne veut pas recevoir les congratulations des peuples voisins, ni les couronnes qu'ils lui envoyaient pour honorer sa victoire, et qu'il confesse hautement qu'il n'était point le vainqueur, qu'il n'était que le faible instrument de la vengeance divine?

Depuis cette terrible époque, les enfants de Juda n'ont point vu le terme de leur malheur; les siècles se succèdent et s'écou lent, sans que leur triste sort s'adoucisse; toujours ils sont bannis de la terre promise; dispersés parmi toutes les nations sans temple, sans autel, sans rois, sans princes, sans honneur, sans aucune figure du peaple.

Et il est impossible de ne pas reconnai tre dans une calamité si durable le châtiment continuel que Dieu leur fait subir, pour venger les attentats commis contre le libérateur qu'il a envoyé. Car le peuple juif a été choisi de Dieu, pour être un exempe palpable de sa providence. La bonne ou la mauvaise fortune de ce peuple devait tou jours dépendre de la piété. Si sous ses juges et sous ses rois, il s'est souvent rendu coupable d'idolatrie, il en a été puni par des captivités passagères: mais depuis la venue de Jésus-Christ, les Juifs n'ont pas adoré de dieux étrangers, et néan J tombés dans un état de désolation y ble n'avoir pas de fin: il faut donc que depuis ce temps ils se soient rendus coupables d'un crime plus énorme, que l'ido latrie elle-même; et ce crime, pourra-i

sout

500

(234) Luc. XIX, 41, 42, 13, 43 Matth,, XXIV, 1, 2.

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