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nemis de tout joug, qui n'a point de réalité, qui ne peut avoir de sanction. » On lit éga lement dans le Traité de la juridiction ecclésiastique en général (1. VI, col. 560): «Tant s'en faut que l'Eglise puisse dépouiller les rois de leurs royaumes, et dispenser leurs sujets du serment de fidélité; c'est, au contraire, une maxime fondamentale de la loi de Dieu et de l'Evangile, qu'il n'est jamais permis, sous quelque prétexte que ce soit, de s'élever contre eux, de leur résister par la voie des armes, d'exciter à la révolte directement ou indirectement; mais qu'au contraire, on est obligé de se soumettre à leurs ordres même injustes et tyranniques... Il n'y a aucun tribunal sur la terre où les rois puissent être jugés. »

Or il est clair qu'en 1821 M. de La Luzerne ne pouvait combattre les ultramontains, d'après ces principes, sans soulever la fureur de l'opposition qu'il voulait rallier aux Bourbons.

Observations au sujet du premier des quatre articles. Sans discuter son opinion sur l'absolutisme de droit divin, nous nous permettrons quelques observations trèssimples.

Il n'explique pas ce qu'il entend par ces mots : « Nos rois reçoivent immédiatement de Dieu leur autorité. » Le pouvoir des rois de France a la même source que celui de toutes les puissances temporelles légitimes. Il émane de Dieu, puisqu'il est légitime; mais non pas immédiatement, car il serait de droit divin; et cela seul est de droit divin qui est établi immédiatement par une loi divine. Or quelle loi divine a jamais imposé à la France la forme monarchique, la loi d'hérédité, la loi salique, et le choix des Capets ou des Bourbons?

Le gallicanisme est une doctrine déplorable quand on l'étudie par rapport au SaintSiége; mais elle ne l'est pas moins lorsqu'elle consacre le despotisme, par un droit divin aussi chimérique que la souveraineté du peuple entendu à la façon des révolutionnaires. Si la théorie de la souveraineté avait été enseignée en France, avant 89, comme elle l'est par saint Thomas, Suarez et la plupart des théologiens, la nation ne se serait pas jetée dans les bras de ceux qui proclamaient les Droits de l'homme pour éviter l'extrême opposé.

Tel est, selon nous, le vrai jour sous lequel il faut envisager historiquement le gallicanisme de M. de La Luzerne. Le volume qu'il a composé contre le cardinal Orsi, les opinions qu'il reproduit sommairement dans le Traité de la juridiction ecclésiastique général, n'ont pas besoin d'être ici réfutés. Le prélat n'apporte aucun argument nouveau en faveur de sa cause.

en

Nous nous demandons pourtant si l'édition complète des OEuvres de M. de la Luzerne, que nous publions, pourra porter ombrage à quelques esprits. Nous ne le croyons pas. Car si vous prenez ces Oeuvres dans leur totalité, le gallicanisme, par la place étroite qu'il y occupe, disparaîtra. Les annotations du Rituel, le caractère de cette Notice marquent suffisamment qu'en donnant une édition des OŒuvres de M. de La Luzerne, nous ne voulons pas ranimer un système qui s'éteint. D'ailleurs, qui plus que nous a combat u pour la propagation des idées romaines et le rétablissement en France de la liturgie de l'Eglise mère ? En rééditant les OŒuvres du cardinal de La Luzerne nous avons voulu rendre un nouveau service à l'Eglise, et nous pensons que les amis de la science accueilleront avec quelque plaisir le monument que nous élevons à un grand homme, à un saint évêque, à une des gloires de l'Eglise. Recueillir en quelques volumes d'un même format tant d'écrits dispersés, compléter un édifice demeuré inachevé, ouvrir à l'un de nos plus célèbres auteurs ecclésiastiques les plus modestes bibliothèques, tel a été notre but.

OEUVRES COMPLÈTES

DU CARDINAL

DE LA LUZERNE

Première partie

THÉOLOGIE DOGMATIQUE

DISSERTATION

SUR L'EXISTENCE ET LES ATTRIBUTS DE DIEU

I. Le premier point de notre croyance, le premier objet de nos considérations dans l'étude de la religion, est l'existence de Dieu (1). On appelle athées ceux qui comhattent ce dogme primitif: nous donnons le nom de théistes à ceux qui le défendent (2). Avant d'entrer dans les preuves de l'existence de Dieu, il convient d'expliquer ce que nous entendons par ce mot. Nous convenons qu'il est impossible de donner de cet être si fort au-dessus de toutes nos pensées une notion complète, adéquate, et même de nous en former une idée qui réponde à sa grandeur: son incompréhensibilité est même un des dogmes enseignés par nos livres sacrés (3). Nos pères dans la foi ont déclaré nettement leur incapacité à par

(1) Credere autem oportet accedentem ad Deum, quia est. (Hebr. 6.)

(2) Le théisme est l'opposé de l'athéisme. Plusieurs personnes n'en ont pas cette notion : elles considèrent le théisme comme l'exclusion de la révélation; en quoi il me semble qu'elles le confondent avec le déisme. Pour prévenir toute équivoque, je déclare que toutes les fois que j'emploierai le mot théisme, ce sera pour exprimer la persuasion de l'existence de Dieu, et que j'appellerai theistes tous ceux qui reconnaissent ce dogme, soit qu'ils admettent, soit qu'ils rejettent la révéla tion, et quelle que soit la religion qu'ils professent. (5) Forsitan orsitan vestigia Dei comprehendes, et usque ad perfectum omnipotentem reperies! (Job x1, 7.) -Qui scrutator est majestatis opprimetur a gloria. (Ρτου. xxv, 27.) - Magnus consilio et incomprekensibilis cogitatu. (Jerem. xxx, 19.)

Et alibi passim.

(4) Il serait beaucoup trop long, et il est d'ailleurs inutile de rapporter les divers textes des saints Peres sur l'incompréhensibilité de l'essence divine. Ilw'en est presque pas un qui ne se soit expliqué sur ce point de la manière la plus positive.

OEUVRES COMPL. De La LuzeRNE. I.

ter de Dieu dignement (4), et parmi les philosophes, les plus raisonnables sont ceux qui ont reconnu l'impuissance de la raison humaine sur ce point (5).

II. Il ne faut cependant pas s'imaginer que, parce que nous n'avons pas de Dieu une notion entière, nous n'en ayons aucune, ét que ce mot offert à notre esprit, ne lui présente aucune idée. Si nous ne le connaissons pas en entier, nous le connaissons en partie; si nous ne découvrons pas sa nature telle qu'elle est, nous la jugeons d'après ses opérations (6); si nous ne le comprenons pas, nous le concevons. Il est important de saisir la différence de ces deux choses, que les incrédules s'efforcent de confondre, prétendant et répétant conti

(5) Roges me quidem qualis sit Deus? Auctore utar Simonide, de quo cum quæsivisset hoc ident tyrannus Hiero, deliberandi causa unum diem postulavit; cum idem ex eo postridie quæreret, biduum petivit. Cum sæpius duplicaret numerum dierum, admiransque Hiero requireret cur ita faceret? Quia quanto, inquit, diutius considero, tanto mihi res videtur obscurior. (CICERO, De nat. Deor., lib. 1, cap. 22, n. 66.) < Cujus vim, majestatemque tantam esse dicit in Timæo Plato, ut eum, neque mente concipere, neque verbis enarrare quisquam posset; ob nimiam ejus et inæstimabilem potestatem. (LACTANThus, Divin. Instit., lib. 1, cap. 8. V. S. AUGUST., De civit. Dei, lib. ix, cap. 16, n. 1.) - • Hermes vero Trismegistus in hunc ferme modum ait intelligere Deum esse difficile; exprimere vero supra humanas vires positum, si quis etiam intelligere posset. (S. CYRILLUS Alex., contra Julian., lib. 1.)

(6) Quod notum est Dei manifestum est in illis : Deus enim illis manifestavit. Invisibilia enim ipsius a creatura mundi per ea quæ facta sunt intellecta conspiciuntur; sempiterna quoque ejus virtus

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nuellement, qu'il leur est impossible d'admettre ce qu'ils ne comprennent, ou, ce qui, selon eux, revient au même, ce qu'ils ne conçoivent pas.

Concevoir une chose, est avoir l'idée de son existence : la comprendre, est connaître la manière dont elle existe. Nous concevons une chose, nous en avons l'idée, quand nous pouvons nous la représenter, la supposer existante; pour la comprendre, il faut la connaître à fond, et saisir ses différents rapports, savoir pourquoi et comment elle est ce qu'elle est. Ainsi, pour la concevoir, il suffit de n'y pas apercevoir d'impossibilité: tout ce qui ne me présente pas de répugnance, de contradiction, je le conçois possible; tout ce que je conçois possible, je puis me le figurer existant. Je ne conçois pas un triangle à quatre côtés, parce que c'est une chose qui implique contradiction, parce que cette idée ne se présente à moi qu'accompagnée de l'idée de répugnance, parce que lidée de triangle et l'idée de quatre côtés sont deux idées dont l'une détruit l'autre; mais je conçois des hommes dans la lune: mon esprit ne me présentant point d'impossibilité, de répugnance, de contradiction dans cette idée, je puis me représenter la lune peuplée d'hommes, comme ta terre. Il résulte de là que nous pouvons concevoir beaucoup de choses que cependant nous ne pouvons pas comprendre. Pour éclaircir et pour confirmer encore plus colte importante vérité, ob ervons que nous

et divinitas. (Rom. 1, 19, 20.) Quemadmodum anima in homine non videtur, sed cum fugiat humanos visus, ex motu corporis intelligitur; ita et Deus humanis oculis videri non potest, sed et providentia et operibus videtur et intelligitur. (THEOPHILUS ad Autol, lib. 1, cap. 5.) Nos autem aflirtomus a natura humana nullo modo quæri aut pure inveniri posse, nisi adjuvetur ab eo quem quærit, quique invenitur ab iis qui, postquam quidquid in se est fecerunt, se illo opus habere confitentur, qui se notum facit iis a quibus æquum judicat se videri, quantum Deus ab homine cognosci, quantum humana anima adhuc corpori alligata Deum cognoscere potest. (ORIGENES, CONtra Celsum, lib. vin, n. 42.) - Humanæ infirmiJatis religiosa confessio est, ex Deo hoc solum nosse quod Deus est. (S. HILARIUS, Tract. in psalm. cxxtx, п. 1.) — • Menti itaque præcipuum ac primarium est Deum nostrum cognoscere; cognoscere autem quantum cognosci potest infinita majestas a tenuissimo. Nec enim propterea quod oculi ad res visibiles percipiendas destinantur, ideo jam omnes res visibles cadunt in conspectum. › (S. BASILIUS, ep.st. 233, Amphilochio.) - < Hoc antem mea quidem sententia idcirco fit ut quatemus comprehendi potest nos ad se trahat (quod enim percipi omnino nequit, id, nec sperat quisquam, nec assequi conatur), quatenus autem capi non potest, admirationem sui excitet. (S. GRECORIUS Nazianz., orat. 38.) Deten ergo, inquit, ignoras; absit. Sed eum quidem esse scio: scio esse clementem, honum et misericordem, providentem, et omnium curam gerentem, et quæcunque alia dixerunt Scripturæ. Quidnam sit autem substantia Dei, non novi. (S. JOAN. CHRYSOST., Expos. in psalm. CALM, n. 2.) - Verum quia magnitudinis ejus non est finis, et eum quem non capimus laudare debemus (si enim capimus, ma gnitudinis ejus est finis), capere ex es aliquid pos

pouvons avoir sur les choses quatre sortes de pensées. En premier lieu, nous pouvons en voir clairement l'existence ou la possibilité, et connaître en même temps la manière dont elles existent ou dont elles peuvent exister, les relations diverses qu'elles ont ou qu'elles peuvent avoir: celles-là, non-seulement nous les concevons, mais nous les comprenons. En second lieu, nous pouvons en voir positivement l'impossibilité, en connaissant une répugnance, une contradiction dans leur existence: nous ne comprenons ni ne concevons cette seconde classe; ce sont là les choses dont nous n'avons point d'idée, parce que nous ne pouvons pas avoir l'idée de leur existence. En troisième lieu, nous pouvons ne voir clairement, ni leur possibilité, ni leur impossibilité, parce que nous ne connaissons pas la manière dont elles pourraient exister, mais que nous ne voyons pas non plus, dans leur concept, de répugnance, de contradiction. En quatrième lieu, nous pouvons en voir clairement l'existence, soit par nos sens, soit par le raisonnement, être par conséquent assurés de leur possibilité, sans cependant connaître leur manière d'exister: ces deux dernières sortes de choses nous les concevons, mais nous ne les comprenons pas. C'est ce qu'il s'agit d'expliquer.

D'abord, sur les choses dont nous no voyons clairement ni la compatibilité ni l'ircompatibilité des attributs, nous ne pouvons affirmerni qu'elles sont possibles, ni qu'elles sumus: Deum tamen totum capere non possumus; tanquam deficientes in ejus magnitudine : ut re ficiamur ejus bonitate, ad opera respiciamus, et de operibus laudemus operantem, de conditis conditorem, de creatura creatorem. (S. AUGUSTINUS, Enarr, in psalm. CXLIV, n. 6.)

Nulla quidem mens est mortali in corpore vivens, Quæ plena videat cognitione Deum. Sed miris operum signis ostenditur auctor, Rectoremque suum condita quæque canunt; Unde, licet fandi vires animique vigorem Vincat, et excedat gloria lausque Dei; Nos tamen officio cordis gaudemus, et oris Et tanto oblectat succubuisse bono. Hine fidei virtus, hine flamma oriatur amoris, Quod latet exercet, quod superat recreat. (S. PROSPER, lepigramma LXI.) Rerum divinarum comprehensio difficilis est admodum, etiam his qui conte.nplandis mysteriis, ac supra intellectum omnem positis rebus perspiciendis, in speculo certe, et enigmate, ut sapien tissimus Paulus ait, valde sunt exercitati, atque derfecti. Crassissima quippe cum sit hominis ratio contemplationum subtilitatem assequi non potest. Quare de rebus divinis, non sine multo metu, verba facienda sunt, et de his sitere longe consultius fuerit. Verum tamen is quibus docendi munus incumbit, non unpune futurum. (S. CYRILLY'S Alex., de S. et consubstantia i Trinit., prælat.) conantes, atque tendentes quiddam jam de invisibili natura conspicere cupimus, lassamur, reverberamur, repellimur: et si interiora penetrare non possumus, tamen jam ab exteriori ostio interius os tium videmus. Ipse enim consideratio..is labor os tium est: quia ostendit aliquid ex eo quod intus est: etsi adhuc ingrediendi potestas non est. (S. GREGORIUS Mag., in Ezech., lib. 11, homd. 5, n. 11.)

Cam

sont impossibles. De ce que nous n'en décourrons pas l'impossibilité, nous aurions tort sans doute d'en conclure absolument leur possibilité; il peut y avoir dans ces choses des répugnances qui nous échappent: ignorant la manière dont elles peuvent exister, nous ignorons peut-être des obstacles qui s'opposent à leur existence. Mais de même nous raisonnerions inconséquemment si, parce que nous n'apercevons pas distinctement la possibilité d'une chose, nous prononcions qu'elle est impossible: il n'y a d'impossible que ce qui répugne, que ce qui emporte l'être et le non-être; ne voyant pas de répugnance dans la chose, nous n'avons pas de raison pour la juger impossible. Ensuite, relativement aux choses dont l'existence m'est assurée d'une manière quelconque, je dis qu'il y en a dont j'ignore le mode, la nature, que je me figure existantes puisque je les sais telles, mais sans sa-voir de quelle manière elles peuvent exister; que, par conséquent, je conçois sans les comprendre. Je vois des phénomènes électriques: je suis donc sûr que l'électricité existe, je conçois donc l'électricité. Mais quelle est sa nature? par quel moyen se forme-t-elle? quelle relation y a-t-il entre elle et le mouvement qui la produit ou qui la développe? Je n'en sais rien: je ne coinprends donc pas l'électricité.

HI. Il résulte de là évidemment qu'il est contraire à la raison de nier les choses sur le fondement qu'on ne les comprend pas, ou, ce qui revient au même, parce qu'on ne sait pas comment elles sont; et si lon voulait adimettre ce genre de pyrrhonisme, il y a fort peu de choses dans le monde que l'on pût croire: de celles mêmes qui nous sont les plus familières, qui se passent continuellement autour de nous, dans nousmêmes, il y en a un très-grand nombre que Lous ne comprenons pas. Comprenons-nous la manière dont se fait la commmunication du mouvement? Savons-nous quelle cause

(7) Cum igitur et vos ipsos tantarum ac tot rerum fugiant origines, fugiant causæ, fugiant rationes, neque explanare possitis quid sit factum, aut quare aut cur oportuerit non esse, verecundiam divellitis et dilaceratis nostram; qui, quæ hequeunt sciri, nescire nos confitemur; neque ea conquirere aut investigare curamus quæ comprehendi liquidissimum est non posse. (ARNOBIUS, adv. gentes, lib. xi, cap. 60.) ‹ Quænam oratio possit omnia assequi? Quomodo omnia accurate recensere possit mens humana adeo ut proprietates es cognoscat, secernat clare singulorum differentias, et occultas causas certo proferat. (S. BASILIUS in Hexameron, homil. 6, n. 8.) - Quod autem assequi, et creaturarum omnium rationem compreherdere non possimus, idne sit nobis incredulitatis occasio? (S. JOANNES CHRYSOST., in Genesim, hom. 8, n. 6.) - llæc dicta sunt intelligeremus nos, retenta fide, illarum etiam rerum quas nondum comprehendimus, a temeritate opinantium vindicari. Nam qui dicunt nihil esse credendum nisi quod scimus, id unum cavent nomen opinationis; quod fatenduin est turpe ac miserrimum. Sed Sed si di ngenter considerent, plurimum interest utrum se scire quis putet, an quods necire se intelligit cre

secrète donne à un corps la puissance d'agir sur un autre? connaissons-nous le mécanisme qui métamorphose nos aliments en une multitude de liqueurs et de sécrétions diverses? Il est donc certain, incontestable, évident, que nous croyons fermement beaucoup de choses que nous sommes incapables de comprendre (7). Et que serait-ce que la vie humaine, si chacun ne pouvait croire que ce qu'il comprend (8)?

Je me suis étendu longuement sur cette explication, et sur la différence des deux idées concevoir et comprendre, parce que, comme je l'ai observé, la confusion affectée de ces deux Lotions est le principe d'un grand nombre de paralogismes des athées, et de tous les incrédules. Il était utile de fixer nettement cette notion, dont nous verrons plus d'une fois l'usage dans le cours de cet ouvrage. Faisons-en maintenant l'application à notre objet. Nous ne comprenons pas Dieu, cela est vrai; mais il ne résulte nullement de là que nous ne le concevions point, ou, ce qui revient au. même, que nous concevions son existence comme impliquant contradiction: au contraire, si son existence nous est démontrée, il est certain que nous devons la croire, quoique nous ne le comprenions pas.

IV. Je dis que nous avons l'idée de la divinité. L'homme le plus simple, quand on lui parle de Dieu, sait fort bien de quei être on l'entretient: quelque ignorant qu'il soit, il attache à ce mot deux idées: relativement à cet être en lui-même, il le regarde comme souverainement parfait; relativement à nous, il le considère comme le créateur de tout ce qui existe (9).

L'homme plus instruit pénètre plus avant dans la connaissance de cet Etre suprême. Il découvre, non pas, sans doute, tous ses attributs, mais quelques-uns; et s'il est dans l'impuissance de se les représenter tels qu'ils sont, il s'en forme du moins une idée quelconque (10). Cette double manière

dat aliqua auctoritate commotus, profecto, erroris et inhumanitatis atque superbiæ crimen vitabit. › (S. AUGUSTINUS, De util. credendi, cap. 2, n. 25.)

(8) Multa possunt afferri quibus ostendatur nihil omnino humanæ societatis incolume remanere, si nihil credere statuerimus quod non possumus tenere perceptum. (S. AUGUSTINUS, De util, credendi, cap. 12, n. 26.)

(9) Deum quidnam vocas? inquit ille. Quod idem est et eodem modo semper se habet; quodque cæteris omnibus causa est cur sint, hoc sane Deus est. Ita illi ego respondi. (S. JUSTINUS, Dial. cum Tryphone, cap. 111.) - Ego tamen qui profundum majestatis ejus, et artis excellentiam non queo comprehendere, non disputationis me libramentis committo atque mensuris: sed omnia reposita in ejus existimo voluntate; quod voluntas ejus fundamentum sit universorum, et propter ipsum etiam mundus his maneat. (AMBROSIUS, Hexameron, lib. 1, cap. 4, n. 16.)

(10) Quemadmodum autem nemo est qui aerem totum unquam hauserit, ita Dei naturam nec mens unquam ulla prorsus concepit, nec vox ulla complexa est. Verum ipsum ex his quæ circa ipsum PREMIÈRE PARTIE.

de connaître la divinité va former la division de la présente dissertation. Dans la première partie, je considérerai Dicu uniquement selon sa notion la plus commune, la plus triviale, la plus populaire, et je m'attacherai à prouver seulement qu'il sunt adumbrantes, obscuram quamdam, imbecillem, atque aliam ab alio speciem colligimus. Ac præstantissimus apud nos theologus censetur, non qui id totum quod Deus sit invenerit (nec enim vinculum hoc totum capere potest); sed qui amplio

existe un Etre infiniment parfait, créateur de tout le monde matériel que nous voyons. Dans la seconde partie, je reprendrai les différents attributs divins, et j'examinerai ce que la faiblesse de notre raison nous permet d'en connaître.

rem ipsius speciem mente conceperit, ampliusque veritatis simulacrum, vel adumbrationem, vel quocunque tandem alio vocabulo uti quis malit, in se ipso collegerit. (Sanctus GREGORIUS Nazianz., oratio 86.)

DE L'EXISTENCE DE DIEU.

I. Comme de toutes les vérités il n'y en a aucune qui nous intéresse aussi essentiellement que le dogme fondamental d'un Etre suprême et créateur, il n'en est aucune qui réunisse une aussi grande quantité de preuves. Ii n'existe pas un être qui ne nous fournisse une démonstration de l'existence de son anteur. Il n'est done pas étonnant que les personnes qui se sont attachées à la prouver en aient donné, chacune de son côté, des preuves diverses qui se sont trèsmultipliées. Les incrédules, qui ne perdent aucune occasion d'élever des difficultés el de présenter les plus minutieuses chicanes comme de graves arguments, nous donnent cette variété pour une discordance. L'existence de Dieu, disent-ils, est si peu prouvée, que les théologiens n'ont pas pu encore s'accorder sur les preuves qu'ils doivent en donner. En admettant qu'il y ait eu entre quelques théologiens des disputes sur la valeur de quelques-unes des preuves apportées de l'existence de Dieu, que peuton en conclure? Ils auront contesté sur la meilleure manière de prouver le dogme, ils n'en auront pas moins été d'accord sur le fond du dogme, puisqu'ils cherchaient à le prouver. Qu'importe la diversité sur les méthodes quand on s'accorde sur la doctrine? Mais ce qui détruit absolument cette objection, c'est qu'elle porte sur un fait manifestement faux. Il n'est pas vrai que les théologiens aient manqué de concert relativement à plusieurs des preuves de l'existence de Dieu: tous reconnaissent que l'existence du monde, l'ordre qui y règne, le consentement du genre humain, donnent des démonstrations évidentes de cette grande vérité. Quant aux autres preuves alléguées par quelques docteurs, quelques autres ne les ont pas employées, ou parce qu'ils les ont trouvées trop subtiles pour la portée de la plupart des esprits, ou parce qu'ils ont jugé qu'elles n'étaient pas nécessaires, ou parce qu'ils ont pensé qu'el

(11) Si sur cette question de l'école on veut prendre un parti, ne peut-on pas dire que la démonstraion du docteur Clarcke, dont nous allons faire usage, est a posteriori, en ce qui concerne l'existence de l'Etre nécessaire, puisque c'est des autres ètres

les rentraient dans celles dont ils faisaient usage, ou enfin parce qu'elles leur ont parn susceptibles de difficultés qui pourraient faire impression. Il y a eu aussi quelques contestations entre divers théologiens, non sur la valeur, mais sur la nature de quelques-unes de ces preuves: par exemple, sur la démonstration" produite par le docteur Clarcke, de la nécessité d'un premier Etre, on a agité la question de savoir si c'est une preuve a priori, c'est-à-dire déduite des principes, ou une preuve a posteriori, tirée des effets (11). Et c'est là une des disputes que les athées présentent comme une contradiction qui doit infirmer les preuves de l'existence de Dieu.

II. Ces preuves peuvent être de trois genres. Il y en a de l'ordre métaphysique, de l'ordre physique et de l'ordre moral. Je me contenterai d'en produire une de chaque espèce, tirées, la première de la nécessité d'un premier Etre, auteur de ce monde; la seconde, de l'ordre de l'univers; la troisième, du consentement unanime du genre humain. Elles vont faire le sujet des trois chapitres suivants.

CHAPITRE PREMIER.

PREUVE DE L'EXISTENCE DE DIEU PAR LA NÉCESSITÉ D'UN PREMIER ÊTRE CRÉATEUR.

Avant d'entrer dans le détail de cette première démonstration, il convient de présenter quelques éclaircissements utiles dans une matière de sa nature un peu obscure. I. Aucun être ne peut exister, à moins qu'il n'y ait une raison suffisante de son existence. Ce principe est d'une évidence telle, qu'il serait ridicule d'entreprendre de le prouver: ce serait d'ailleurs une peine inutile, car il n'est contesté par personne.

La raison suffisante de l'existence peut être de deux genres: ou la propre nature de l'être, ou une cause extérieure.

Tout être existe ou par soi-même ou par

créés par lui qu'on la conclut? mais qu'elle est a priori, quant aux attributs de l'Etre nécessaire, puisqu'on les infère de la nécessité d'exister, comme de leur principe.

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