avait été tirée du néant, elle y rentrerait, elle en ressortirait, au moins en partie. Or, aucune matière ne s'anéantit ni ne se recrée; elle change seulement de formes et de modifications, mais le nombre de ses particules est toujours le même; il ne se perd ni ne s'introduit dans le monde pas un seul atome. » De ce raisonnement il n'y a qu'une chose certaine : c'est que nous n'apercevons dans le monde, ni accroissement, ni diminution de matière: nous ne voyons que des décompositions et de nouvelles compositions de corps. Mais les athées seraient bien embarrassés de prouver le principe que dans le fait aucune partie de la matière ne s'anéantit, aucune ne se reproduit. Nous ne le voyons pas, donc cela n'est pas : quelle inconséquence ! Quelqu'un d'eux a-t-il suivi toutes les particules de matière dans les destructions et formations continuelles des corps, pour assurer qu'aucun atomene périt, qu'aucun n'est reproduit? N'insistons pas sur ce premier point. Voiei un autre argument plus inconséquent encore: Aucune partie de matière n'est actuellement créée, donc aucune ne l'a jamais été; aucune partie de la matière ne se détruit, donc la matière est indesfructible. Quel rapport y a-t-il entre les principes et les conséquences? Si nous disions que la matière s'est créée elle-même, on pourrait objecter que d'elle-même elle doit s'anéantir et se reproduire; mais son existence étant l'effet d'une puissance étrangère, ce n'est que par la volonté de cette même puissance qu'elle peut et s'anihiler et se renouveler. XLIX. Voici une autre difficulté. « Un être aussi parfait qu'est, selon vous, l'Etre nécessaire, ne peut rien faire sans motif: quel motif aurait pu l'engager à créer le monde? Il existait seul, dites-vous; ce n'est donc que pour lui-même qu'il a pu travailler. Quel besoin en avait-il? >>> (48) Dei consilium humana vota non capiunt. (S. AMBROSIUS, Expos. evang. secundum Lucam, lib. v, n. 43.) Qui quærit quare voluerit Deus mundum facere, causam quærit voluntatis Dei. Sed omnis causa efficiens est; one autem efficiens majus est quam id quod efficitur: nihil autem majus est voluntate Dei; non erge ejus causa quærenda est. (S. AUGUSTINUS, De div., quæst. 28.) Vid. idem, De Genesi, contra Manich., lib. 1, cap. 2, п. 4. • Secreta ejus sapientiæ pauci valent inquirere, sed nullus inveLire: quia quod super nos de nobis ab inmortali sapientia non injuste disponitur, justum profecto est uta nobis adhuc mortalibus ignoretur. (S.GRECORIUS-MAGN., Moral. lib. x, cap. 6, n. 7.) (49) Que si hominibus solis nota sunt, hominum facta esse causa judicanda sunt. (CICERO, De Natura deorum, lib. 1, сар. 62.) - Vid. ibid., cap. 53; et De legibus, lib. 1, cap. 8. - Non frustra mundum-a Deo conditum esse dicimus; sed propter humanuin genus. (S. JUSTINUS, Apol. 2, cap. 4.) - Fecit ergo Deus mundum propter ho minem. Hoc qui non videt, non multum distat a pecude. Quis cælum suspicit, nisi homo? quis solem, quis astra, quis opera Dei miratur, nisi homo? Quis colit terram, quis ex ea fructum capit, quis 1o Pour croire à la création est-il nécessaire que nous connaissions les motifs qui y ont engagé l'Etre nécessaire ? Je suis assuré qu'Homère a composé l'Iliade: ne pourrai-je croire qu'il en est l'auteur, que lorsque je serai informé des raisons qui l'y ont déterminé? 2° S'il n'est pas possible que nous connaissions les motifs de la plupart des actions des hommes, à plus forte raison il y aurait une présomption ridicule de prétendre pénétrer dans les vues d'un être aussi supérieur à nous que l'être infini (48). La création de la matière nous est démontrée; il nous est également impossible et inutile de connaître pourquoi et comment elle a eu lieu. 3o Ma raison ne me découvre pas avec certitude quel est le motif qui a déterminé l'être nécessaire à se donner des créatures; mais elle me montre clairement que ce motif ne peut pas être le besoin qu'il en a eu: l'être qui possède au degré infini toutes les perfections n'a aucun besoin. 4° Si je ne puis pénétrer dans les motifs de l'Etre nécessaire, je puis au moins, d'après l'ordre que je vois dans la création, former une conjecture qui satisfait ma raison. Je vois dans la nature une multitude d'êtres de tout genre, et entre eux tous, je n'en découvre qu'un capable de les connaître et de les faire servir à son utilite; l'homme seul entre tous les êtres créés a le pouvoir et les moyens de les employer à ses différents besoins: ne puis-je pas raisonnablement imaginer qu'ils ont été faits pour celui a qui seul ils peuvent servir (49)? Qu'y a t-il, dit un célèbre déiste, de si ridicule à penser que tout est fait pour moi, si je suis le seul qui puisse tout rap porter à lui (50)? L. On nous fait contre la création d'autres objections plus minutieuses encore que les précédentes, et qui méritent à peine qu'on en fasse mention. « Où était, avant navigat mare; quis pisces, quis volatilia quis quadrupedes habet in potestate, nisi homo? Cuncta igitur propter hominem Deus fecit, quia usui hominis cuncta cessere. Viderunt hoc philosophi. (LACTANTIUS, Epitom., сар. 69.) Vid. idem, De ira Dei, сарны 15.- Deus igitur ex quo omnia sunt, nullo eorum indiget quibus id quod sunt ipse largitus est. Omnia vero ad profectum corum qui gignerentur, creavit. (S. HILARIUS, Tractatus in psalmis, 2. п. 14.) - < Mundus propter hominem est. Soi splendidissimis fulgoribus micat; sed ut homini luceat effectus est; et omnia animalia ut nobis serviant constituta sunt; herbæ et a.bores, ad usum nostrum creatæ. Bona opificia omnia; sed nullum corum image Dei præter hominem. (S. CYRILLUS Ilieros., catech. 16, n. 15). - Licet diversa eve niant, et non possit justus scire quid ei futurum sit, nec singularum rerum causas rationesque cognoscere..... tamen sit a Deo cuncta in utilitatem hominum fieri. (S. HIERON., Comment. in Eccles., cap. 12.) - Quippe propter nihil aliud hæc ombia produxit, quam propter hominem, quem non muito post, quasi regem et principem, omnibus a se conditis præfecturus erat. (S. JOANNES CHRYSOST., in Genesim, homil. 6, n. 5.) (50) Emile, liv. IV, Confess. du Vic. savoyard. : 1 t 1 i 1 la création, l'Etre nécessaire? A-t-il pu produire le monde hors de lui, s'il est, comme on le prétend, présent partout à raison de son immensité? Où a-t-il pu, prendre l'idée du monde qu'il a créé? ce ne peut être ni hors de lui, puisque rien n'existait; ni dans lui, puisqu'on le prétend spirituel. >>> Un seul mot suflira pour chacun de ces sophismes. En traitant de la spiritualité et de la dignité de l'Etre nécessaire, nous montrerons qu'il n'a pas une présence locale, qu'il n'occupe pas un espace comme les corps. Nous répondrons en conséquence à la première interrogation: Avant la création, l'être nécessaire était comme il est à présent. Le mot ou et le mot étre spirituel sont deux termes inconciliables. Ainsi, l'Etre nécessaire n'a point créé l'univers hors de lui, puisqu'en lui il n'y a ni dehors ni dedans. L'homme, pour arranger un ouvrage, a besoin d'en chercher hors de lui l'idée, de s'en former l'image: l'Etre tout-puissant n'a pas besoin pour agir d'idées extérieures. Où d'ailleurs prend-on qu'un être, parce qu'il est simple et spirituel, ne peut pas avoir l'idée du composé et de la matière? ARTICLE NEUVIÈME. Dieu existe. Dieu est, se.on la notion universelle des hommes les plus simples comme des plus éclairés, un Etre souverainement parfait, créateur du monde. Or, nous avons vu dans les articles précédents qu'il existe un Etre qui possède dans un degré infini toutes les perfections, et que c'est lui qui a créé toute la matière: donc Dieu existe. (51) Qui facit terram in fortitudine sua, præparat orbem in sapientia sua; et prudentia sua extendit cœlos. (Jerem. x, 12.) • Si ex magnitudine et pulchritudine creaturum, proportione quadam Creator agnoscitur, quanto magis creatarum rerum pulchritudinem magnitudinemque contemplabimur, tanto magis ad ipsius opificis notitiam adducemur. (S. JOANN. CHRYSOST., in Genes., sermo 1, n. 1.) (52) Ita silentes gloriam et honorem Deo deferunt, et hanc vocem audiunt omnes. Quando enim hæc percipi auditu non possunt, sed aspectu et contemplatione. Aspectus porro unus est omnibus, tametsi lingua sit differens, et barbarus; Scythæ, Traces, Mauri et Indi vocein istam audiunt; hoc est, miraculum cernentes, pulchritudinem obstupescentes, splendorem, magnitudinem, alia omnia quæ ad cælum pertinent, qui recta sapiunt, gloriam et laudem offerunt Deo. (S. JOANNES CHRYSOST., in illud Isaiæ: EGO DOMINUS FECI LUMEN: 1. 2.) Vid. Ad pop. ant., homil. 9, n. 2. < Mundus ipse ornatissima sua mobilitate, et mutabilitate, et visibilium omnium pulcherrima specie quodammodo tacitus, et factum se esse, et non nisi a Deo ineffab.liter atque invisibiliter pulchro fieri se potuisse proclamat. (S. AUGUSTINUS, De civit. Dei, lib. xi, сар. 4, п. 2.) - Vere enim et merito hæc animis Aostris volvimus: si tanta est operum magnitudo et præstantia, quantus est utique ipse operum conditor; et si tanta est rebus conditis elegantia, quantam sapientissimi illius omnium Creatoris pulchritudinem esse convenit? Sic, inquam : Cæli enarrant gloriam Dei, opus vero manuum ipsius annuntiat firma CHAPITRE SECOND. PREUVE DE L'EXISTENCE DE DIEU PAR L'ORDRE DU MONDE. I. Nous venons de voir la matière prouver par son existence, celle d'un Créateur: nous avons vu ses mouvements donner la preuve d'un premier moteur. La conviction de ces importantes vérités devient plus vive encore, quand nous contemplons l'ordre admirable de la nature, et le magnifique tableau qu'elle nous présente (51). Cette démonstration est si simple, si naturelle; elle saisit si vivement l'esprit aussitôt qu'on la lui présente, elle le satisfait si pleinement quand il l'approfondit, qu'il est étonnant qu'on soit obligé de la développer, et qu'il se soit rencontré des hommes qui aient entrepris de la combattre. Ils traitent de vaine déclamation tout ce que, sur cette si belle matière, ont dit de plus éloquent les plus grands génies soit du christianisme, soit même du paganisme. Il serait glorieux sans doute, à la suite de ces illustres personnages, de mériter un pareil reproche; mais ici, la chose parle bien plus éloquemment que tous les hommes Quelle voix humaine peut égaler la voix de la nature entière, criant de toutes ses parties, et proclamant la grande vérité que nous défendons? Langage sublime! langage universell tous les temps, tous les pays, tous les âges, toutes les conditions l'ont entendu (52). L'enfant et l'homme mûr, le sauvage et le citoyen policé, l'ignorant et le savant, tout homme qui ne ferine pas volontairement les yeux, comme l'athée, lit, tracée en lettres de feu dans les cieux, l'existence de leur auteur (53). Quant à nous, n'oublions pas que mentum. Sic dies diei eructat verbum, et nox nocti annurtiat scientiam: ne quidem aliqua vocis emissione, vel linguæ loquela, sed multa illa qua se invicem excipiunt successione et vicissitudine, qua hominum utilitati inserviunt, quatam altum quodam modo exclamant, et universum hominum genus illorum vocem exaudiat. Nec enim sunt loquelæ, neque sermones, quorum non exaudiantur voces eorum : omnes quippe gentes et linguæ diei et noctis præconia percipiunt; nam linguæ quidem aliquo inter se discrimine differunt; una autem omnium natura eadem ex his utilitate fruitur. » (THEODORETUS, De Providentia, orat. 4.) (53) Cæli enarrant gloriam Dei, et opera manuum ejus annuntiat firmamentum, dies diei eructat verbum, et nox nocti indicat scientiam. Non sunt loquelæ, neque sermones, quorum non audiantur voces corum. (Ps. XVIII, 2, 3, 4.) <Ita ergo quasi radii quidam sunt Dei naturæ opera divinæ Providentiæ, et ars universalitatis ejus ad comparationem ipsius substantiæ et nature. Quia ergo mens nostra ipsum per se Deum sicut est non potest intueri ex pulchritudine operum, et Deum creaturarum parentem universitatis intelligit. (ORIGENES, De principiis, lib. 1, n, 6.) • Quo magis mihi videntur qui hunc mundi totius ornatum non divina ratione perfectum volunt, sed frustis quibusdam temere cohærentibus conglobatum, mentem, sensum, oculos denique ipsos non habere. Quid enim potest esse tam apertum, tam confessum tamque perspicuum, cum oculos in ca lum sustuleris, et quæ sunt intra circaque lustraveris; quam esse aliquod numen prestantissime c'est à ces aveugles volontaires que nous parlons, que ce que nous leur devons est une pure et simple démonstration. Ainsi, nous bornant à la sécheresse du raisonnement, nous nous arrêtons à deux propositions simples et claires: la première, qu'il existe dans la nature un ordre admirable; la seconde, que cet ordre n'a pu être établi que par Dieu. Ce seront les sujets de deux articles auxquels nous en joindrons un troisième, dans lequel nous répondrons à quelques difficultés. ARTICLE PREMIER. Il existe dans la nature un ordre admirable. II. Selon les athées, l'ordre n'est rien en soi(54). «Ce mot, disent-ils, dans sa signification primitive, ne représente qu'une façon d'envisager et d'apercevoir avec facilité l'ensemble et les rapports d'un tout dans lequel nous trouvons, par sa façon d'être et d'agir, une certaine convenance ou conformité avec la nôtre..... L'ordre et le désordre, dans la nature, n'existent point: nous trouvons de l'ordre dans tout ce qui est conforme à notre nature, et du désordre dans ce qui lui est contraire. » Tout, dans cette prétendue notion de l'ordre est faux. On commence par confondre l'ordre en lui-même avec l'idée que nous en avons; notre façon d'envisager l'ordre, avec l'ordre que nous envisageous. L'idée de l'ordre en général est une idée abstraite, comme toutes nos autres idées générales, comme les idées de vertu, de beauté, ete. Mais pour ètre abstraites, elles n'en ont pas moins un fondement hors de nous; et de même qu'il y a dans le monde de la vertu, de la beauté, de même il y a de l'ordre. Il faut considórer aussi que l'ordre étant une qualité des êtres, de même que toutes les autres qualités, n'a pas une existence propre et isolée : il n'existe que dans les choses; il n'est que les choses mêmes réglées et ordonnées plus ou moins parfaitement. Telles sont la divisibilité, la mobilité, la solidité: ce ne sont pas des êtres existants en eux-mêmes, ce mentis, quo omnis natura inspiretur, moveatur, ne sont que les corps divisibles, mobiles et solides: ces qualités ne sont cependant pas moins réelles et existantes. Ainsi, l'idée de l'ordre en général est une abstraction de notre esprit; l'idée de l'ordre appliquée à un objet particulier est l'idée de cet objet disposé avec ordre. Mais de ce que l'idée de l'ordre est telle dans notre esprit, l'athée a tort de conclure que hors de notre esprit il n'existe pas d'ordre. III. Il y a quelque difficulté à donner de l'ordre une définition précise, parce que l'idée d'ordre est simple et plus claire que toutes celles par lesquelles on entreprendrait de l'expliquer. Il n'y a personne qui, en voyant une chose, ne sente qu'il y a de l'ordre ou du désordre. Quand on voit les diverses parties d'un tout situées dans des places convenables, correspondre entre elles, et tendre à un même but, tout homme qui n'est pas dépourvu de raison dira que là il y a de l'ordre. Je demanderai à l'athée lui-même s'il ne trouve pas plus d'ordre dans la façade symétrique d'un beau palais que dans un amas de pierres jetées confusément sur la terre; dans un concert harmonieux que dans les cris confus d'un troupeau de divers bestiaux? Si l'ordre n'est qu'une fiction de notre esprit, s'il n'a pas hors de nous de réalité, le pays où il n'y a ni lois ni gouvernement, où les hommes se dépouillent, s'assassinent impunément, où tout est dans le trouble et la confusion, est donc aussi bien ordonné que celui où des lois sages et un gouvernement ferme assurentaux citoyens leur sûreté, leur propriété et leur liberté. Si l'ordre n'est qu'un nom, il n'y a de différence que le nom entre la vérité et l'erreur, entre la sagesse et la folic, entre la vertu et le vice. C'est avec aussi peu de vérité que l'on avance que nous faisons consister l'ordre et le désordre dans les choses qui nous sont favorables ou contraires. Nous reconnaissons l'un et l'autre dans les choses qui sont les plus éloignées de nous, les plus indifférentes à notre bien-être, nous les reconnaissons biles, et inquit universus aer, cum incolis suis : Fallitur Anaximenes, non sum Deus. Interrogavi cælum, solem, lunam, stellas: Neque nos sumus Deus quem quæris, inquiunt. Et dixi omnibus is qui circumstant fores carnis meæ : Dixistis mihi de Deo meo quod vos non estis; dicite mihi de illo aliquid; et exclamaverunt voce magna : Ipse fecit nos. (S. AUGUSTINUS, Confess., lib. x, cap. 6, n. 9.) Vid, idem, sermo 141, in Verbis evang., cap. 11, n. 2; Enarr. in psalm. CXLI, n. 13. • Dicente enim Propheta: Cæli enarrant gloriam Dei.... quid est per quod veritas nobis non loqu tar? Ipsius voces in die, ipsius andientur in nec e. Et pulchritaso rerum unius Dei opificio conditarum non desinit cunet s auribus magistram insinuare rationem, ut invisibilia Dei per ea quæ facta sunt intellecta conspiciantur. (S. LEO, S. rmo 19, in Jejunio decimi mensis, 8, caput 2). • Dum enim quæ sunt creata cernimus, in Creatoris admirationem sublevamur. (S. GREGORIUS Mag., Moral. lib v, cap. 29, n. 52.) (54) Système de la nature, tom. I. chap. 5. jusque dans celles qui nous nuisent. Je souffre dans une ville assiégée, je ne vois pas moins que le siége se fait avec ordre et régularité. IV. La réalité, l'existence de l'ordre étant établie, il n'est assurément pas difficile de prouver que rien au monde ne présente un ordre plus admirable, plus parfait que le monde lui-même. Quatre choses contribuent spécialement à le rendre plus merveilleux: d'abord, son étendue, c'est-à-dire la multiplicité et la variété des rapports qui le constituent; ensuite, l'exactitude et la juste correspondance de ces rapports entre eux; après cela, leur constante stabilité; enfin, la fécondité, la diversité, l'apparente contrariété des moyens qui l'établissent et le conservent. V. En premier lieu, la multiplicité et la variété des rapports de ce monde matériel sont telles que notre esprit ne peut s'en former l'image (55). En essayant d'approfondir cette idée, il s'y confond comme dans l'idée de l'infini. Il n'y a pas un atome de matière qui ne se combine avec d'autres : c'est leur réunion qui forme les corps, et Jeur séparation en opère la dissolution, pour aller ensuite recomposer d'autres corps. Si, des éléments, nous passons aux êtres qu'ils composent, d'abord nous découvrons leur nombre immense, leur prodigieuse diversité. Depuis ces globes de feu qui roulent sur nos têtes, dont nous avons peine à calculer l'énorme grandeur, et en comparaison desquels, le globe que nous habitons, qui nous semble si vaste, est cependant si petit, jusqu'à l'immense multitude de ces êtres microscopiques, devant lesquels un grain de sable est une montagne; quelle immense quantité de substances, ayant chacune son existence propre et individuelle! Le mot innombrable est trop faible pour l'exprimer. De tous ces êtres considérés en particulier, il n'y en a pas un seul qui ne soit formé de parties dont l'assemblage le constitue, et dans lequel il n'y ait une relation de toutes ces parties, soit entre elles, soit avec le tout. Si on considère les êtres divers sous un point de vue plus général, on découvre qu'il n'y en a aucun qui n'ait des rapports avec un grand nombre d'autres. Depuis la dernière particule de matière, jusqu'à l'uni (55) Quæ vides ipse fecit. Miraris mundum: quare non artificem mundi? Suspicis cælum, et ex horrescis; cogitas universam terram, et intremiscis. maris magnitudinem quando cogitatione occupas? Respice innumerabilitatein ste stellarum; respice tanta genera seminum, tantas diversitates animalium. Quidquid natat in aquis, repit in terra, volitat in aere, circuit in cælo, omnia ista, quam magna! quam pulchra! quam stupenda! Ecce qui fecit hæc ommia, Deus tuus est. (S. AUGUSTINUS, Enarr, in psalm. CXLVIH, п. 12.) (56) Entre les diverses descriptions des merveilles de la nature, faites par divers auteurs pour prouver l'existence de Dieu, on peut voir entre autres le magnifique discours que Cicéron met dans la bouche de Lucilius Balbus, stoïcien (De nat. deor., lib. n, a cap. 38 ad cap. 65); et le poëme de la Religion, de Louis Racine, chant 1. (57) Non licet magis ex colo et terra quam ex vers entier, c'est une chaîne d'êtres qui font successivement partie les uns des autres; tous servent à d'autres, tous sont servis par d'autres; tous sont à la fois les deux termes de la relation; tous sont et moyen et objet. Dans les ouvrages de l'homme, l'ordre est simple, c'est-à-dire que chaque chose n'a de relation qu'à une seule autre, ou du moins à un petit nombre d'autres; chaque cause ne produit que peu d'effets. Dans la nature c'est une complication inimaginable de rapports: il n'y a pas un être qui ne soit en relation avec une multitude d'autres, soit comme cause concomitante avec eux, soit comme effet résultant de leur concours; c'est une influence générale et réciproque de presque tous sur presque tous. VI. En second lieu, outre cette immense multiplicité de rapports, nous devons spécialement admirer leur exactitude, et la justesse avec laquelle tous ces êtres divers correspondent entre eux. Je n'entreprendrai point de décrire cette magnifique harmonie des êtres (56); ce serait un travail infini et toujours incomplet, sur un objet qui excède visiblement la capacité de l'esprit humain: il est impossible quede ces relations si multipliées, si variées, souvent si éloignéos de nous, quelquefois si minutiouses, le plus grand nombre n'échappe à nos recherches. Contentons-nous de quelques indications sommaires sur l'objet que nous sommes le plus à portée de connaître, sur la terre que nous habitons. Dans la marche qu'elle suit autour du soleil, elle se tient constaminent à une distance proportionnée aux influences qu'elle doit en recevoir, et, lui présentant successivement ses diverses faces, elle tire de lui une variété de température nécessaire à sa fécondité. Les combinaisons variées à l'infini du feu, de l'air, de l'eau et de la terre, forment tous les corps et les entretiennent, fournissant à chacun, dans une juste mesure, ce qui lui est nécessaire. La structure des plantes est analogne à leur manière d'être, de se développer, de s'accroître et de se produire. Chacun des animaux a une conformation adaptée à ses besoins; elle varie dans eux comme leurs différentes manières de subsister. Jetous les yeux sur nous-mêmes (57): il n'est nostra constitutione Deum agnoscere, et certe qui se ipse prudenter scrutatus fucrit, uti ait Propheta: Mirabilis facta est scientia tua ex me: hoc est, ubi me ipse novi præstantissimam tuam sapientiam ipse didici. (S. BASILIUS, in Hexameron, hot homil. 9, n. 6.) In teipsum superest ut ingrediare, et ex wa ipsius natura artificem nosce. Quodnam in tuo corpore reprehensione dignum conditum est? teipsum contine: nihilque pravum ex omnibus membris existet... Quis est qui ad liberorum procreationem utera cava præparavit? quis inanimatum fætum in ipso animavit? Quis nervis et ossibus nos connexuit, pelemque et ca nem circumduxit: simul atque natus est infans ex uberibus Ecas fontes exprimit? Quomodo infans in puerum crescit; ex puero in juvenem; deinde in virun; et id m rorsus in senem mutatur; nemine quid quaque die mutatioms præcise fiat deprehendente? Quomodo alimentum partim quidem in sangumem converti pas un de nos membres dont la construction, la correspondance des différentes parties, ne soit un prodige. La relation de Hos membres entre eux, l'utilité dont i's sont les uns aux autres, leur mesure exaсtement calquée sur nos besoins, le résultat de leur ensemble, sout de nouveaux sujets d'admiration. Depuis les vastes parties du grand tout, jusqu'aux minutieuses parcelles des plus petits êtres, tout est proportionné, tout est à sa place, tout a ce qu'il lui faut, ni plus, ni moins, pour concourir à son but, et pour l'atteindre. VII. En troisième lieu, la constante permanence de cet ordre si admirable, qui frappe sans cesse nos regards de la même manière, fait que nous n'en sommes pas très-étonnés (58). Et cependant cette stabilité, cette perpétuité du même ordre doit augmenter de plus en plus notre étonnement et notre admiration (59). Il faut que tous les ressorts qui font mouvoir cette immense machine, et dans son ensemble et dans la multiplicité de ses parties, soient bien fortement constitués, bien sagement ordonnés, pour que, depuis un si grand nombre de siècles, l'ordre qu'ils établissent se maintienne toujours le même, sans éprouver le plus léger dérangement. Nous voyons les astres suivre toujours le même cours à travers l'espace, sans jamais se rencontrer; et les comètes, qui suivent une marche opposée, ne se trouvent sur la route d'aucun autre corps. Depuis six mille ans, le soleil ne tesse de verser des forrents de lumière sans s'épuiser; la terre, de faire germer de nouvelles productions, sans altérer sa fécondité; la mer, de recevoir le tribut des fleuves el des pluies, sans déborder. Après un si grand nombre de siècles, l'ordre du monde, le concert de ses parties est le même tur, partim vero in excrementum secernitur; partim in carnem transmutatur? Quis est qui indeficienti cor agitat motu, qui eculorum turpitudinem palpebrarum amplexu tamen sapienter munivit? nam de varia et incredibili oculorum structura, vix grandes medicorum sufficienter libri ederentur. Quis unicam respirationem in totum corpus distr.buit? Vides, homo, artificem; vides sapientem condito.cm. (S. CYRILLUS her., catech. 9, n. 15.) (58) Sed assiduitate quotidiana, et consuetudiné oculorum assuescunt animi, neque admirantur, neque requirunt rationes earum rerum quas semper vident: proinde quasi novitas nos magis quam magnitudo rerum debeat ad exquirendas causas excitare. (CICERO, De nat. deor., lib., 11, сар. 38.) (59) Quomodo autem potuisset aliquid permanere, nisi tu voluisses? aut quod a te vocatum non esset, conservaretur? (Sup. xi, 26.) Nec vero hæc solum admirabilis: sed nihil majus quam quod ita stabilis est mundus, atque ita cohæret ad permanendum, ut nihil ne cogitari quidem possit amplius. (CICERO De nat, deor., hb. 11, cар. 45.) Magnificentiam Dei omnes hujus quoque mundi creationes indemutabili officioruin suorum constitutione testantur; cum ita firmata, fundata, statutaque omnia sint, ut perpetuis cujus manebunt constitutorum ab exordio temporum cursibus perseverent. (S. HILARIUS, Tract, in psalm. cxxii, qu'il était dans les premiers ours. Sa constante perpétuité est telle, qu'elle est le fondement de la certitude physique, et que le plus léger dérangement qui y arriverait serait regardé comine un miracle, dont l'in crédulité rejetterait avec mépris la possibi lité. VIII. En quatrième lieu, ce qui doit ache ver de donner une grave et extraordinaire idée de cet ordre, c'est la singularité et la contrariété apparente des moyens par lesquels il se conserve sans interruption. Tous les éléments de la matière sont dans une continuelle opposition; et c'est leur combat qui maintient leur union. Le mouvement régulier des astres est le résultat de deux mouvements opposés. En décomposant des minéraux, en y trouve des principes contraires, et la nième mine donne des substances de natures absolument opposées. L'accroissement des plantes est l'effet d'une combinaison de froid et de chaud, d'humidité et de sécheresse. Le corps des animaux, le nôtre, est un composé de solides et de fluides; de solides tous divers, les uns durs, les autres mous, et ayant une différente mcde densité; de fluides de nature contraires, doux et amers, alcalins et acides, qui s'unissent merveilleusement, sans se confondre. Tout ce que nous découvrons dans la nature est en opposition; et tout, depuis des siècles, se tient dans le plus parfait concert. On ne voit jamais ces éléments, dont les effets sont quelquefois si prodigieux, excéder leurs limites et venir absorDer les autres. C'est de leur combat conti nuel que naît leur paix constante (60). Се n'est pas tout: cet ordre que nous voyons dans une constante régularité est, dans plusieurs de ses parties, l'effet de continuelles variations. Voyez sur la face dela terre une sure litt. 12, n. 9.) - Interroga igitur dicentem quod per se nata, omnia per se subsistant. Si breve hoc et modicum corpus, medicaminibus et medicinali scientia utens, anima interius ipsum disponente, et multa philosophia, et innumerabilibus aliis auxiliis, non semper in bono statu permanere valet, sed perit et corrumpitur, sæpius turbatione in ipso facta; quomodo tantus mundus, tantas habens corporum moles, et ex iisdem compositus elementis, nisi multa frueretur providentia, tanto tempore imperturbatus manere potuisset? Nec enim cumatione fieri posset ut providentiam quidem habens iuterius et exterius, nostrum corpus vix ad sui conservationem sufficeret; tantus vero mundus, nulla fruens providentia, per tot annos nihil tale pateretur, quale nostrum corpus. Quomodo erge nullum horum elementorum, quæso, proprios tran scendit terminos, nec reliqua oninia consumpsitt Quis vero ipsa ab initio conjunxit? quis devinxit quis frenavit? quis usque in tantum tempus conti net? (S. JOANN. CHRYS. ad pop. Ant., homil. 16 n. 2.) (60) Si simplex et et uniforme fuisset mundi, corpus non tam impossibile fuisset quod dicitur. Quomodo autem tanta elementorum pugna fuit ab initio? Quis tam demens ut non putet, sine cogente, hæc per se convenisse, et conjuncta mansisse?, (S. JOANNES CHRYSOST. ad pop. Ant., homil. 10, n. 2.) |