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IV. Dieu infiniment sage ne fait rien sans motif. Il ne peut déranger l'ordre qu'il a établi dans le monde que par des vues tirées de son infinie sagesse. Tout miracle doit done avoir un objet. Un miracle sans but serait indigne de Dieu, et dès lors il est impossible. Cet objet du miracle doit être de l'ordre religieux, le seul qui soit digne que Dieu intervertisse ses lois. Ainsi nous ne regardons comme un vrai miracle que celui qui a pour objet quelque point de la religion. Qu'on fasse devant moi une chose aussi extraordinaire, aussi incroyable qu'on puisse le supposer; si c'est pour me prouver quelque chose d'étranger à la religion, je ne croirai jamais que ce soit un miracle. Le miracle est certainement impossible à tout autre qu'à Dieu; mais Dieu lui-même peut-il en opérer? En donnant des lois à la nature, s'est-il réservé ou s'est-il ôté le droit de les intervertir, de les suspendre? Voilà ce qu'il s'agit d'examiner.

V. Plusieurs de nos déistes ont reconnu dans Dieu ce pouvoir. Contentons-nous de citer un des plus célèbres. « Dieu peut-il faire des miracles, c'est-à-dire, peut-il déroger aux lois qu'il a établies? Cette question sérieusement traitée serait impie, si elle n'était absurde. Ce serait faire trop d'honneur à celui qui la résoudrait négativement, que de le punir; il suffirait de l'enfermer. Mais aussi quel homme a jainais douté que Dieu pût faire des miracles? Il fallait être hébreu pour demander si Dieu pouvait dresser des tables dans le désert (166). »

VI. Il est très-vrai, comme le dit cet écrivain, que nul homme, jusqu'aux incrédules de nos jours, n'avait douté du pouvoir de Dieu de faire des miracles. Il n'y a pas eu de religion qui n'ait prétendu s'autoriser par des prodiges. Cet accord unanime de tout le genre humain, excepté des déistes modernes, est contre eux du plus grand poids. En attribuera-t-on la cause à un Sentiment naturel et inné, qui portel'homme à croire que Dieu peut se révéler à lui de cette manière? En fera-t-on remonter l'origine à des révélations anciennes, dont un souvenir confus s'était conservé parmi les peuples? Que ceux qui, contre la doctrine universelle, veulent contester à Dieu le pouvoir des miracles, choisissent entre ces hypothèses.

Si, comme ils le veulent, le miracle était impossible, cette impossibilité viendrait, ou du côté de l'œuvre miraculeuse, ou du côté de Dieu: ce serait, ou la nature du miracle qui répugnerait à l'existence, ou les attributs divins qui répugneraient à sa

tudine gloriantes, reprimit, dicens: Non Moyses, sed Pater meus dedit vobis manna de cœlo. (S. GREGOR. Magn. in lib. I Reg., lib 1, cap. 3, n. 8. )

(186) J. J. RouSSEAU. troisième lettre écrite de la Montagne.

(167) Sed eum Deus auctor sit naturarum omnium, cur nolunt fortiorem nos reddere rationem, qui an aliquid velut impossibile nolunt credere ? lisque redditionem rationis poscentibus, respondemus hanc esse voluntatem omnipotentis Dei, qui

production: deux assertions également insoutenables.

VII. En premier lieu, on ne peut pas dire que le miracle soit répugnant en lui-même. Če qui répugne dans une chose, c'est ce qui est contraire à son essence; sans quoi elle ne peut ni exister, ni être conçue; qui implique en elle contradiction, qui suppose à la fois l'être et le non-être. Or, il n'y a rien de semblable dans un miracle. Que le cours du soleil soit suspendu, et que cet astre soit arrêté quelque temps dans sa course, il n'en est pas moins le soleil, il n'en a pas moins toutes ses propriétés essentielles. Un homme ressuscité est toujours un homme, et le commandement particulier qui le rappelle de la mort à la vie n'est pas plus contraire à son essence que la loi générale qui l'avait fait passer de la vie à la mort. La suspension du cours du soleil, la résurrection d'un mort, présentent à notre esprit quelque chose d'étonnant, mais rien de contradictoire. Nous concevons le soleil s'arrêtant et le mort ressuscitant. Ainsi, à ce premier égard, on ne peut pas dire qu'il y ait dans le miracle impossibilité et répugnance.

En second lieu, si le miracle était contradictoire à la nature divine, ce serait parce qu'il répugnerait à Dieu de pouvoir ou de vouloir en faire, parce que le miracle serait ou au dessus de sa puissance, ou indigne de sa sagesse.

VIII. Or, d'abord, il est aussi déraisonnable qu'injurieux de prétendre donner à la toute-puissance de telles limites. Dieu ne peut pas, disent les docteurs, changer les essences des choses, parce qu'il ne peut pas faire que dans le même temps une chose soit et ne soit pas telle; mais hors cela, il peut tout. Le miracle n'implique pas contradiction; il n'a rien en lui-même qui l'empêche d'exister. Dieu peut donc l'opérer. Et qui pourrait l'en empêcher? Quel obstacle exté rieur ou intérieur peut limiter son pouvoir? Au dehors il ne voit que des êtres créés par lui; au dedans il éprouve une puissance universelle. C'est lui qui, en ordonnant au monde d'être, lui a donné des lois selon qu'il a plu à sa volonté suprême. Oserait-on dire qu'il n'a pas eu droit d'ordonner que ces fois seraient suspendues à telle époque et dans telle occasion! Un maltre absolu ne peut-il pas faire à ses commandements les exceptions qu'il veut? Si nous contemplons Dieu en lui-même, il est tout-puissant (167); si nous le considérous relativement à la nature, il est son auteur et son législateur (168). Ainsi, à toutes sor

certe non ob aliud vocatur omnipotens, nisi quoniam quidquid vult potest, qui potuit creare tam multa quæ, nisi ostenderentur, aut a credendis hu dieque testibus dicerentur, profecto impossibilia putarentur. (S. AUGUST., De civit. Dei, lib. XA, cap. 7.)

(168) Non subjacet naturæ legibus, a quo legem o:nnis natura sortitur. (S. HILAR., De Trinit. lib. x, n. 72.)

• Neque enim valet natura contra naturæ Domi

tes de titres il est le maître d'interrompre

son cours.

IX. Je dis ensuite que le miracle ne répugne pas non plus à la sagesse divine; je prétends, au contraire, qu'il y est infiniment conforme. Dieu voulant parler aux hommes et leur enseigner des vérités, il est dans l'ordre de sa sagesse que les hommes puissent connaître que c'est en effet sa voix qu'ils entendent, sa doctrine qu'ils reçoivent. Or, pour leur donner cette certitude, le miracle est un langage parfaitement convenable, parce qu'il est tout à la fois et très-digne de Dieu, et très-propre à l'homme.

X. Il est digne de Dieu de parler en maftre et de déployer dans la publication de ses ordres une puissance qui en procure l'exécution. Quel être dans la nature peut refuser d'obéir à celui à qui la nature entière obéit?

XI. Il est aussi très-adapté à la nature de l'homme, ce langage, qui est complétement démonstratif et universellenment persuasif; qui, par sa force convainc l'esprit, par sa simplicité est à la portée de tous les esprits.

XII. Premièrement, le miracle forme une démonstration rigoureuse. Quand j'entends dire, ou quand je vois faire quelque chose, qu'il n'y a qu'un certain homme qui le puisse dire ou faire, j'en conclus que c'est la parole ou l'action de cet homme. La conséquence est certaine; et si jamais je me trompe à cet égard, ce n'est que sur le principe; c'est que je croirai qu'une chose n'a pu être dite ou faite que par un tel homme, quoiqu'elle ait pu l'être par un autre. Ce même raisonnement fonde la conviction résultante du miracle: je vois une chose qui n'a pu être faite que par Dieu, et je ne peux pas me tromper sur ce principe; l'ordre de la nature ne peut être dérangé que par celui qui a autorité sur la nature. Quand donc je vois un homme, qui me propose une doctrine au nom de Dieu, faire en même temps un acte qui est une dérogation certaine aux lois de la nature, je suis forcé de croire qu'il est véritablement envoyé de Dieu pour m'instruire, et que la doctrine qu'il me prêche vient de celui qui seul a pu lui donner le pouvoir de faire le miracle (169).

Lorsqu'un homme, s'annonçant l'envoyé num, aut potest vas figulo dicere: Quare me ita fecisti? aut ita licet quod pro miraculo signo atque portento fit, legem natura facere nou possit. (S. HIERONYM., Epistola ad Vitalem presbyt.)

(169) Sed hoc illo tempore difficillimum fuit, quo tunc prædicare regnum cælorum invisibile mittebantur, cum longe lateque omnia cernerent florere regna terrarum. Unde-et a juncta sunt prædicatoribus sanctis miracula, ut fidem verbis daret virtus ostensa, de nova facerent, qui nova prædicarent; sicut in hac eadem lectione subjungitur : Infirmos curate, mortuos suscitate, leprosos mundate, dæmonios ejicite. Florente mundo, crescente humano genere, diu in hac vita subsistente carne, exhuberante rerum opulentia, quis, cum audiret, vitam esse aliam, crederet? Quis invisibilia visibi

de Dieu, et présentant une doctrine comme divine, offre en même temps de faire des miracles, il appelle Dieu en témoignage de ce qu'il avance. S'il opère, en effet, le miracle qu'il avait promis, Dieu lui-même intervient! il atteste ce que cet homme a dit en son nom, et il le dégage de sa promesse en la réalisant; il se rend la caution et le garant de sa véracité (170).

Quand on voit un envoyé se présenter de la part de son prince avec des lettres de créance authentiques, on croit d'abord qu'il est en effet l'envoyé de ce prince; ensuite, que ce qu'il dit, il le dit de la part de son maître; on regarde sa parole comme celle du souverain lui-même. Le miracle est la lettre de créance de Dieu, et certainement la lettre de créance la plus authentique qui puisse exister. On sent que je ne parle ici que du miracle certain et incontestable.

XIII. Secondement, le langage du miracle, si démonstratif par lui-même, est encore parfaitement digne de la sagesse divine, en ce qu'il est à la portée de tous les esprits. Il satisfait pleinement la raison du savant, et n'excède pas celle de l'ignorant. Plus on le médite, plus on le trouve convaincant, et il n'a pas besoin d'être approfondi pour être trouvé tel. L'examen d'une doctrine exige des raisonnements, des discussions, dont la plus grande partie des hommes n'est pas capable. Le miracle tranche toutes les difficultés, abrége toutes les disputes. Il ne faut que des yeux pour s'assurer du fait; et la conséquence est tellement immédiate, tellement claire, qu'il suffit, pour l'apercevoir, de n'avoir pas l'esprit dérangé.

XIV. C'est donc à tort que l'incrédule oppose à la possibilité des miracles leur inutilité. « N'est-il pas surprenant, dit-il, que la Divinité trouve plus facile de déranger l'ordre de la nature, que d'enseigner aux hommes des vérités claires, propres à les convaincre, capables d'arracher leur assentiment? Ne peut-elle pas, sans ce moyen extraordinaire, persuader les hommes, et leur faire vouloir ce qui lui plaît ? >>>

XV. Quand nous ignorerions quelle est l'utilité des miracles, ce ne serait pas une raison pour en nier la possibilité. Que de choses existent dans le monde, dont Dieu est par conséquent l'auteur, et dont il est impossible, et aux déistes et à nous, de donner la raison!

libus præferret? Sed ad salutem reacuntibus infire
mis, ad vitam resurgentibus mortuis, carnis mun-
diciam recipientibus leprosis, ereptis a jure im-
mundorum spirituum dæmoniacis, tot visibilibus
miraculis exactis, quis non crederet, quod de invi-
sibilibus audiret? Ad hoc quippe visibilia miracula
coruscant, ut corda videntium ad fidem invisibi
lium pertrahant, ut per hoc quod mirum foris agi-
tur, hoc quod ost intus longe mirabilius esse sen
tiatur. > (S. GREGOR. Magn.,
in Evangel., lib. 1,
homil. 4, n. 2 et 3.)

(170) Respondit Dominus: Ego inibo pactum videntibus cunctis. Signa faciam quæ nunquam visa sunt super terram, nec in allis gentibus; ut cognoscat populus iste, in cujus es medio, opus Domini terribile quod facturus sum. (Exod. xxxiv, 10.)

XVI. Mais c'utilité des miracles n'est pas un mystère. Nos seules lumières suffisent pour nous faire voir que c'est, sinon l'unique, au moins le plus convenable et le plus efficace moyen d'instruire la multitude des hommes des vérités et des volontés divines (171). Je ne vois que deux autres moyens que la sagesse divine pût employer pour atteindre ce but. L'un serait de rendre toute révélation inutile, en perfectionnant nos facultés, au point que nous vissions clairement par notre raison toutes les vérités et tous les préceptes divins; l'autre, de les manifester à chacun de nous par des révélations particulières. Le premier n'a nulle proportion à notre nature; ce ne serait plus l'homme que Dieu instruirait, ce serait un autre être d'un ordre différent. Le Créateur, en nous accordant des facultés, tant corporelles qu'intellectuelles, dans une certaine mesure, les a proportionnées à nos besoins: le changement de ces facultés exigerait le changement de ce pourquoi elles nous ont été données. Demander que Dieu emploie ce moyen pour nous instruire, c'est demander qu'il fasse l'homme autre qu'il n'est. Le second de ces moyens, c'est-à-dire la manifestation particulière à chacun de nous, consisterait, ou dans une inspiration intérieure et purement spirituelle, ou dans une révélation extérieure qui frapperait nos sens. La première aurait, entre autres défauts, celui d'être incertaine. Comment saurions-nous que telle inspiration nous vient de Dieu? Comment la distinguerions-nous de toutes les autres pensées qui passent naturellement par notre esprit? La seconde serait plus certaine; Dieu parlant physiquement aux hommes et leur faisant retentir ses préceptes, comme autrefois du mont Sinaï, on serait bien assuré qu'ils émanent de lui. Mais ne serait-ce pas là un miracle? N'est-ce pas une évidente contradiction, en rejetant tous les moyens miraculeux, d'en demander un de ce genre?

(171) In omni quidem creatura Dei, mirabilia ejus et quotidiana magna sunt. Sed quia parum ea consuetudo miratur, quædam Dominus signa et prodigia certis temporibus promerenda disposuit, ut per inusitata et nova, humana excitaretur intentig, et nutriretur in ea de insolitis utilis timor.

(S. PROSPER,, Expos. in psal. cx.) • Quia enim tarda est humanæ sapientiæ fides ad credenda quæ non videt, et speranda quæ nescit, oportebat divina eruditione firmandos, corporis beneficiis et visibilibus miraculis incitari; ut cujus tam benignam experiebantur potentiam, non ambigerent salutarem esse doctrinam. (S. LEO, Serm. 94, cap. 1.)

(172) Cum multæ res in philosophia nequaquam satis adhuc explicatæ sint, tum perdifficilis, Brute, (quod tu minime ignoras) et perobscura quæstio est de natura deorum, quæ ad agnitionem animi pulcherrima est, et ad moderandum religionem necesşaria. De qua tam variæ sunt doctissimorum hominum tamque discrepantes sententiæ... Velut in hac quæstione plerique (quod maxime verisimile est, et quo omnes duce natura vehimur) deos esse dixerunt. Dubitare se Protagoras, nullos esse omnino Piagoras, Milius et Theodorus Cyrenaicus putaveyum. Qui vero deos esse dixerunt, tanta sunt in

XVII. Ajoutons à tout ce que nous venons de dire de la conformité du miracle avec la sagesse divine, qu'il a l'avantage de convaincre non-seulement ceux qui en sout témoins, mais tous ceux qui en acquièrent la connaissance par des relations authentiques. Si, au lieu de ce moyen général, on veut que la Providence emploie, pour l'enseignement du genre humain, des moyeus individuels, ce serait toujours des interversions de l'ordre naturel, soit physique, soit moral, qu'il faudra renouveler autant qu'il y aura d'hommes; et voilà que, pour mier l'utilité et la possibilité d'un seul miracle, on en nécessite une multitude infinie d'autres.

XVIII. « Mais, dit-on, Dieu pouvait n'enseigner que des vérités tellement évidentes, qu'elles subjuguassent d'elles-mêmes l'assentiment. >>>

XIX. Je demanderai d'abord: si Dieu le pouvait, y était-il tenu? n'est-il pas le maltre de révéler aux hommes des vérités d'un ordre supérieur à celles que la raison peut atteindre?

Je demanderai ensuite quelles sont ces vérités d'une telle évidence, qu'on soit forcé de les admettre. Les premiers principes de la religion, l'existence de Dieu, son unité, ses principaux attributs, l'immortalité de l'âme, les devoirs communs de la morale; voilà sans doute ce que nos adversaires appellent des vérités si évidentes, qu'elles arrachent l'assentiment. Qu'ils nous citent donc une nation qui les ait professées sans mélange d'erreurs grossières, à moins d'en avoir été instruite par une révélation positive? Qu'ils examinent quelles étaient, sur ces vérités fondamentales, les opinions non-seulement du peuple, mais des philosophes les plus célèbres avant l'avénement de Jésus-Christ, et qu'ils aillent les cher cher dans les écrits mêmes de ces philosophes (172). Les égarements du genre hu main presque entier sur les points les plus

varietate et dissensione, ut corum molestum sit dinumerare sententias. (CICER., De natur, deor. 1.b. 1, cap. 1.) - Quæritur primum in ea qux stione, quæ est de natura deorum, sint ne dii, necne sint. Difficile est negare, credo, si in concione quæratur; sed in ejusmodi sermone, et in concessu, facillimum. Itaque ego ipse qui, cæremonias religio nesque publicas sanctissime tuendas arbitror, id quod primum est, esse deos, persuaderi mihi, non opinione solum, sed etiam ad veritatem plane velim. Multa enim occurrunt quæ conturbant, ut interdum nulli esse videantur. (Ibid., cap. 22.) - Sun enim qui discessum animi a corpore putent esse mortem. Sunt qui nullum censeant fieri discessum, sed una animam et corpus occidere, animumque cum corpore exstingui. Qui discessere animam censent, alii statim dissipari, alii diu permanere, alii semper. (Idem, Tuscul. Quæst., lib. 1, cap. 9.)

Il serait possible de produire beaucoup d'autres passages du même auteur sur les contradictions et les erreurs grossières des plus célèbres philosophes, relativement aux premiers principes. Je me contenterai d'indiquer le livre premier de Natura devrum, depuis le chapitre x jusqu'au chapitre xvt

essentiels et les plus clairs prouvent l'utilité d'une révélation positive. L'utilité d'une révélation suppose celle des miracles.

XX. Les incrédules de nos jours réchauffent, contre la possibilité des miracles, une objection de Spinosa. «Admettre des miracles, est contester à Dieu son immutabilité. Les lois de la nature ne sont autre chose que les décrets divins. Un changement dans les décrets de Dieu serait un changement dans sa volonté. Il est contradictoire de reconnaître un être immuable, dont la volonté soit versatile. Il est absurde d'imaginer que ce que Dicu a décrété de toute éternité, il le change dans le temps. Un changement dans les lois de la nature est donc impraticable; et, par conséquent, le miracle est impossible. >>>

XXI. Lorsque Spinosa proposait cette objection, elle était une conséquence de son système d'athéisme. Selon lui, la nature entière, c'est-à-dire la collection de tous les @tres, est Dieu. Dans cette hypothèse, il est clair que tout changement dans la nature est un changement dans Dicu. Mais en Ôtant son absurde principe, il n'est plus vrai qu'il survienne un changement dans Dieu, lorsqu'il y a quelque chose de changé dans l'ordre de la nature, puisque la nature est autre chose que Dieu.

XXII. Il n'est pas vrai non plus qu'il survienne un changement dans les décrets de Dieu, lorsqu'il en arrive à l'ordre qu'il a établi dans le monde (173).

XXIII. L'opinion la plus communément reçue, soit parmi les métaphysiciens, soit entre les théologiens, et qui est aussi appuyée de l'autorité de plusieurs saints pères, au sujet de l'éternité divine, est qu'elle ne se compose pas, comme le temps, d'une suite de mouvements se succédant les uns aux autres. Selon eux, elle est indivisible et toujours tout entière. Pour donner une idée de la relation de l'éternité au temps,

(173) Neque enim in ea luce quæ sine accessu ea quæ eligit illustrat, et sine recessu ea quæ respuit deserit; defectus mutabilitatis venit, quia in semetipsa manendo immutabilis, mutabilia cuncta disponit. (S, GREGOR. Magn., Moral., lib. 1, cap. 20, n° 34.) - Omnipotens quidem Deus in semetipso habet sine immutatione mutabilia disponete, sine diversitate sui diversa agere, sine cogitationum vicissitudine dissimilia formare. Longe ergo dissimiliter operatur dissimilia, nunquam sibi dissimilis Deus. (Idem, in Ezech., lib. n, homil. 5.)

(174) Sed et sciendum est, quod ex præscientia et prædestinatione Dei jam ea facta sunt quæ futura sunt. (S. HIERON., Comment. in Ecclesiasten, cap. 1.)

(175) Apud te rerum omnium instabilium stant causæ, et rerum omnium mutabilium immutabiles manent origines, et omnium irrationalium_et temporalium sempiternæ vivunt rationes. (S. AUG., Confess., lib 1, cap. 6, no 9.) ‹ Et apud Deum quidem disposita et fixa sunt omnia, nec aliud facit quasi consilio repentino, quod non ex æternitate se facturum esse præscivit. Sed in creaturæ temporalibus motibus, quam gubernat mirabiliter, ipse non temporaliter motus, quasi repentina vo

ils la comparent au point indivisible qui forme le centre du cercle autour duquel tourne la circonférence composée d'une multitude de points se suivant les uns les autres. Ainsi, il n'y a réellement dans Dieu ni antériorité, ni postériorité. Le jour de la création du monde et celui de sa destruction, qui, relativement à nous, sont séparés par un si long intervalle, ne sont pour lui qu'un seul instant. Il est clair que, dans ce système, l'objection proposée est nulle. Dieu a voulu la loi générale que la nature devait suivre dans toute la durée du temps, et la suspension qui devait arriver à une époque précise, dans le même instant et par le même acte. Il est évident qu'il ne peut pas y avoir de changement où il n'y a point de succession; car il est impossible qu'un être soit, dans un seul et même moment, différent de lui-même.

XXIV. Mais ce n'est pas sur des systèmes, quelque accrédités, quelque raisonnables qu'ils soient, que nous fondons la défense de nos saintes vérités. J'admets donc maintenant l'hypothèse contraire; et, supposant l'éternité formée, comme le temps, de moments successifs, je prétends qu'il ne survient pas un changement aux décrets de Dieu, lorsqu'il en fait arriver à l'ordre qu'il a établi dans le monde. Remontons au delà des temps, et considérons Dieu, seul être alors existant, préparant dans sa sagesse les lois qu'il se proposait de donner aux créatures qu'il ferait sortir du néant. Pouvons-nous douter que sa prescience infinie, embrassant dans une seule pensée tous les temps et tous les événements qu'il ferait éclore (174), n'eût prévu dès lors et n'eût fixé toutes les dérogations qu'il lui plairait d'apporter à ces lois (175)? Si les lois générales qu'il a données à la nature sont de toute éternité, les exceptions qu'il y a apposées sont également éternelles (176). C'était lorsqu'il traçait au soleil sa marche régulière, qu'il lui ordonnait de

luntate facere dicitur, quod ordinatıs rerum causis, consilii sui secretissimi immutabilitate disposuit, quæ suis quæque temporibus agnita, et præsentia facit, et futura jam fecit. › (Idem, Enarr, in psalm. cv, n° 35.) - Etsi apud nos quædam ipsius judicia et opera variantur, apud ipsum tamen, omnium rerum exitus præscientem, nihil nova dispositione agitur, qui fecit quæ futura sunt. (S. PROSP., Exposit. in psalm. cv.) - Nulla quæ in hoc mundo hominibus fiunt, absque omnipotentis Dei occulto consilio veniunt. Nam cuncta Deus futura præsciens ante sæcula, decrevit qualiter per sæcula disponitur. (S. GREGOR. Magn., Moral., lib. xi, cap. 11, n° 2.)

(176) Hinc enim maxime isti errant, ut in circuitu falso ambulare, quam vero et recto itinerę malint, quam mentem divinam omnino immutabilem, cujuslibet infirmitatis capacem, et innumera omnia sine cogitationis attentione memorantem, de sua humana, mutabili angustaque metiantur. Et fit illis quod ait Apostolus: Comparantes enim semetipsos sibimetipsis, non intelligunt. Nam quia illis quidquid novi faciendum venit in mentem, novo consilio faciunt (mutabiles quippe mentes gerunt), profecto non Deum, quem cogitare non possunt, sed semetipsos pro illo cogitantes, non illum sed scip

l'interrompre à telle époque, sur la voix de Josué. Le décret d'exception est contemporain du décret de la loi générale. Supposons un prince qui, en dictant une loi à tous ses sujets, prévoie une circonstance particulière, dans laquelle il déclare que sa loi n'aura pas d'exécution; dira-t-on, ce cas arrivant, que la loi est changée? Dieu a certainement eu, de toute éternité, autant de pouvoir pour ordonner des suspensions au cours de la nature, qu'il en a eu pour le régler. Il a donc pu ordonner des miracles; et, lorsqu'il en opère, sa volonté ne change pas, elle reste toujours la même (177). Ses décrets ne sont pas intervertis, ils sont exécutés.

un

Que les déistes cessent donc de nous parler de l'impossibilité qui résiste, selon eux, à l'existence d'un miracle. Devant Dieu, les faits naturels et les faits surnaturels sont également possibles. Il est aussi facile à sa puissance de rendre la vie à homme, qu'il l'avait été de la lui donner (178). Il peut, au gré de sa sagesse, diriger les êtres qu'il a créés, ou tous ensemble par des lois générales, ou chacun par des lois particulières. Il peut soumettre les uns aux règles communes, et en affranchir les autres. Sa volonté suprême n'est gênée par rien.

XXV. Cette objection, que je crois suffisamment réfutée, les incrédules la répètent, la retournent de plusieurs manières, et la présentent sous différents termes.

Les uns disent que le miracle est une violation des lois divines; mais, une dérogation momentanée faite par le législateur à sa loi, et décrétée par lui en même temps que la loi, n'est pas la violation de cette loi.

D'autres veulent que le miracle soit l'infraction des lois mathématiques qui régis

sos, nec illi sed sibi comparant... Potest ad opus novum, non novum, sed sempiternum adhibere consilium, nec pænitendo, quia prius cessaverat, cœpit facere quod non fecerat. Sed etsi prius cessavit, et posterius operatus est (quod nescio quemadmodum ab homine possit intelligi), haud procul dubio, quod dicitur prius et posterius, in rebus prius non existentibus, et posterius existentibus fuit. In illo autem non alteram præcedentem altera subsequens mutavit, aut abstulit voluntatem; sed una, eademque sempiterna et immutabili voluntate, res quas condidit, ut prius non essent, egit, quandiu non fuerunt, et ut posterius essent, quando esse cœperunt. > (S. AUG., De civit. Dei, lib. xu, сар, 17, n° 2.)

(177) Non sunt enim multæ Dei voluntates, ut tu existimas. Non enim, quia diversa sunt opificia, diversæ quoque sunt voluntates. (S. ATHAN. De S. Trinit., dialog. 11, no 6.) - Neque enim Deus cogitat sicut homines, ut aliqua ei nova succedat sententia. (S. AMBROS., De Noe et arca, cap. 4, p° 9.) - Altitudinem Dei penetrare non possunt; quia cum ipse est æternus et sine initio, ab aliquo tamen initio exorsus est tempora; et hominem quem nunquam ante fecerat, fecit in tempore, non tamen novo et repentino, sed immutabili æternoque consilio. (S. AUGUST., De civit. Dei, lib. xн, сар. 14.) - Cum ergo exterius mutari videtur sententia, interius consilium non mutatur; quia de unaquaque re immutaliliter intus constituitur, quid

sent le monde. S'entendent-ils bien euxmêmes, quand ils parlent de lois mathématiques? C'est par des lois physiques que le cours du monde physique est réglé.

Selon d'autres, c'est aux lois immuables que le miracle est contraire. Immuables, par rapport à qui? Pour les créatures qui, y étant soumises, n'ont pas la force d'y faire aucun changement, à la bonne heure: mais Dieu qui les a posées, y est-il pareillement astreint ? voilà ce qu'il serait nécessaire, et ce qu'il est impossible de prouver.

Il y en a qui prétendent qu'en changeant ses lois physiques, Dieu dérangerait samachine, défigurerait son ouvrage. Une suspension momentanée d'une loi physique n'est pas le dérangement du monde, ne le défigure point. L'univers ne cesse pas d'être aussi beau, aussi parfait qu'il ait jamais été, parce qu'un mort y est ressuscité.

Concluons. Le miracle ne répugne point en lui-même, il n'est contraire à aucun des attributs divins; au contraire, il est parfaitement conforme à la suprême sagesse. IH est donc possible.

CHAPITRE II.

POSSIBILITÉ DE LA CERTITUDE DU MIRACLE,

XXVI. Forcés par l'évidence des preuves, plusieurs déistes reconnaissent que le miracle n'est pas une chose impossible. Ils se retranchent à soutenir qu'on ne peut pas acquérir la certitude, au moins de, ceux dont on n'est pas soi-même témoin. lis nous opposent deux choses: la première, qu'on ne peut pas acquérir, par la relation des autres hommes, une vraie certitude; la seconde, que, pût-on être certain des faits naturels et ordinaires par la voie du témoignage, il ne serait pas possible de l'êtro de même des faits miraculeux. Pour répondre à ces deux assertions, je vais établir

quid foris mutabiliter agitur. (S. GREGOR. Magn., Moral., lib. xvı, cap. 37, no 46.)

no

(178) Quis autem animat quæque viva nascentia, nisi qui illum serpentem ad horam, horam sicut opus fuerat, animavit? Et quis reddet cadaveribus animas suas, cum resurgent mortui, nisi qui animat carnes in uteris matrum, ut oriantur morituri? Sed cum fiant illa, quasi fluvio labentium manantiumque rerum, et ex occulto in promptum, atque ex prompto in occultum usitato itinere transeuntiam, naturalia dicuntur. Cum vero admonendis hominibus inusitata mutabilitate ingeruntur, magnalia minantur. › (S. AUGUST., De Trinit., lib. ш, сар. 6, n° 11.) • Mirati sunt homines Dominum nostrum Jesum Christum de quinque panibus saginasse ter millia, et non mirantur per pauca grana impleri segetibus terras. Quæ aqua erat vinum factum viderunt homines, et obstupuerunt: quid aliud fit de pluvia, per radicem vitis? Ipse illa fecit, ipse ista; illa ut pascaris, ista ut mireris. Sed utraque m randa sunt, quia opera Dei sunt. Videt homo insolita, et miratur. Unde est ipse homo qui mitatur ubi erat? unde processit? unde forma corporis! unde membrorum distinctio? unde habitus ille speciosus? de quibus primordiis, de quam contempl bilibus? Et miratur alia, cum sit ipse mirator ma gnum miraculum. (S. AUG., serm, 26, deverbis evang., alias 32, et hom. 50, n° 4.)

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