XIV. Nous avons aussi des témoins irrécusables de la constante vertu des apôtres. Ce sont leurs propres ennemis, leurs persécuteurs, qui, les injuriant, les chargeant d'opprobres, n'ont jamais intenté un reproche à leur probité. Quel moyen eût été plus propre à décrier la nouvelle religion, que les vices de ceux qui la prêchaient? Ardents et habiles, comme ils l'étaient, à saisir tous les moyens de la combattre, peut-on douter que les Juifs et les païens n'eussent saisi avidement celui-là? Puisqu'ils ne l'ont pas fait, ils ne l'ont pas pu : leur silence sur la probité des apôtres en est la plus sûre apologie. On nous dira peut-être que ce n'est ici qu'une preuve négative; mais selon toutes les règles d'une saine logique, un raisonnement négatif conserve toute sa force, tant qu'on ne lui en oppose pas de positifs. Après le personnel des apôtres et des évangélistes, examinons leur narration, la manière dont ils la font, les circonstances dont elle est accompagnée. XV. La première chose qui frappe, est son étonnante simplicité. Ils racontent les faits les plus extraordinaires, les plus merveilleux, comme ils rapporteraient des choses naturelles et communes. Toujours historiens, jamais panégyristes, ils ne font aucune réflexion, lors même qu'elles paraîtraient les plus utiles, soit pour prouver ces faits, soit pour en relever l'éclat. Ils racontent la vie de leur maître; jamais ils ne font son éloge. On ne peut cependant pas douter qu'ils ne fussent pénétrés du plus tendre attachement et animés du zèle le plus ardent pour sa personne. Une narration si simple, si unie, est-elle le langage d'imposteurs, d'hommes qui cherchent à séduire et à surprendre? XVI. Ceux qui ont ce projet, ont pour premier soin de cacher leur fraude. Les apoires semblent prendre à tâche de donner tous les moyens de découvrir celle dont ils auraient pu se rendre coupables. Pour faire croire leurs mensonges, les imposteurs ont soin d'en placer le théâtre ou l'époque à des lieux ou à des temps tellement reculés, que la vérification en soit difficile. Les apôtres suivent la marche contraire. C'est dans le lieu, dans le temps où la mémoire de leur maître est encore toute récente, c'est dix jours après avoir quitté la terre, c'est dans Ja ville même où il vient d'opérer le plus grand nombre de ses prodiges, qu'ils les publient. Les imposteurs commencent par semer obscurément leur doctrine, avant de la methe au grand jour. C'est dans le jour où une fète solennelle attire à Jérusalem un grand concours de monde de toutes les parties de la Judée, et même des pays étran fecerit, ad gratiam tribuerint. (EUSEBIUS, Demonst. evang., lib. m.) (208) Viri Israelitæ, audite verba hæc : Jesum Nazarenum, virum approbatum a Deo in verbis, in virtutibus, et prodigiis et signis quæ fecit Deus per lum, in medio vestri, ut vos scitis. (Act. 11, 22.) gers, qu'ils y ouvrent leurs prédications: ainsi, c'est devant tous ceux qui ont dû être témoins des miracles, qu'ils les annon. cent. Toutes les personnes quiles entendent savent, à n'en pas douter, si ces miraeles sont réels ou supposés: si quelques-unes n'en sont pas instruites personnellement, il leur est facile de s'en informersur-le-champ. Pour faciliter encore cette vérification, les apôtres indiquent hautement les lieux où les prodiges se sont opérés, les personnes qui en ont été les objets. Par là ils invitent à l'examen, ils provoquent la contradiction. Tout Jérusalem savait si, quelques semaines auparavant, à Béthanie, qui n'en était distante que de quinze stades, Lazare avail été ressuscité. Tout ce qui se trouvait à Jé. rusalem pouvait facilement, dès le jour même, s'en assurer. On pouvait de même savoir ou s'informer promptement si à Jéricho, dans le même temps, Jésus-Christ avait guéri un aveugle; dans Capharnaum, un démoniaque, la belle-mère de saint Pierre, le domestique d'un centenier; si, dans le désert de Bethsaïde, il avait nourri cinq mille hommes avec cinq pains; si, dans la ville de Naïm, il avait ressuscité le fils d'une veuve; s'il avait rendu la vie à la fille d'un chef de la synagogue, nommé Jaïre. Il en était de même de tous les autres miracles. Il était moralement impossible qu'à l'occasion de la fète, il ne se trouvat pas à Jérusalem des gens de ces divers pays, instruits de la vérité ou de la fausseté des faits annoncés, et dont la déposition ne confirmat ou ne contredit pas le témoignage des apôtres. Ces circonstances favorables à la narration des miracles, si elle était véritable, lanéantissaient, si elle était fausse. Les apotres auraient-ils osé la produire devant tant de témoins, s'ils n'avaient pas été assurés de sa vérité? N'auraient-ils pas redouté les suites humiliantes et périlleuses d'un démenti? Le démenti n'eût-il pas eu lieu, si les faits n'eussent pas été bien publiquement connus? Si le démenti avait eu lieu sur un seul miracle, se serait-il fait un seul chrétien? XVII. Voici qui est plus fort encore. Nonseulement les apôtres publient les miracles de leur maître devant ceux qui devaient en avoir connaissance, mais ils invoquent encore la connaissance qu'ils en ont. Saint Pierre réclame leur propre témoignage. Il ne craint pas de leur dire, et à plusieurs reprises, qu'ils savent la vérité de ce qu'il leur rappelle (208). Supposons que les wiracles n'eussent pas été réels, et que personne n'en eût eu connaissance: quel effet une assertion aussi ridicule, aussi effrontée, aurait-elle produit sur tout l'auditoire? Que les incrédules jugent eux-mêmes le genre Vos scitis quod factum est verbum per universam Judaam, incipiens a Galilæa, post baptismum quod prædicavit Joannes, Jesum a Nazareth, quomodo unit eum Deus Spiritu sancto el virtute; qui pertransit benefaciendo, et sanando omnes oppressos a diabolo: quoniam Deus erat cum illo, (Act, x, 37, 38.) d'impression que produirait sur eux un homme qui, afin de leur persuader des faits extraordinaires, leur soutiendrait qu'ils les savent parfaitement, tandis qu'iis n'en auraient aucune idée. XVIII. Une autre circonstance prouve encore manifestement la vérité des témoignages rendus par les apôtres et par les autres disciples à la puissance miraculeuse de Jeur maître: c'est leur unanime et invariable conformité (209). Ils se répandent dans une multitude de pays, et partout ils annoncent les mêmes merveilles, sans se couper eux-mêmes dans leurs dépositions, sans se contredire réciproquement dans leurs récits. D'où peut venir ce concert si admirable, sinon de la vérité ? Il n'y a que la vérité qui soit une, et qui puisse dicter à tant de personnes, dans tant de lieux, pendant tant d'années, des relations constamment les mêmes. Pour attribuer un accord aussi exact au mensonge, il faudrait soutenir ou qu'il a été produit par le hasard, et sans què les apôtres se fussent concertés, ou qu'il est le résultat d'une convention faite entre eux. La première hypothèse est non seulement déraisonnable, mais ridicule. Elle présente un effet sans cause. Pour la réfuter, il suffit de l'exposer. La seconde supposition est également absurde. Le nombre seul de ceux qui auraient dû entrer dans ce criminel traité, en montre l'impossibilité. D'abord, que les douze apôtres et les évangélistes eussent fait et soutenu toute leur vie invariablement un tel complot, serait déjà une chose incroyable: mais il aurait fallu, de plus, qu'ils eussent pour complices la nombreuse troupe des disciples, tant hommes que femmes; il aurait fallu que dans cette multitude de personnes, il ne s'en fût pas trouvé une seule honnête, que l'horreur d'un aussi grand crime eût arrêtée; il aurait fallu que, dans le cours ur (209) Contemplare præterea quantum et ejusmodi sit illos de rebus gestis Jesu nullam unquam discrepans verbum protulisse. Si enim de omnibus rebus de quibus ambigitur, atque in judiciis quæ ex legibus exercentur, communibusque controversiis, consensus testium certum, ratumque, id efficit de quo ambigitur (in ore enim duorum, vel trium testium consistit omne verbum), cur in his quoque veritas non consistit? Cum et duodecim apostoli fuerint, et septuaginta discipuli, et innumerabilis extra hunc numerum multitudo, qui admirabilem in omnibus consensum servaverint, et rebus ab Jesu gestis testimonium dederint; non illud quidem sine sudore, sed cum tormentorum, omnisque injuriæ, ac denique mortis perpessione. (EUSEB., Demonst, evang., lib. 1.) - Quemadmodum enim in lyra cum diversæ sint chordæ, unus tamen consensus est, sic etiam in apostolorum chero, quamvis sint diversæ personæ, una tamen doctrina est, quia et unus artifex erat Spiritus sanctus, qui ipsorum animos movebat. Idque Paulus ostendens: Sive igitur, inquit, illi, sive ego, sic prædicamus. (S. JOAN. CHRYSOST., hom. in Ignatium martyrem, n. 2.) • Denique auctores nostri, in quibus nou frustra sacrarum litterarum figitur et terminatur canon, absit ut inter se aliqua ratione dissentiant. Unde non immerito, cum illa scriberent, eis Deum, vel per cos locutum, non pauci in scholis atque gymna de tant d'années, il ne fût venu à aucune d'elles un repentir; il aurait fallu qu'il ne leur fût échappé pendant tout ce temps aucune indiscrétion. Considérons que la plus légère révélation faite aux ennemis nombreux et puissants de la religion naissante, livrait les auteurs et les complices de l'imposture, non seulement à un éternel opprobre, mais aux plus cruels supplices. Il est contraire à la raison d'imaginer qu'un semblable accord ait pu se former; plus contraire encore de croire qu'il ait pu se soutenir. Pour concevoir un tel projet, il faudrait que plusieurs centaines d'hommes, sans exception, eussent été des prodiges d'extravagance et des monstres de scélératesse. Pour l'exécuter, il faudrait que tous ces mêmes hommes eussent été en même temps des modèles de prudence et des héros de fidélité. XIX. Je dis que dans les écrits qui composent le Nouveau Testament on n'aperçoit point de dissonance, qu'il n'y a point de contradictions; mais il y a des différences sensibles. La variété des styles, la manière de raconter les mêmes faits, les uns omettant des circonstances que rapportent les autres; ceux-ci plaçant après ce que ceuxlà mettent auparavant, et d'autres diversités encore, prouvent évidemment que ces différents ouvrages ne sont pas de la même main, et qu'ils sont de plusieurs auteurs qui ne se sont pas concertés en les écrivant (210). Des hommes qui auraient fait un accord pour tromper, n'auraient donné au monde qu'un seul livre, qui n'aurait pas donné de prise à ce genre de critique. On voit dans les évangiles quelques récits qui semblent présenter de la contrariété; par exemple, entre saint Matthieu et saint Luc, dans les généalogies qu'ils donnent de Jésus-Christ. Ces apparences d'opposition ont fourni à quelques incrédules des objections siis, litigiosis disputationibus garruli, sed in agris, atque in urbibus, cum doctis atque indoctis, tot tantique populi crediderunt. Ipsi tam pauci esse debuerant, ne multitudine vilesceret, quod religione corum esse, oporteret: nec tamen ita pauci, ut eorum non sit miranda consensio. (S. AUGUST., De civit Dei, lib. xvn, cap 41, п. 1.) (210) At cum primo loco quæsivissemus cur a cæteris evangelistis prætermissus Lazarus a Joanne solo memoratus fuisset, respondebamus Spiritum sanctum, ut commenti suspicionem præcideret, permisisse ut evangelistæ quæ ad miracula Salvatoris pertinerent, concordissime describerent; curasse tamen ut alius aliud quidpiam præteriret; quod signum esse perspicuum ipsos, neque callide, deditave opera, unove consensu, neque ad gratiam evangelia scripsisse; ita ut omnes, cum quidpiam in aliquo deesset, veritatem sine fuco declararent. (S. JOAN. CHRYSOST., Homil. de Lazar. quatrid.) qui dissonantiam illam objicis, perinde facis ac si eadem ipsa verba eosdem loquendi modos proferre juberes. Nam aliud est diverse loqui, aliud pugnantia dicere. (Idem, in Matth. proæmium homil. 1, n. 4.) - Quia multa fecit Dominus Jesus, non omnes omnia conscripserunt; sed alius ista, alius illa, summa tamen concordia veritatis. (S. Augus., serm. 240, De festis Paschal. prim., al. De tempore 159, n. 1.) ( Tu vero contre la vérité de l'histoire évangélique. En conciliant ces prétendues contradictions, on a réfuté leurs vains arguments, et on a montré que, loin de prouver la fausseté du récit des écrivains sacrés, ce qui paraît être entre eux des oppositions, prouve au contraire leur sincérité, et fait voir qu'ils ne se sont pas concertés pour mentir (211). « Le mensonge est circonspect. S'il doit passer par des plumes différentes, il s'attache à une scrupuleuse et servile uniformité. Il n'y a point de dépositions plus unanimes que celle des faux témoins, lorsqu'ils ont pu s'aboucher: mais l'écrivain que dirige et qu'inspire la vérité, rapporte ce qu'il sait, sans avoir besoin de s'informer de ce qu'on a dit avant lui. Il ne craint ni contradiction, ni démenti. Si dans son récit, comparé avec les autres, il se rencontre des variantes difficiles à concilier, il se met au-dessus de ces minutieuses critiques, et se repose sur la vérité elle-même du soin de résoudre des difficultés qu'il n'a pas daigné prévoir (212). » XX. Invariablement unanime, le témoignage des premiers prédicateurs de l'évangile est encore constaniment persévérant; et c'est un nouveau caractère, qui porte au plus haut degré d'évidence sa vérité et la sin cérité de ceux qui l'ont rendu (213). La persécution suscitée contre eux commence avec leur prédication. Leur maître la leur avait prédite. Il leur avait déclaré que les persécutions qu'il avait éprouvées se prolongeraient sur eux; qu'il les envoyait comme des brebis au milieu des loups; qu'ils seraient poursuivis de ville en ville, traînés devant les conseils, les synagogues, les présidents, les rois; qu'ils seraient jetés dans les prisons, en haine à tout le monde, battus de verges, crucifiés, mis à mort (214). C'est avec laconviction intime de tous les maux épouvantables qu'attirera sur eux leur ministère, qu'ils Tentreprennent. C'est avec l'épreuve douloureuse de tous ces maux qu'ils la continuent sans relâche. L'Esprit-Saintme repète, dit saint Paul, que les chaînes et les tribulations m'attendent; mais je ne crains rien (211) Atqui, inquies, omnino contra accidit. Sæpe enim inter se dissentire deprehenduntur. Certe illud ipsum magnum est pro veritate argumentum. Si enim omnia accurate consonassent, quantum ad tempus, et quantum ad loca, et quantum ad ipsa verba, ex inimicis nemo crediturus erat, sed ex mutuo humanoque consensu hæc scripta fuisse putassent, atque hujusmodi consonantiam, non ex simplicitate sinceritateque procedere. Jam vero illa quæ, in exiguis rebus deprehendi videtur diversitas, omnem ab illis suspicionem depellit, scribentiumque fidem clare vindicat. (S. JOAN. CHRYSOST., in Matth., proæmium homil. 1, no 2.) (212) Démonstration évangélique, par M. DUVOISIN, cinquième édition, chap. 5, page 108, 109. (215) Quod si mendacia hæc erant, quæ illi ex composito finxissent, operæ pretium erit admirari quonam pacto tantus numerus consensum illum inter se, in rebus fictis, vel usque ad mortem servaverit; neque ullus earum rerum formidine quæ illos qui prius sublati fuerant accidissent a societate, desciverit; neque reliquis publice contradixerit, prodens de tout cela: je ne regarde pas ma vie comme plus précieuse que moi, pourvu que je consomme ma carrière et le ministère de la parole que j'ai reçu de Jésus-Christ (215). Avant de pousser plus loin notre raisonnement, faisons deux observations qui n'y sont certainement pas étrangères. XXI. 1o Voici une manière bien extraordinaire qu'emploie Jésus-Christ pour trouver des prédicateurs de sa religion. Quand un imposteur veut s'attacher des disciples et des prôneurs, il leur donne de magnifiques espérances, il leur promet des riches ses, des plaisirs, des honneurs, tout ce qui flatte les désirs humains. Pour la prédication de son évangile, Jésus-Christ emploie le moyen contraire. S'il voit ses disciples, mus par des pensées d'ambition, il se hate de les réprimer; et à la place de ces vues flatteuses, il leur présente l'expectative du douloureux calice qu'il doit boire luimême (216). C'est en offrant tout ce qui répugne le plus à la nature, les humiliations, les persécutions, les spoliations, les souffrances, la mort, qu'il imagine de se former des apôtres; et il en trouve, et il leur inspire autant d'ardeur pour les maux affreux qu'il leur promet, qu'ils en avaient pour les biens ce monde. Si Jésus-Christ est un imposteur, il prend, pour se donner des complices, le moyen le plus propre à lui en ôter. Si les apôtres sont des fourbes, ils le sont devenus par le motif le plus fait pour les détourner de l'être. XXII. 2o En rapportant dans les évangiles la prophétie qu'avait faite leur mattre des souffrances qu'ils éprouveraient, les apôtres prenaient l'engagement de les subir. Si après cette prédiction qu'ils publiaient, on leur avait vu mener une vie commode et aisée, si on ne les avait pas vus, au contraire, en proie à tous les maux qui leur étaient annoncés, on leur aurait objecté avec avantage la fausseté des prédictions de leur maître et la contrariété de ce qu'ils disaient avec ce qu'ils faisaient. Ils sont donc évidemment entrés dans le ministère ea quæ inter ipsos composuissent. » (EUSEBIUS, Demonst evang., lib. m.) (214) Ecce ego mitto vos sicut oves in medio tu porum... Cavete autem ab hominibus; tradent enim vos in conciliis et in synagogis suis; flagellabunt vos: et ad præsides, et ad reges ducemini... et eritis odio omnibus propter nomen meum. (Matth. x, 16 et seq. Vid. Matth. xxm, 34; xxiv, 9; Marc. xin, 9; Luc. XXI, 12, 16; Joann. xv, 20.) (215) Spiritus sanctus per omnes civitates mihi protestatur, quoniam vincula et tribulationes Jerosolymis me manent. Sed nihil horum vereor; nec facio animam meam pretiosiorem quam me: dummodo consummem cursum meum, el ministerium verbi, quod accepi a Domino Jesu. (Act. xx, 23, 24.) (216) Tunc accessit ad eum mater filiorum Zebedæi cum filiis suis, adorans et petens aliquid ab co. Qui dixit ei: Quid vis? Ait illi: Dic ut sedeant hi duo filii mei unus ad dexteram tuam, et unus ad stnistram, in regno tuo. Respo dens autem Jesus, dixit: Nescitis quid petatis: potestis bibere calicem quem ego bibitures sum? (Matth. xx, 20 22. apostolique en sachant combien il leur serait pénible (217). XXIII. Et leur attente n'a pas été trompée! On peut lire dans les Épîtres de saint Paul aux Corinthiens le détail des maux auxquels ils étaient continuellement livrés (218), des persécutions violentes que lui-même avait spécialement éprouvées (219); et il en était de même des autres prédicateurs apostoliques. On s'étonne que des hommes aient eu la force de soutenir tant de fatigues, tant de veilles, tant de travaux, tant de privations, tant de besoins, tant de contrariétés, tant de traverses, tant d'opprobres, tant de périls, tant d'emprisonnements, tant de supplices, tant de souffrances de toute espècel Ce n'est pas un seul tourment, ce sont toutes les sortes de tourments qu'on leur inflige; ce n'est pas en un seul lieu, c'est partout où est répandu l'Evangile; ce n'est pas un seul témoin des miracles de Jésus-Christ, ce sont tous ceux qui les publient; ce n'est pas dans un seul temps, c'est pendant tout le cours de leur vie. Depuis le jour où ils entrent dans la carrière apostolique, jusqu'à celui où ils la terminent, ils ne cessent d'etre entre la double tentation des tortures (217) Mirum etiam unde discipulis qui, ut obtrectatores Jesu dicunt, nec eum a mortuis suscitatum vidissent, nec eum divinum quippiam esse persuasum habuissent, in mentem venisset, non reformidare quæ Magister passus fuerat, intrepide se periculis committere, patriamque relinquere, ut ex voluntate Jesu doctrinam sibi ab ipso traditam docerent. Nam arbitror neminem fore qui, rebus diligenter perpensis, dicat illos tumultuosam vitam propter Jesu doctrinam electuros fuisse, nisi eos vehementer persuasissel, et ex suis præceptis vivere, et alios ad ea capescenda adducere: præsertim cum ut sunt res humanæ, in præsens exitii periculum se conjiciat quisquis novaquæcumque promulgare audet, infensosque sibi reddere quicumque sunt priscis dogmatibus et consuetudinibus addicti. An non id periculi viderunt Jesu apostoli, cum ausi sunt, non solum Judæis ex propheticis sermonibus probare eum esse quem prophetæ prædixerant, sed etiam reliquis gentibus, eum qui heri et nudius tertius cruci affixus fuerat, hanc ultro mortem pro humano genere subiisse. (ORIGEN. contra Celsum, lib. 1, no 31.) , Ergo illi præceptoris sui exitum non viderunt, et quali morte fuerit affectus. Cur igitur, post illam turpissimam illius necem, de eo qui mortuus esset novam theologiam constantissime protulerunt, nec ab incœpto deterreri potuerunt? At quid ex ea re tandem petebant? Num ut eodem supplicio afficerentur? Sed quis, ullo unquam tempore, nulla spe proposita, ejusmodi supplicium manifestum eligeret? (EuSEB., Demonst, evang., lib 111.) Non enim quæstus et commodi gratia religionem istam commenti sunt; quippe qui et præceptis et reipsa eam vitam secuti sunt quæ et voluptatibus caret, et omnia quæ habentur in bonis spernit: et qui non tantum pro lide mortem subierint, sed etiam morituros esse et scierint et prædixerint, et postea universos qui illorum disciplinam secuti essent, acerba et nefanda passuros. (LACT., Divin. Inst., lib. v, cap. 3.) (218) Usque ad hanc horam, et esurimus, et sitimus, et colaphis cædimur, et instabiles sumus, et laboramus operantes manibus nostris. Maledicimur, et benedicimus: persecutionem patimur, et sustinemus; blasphemamur, et obsecramus; tanquam purga les plus cruelles, s'ils persévèrent dans leur témoignage; de tous les avantages temporels, s'ils le rétractent. Sûrs d'être, en soutenant leur déposition, avilis, dégradés, tourmentés, immolés; assurés d'être, en la démentant, loués, honorés, enrichis, comblés de biens, ils peuvent, d'un seul mot, se délivrer de tous leurs maux, changer la vie misérable qu'ils mènent en une vie pleine de délices; et dans cette troupe nombreuse, pas un ne profère ce mot qui lui serait si utile, pas un ne se désiste de l'assertion qui lui est si fatale. Ils la soutiennent devant les tribunaux où on les traine; ils en font retentir les prisons où on les jette; ils la répètent encore sur les échafauds où on les égorge; car c'est là que se termine le terrible combat de la persécution la plus violente contre le témoignage rendu aux miracles. Tous les apôtres, excepté un seul, selon une tradition trèsantique et très-accréditée, un grand nombre de disciples scellent de leur sang les vérités qu'ils ont publiées, et expirent martyrs (220). Quel autre motif que le zèle de la vérité a pu les engager à cette inébran lable constance? S'ils sont des faussaires, qu'espèrent-ils au delà de cette vie (221) menta hujus mundi facti sumus, omnium peripsema usque adhuc. (I Cor. iv, 11, 12, 13.) (219) In laboribus plurimis, in carceribus abundantius, in plagis supra modum, in mortibus frequenter: A Judæis quinquies, quadragenas, una minus accepi: ter virgis cæsus sum; semel lapidatus sum; ter naufragium feci: nocte et die in profundum maris fui. Ir. itineribus sæpe, periculis fluminum, periculis latronum, periculis ex genere, periculis ex gentibus periculis in mari, periculis in falsis fratribus; in labore et ærumna, in vigiliis multis, in fame et siti, in jejuniis multis, in frigore et nuditate. (11 Cor. XI, 23 et seq.) (220) Rogo itaque vos omnes ut obediatis vestræ justitiæ, et omnem patientiam exerceatis quam oculis vestris vidistis, non modo in beatis Ignatio, et Zozimo, et Rufo, sedetiamin aliis qui ex vobis, ac in ipso Paulo, cæterisque apostolis, persuasi... quod in debito sibi loco sint apud Dominum, cumque et passi sint. (S. POLYCARP., Epist. ad Philipp., no 9.) — • Quem imitantes apostoli, ut qui vere essent gnostici et perfecti, pro ecclesiis quas fundarunt, passi sunt. (S. CLEMENS Alex., Strom. lib. iv, cap. 9.) (221) Quod si quis hæc evangelistarum figmenta esse opinatur, cur non potius figmenti fuerint quæ adversus Jesum, et christianos infensum odium commentum est? Veritas autem quæ litteris mandaverunt ii qui omni genere pœnarum propter Jesu doctrinam præferendo demonstrarunt, quam sincero animo erga illum essent. Tanta enim, tam firma ad mortem usque constantia argumento est discipulos Jesu non fuisse cos qui fingerint de magistro suo quæ neutiquam erant. Apostolos autem pro certo habuisse quæ scripserint, æquis rerum æstimatoribus inde perspicuum est, quod tot ac tanta protulerint propter eum quem Dei filium esse credebant. (ORIGEN., contra Celsum, lib. 11, no 10). ‹ Quomodo ergo is qui mortuus erat, et sepulchro conclusus? Ut tu dicis, o Judæe, in omnibus qui secuti sunt illum tantaui vim exhibuit, tantamque virtutem, ut eis persuaderet solum illum ut adorarent; omniaque sustinere ac perpeti mallent, quam suam in illum fidem amittere. (S. JOAN. CHRYSOST., homil. Cur in Pentecoste, etc., no 8.) - Cogitate, fratres, quale fuerit mitti homines per arbem terrarum prædicare XXIV. On nous dit que d'autres religions ont eu aussi leurs martyrs. Passons l'assertion qui pourrait être sujette à de grandes discussions. Mais la différence est extrême entre ceux-là et les premiers chrétiens: elle consiste en ce que les uns mouraient pour soutenir des opinions, et que ceux-ci se sont fait égorger pour attester qu'ils avaient vu des faits. Le martyre prouve la persuasion de celui qui le subit: il ne prouve pas la vérité de ce dont il est persuadé. On peut se laisser immoler pour des opinions fausses, parce qu'on peut se tromper sur des opinions; mais sur des faits frappants, tels que sont des miracles que Ton a aperçus par tous ses sens, l'erreur est impossible. Le martyre des disciples de Jésus-Christ démontre leur sincérité, voilà tout ce que nous prétendons. Que le martyre des sectaires atteste aussi leur bonne foi, nous n'avons pas à le contester, puisque de leur bonne foi à la vérité de leur secte il y a encore loin. En prenant le mot martyre dans sou sens strict, nous pourrions dire qu'il n'y a que les disciples de Jésus-Christ qui aient été martyrs. C'est un terme grec qui signifie témoin (222). Les premiers chrétiens ont été témoins des vérités pour lesquelles ils sont morts; ceux des autres religions n'ont été que victimes des dogmes dont ils faisaient profession. XXV. L'incrédulité que n'arrête, dans ses hardies assertions, aucune absurdité, n'a pas craint de dire que les apôtres n'étaient pas sans intérêt dans leur prédication; elle n'a pas rougi d'avancer qu'ils trouvaient dans leur ministère une subsistance assurée et une vie commode, sans rien faire. Et comment Jésus-Christ la leur aurait-il donnée, lui qui n'avait pas seulement où reposer sa tête? D'ailleurs ne voyons-nous pas souvent les apôtres, du vivant de leur Maître, reprendre leur métier de pêcheurs, y revenir encore après sa résurrection? Ne voyons-nous pas saint Paul travailler de son métier pour se procurer la subsistance? Ils ne trouvaient donc pas une vie assurée dans leur ministère; et certainement avec tout ce qu'ils avaient à essuyer de travaux, de fatigues, de souf hominem mortuum resurrexisse, in cælum ascendisse; el pro ista prædicatione perpeti omnia quæ isaniens mundus inferret, damna, exilia, vincula, tormenta, flammas, bestias, cruces, mortes; hoc pro nescio quo... Numquid hoc facerent, nisi flagrantia veritatis, de conscientia veritatis? Viderant quod dicebant. Nam quando pro ea re morerentur, quam viderant? Quod viderant negare debebant ? Non negaverunt. Prædicaverunt mortuum, quem sciebant vivum. Sciebant pro qua vita contemnebant vitam. Sciebant pro qua felicitate ferrent transitoriam infelicitatem, pro quibus præmiis ista damna contemnerent. (S. AUGUST., sermo 311, al. 115, De diversis, no 2.) (222) Forte aliqui fratrum nesciunt, qui græce non norunt, quid sint testes græce. Usitatum nomen est omnibus et religiosum; quos enim testes latine dicimus, græce martyres sunt. (S. AUGUST., in Epist. Joan., tract. 1, no 2.) (225) Voyez première partie, XCIV. XXVII. J'ai déjà eu occasion de discuter cette difficulté en traitant des miracles en général (223). Il ne me reste qu'à répondre à l'application qu'on fait du principe au témoignage des apôtres. 1° Quand on travaille pour l'intérêt de la gloire, c'est pour la sienne. Ici les apôtres auraient travaillé aussi laborieusement pour la gloire d'un autre : un autre aurait eu tout l'honneur, et eux toute la peine (224). 2o Où va-t-on placer cette tentation si délicate de s'immortaliser dans la mémoire des hommes? C'est dans des personnages simples, grossiers, du dernier ordre de la société (223). 3o Pour parvenir à cette gloire dans la postérité, il fallait que les apôtres passassent par les injures et les opprobres de la génération présente. 4o Et c'était là tout ce qu'ils pouvaient envisager d'assuré et même de vraisem blable. Toutes les considérations humaines démontraient l'impossibilité de l'entreprise. Qu'elle échouat, comme selon le cours de la nature elle devait indubitablement échouer, au lieu de gloire, une honte éternelle s'attachait à la mémoire de ses au teurs. XXVIII. Nous le disons donc avec confiance: tout homme qui forme un projet se propose un but, est mu par un intérêt. Ici on ne peut apercevoir aucun but humain, aucun intérêt terrestre. Au contraire, tous les intérêts de cette vie devaient détourner les apôtres de tenter l'entreprise, les en faire désister, s'ils avaient été assez extravagants pour le commencer. Et ils le savaient euxmêmes, ils le disaient hautement: si nos espérances sont bornées à ce monde, nous sommes les plus misérables des hom (224) Quod si ex amore gloriæ hoc fecissent, multo magis unusquisque dogma sibi attribuisset, non ei qui decesserat. Átnon credidissent illis homines? Et de quonam magis credidissent audientes: de illone qui comprehensus et crucifixus fuerat; an de illis qui Judæorum manus effugerant?, (S. JOAX. CHRYSOST., in Epist. primam ad Cor., hom. 5, no 5.) • Nunquid enim, fratres mei, Petrus pro sua gloria moriebatur? aut seipsum prædicabat? Alius moriebatur, ut alius honoraretur: alius occidebatur, ut alius coleretur. (S. AUGUST., sermo 211, al. 115, De diversis, no 2.) (225) Et si quidem fuissent educati in gloria, opi bus, potentia et eruditione, ne sic quidem ad tantam molem rerum se extollere posse videbantur. Sesl tamen aliqua ratione potuissent expectari. Nunc au tem alii in lacubus, alii in pellibus, alii in telonio, Nihil est his studiis ineptius ad philosophiam, et ad persuadendum ut magna quis imaginetur. (S. JOAN CHRYSOST., in Epist. primam ad Cor., homil 3, no3.) |