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d'autant mieux, sentir ce que nous pouvons entreprendre avec succès; et lorsque nous aurons examiné soigneusement ce que notre esprit est capable de faire, et que nous aurons vu en quelque manière ce que nous en pouvons attendre, nous ne serons portés ni à demeurer dans une lâche oisiveté, et dans une entière inaction, comme si nous désespérions de jamais connaître quoi que ce soit, ni à mettre tout en question, et à décrier toute sorte de connaissances, parce qu'il y a certaines choses que l'on ne peut pas comprendre. Il est extrêmement avantageux au pilote de savoir quelle est la longueur du cordeau de la sonde, quoiqu'il ne puisse pas toujours reconnaître par son moyen toutes les différentes profondeurs de l'océan : il suffit qu'il sache que le cordeau est assez long pour trouver fond en certains endroits de la mer, qu'il lui importe de connaître pour bien diriger sa course, et pour éviter les bas-fonds qui pourraient le faire échouer. Notre affaire, dans ce monde, n'est pas de connaître toutes choses, mais celles qui regardent la conduite de notre vie. Si donc nous pouvons trouver les règles par lesquelles une créature raisonnable, telle que l'homme, considéré dans l'état où il se trouve dans ce monde, peut et doit conduire ses sentiments et les actions qui en dé

pendent; si, dis-je, nous pouvons en venir là, nous ne devons pas nous inquiéter de ce qu'il y a plusieurs autres choses qui échappent à

notre connaissance.

$ 7.

Quelle a été l'occasion de cet ouvrage.

Ces considérations-là me firent venir la première pensée de travailler à cet Essai sur l'entendement. Car je pensai que le premier moyen qu'il y aurait de satisfaire l'esprit de l'homme sur plusieurs recherches dans lesquelles il est fort porté à s'engager, ce serait de prendre, pour ainsi dire, un état des facultés de notre propre entendement, d'en examiner l'étendue, ́et de voir à quels objets elles peuvent s'appliquer. Jusqu'à ce que cela fût fait, je m'imaginai que nous prendrions la chose tout-à-fait à contresens, et que nous chercherions en vain cette douce satisfaction que nous pourrait donner la possession tranquille et assurée des vérités qui nous sont le plus nécessaires, pendant tout le temps que nous nous fatiguérions à courir après la recherche de toutes les choses du monde sans distinction; comme si toutes ces choses, dont le nombre est infini, étaient l'objet naturel de l'entendement humain, de sorte que

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l'homme pût en acquérir une connaissance certaine, et qu'il n'y eût absolument rien qui excédât sa portée, et dont il ne fût très-capable de juger.

Lorsque les hommes, infatués de cette pensée, viennent à pousser leurs recherches plus loin que leur capacité ne leur permet de le faire, s'abandonnant sur ce vaste océan, où ils ne trouvent ni fond ni rive, il ne faut pas s'étonner qu'ils fassent des questions et multiplient des difficultés, qui, ne pouvant jamais être décidées d'une manière claire et distincte, ne servent qu'à perpétuer et à augmenter leurs doutes, et à les engager enfin dans un parfait pyrrhonisme. Mais, si, au lieu de suivre cette dangereuse méthode, les hommes commençaient par examiner avec soin quelle est la capacité de leur entendement; s'ils venaient à découvrir jusqu'où peuvent aller leurs connaissances, et à trouver les bornes qui séparent la partie lumineuse des différents objets de leurs connaissances d'avec la partie obscure et entièrement impénétrable, ce qu'ils peuvent concevoir d'avec ce qui passe intelligence, peut-être qu'ils auraient beaucoup moins de peine à reconnaître leur ignorance sur ce qu'ils ne peuvent point comprendre, et qu'ils emploieraient leurs pensées et leurs raisonnements, avec plus de fruit et de satisfac

leur

tion, à des choses qui sont proportionnées à leur capacité.

§ 8.

Ce que signifie le mot d'idées.

Voilà ce que j'ai jugé nécessaire de dire touchant l'occasion qui m'a fait entreprendre cet ouvrage. Mais avant que d'entrer en matière, je prierai mon lecteur d'excuser le fréquent usage que j'ai fait du mot d'idée dans le traité suivant. Comme ce terme est, ce me semble, le plus propre qu'on puisse employer pour signifier tout ce qui est l'objet de notre entendement lorsque nous pensons, je m'en suis servi pour exprimer tout ce qu'on entend par fantôme, notion, espèce, ou quoi que ce puisse être qui occupe notre esprit lorsqu'il pense, et je n'aurais pu éviter de m'en servir aussi souvent que j'ai fait.

Je crois qu'on n'aura pas de peine à m'accorder qu'il y a de telles idées dans l'esprit des hommes. Chacun les sent en soi-même, et peut assurer qu'elles se rencontrent dans les autres hommes, s'il prend la peine d'examiner leurs discours et leurs actions.

Nous allons voir présentement de quelle manière ces idées viennent dans l'esprit.

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