§ 11. Que l'idée de Dieu n'est point innée. C'est là tout ce qu'on pourrait conclure de l'idée de Dieu, s'il était vrai qu'elle se trouvât universellement répandue dans l'esprit de tous les hommes, et que dans tous les pays du monde elle fût généralement reçue de tout homme qui serait parvenu à un âge mûr; car le consentement général de tous les hommes à reconnaître un Dieu, ne s'étend pas plus loin, à mon avis. Que si l'on soutient qu'un tel consentement suffit pour prouver que l'idée de Dieu est innée, on en pourra tout aussi bien conclure que l'idée du feu est innée; parce qu'on peut, à ce que je crois, assurer positivement qu'il n'y a personne dans le monde qui ait quelque idée de Dieu, qui n'ait aussi l'idée du feu. Or, je suis certain qu'une colonie de jeunes enfants qu'on enverrait dans une île où il n'y aurait point de feu, n'auraient absolument aucune idée du feu, ni aucun nom pour le désigner, quoique ce fût une chose généralement connue partout ailleurs. Et peut-être ces enfants seraient-ils aussi éloignés d'avoir aucun nom ou aucune idée pour exprimer la divinité, jusqu'à ce que quelqu'un d'entre eux s'avisât d'appliquer son esprit à la considération de ce monde et des causes de tout ce qu'il contient, par où il parviendrait aisément à l'idée d'un Dieu. Après quoi il n'aurait pas plus tôt fait part aux autres de cette découverte, que la raison et le penchant naturel qui les porterait à réfléchir sur un tel objet, la répandraient ensuite, et la propageraient au milieu d'eux. § 12. Il est convenable à la bonté de Dieu que tous les hommes aient une idée de cet Être suprême: donc Dieu a gravé cette idée dans l'ame de tous les hommes. Réponse à cette objection. Mais on réplique à cela que c'est une chose convenable à la bonté de Dieu, d'imprimer dans l'ame des hommes des caractères et des idées de lui-même, pour ne les pas laisser dans les ténèbres et dans l'incertitude à l'égard d'un article qui les touche de si près, comme aussi pour s'assurer à lui-même les respects et les hommages qu'une créature intelligente, telle que l'homme, est obligée de lui rendre. D'où l'on conclut qu'il n'a pas manqué de le faire. Si cet argument a quelque force, il prouvera beaucoup plus que ceux qui s'en servent en cette vrir l'auteur de toutes ces merveilles; et l'impression que la découverte d'un tel Être doit faire nécessairement sur l'ame de tous ceux qui en ont entendu parler une seule fois, est si grande, et entraîne avec elle une suite de pensées d'un si grand poids, et si propres à se répandre dans le monde, qu'il me paraît tout-àfait étrange qu'il puisse se trouver sur la terre une nation entière d'hommes assez stupides pour n'avoir aucune idée de Dieu: cela, dis-je, me semble aussi surprenant que d'imaginer des hommes qui n'auraient aucune idée des nombres ou du feu (21). (21) « Rien de plus beau et de plus à mon gré que cette << suite de pensées; je dirai seulement ici que l'auteur, en « parlant des plus simples lumières de la raison, qui s'ac«< cordent avec l'idée de Dieu, et de ce qui en découle na« turellement, ne paraît guère s'éloigner de mon sens sur « les vérités innées. Sur ce qu'il lui paraît aussi étrange qu'il «< y ait des hommes sans aucune idée de Dieu, qu'il serait surprenant de trouver des hommes qui n'auraient aucune «< idée des nombres et du feu, je remarquerai que les ha<«bitants des îles Marianes, auxquelles on a donné le nom << de la reine d'Espagne qui y a favorisé les missions, n'a<< vaient aucune connaissance du feu, lorsqu'on les découvrit, «comme il paraît par la relation que le R. P. Gobien, jé<«< suite français, chargé des missions étrangères, a donnée << au public, et m'a envoyée. » § 10. Le nom de Dieu ayant été une fois employé en quelque endroit du monde pour signifier un Être suprême, tout puissant, tout sage et invisible, la conformité qu'une telle idée a avec les principes de la raison, et l'intérêt des hommes qui les porterà toujours à faire souvent mention de cette idée, doivent la répandre nécessairement fort loin, et la faire passer dans toutes les générations suivantes. Mais supposé que ce mot soit généralement connu, et que cette partie du genre humain, qui est peu accoutumée à penser, yait attaché quelques idées vagues et imparfaites, il ne s'ensuit nullement de là que l'idée de Dieu soit innée. Cela prouverait tout au plus que ceux qui auraient fait cette découverte, se seraient servis comme il faut de leur raison, qu'ils auraient fait des réflexions sérieuses sur les causes des choses, et les auraient rapportées à leur véritable origine; de sorte que cette importante notion ayant été communiquée par leur moyen à d'autres hommes moins spéculatifs, et ceux-ci l'ayant une fois reçue, il ne pouvait guère arriver qu'elle se perdît jamais. occasion ne se l'imaginent. Car si nous pouvons conclure que Dieu a fait pour les hommes tout ce que les hommes jugeront leur être le plus avantageux, parce qu'il est convenable à sa bonté d'en user ainsi, il s'ensuivra de là, nonseulement que Dieu a imprimé dans l'ame des hommes une idée de lui-même, mais qu'il y a empreint nettement et en beaux caractères tout ce que les hommes doivent savoir ou croire de cet Être suprême, tout ce qu'ils doivent faire pour obéir à ses ordres, et qu'il leur a donné une volonté et des affections qui y sont entièrement conformes; car tout le monde conviendra sans peine, qu'il est beaucoup plus avantageux aux hommes de se trouver dans cet état, que d'être dans les ténèbres à chercher la lumière et la connaissance comme à tâtons, ainsi que saint Paul nous représente tous les Gentils (Act. XVII, 27), et que d'éprouver une perpétuelle opposition entre leur volonté et leur entendement, entre leurs passions et leur devoir. Les partisans de l'église romaine disent: Il est plus avantageux pour les hommes, et plus conforme à la bonté de Dieu, qu'il y ait sur la terre un juge infaillible de leurs controverses: donc il y en a un. Et moi, par la même raison, je dis Il vaut mieux pour les hommes que chaque individu soit lui-même infaillible; et je |