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SUR

L'ENTENDEMENT

HUMAIN.

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LIVRE PREMIER.

DES NOTIONS INNÉES.

CHAPITRE PREMIER.

QU'IL N'Y A POINT DE PRINCIPES INNÉS DANS L'ESPRIT DE L'HOMME.

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La manière dont les hommes acquièrent leurs connaissances, prouve qu'elles ne sont point

innées.

IL Ly a des gens qui supposent, comme une vérité incontestable, Qu'il y a certains principes innés, certaines notions primitives, autrement uppelées notions communes (κοιναὶ ἔννοιαι), empreintes et gravées, pour ainsi dire, dans notre ame, qui les reçoit dès le premier moment de son existence, et les apporte au monde avec elle (1). Si j'avais affaire à des lecteurs dégagés de tout préjugé, je n'aurais, pour les convaincre de la fausseté de cette supposition, qu'à leur montrer (comme j'espère de le faire dans les

(1) « Il s'agit de savoir si l'ame, en elle-même, est vide <<< entièrement, comme des tablettes où l'on n'a encore rien « écrit (tabula rasa), suivant Aristote et l'auteur de l'Es« sai, et si tout ce qui y est tracé vient uniquement des << sens et de l'expérience? ou si l'ame contient originaire<< ment les principes de plusieurs notions et doctrines, que « les objets externes réveillent seulement dans les occasions, « comme je le crois avec Platon, et même avec l'École, et << avec tous ceux qui prennent dans cette signification le << passage de saint - Paul (Rom. II, 15), où il marque que « la loi de Dieu est écrite dans les cœurs ? Les Stoïciens << appelaient ces principes notions communes, Prolepses, << c'est-à-dire des assomptions fondamentales, ou ce qu'on << prend pour accordé par avance. Les mathématiciens les << appellent notions communes (κοινὰς ἐννοίας), les philoso<< phes modernes leur donnent d'autres beaux noms, et Jules << Scaliger particulièrement les nommait semina æternitatis, « et même zopyra, comme voulant dire des feux vivants, << des traits lumineux, cachés au-dedans de nous, que la << rencontre des sens et des objets externes fait paraître <<< comme des étincelles que le choc fait sortir du fusil : et << ce n'est pas sans raison qu'on croit que ces éclats mar« quent quelque chose de divin et d'éternel, qui paraît surtout dans les vérités nécessaires. » LEIBNITZ, Nouv. Essais, etc., pag. 4.

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autres parties de cet ouvrage) que les hommes peuvent acquérir toutes les connaissances qu'ils ont, par le simple usage de leurs facultés naturelles, sans le secours d'aucune impression innée; et qu'ils peuvent arriver à une entière certitude de certaines choses, sans avoir besoin d'aucune de ces notions naturelles, ou de ces principes innés. Car tout le monde, à mon avis, doit convenir sans peine qu'il serait ridicule de supposer, par exemple, que les idées des couleurs ont été imprimées dans l'ame d'une créature à qui Dieu a donné la vue et la puissance de recevoir ces idées par l'impression que les objets extérieurs feraient sur ses yeux. Il ne serait pas moins absurde d'attribuer à des impressions naturelles et à des caractères innés la connaissance que nous avons de plusieurs vérités, si nous pouvons remarquer en nousmêmes des facultés propres à nous faire connaître ces vérités avec autant de facilité et de certitude que si elles étaient originairement gravées dans notre ame.

Mais, parce qu'un simple particulier ne peut éviter d'être censuré lorsqu'il cherche la vérité par un chemin qu'il s'est tracé lui-même, si ce chemin l'écarte le moins du monde de la route ordinaire, je proposerai les raisons qui m'ont fait douter de la vérité du sentiment

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qui suppose des idées innées dans l'esprit de l'homme, afin que ces raisons puissent servir à excuser mon erreur, si tant est que je sois effectivement dans l'erreur sur cet article; ce que je laisse examiner à ceux qui, comme moi, sont disposés à recevoir la vérité par-tout où ils la

rencontrent.

§ 2.

On dit que certains principes sont reçus d'un consentement universel: principale raison par laquelle on prétend prouver que ces principes sont innés.

Il n'y a pas d'opinion plus communément reçue que celle qui établit : Qu'il y a de certains principes, tant pour la spéculation que pour la pratique (car on en compte de ces deux sortes), de la vérité desquels tous les hommes conviennent généralement : d'où l'on infère qu'il faut que ces principes-là soient autant d'impressions que l'ame de l'homme reçoit avec l'existence, et qu'elle apporte au monde avec elle aussi nécessairement et aussi réellement qu'aucune de ses facultés naturelles.

§ 3.

Ce consentement universel ne prouve rien.

Je remarque d'abord que cet argument, tiré du consentement universel, est sujet à cet inconvénient, que quand le fait serait certain, je veux dire qu'il y aurait effectivement des vérités sur lesquelles tout le gerire humain serait d'accord, ce consentement universel ne prouverait point que ces vérités fussent innées, si l'on pouvait montrer une autre voie par laquelle les hommes ont pu arriver à cette uniformité de sentiment sur les choses dont ils conviennent; ce qu'on peut fort bien faire, si je ne me trompe.

§ 4.

Ce qui est, est; et, Il est impossible qu'une chose soit et ne soit pas en même temps: Deux propositions qui ne sont pas universellement reçues.

Mais ce qui est encore pis, la raison qu'on tire du consentement universel pour faire voir qu'il y a des principes innés, est, ce me semble, une preuve démonstrative qu'il n'y en a point de tels, parce qu'il n'y en a effectivement aucun sur lequel tous les hommes

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