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l'esprit, qu'elle peut redevenir une perception actuelle par le moyen de la mémoire. Lorsqu'il y a dans l'esprit une perception actuelle de quelque idée sans mémoire, cette idée paraît toutà-fait nouvelle à l'entendement; et lorsque la mémoire rend quelque idée actuellement présente à l'esprit, c'est en faisant sentir intérieurement que cette idée a été actuellement dans l'esprit, et qu'elle ne lui était pas tout-à-fait inconnue. J'en appelle à ce que chacun observe en soimême, pour savoir si cela n'est pas ainsi; et je voudrais bien qu'on me donnât un exemple de quelque idée, prétendue innée, que quelqu'un pût rappeler dans son esprit comme une idée déja connue, avant que d'en avoir reçu aucune impression par les voies dont nous parlerons dans la suite: car, encore un coup, sans ce sentiment intérieur d'une perception qu'on ait déja eue, il n'y a point de réminiscence, et on ne saurait dire d'aucune idée qui vient dans l'esprit sans cette conviction, qu'on s'en ressouvienne, ou qu'elle sorte de la mémoire, ou qu'elle soit dans l'esprit avant qu'elle commence de se montrer actuellement à nous. Lorsqu'une idée n'est pas actuellement présente à l'esprit ou en réserve, pour ainsi dire, dans la mémoire, elle n'est point du tout dans l'esprit, et c'est comme si elle n'y avait jamais été. Supposons un enfant

qui ait l'usage de ses yeux jusqu'à ce qu'il connaisse et distingue les couleurs, mais qu'alors les cataractes venant à fermer l'entrée à la lumière, il soit quarante ou cinquante ans sans rien voir absolument, et que pendant tout ce temps-là il perde entièrement le souvenir des idées des couleurs qu'il avait eues auparavant. C'était là justement le cas où se trouvait un aveugle auquel j'ai parlé une fois, qui, dès l'enfance, avait été privé de la vue par la petite vérole, et n'avait aucune idée des couleurs, non plus qu'un aveugle-né (25). Je demande si un homme, dans cet état-là, a dans l'esprit quelque idée des couleurs, plutôt qu'un aveugle-né? Je ne crois pas que personne dise que l'un ou l'autre en aient absolument aucune. Mais, qu'on lève

(25) « Il se peut qu'un enfant, devenu aveugle, oublie « d'avoir jamais vu la lumière et les couleurs, comme il ar<< riva, à l'âge de deux ans et demi, par la petite vérole, au « célèbre Ulric Schomberg, natif de Weide, au bas Palati<< nat, qui mourut à Kœnigsberg en Prusse, en 1649, où il << avait enseigné la philosophie et les mathématiques avec * l'admiration de tout le monde. Il se peut aussi qu'il reste << à un tel homme des effets des anciennes impressions, sans « qu'il s'en souvienne. Je crois que les songes nous renou<< vellent aussi d'anciennes pensées..... du moins je ne vois « aucune nécessité qui nous oblige d'assurer qu'il ne reste << aucune trace d'une perception, quand il n'y en a pas * assez pour se souvenir qu'on l'a eue. »

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les cataractes de celui qui est devenu aveugle, il aura de nouveau des idées des couleurs, qu'il ne se souvient nullement d'avoir eues; idées que la vue qu'il vient de recouvrer, fera passer dans son esprit, sans qu'il soit convaincu en luimême de les avoir connues auparavant: après quoi, il pourra les rappeler et se les rendre comme présentes à l'esprit au milieu des ténèbres. Et c'est à l'égard de toutes ces idées des couleurs qu'on peut rappeler dans l'esprit, quoiqu'elles ne soient pas présentes aux yeux, qu'on dit qu'étant dans la mémoire elles sont aussi dans l'esprit. D'où je conclus: que toute idée qui est dans l'esprit, sans être actuellement présente à l'esprit, n'y est qu'en tant qu'elle est dans la mémoire: que si elle n'est pas dans la mémoire, elle n'est point dans l'esprit; et que si elle est dans la mémoire, elle ne peut devenir actuellement présente à l'esprit, sans une perception qui fasse connaître que cette idée procède de la mémoire, c'est-à-dire qu'on l'a auparavant connue, et qu'on s'en ressouvient présentement. Si donc il y a des idées innées, elles doivent être dans la mémoire, ou bien on ne saurait dire qu'elles soient dans l'esprit; et si elles sont dans la mémoire, elles peuvent être retracées à l'esprit sans qu'aucune impression extérieure précède; et toutes les fois qu'elles se présentent à l'esprit, elles produisent un sentiment de réminiscence, c'est-à-dire qu'elles portent avec elles une perception qui convainc intérieurement l'esprit, qu'elles ne lui sont pas entièrement nouvelles. Telle étant la différence qui se trouve constamment entre ce qui est et ce qui n'est pas dans la mémoire, ou dans l'esprit, tout ce qui n'est pas dans la mémoire est regardé comme une chose entièrement nouvelle, et qui était auparavant tout-à-fait inconnue, lorsqu'il vient à se présenter à l'esprit: au contraire, ce qui est dans la mémoire, ou dans l'esprit, ne paraît point nouveau, lorsqu'il vient à paraître par l'intervention de la mémoire; mais l'esprit le trouve en lui-même, et connaît qu'il y était auparavant. On peut éprouver par là s'il y a au cune idée innée dans l'esprit avant l'impression faite par sensation ou par réflexion. Du reste, je voudrais bien voir un homme qui, étant parvenu à l'âge de raison, ou dans quelque autre temps que ce soit, se ressouvînt de quelqu'une de ces idées qu'on prétend être innées, et auquel elles n'auraient jamais paru nouvelles depuis sa naissance. Que si quelqu'un prétend soutenir qu'il y a dans l'esprit des idées qui ne sont pas dans la mémoire, je le prierai de s'expliquer et de me faire comprendre ce qu'il entend par là.

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§ 21.

Les principes qu'on veut faire passer pour innés, ne le sont pas, parce qu'ils sont de peu d'usage, ou d'une évidence peu sensible.

Outre ce que j'ai déja dit, il y a une autre raison qui me fait douter si ces principes, que je viens d'examiner, ou quelque autre que ce soit, sont véritablement innés. Comme je suis pleinement convaincu que Dieu, qui est infiniment sage, n'a rien fait qui ne soit parfaitement conforme à son infinie sagesse, je ne saurais voir pourquoi l'on devrait supposer que Dieu imprime certains principes universels dans l'amé des homines, puisque les principes de spéculation qu'on prétend étre innés, ne sont pas d'un fort grand usage, et que ceux qui concernent la pratique ne sont point évidents par eux-mêmes; et que les uns et les autres ne peuvent étre distingués de quelques autres vérités qui ne sont pas reconnues pour innées. Car, pourquoi Dieu aurait-il gravé de son propre doigt, dans l'ame des hommes, des caractères qui n'y paraissent pas plus nettement que ceux qui y sont introduits dans la suite, ou qui même ne peuvent être dis tingués de ces derniers? Que si quelqu'un est persuadé qu'il y a effectivement des idées et des

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