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§ 2.

Du Plaisir et de la Douleur.

Le plaisir et la douleur sont deux idées dont l'une ou l'autre se trouve jointe à presque toutes nos idées, tant à celles qui nous viennent par sensation, qu'à celles que nous recevons par réflexion; et à peine y a-t-il aucune perception excitée en nous par l'impression des objets extérieurs sur nos sens, ou aucune pensée renfermée dans notre esprit, qui ne soit capable de produire en nous du plaisir ou de la douleur. J'entends par plaisir et douleur tout ce qui nous plaît ou nous incommode, soit qu'il procède des pensées de notre esprit, ou de quelque chose qui agisse sur nos corps. Car, soit que nous l'appelions d'un côté, satisfaction, contentement, plaisir, bonheur, etc., ou de l'autre, inquiétude, peine, douleur, tourment, affliction, misère, etc., ce ne sont dans le fond que différents degrés de la même chose, lesquels se rapportent à des idées de plaisir et de douleur, de contentement ou d'inquiétude: termes dont je me servirai le plus ordinairement pour désigner ces deux sortes d'idées.

§ 3.

Le souverain auteur de notre être, dont la sagesse est infinie, nous a donné la puissance de mouvoir différentes parties de notre corps, ou de les tenir en repos, comme il nous plaît; et, par ce mouvement que nous leur imprimons, de nous mouvoir nous-mêmes, et de mouvoir les autres corps contigus, en quoi consistent toutes les actions de notre corps. Il a aussi accordé à notre esprit le pouvoir de choisir, en différentes rencontres, entre ses idées, celle dont il veut faire le sujet de ses pensées, et de s'appliquer, avec une attention particulière, à la recherche de tel ou tel sujet. Et afin de nous porter à ces mouvements et à ces pensées, qu'il est en notre pouvoir de produire quand nous voulons, il a eu la bonté d'attacher un sentiment de plaisir à différentes pensées et à diverses sensations. Rien ne pouvait être plus sagement établi: car, si ce sentiment était entièrement détaché de toutes nos sensations extérieures, et de toutes les pensées que nous avons en nousmêmes, nous n'aurions aucun sujet de préférer une pensée ou une action à une autre; de préférer, par exemple, l'attention à la nonchalance, et le mouvement au repos. Et ainsi nous ne songerions point à mettre notre corps en mouvement, ou à occuper notre esprit; mais, laissant aller nos pensées à l'aventure, sans les diriger vers aucun but particulier, nous ne ferions aucune attention sur nos idées, qui, dèslà semblables à de vaines ombres, viendraient se montrer à notre esprit, sans que nous nous en missions autrement en peine. Dans cet état, l'homme, quoique doué des facultés de l'entendement et de la volonté, ne serait qu'une créature inutile, plongée dans une parfaite inaction, passant toute sa vie dans une, lâche et continuelle léthargie. Il a donc plu à notre sage créateur d'attacher à plusieurs objets, et aux idées que nous recevons par leur moyen, aussibien qu'à la plupart de nos pensées, certain plaisir qui les accompagne; et cela en différents degrés, selon les différents objets dont nous sommes frappés, afin que nous ne laissions pas ces facultés, dont il nous a enrichis, dans une entière inaction, et sans en faire aucun usage.

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La douleur n'est pas moins propre à nous mettre en mouvement que le plaisir: car nous sommes tout aussi prêts à faire usage de nos facultés pour éviter la douleur, que pour rechercher le plaisir. La seule chose qui mérite d'être remarquée en cette occasion, c'est que la douleur

est souvent produite par les mémes objets, et par les mémes idées, qui nous causent du plaisir. L'étroite liaison qu'il y a entre l'un et l'autre, et qui nous cause souvent de la douleur par les mêmes sensations d'où nous attendons du plaisir, nous fournit un nouveau sujet d'admirer la sagesse et la bonté de notre créateur, qui, pour la conservation de notre étre, a établi que certaines choses venant à agir sur nos corps, nous causassent de la douleur, pour nous avertir par là du mal qu'elles nous peuvent faire, afin que nous songions à nous en éloigner. Mais, comme il n'a pas eu seulement en vue la conservation de nos personnes en général, mais la conservation entière de toutes les parties et de tous les organes de notre corps en particulier, il a attaché, en plusieurs occasions, un sentiment de douleur aux mêmes idées qui nous font du plaisir en d'autres rencontrés. Ainsi la chaleur, qui dans un certain degré nous est fort agréable, venant à s'augmenter un peu plus, nous cause une extrême douleur. La lumière elle-même, qui est le plus charmant de tous les objets sensibles, nous incommode beaucoup, si elle frappe nos yeux avec trop de force, et audelà d'une certaine proportion. Or, c'est une chose sagement et utilement établie par la nature, que, lorsque quelque objet met en désordre, par la force de ses impressions, les organes du sentiment, dont la structure ne peut qu'être fort délicate, nous puissions être avertis, par la douleur que ces sortes d'impressions produisent en nous, de nous éloigner de cet objet, avant que l'organe soit entièrement dérangé, et par ce moyen mis hors d'état de faire ses fonctions à l'avenir. Il ne faut que réfléchir sur les objets qui causent de tels sentiments, pour être convaincu que c'est là effectivement la fin ou l'usage de la douleur. Car, quoiqu'une trop grande lumière soit insupportable à nos yeux, cependant les ténèbres les plus obscures ne leur causent aucune incommodité, parce que la plus grande obscurité, ne produisant aucun mouvement déréglé dans les yeux, laisse cet excellent organe de la vue dans son état naturel, sans le blesser en aucune manière. D'autre part, un trop grand froid nous cause de la douleur aussibien que le chaud; parce que le froid est également propre à détruire le tempérament qui est nécessaire à la conservation de notre vie, et à l'exercice des différentes fonctions de notre corps: tempérament qui consiste dans un degré modéré de chaleur, ou, si vous voulez, dans le mouvement des parties insensibles de notre corps, renfermé dans de certaines limites....

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