Images de page
PDF
ePub

Les plus parfaites d'entre elles sont renfermées dans ces étroites bornes n'ayant point, à ce que je crois, la faculté de les étendre par aucune sorte d'abstraction.

§ 12.

Défaut des Imbécilles.

Si l'on examinait avec soin les divers égarements des imbécilles, on découvrirait sans doute jusqu'à quel point leur imbécillité procède de l'absence ou de la faiblesse de quelqu'une des facultés dont nous venons de parler, ou de ces deux choses ensemble. Car ceux qui n'aperçoivent qu'avec peine, qui ne retiennent qu'imparfaitement les idées qui leur viennent dans l'esprit, et qui ne sauraient les rappeler ou assembler promptement, n'ont que très-peu de pensées. Ceux qui ne peuvent distinguer, comparer et abstraire des idées, ne sauraient être fort capables de comprendre les choses, de faire usage des termes, ou de juger et de raisonner passablement bien. Leurs raisonnements, qui sont rares et très-imparfaits, ne roulent que sur

« l'usage reçu, en consacrant ces mots à l'homme, et en « les restreignant à la connaissance de quelque raison de << la liaison des perceptions, que les sensations seules ne << sauraient donner. »

des choses présentes, et fort familières à leurs sens. Et en effet, si quelqu'une des facultés dont j'ai parlé ci-dessus, vient à manquer ou à se dérégler, l'entendement de l'homme a constamment les défauts que doit produire l'absence ou le déréglement de cette faculté.

§ 13.

Différence entre les Imbécilles et les Fous.

Enfin, il me semble que le défaut des imbécilles vient du manque de vivacité, d'activité et de mouvement dans les facultés intellectuelles, par où ils se trouvent privés de l'usage de la raison. Les fous, au contraire, semblent être dans l'extrémité opposée. Car il ne me paraît pas que ces derniers aient perdu la faculté de raisonner; mais ayant joint mal à propos cer- taines idées, ils les prennent pour des vérités, et se trompent de la même manière que ceux qui raisonnent juste sur de faux principes. Après avoir converti leurs propres fantaisies en réalités par la force de leur imagination, ils en tirent des conclusions fort raisonnables. Ainsi, vous verrez un fou qui s'imaginant être roi, prétend, par une juste conséquence, être servi, honoré, et obéi selon sa dignité. D'autres qui ont cru être de verre, ont pris toutes les précautions

[ocr errors]

nécessaires pour empêcher leur corps de se casser. De là vient qu'un homme fort sage, et de très-bon sens en toute autre chose, peut ètre aussi fou sur un certain article qu'aucun de ceux qu'on renferme dans les petites-maisons, si par quelque violente impression qui se soit faite subitement dans son esprit, ou par une longue application à une espèce particulière de pensées, il arrive que des idées incompatibles soient jointes si fortement ensemble dans son esprit, qu'elles y demeurent unies. Mais il y a des degrés de folie aussi-bien que d'imbécillité, cette union déréglée d'idées étant plus ou moins forte dans les uns que dans les autres. En un mot, il me semble que ce qui fait la différence des imbécilles d'avec les fous, c'est que les fous joignent ensemble des idées mal assorties, et forment ainsi des propositions extravagantes, sur lesquelles néanmoins ils raisonnent juste; au lieu que les imbécilles ne forment que très

peu ou point de propositions, et ne raisonnent presque point.

§ 14:

Méthode d'exposition.

Ce sont là, je crois, les premières facultés et opérations de l'esprit, par lesquelles l'entendement est mis en action. Quoiqu'elles regardent

toutes ses idées en général, cependant les exemples, que j'en ai donnés jusqu'ici, ont principalement roulé sur des idées simples. Et j'ai joint l'explication de ces facultés à celle des idées simples, avant que de proposer ce que j'ai à dire sur les idées complexes, pour les raisons

suivantes.

Premièrement, à cause que, plusieurs de ces facultés ayant d'abord pour objet les idées simples, nous pouvons, en suivant l'ordre que la nature s'est prescrit, découvrir ces facultés dans leur source, et les suivre dans leurs progrès et dans leurs accroissements.

En second lieu, parce qu'en observant de quelle manière ces facultés opèrent à l'égard des idées simples, qui pour l'ordinaire sont plus. nettes, plus précises et plus distinctes dans l'esprit de la plupart des hommes que les idées complexes, nous pouvons mieux examiner et apprendre comment l'esprit fait des abstractions, comment il nomme, comment il compare et exerce ses autres opérations à l'égard des idées complexes, sur quoi nous sommes plus sujets à nous méprendre.

En troisième lieu, parce que ces mêmes opérations de l'esprit concernant les idées qui viennent par voie de sensation, sont elles-mêmes, lorsque l'esprit en fait l'objet de ses réflexions, une autre espèce d'idées, qui procèdent de cette seconde source de nos connaissances que je nomme réflexion, lesquelles il était à propos, à cause de cela, de considérer en cet endroit, après avoir parlé des idées simples qui viennent par sensation. Du reste, je n'ai fait qu'indiquer en passant ces facultés de composer des idées, de les comparer, de faire des abstractions, etc., parce que j'aurai occasion d'en parler plus au long dans d'autres endroits.

§5.

Source des Connaissances humaines.

Voilà en abrégé une véritable histoire, si je ne me trompe, des premiers commencements des connaissances humaines : par où l'on voit d'où l'esprit tire les premiers objets de ses pensées, et par quels degrés il vient à faire cet amas d'idées qui composent toutes les connaissances dont il est capable. Sur quoi j'en appelle à l'expérience et aux observations que chacun peut faire en soi-même, pour savoir si j'ai raison; car le meilleur moyen de trouver la vérité, c'est d'examiner les choses comme elles sont réellement en elles-mêmes, et non pas de conclure qu'elles sont telles que notre propre imagination, ou d'autres personnes, nous les ont représentées.

« PrécédentContinuer »