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terme si ambigu, si on l'applique indifféremment et sans distinction à des choses si différentes; car à peine a-t-il une seule signification claire et déterminée, tant s'en faut que dans l'usage ordinaire on soupçonne qu'il en renferme trois. Et du reste, s'ils peuvent attribuer trois idées distinctes à la substance, qui peut empêcher qu'un autre ne lui en attribue une quatrième ?

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§ 19.

Les mots de Substance et d'Accidents sont de peu d'usage dans la philosophie (72).

Ceux qui les premiers se sont avisés de régarder les accidents comme une espèce d'êtres réels qui ont besoin de quelque chose à quoi ils soient attachés, ont été contraints d'inventer le mot de substance, pour servir de soutien aux accidents. Si le pauvre philosophe indien qui s'imaginait que la terre avait aussi besoin de quelque appui, se fût avisé seulement du mot de substance, il n'aurait pas eu l'embarras de chercher un éléphant pour soutenir la terre, et une tortue pour soutenir son éléphant, le mot de

(72) « J'avoue que je suis d'un autre sentiment; et je crois < que la considération de la substance est un des points les << plus importants et les plus féconds de la philosophie. >>>

substance aurait entièrement fait son affaire.

Et quiconque demandérait après cela, ce que c'est qui soutient la terre, devrait être aussi content de la réponse d'un philosophe indien qui lui dirait, que c'est la substance, sans savoir ce qu'emporte ce mot, que nous le sommes de nos philosophes européens qui nous disent, que la substance, terme dont ils n'entendent pas non plus la signification, est ce qui soutient les accidents. Car toute l'idée que nous avons de la substance, c'est une idée obscure de ce qu'elle fait, et non une idée de ce qu'elle est.

§ 20.

Quoi que pût faire un savant en pareille rencontre, je ne crois pas qu'un Américain, d'un esprit un peu pénétrant, qui voudrait s'instruire de la nature des choses, fût fort satisfait, si désirant d'apprendre notre manière de bâtir, on lui disait, qu'un pilier est une chose soutenue par une base, et qu'une base est quelque chose qui soutient un pilier. Ne croirait-il pas qu'en lui tenant un tel discours on aurait envie de se moquer de lui, au lieu de songer à l'instruire? Et si un étranger, qui n'aurait jamais vu des livres, voulait apprendre exactement, comme ils sont faits et ce qu'ils contiennent, ne serait-ce pas un plaisant moyen de l'en instruire, que de lui dire, que tous les bons livres sont composés de papier et de lettres, et que les lettres sont des choses inhérentes au papier, et le papier une chose qui soutient les lettres? N'aurait-il pas, après cela, des idées fort claires des lettres et du papier? Mais si les mots latins, inhærentia et substantia, étaient rendus nettement en français par des termes qui exprimassent, l'action de s'attacher et l'action de soutenir (car c'est ce qu'ils signifient proprement) nous verrions bien mieux le peu de clarté qu'il y a dans tout ce qu'on dit de la substance et des accidents, et de quel usage ces mots peuvent être en philosophie pour décider les questions qui y ont quelque rapport.

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je demande si un homme que Dieu aurait placé à l'extrémité des êtres corporels, ne pourrait étendre sa main au-delà de son corps? S'il le pouvait, il mettrait donc son bras dans un endroit, où il y avait auparavant de l'espace sans corps; et si sa main étant dans cet espace, il venait à écarter les doigts, il y aurait encore entre deux de l'espace sans corps. Que s'il ne pouvait étendre sa main (a), ce devrait être à cause de quelque empêchement extérieur; car je suppose que cet homme est en vie, avec la même puissance de mouvoir les parties de son corps qu'il a présentement, ce qui de soi n'est pas impossible, si Dieu le veut ainsi; au moins est-il certain que Dieu peut le mouvoir en ce sens: et alors je demande, si ce qui empêche sa main de se mouvoir en dehors, est substance ou accident, quelque chose, ou rien? Quand ils auront satisfait à cette question, ils seront capables de déterminer d'eux-mêmes ce que c'est qui, sans être corps, et sans avoir aucune solidité, est, ou peut être, entre deux corps éloignés l'un de l'autre. Du reste, celui qui dit qu'un corps en mouvement peut se mouvoir vers où rien ne peut s'opposer à son mouvement, comme au-delà de l'espace qui borne tous les corps,

(a) Voy. LUCRET. lib. I, v. 967, etc.

raisonne pour le moins aussi conséquemment, que ceux qui disent que deux corps entre lesquels il n'y a rien, doivent se toucher nécessairement. Car au lieu que l'espace qui est entre deux corps suffit pour empêcher leur contact mutuel, l'espace pur qui se trouve sur le chemin d'un corps qui se meut, ne suffit pas pour en arrêter le mouvement. La vérité est, qu'il n'y al que deux partis à prendre pour ces messieurs, ou de déclarer que les corps sont infinis, quoiqu'ils aient de la répugnance à le dire ouvertement, ou de reconnaître de bonne foi que l'espace n'est pas corps. Car je voudrais bien trouver quelqu'un de ces esprits profonds qui par la pensée pût plutôt mettre des bornes à l'espace, qu'il n'en peut mettre à la durée, ou qui, à force de penser à l'étendue de l'espace et de la durée, pût les épuiser entièrement, et arriver à leurs dernières bornes. Que si son idée de l'éternité est infinie, celle qu'il a de l'immensité l'est aussi, toutes deux étant également finies ou infinies.

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Bien plus, non seulement il faut que ceux: qui soutiennent que l'existence d'un espace sans matière est impossible, reconnaissent que le

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