tons l'influence que ces autres impressions naturelles ont actuellement sur notre volonté et sur nos désirs, je veux dire, l'envie d'étre heureux, et la crainte d'être misérables (1), qui agissent constamment en nous, qui sont les ressorts et les motifs de toutes nos actions, auxquelles nous sentons qu'ils nous poussent incessamment avec force. § 4. Les règles de morale ont besoin d'être prouvées : donc elles ne sont point innées. Une autre raison qui me fait douter qu'il y ait aucun principe de pratique inné, c'est qu'on ne saurait proposer, à ce que je crois, aucune (11) « La félicité n'est autre chose qu'une joie durable. « Cependant notre penchant va non pas proprement à la « félicité, mais à la joie, c'est-à-dire au présent; c'est la << raison qui porte à l'avenir et à la durée. Or, le pen<.chant, exprimé par l'entendement, passe en précepte et « en vérité de pratique: et si le penchant est inné, la vérité « l'est aussi..... Les instincts aussi ne sont pas toujours de << pratique; il y en a qui contiennent des vérités de théorie, << et tels sont les principes internes des sciences et du rai<< sonnement, lorsque, sans en connaître la raison, nous les << employons par un instinct naturel..... et si quelqu'un « veut ne donner le nom d'innées qu'aux vérités qu'on reçoit << d'abord par instinct, je ne le lui contesterai pas. >> règle de morale dont on ne puisse demander la raison avec justice. Ce qui serait tout-à-fait ridicule et absurde, s'il y en avait quelques-unes qui fussent innées, ou même évidentes par ellesmêmes : car tout principe inné doit être si évident par lui-même, qu'on n'ait besoin d'aucune preuve pour en voir la vérité, ni d'aucune raison pour le recevoir, avec un entier consentement. En effet, on croirait dépourvus de sens commun ceux qui demanderaient ou essaieraient de rendre raison pourquoi il est impossible qu'une chose soit et ne soit pas en même temps. Cette proposition porte avec elle son évidence, et n'a nul besoin de preuve; de sorte que celui qui entend les termes qui servent à l'exprimer, on la reçoit d'abord en vertu de la lumière qu'elle a par elle-même, ou rien ne sera jamais capable de la lui faire recevoir. Mais, si l'on proposait cette règle de morale, qui est la source et le fondement inébranlable de toutes les vertus sociales: Ne faites à autrui que ce que vous voudriez qui vous fút fait à vous-méme; si, dis-je, on proposait cette règle à une personne qui n'en aurait jamais ouï parler auparavant, mais qui serait pourtant capable d'en comprendre le sens, ne pourrait-elle pas sans absurdité, en demander la raison? Et celui qui la proposerait, ne serait-il pas obligé d'en faire voir la vérité? Il suit clai , rement de là que cette loi n'est pas née avec nous, puisque, si cela était, elle n'aurait aucun besoin d'être prouvée, et ne pourrait être mise dans un plus grand jour, mais devrait être reçue comme une vérité incontestable qu'on ne saurait révoquer en doute, dès-lors, au moins qu'on l'entendrait prononcer et qu'on en comprendrait le sens. D'où il paraît évidemment que la vérité des règles de morale dépend de quelque autre vérité antérieure, d'où elles doivent être déduites par voie de raisonnement, ce qui ne pourrait être si ces règles étaient innées, ou même évidentes par elles-mêmes (12). (12) « Il y a des règles de morale qui ne sont point des << principes innés; mais cela n'empêche pas que ce ne soient << des vérités innées, car une vérité dérivative sera innée, << lorsque nous la pouvons tirer de notre esprit. Mais il « y a des vérités innées que nous trouvons en nous de << deux manières: par lumière et par instinct. Celles que « je viens de marquer se démontrent par nos idées, ce qui << fait la lumière naturelle; mais il y a des conclusions de * la lumière naturelle, qui sont des principes par rapport « à l'instinct. C'est ainsi que nous sommes portés aux actes << d'humanité par instinct, parce que cela nous plaît, et « par raison, parce que cela est juste. Il y a donc en nous « des vérités d'instinct, qui sont des principes innés qu'on << sent et qu'on approuve, quand même on n'en a point la << preuve, qu'on obtient pourtant lorsqu'on rend raison de « cet instinct. C'est ainsi qu'on se sert des lois des consé<< quences suivant une conséquence confuse et comme par § 5. Exemple tiré des raisons pourquoi il faut observer les contrats. L'observation des contrats et des traités est sans contredit un des plus grands et des plus incontestables devoirs de la morale. Mais, si vous demandez à un chrétien, qui croit des récompenses et des peines après cette vie, pourquoi un homme doit tenir sa parole, il en rendra cette raison : C'est que Dieu, qui est l'arbitre du bonheur et du malheur éternel, nous le commande. Un disciple d'Hobbes, à qui vous ferez la même demande, vous dira, Que le public le veut ainsi, et que Leviathan vous punira si vous faites le contraire. Enfin, un philosophe païen aurait répondu à cette question, Que de violer sa promesse, c'était faire une chose déshonnête, indigne de l'excellence de l'homme et contraire à la vertu, qui élève la nature humaine au plus << instinct; mais les logiciens en démontrent la raison..... « Quant à la règle qu'on ne doit faire aux autres que ce << qu'on voudrait qu'ils nous fissent, elle a besoin non-seu<< lement de preuve, mais encore de déclaration..... Son vé<< ritable sens est que la place d'autrui est le véritable point « de vue, pour juger équitablement, lorsqu'on s'y met. >> haut point de perfection où elle soit capable de parvenir. § 6. La vertu est généralement approuvée, non pas à cause qu'elle est innée, mais parce qu'elle est utile. C'est de ces différents principes que découle naturellement cette grande diversité d'opinions, qui se rencontre parmi les hommes, à l'égard des règles de morale, selon les différentes espèces de bonheur qu'ils ont en vue, ou dont ils se proposent l'acquisition: ce qui ne saurait ètre, s'il y avait des principes de pratique innés et gravés immédiatement dans notre ame par le doigt de Dieu. Je conviens que l'existence de Dieu paraît par tant d'endroits, et que l'obéissance que nous devons à cet être suprême, est si conforme aux lumières de la raison, qu'une grande partie du genre humain rend témoignage à la loi de nature. Mais, d'autre part, on doit reconnaître, à mon avis, que tous les hommes peuvent s'accorder à recevoir plusieurs règles de morale, d'un consentement universel, sans connaître ou recevoir le véritable fondement de la morale, lequel ne peut être autre chose que la volonté ou la loi de Dieu, qui, voyant toutes les actions des hommes et pénétrant leurs plus |