: secrètes pensées, tient, pour ainsi dire, entre ses mains les peines et les récompenses, et a assez de pouvoir pour faire rendre compte à ceux qui violent ses ordres avec le plus d'insolence. Car, Dieu ayant uni par un lien inséparable la vertu et la félicité publique, et ayant rendu la pratique de la vertu nécessaire pour la conservation de la société humaine et visiblemen avantageuse à tous ceux avec qui les gens de bien ont affaire, il ne faut pas s'étonner que chacun s'empresse non-seulement d'admettre ces règles, mais aussi de les recommander aux autres, puisqu'il est persuadé que s'ils les observent il lui en reviendra à lui-même de grands avantages. Il peut, dis-je, être porté par intérêt, aussi bien que par conviction, à faire regarder ces règles comme sacrées; parce que, si elles viennent à être profanées et foulées aux pieds, il n'est plus en sûreté lui-même. Quoiqu'une telle approbation ne diminue en rien l'obligation morale et éternelle que ces règles emportent évidemment avec elles, c'est pourtant une preuve que le consentement extérieur et verbal que les hommes donnent à ces règles, ne prouve point que ce soient des principes innés. Que dis-je? Cette approbation ne prouve pas même que les hommes les reçoivent intérieurement comme des règles inviolables de leur propre conduite, puisqu'on voit tous les jours que l'intérêt particulier et la bienséance obligent plusieurs personnes à s'attacher extérieurement à ces règles, et à les approuver publiquement, quoique leurs actions fassent assez voir qu'ils ne songent pas beaucoup au législateur qui les leur a prescrites, ni à l'enfer qu'il a destiné à la punition de ceux qui les violeraient. § 7. En effet, si sans vouloir, par civilité, attribuer à la plupart des hommes plus de sincérité qu'ils n'en ont effectivement, nous regardons leurs actions comme les interprètes de leurs pensées, nous trouvons qu'intérieurement ils n'ont point tant de respect pour ces sortes de règles, ni une fort grande persuasion de leur certitude et de l'obligation où ils sont de les observer. Par exemple, ce grand principe de morale, qui nous ordonne de faire aux autres ce que nous voudrions qui nous fűt fait à nousmémes, est beaucoup plus recommandé que pratiqué. Mais l'infraction de cette règle ne saurait être si criminelle, que la folie de celui qui enseignerait aux hommes que ce n'est pas un précepte de morale qu'on soit obligé d'observer, ne parût encore plus contraire à ce même intérêt auquel les hommes sacrifient, quand ils violent eux-mêmes ce précepte. § 8. La conscience ne prouve pas qu'il y ait aucune règle de morale innée. On dira, peut-être, que puisque la conscience nous reproche l'infraction de ces règles, il s'ensuit de là que nous en reconnaissons intérieurement la justice et l'obligation. A cela je réponds que, sans que la nature ait rien gravé dans le cœur des hommes, je suis assuré qu'il y en a plusieurs qui, par la même voie qu'ils parviennent à la connaissance de plusieurs autres vérités, peuvent venir à reconnaître la justice et l'obligation de plusieurs règles de morale. D'autres peuvent en être instruits par l'éducation, par les compagnies qu'ils fréquentent, et par les coutumes de leur pays: et cette persuasion une fois établie met en action leur conscience, qui n'est autre chose que l'opinion que nous avons nous-mêmes de la rectitude morale, ou de la perversité de nos actions. Or, si la conscience était une preuve de l'existence des principes innés, ces principes pourraient être opposés les uns aux autres; puisque certaines personnes font par principe de conscience ce que d'autres évitent par le même motif. § 9. Exemples de plusieurs actions énormes, commises sans aucun remords de conscience. D'ailleurs, si ces règles de morale étaient innées et empreintes naturellement dans l'ame des hommes, je ne saurais comprendre comment ils pourraient venir à les violer tranquillement, et avec une entière confiance. Considérez une ville prise d'assaut, et voyez s'il paraît dans le cœur des soldats, animés au carnage et au butin, quelque égard pour la vertu, quelque principe de morale, et quelque remords de conscience pour toutes les injustices qu'ils commettent. Rien moins que cela. Le brigandage, la violence et le meurtre ne sont que des jeux pour des gens mis en liberté de commettre ces crimes sans en être ni censurés ni punis. Et en effet, n'y a-t-il pas eu des nations entières et même des plus polies (a), qui ont cru qu'il leur était aussi bien permis d'exposer leurs enfants pour les laisser mourir de faim, ou dévorer par les bêtes farouches, que de les mettre au (a) Les Grecs et les Romains. monde? Il y a encore aujourd'hui des pays où l'on ensevelit les enfants tout vifs avec leurs mères, s'il arrive qu'elles meurent dans leurs couches; ou bien on les tue, si un astrologue assure qu'ils sont nés sous une mauvaise étoile. Dans d'autres lieux, un enfant tue ou expose son père et sa mère, sans aucun remords, lorsqu'ils sont parvenus à un certain âge. Dans un endroit de l'Asie (a), dès qu'on désespère de la santé d'un malade, on le met dans une fosse creusée en terre; et là, exposé au vent et à toutes les injures de l'air, on le laisse périr impitoyablement, sans lui donner aucun secours. C'est une chose ordinaire (6) parmi les Mingreliens, qui font profession du christianisme d'ensevelir leurs enfants tout vifs sans aucun scrupule. Ailleurs, les pères (c) mangent leurs propres enfants. Les Caribes (d) ont accoutumé de les châtrer pour les engraisser et les manger. Et Garcillasso de la Vega rapporte (e) que certains peuples du Pérou avaient accoutumé de garder les femmes qu'ils prenaient prisonnières, (a) Gruher apud Thevenot, part. IV, pag. 13. (6) Lambert apud Thevenot, pag. 38. (c) Vossius. De Nili origine, ch. 18, 19. (d) P. Mart. Dec. 1. (e) Hist. des Incas, liv. 1, chap. 12. , |