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ordinairement, au lieu des mots clair et distinct, celui de déterminé, comme plus propre à faire comprendre à mes lecteurs ce que je pense sur cette matière. J'en tends donc par une idée déterminée, un certain objet dans l'esprit, et par conséquent un objet déterminé, c'est-à-dire tel qu'il y est vu et actuellement aperçu. C'est là, je pense, ce qu'on peut convenablement appeler une idée déterminée, lorsque telle qu'elle est objectivement dans l'esprit en quelque temps que ce soit, et qu'elle y est par conséquent déterminée, elle est attachée et fixée sans aucune variation à un certain nom ou son articulé, qui doit être constamment le signe de ce même objet de l'esprit, de cette idée précise et déterminée.

Pour expliquer ceci d'une manière un peu plus particulière; lorsque ce mot déterminé est appliqué à une idée simple, j'entends par là cette simple apparence que l'esprit a en vue, ou qu'il aperçoit en soimême lorsque cette idée est dite être en lui. Par le même terme, appliqué à une idée complexe, j'entends une idée composée d'un nombre déterminé de certaines idées simples, ou d'idées moins complexes, unies dans telle proportion et situation où l'esprit la considère comme présente à sa vue, ou la voit en lui-même lorsque cette idée y est ou devrait y être présente, au moment où on lui donne un nom. Je dis devrait être présente; parce que, bien loin que chacun ait soin de n'employer aucun terme avant que d'avoir vu dans son esprit l'idée précise et déterminée dont il veut qu'il soit le signe, il n'y a presque personne qui descende dans cette grande exactitude. C'est pourtant ce défaut d'exactitude qui répand tant d'obscurité et de confusion dans les pensées et dans les discours des hommes..

Je sais qu'il n'y a pas assez de mots, dans aucune langue, pour exprimer toute cette variété d'idées qui entrent dans les discours et les raisonnements des hommes. Mais cela n'empêche pas que lorsqu'un homme emploie un mot dans un discours, il ne puisse avoir dans l'esprit une idée déterminée dont il le fasse signe, et à laquelle il devrait se tenir con stamment 'attaché dans toute la suite de son discours. Et lorsqu'il ne le fait pas, ou qu'il est dans l'impuissance de le faire, c'est en vain qu'il prétend à des idées claires et distinctes, il est visible que les siennes ne le sont pas. Et par conséquent, par-tout où l'on emploie des termes auxquels on n'a point attaché de telles idées déterminées, on ne peut attendre que confusion et obscurité.

Sur ee fondement, j'ai cru que si je donnais aux idées l'épithète de déterminées, cette expression serait moins sujette à être mal interprétée que si je les appelais claires et distinctes. Et lorsque les hommes auront acquis de telles idées déterminées sur toutes les choses qui font le sujet de leurs raisonnements, de leurs recherches et de leurs discussions, ils trouveyont la fin d'une grande partie de leurs doutes et de leurs disputes; car la plupart des questions et des controverses qui embarrassent l'esprit humain, dépendent de l'usage douteux et incertain qu'on fait des mots, ou, ce qui est la même chose, des idées indéterminées qu'on leur fait signifier. J'ai donc choisi ce terme pour désigner, premièrement, tout objet que l'esprit aperçoit immédiatement, et qu'il a devant lui comme distinct du son qu'il emploie pour en être le signe; et en second lieu, pour donner à entendre que cette idée ainsi déterminée, c'est-à-dire, que l'esprit a en lui-même, qu'il connaît et voit comme y étant actuellement, est attachée sans aucun changement à un tel nom, et que ce nom est déterminé à cette idée précise. Si les hommes avaient de telles idées déterminées dans leurs discours et dans les recherches où ils s'engagent, ils verraient bientôt jusqu'où s'étendent leurs recherches et leurs découvertes; et en même temps ils éviteraient la plus grande partie des disputes et des querelles qu'ils ont avec les autres hommes.

L'AUTEUR AU LIBRAIRE.

La netteté d'esprit et la connaissance de la langue française, dont M. Coste a déja donné au public des preuves si visibles, pouvaient vous être un assez bon garant de l'excellence de son travail sur mon Essai, sans qu'il fût nécessaire que vous m'en demandassiez mon sentiment. Si j'étais capable de juger de ce qui est écrit proprement et élégamment en français, je me croirais obligé de vous envoyer un grand éloge de cette traduction, dont j'ai ouï dire que quelques personnes, plus habiles que moi dans la langue française, ont assuré qu'elle pouvait passer pour un original. Mais ce que je puis dire à l'égard du point sur lequel vous souhaitez de savoir mon sentiment, c'est que M. Coste m'a lu cette version d'un bout à l'autre avant que de vous l'envoyer, et que tous les endroits que j'ai remarqués s'éloigner de mes pensées, ont été ramenés au sens de l'original, ce qui n'était pas facile dans des notions aussi abstraites que le sont quelques-unes de mon Essai, les deux langues n'ayant pas toujours des mots et des expressions qui se répondent si juste l'une à l'autre, qu'elles remplissent toute l'exactitude philosophique; mais la justesse d'esprit de M. Coste et la souplesse de sa plume lui ont fait trouver. 'les moyens de corriger toutes ces fautes que j'ai découvertes à mesure qu'il me lisait ce qu'il avait traduit. De sorte que je puis dire au lecteur, que je présume qu'il trouvera dans cet ouvrage toutes les qualités qu'on peut désirer dans une bonne traduction.

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AVANT-PROPOS

DE LEIBNITZ,

A L'OCCASION DES REMARQUES QU'IL A FAITES SUR

LE LIVRE DE LOCKE.

1

«L'ESSAI ESSAI SUR L'ENTENDEMENT HUMAIN, donné par un illustre anglais, étant un des plus beaux et des plus estimés ouvrages de ce temps, j'ai pris la résolution d'y faire des remarques, parce qu'ayant assez médité depuis long-temps sur le même sujet et sur la plupart des matières qui y sont touchées, j'ai cru que ce serait une bonne occasion d'en faire paraître quelque chose, sous le titre de Nouveaux Essais sur l'entendement humain, et de procurer une entrée plus favorable à mes pensées, en les mettant en si bonne compagnie. J'ai cru aussi pouvoir profiter du travail d'autrui, non-seulement pour diminuer le mien, mais encore pour ajouter quelque chose à ce qu'il nous a donné, ce qui est plus facile que de commencer à travailler sur nouveaux frais en tout.

« Il est vrai que je suis souvent d'un autre avis que lui; mais, bien loin de disconvenir pour cela du mérite de cet écrivain estimable, je lui rends justice, en faisant connaître en quoi et pourquoi je m'éloigne de son sentiment, quand je juge nécessaire d'empêcher que son autorité ne prévale sur la raison, en quelques points de conséquence. En effet, quoique l'auteur de l'Essai dise mille belles choses

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