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que j'applaudis, nos systèmes diffèrent beaucoup. Le sien a plus de rapport à Aristote, et le mien à Platon, quoique nous nous éloignions en bien des choses l'un et l'autre de la doctrine de ces deux anciens. Il est plus populaire, et moi je suis forcé d'être un peu plus acroamatique et plus abstrait, ce qui n'est pas un avantage à moi, sur-tout écrivant dans une langue vivante....

<< Nos différents sont sur des objets de quelque importance. Il s'agit de savoir si l'ame en elle-même est vide entièrement, comme des tablettes où l'on n'a encore rien écrit; ou si elle contient originairement les principes de plusieurs notions et doctrines que les objets externes réveillent seulement dans les occasions.... [Voy. la note 1, pag. 20 du 1er volume de cette édition.] D'où il naît une autre question, savoir, si toutes les vérités dépendent de l'expérience, c'est-à-dire de l'induction et des exemples, ou s'il y en a qui ont un autre fondement? Car si quelques évènements peuvent être prévus avant toute épreuve qu'on en ait faite, il est manifeste que nous y contribuons en quelque chose de notre part.

« Les sens, quoique nécessaires pour toutes nos connaissances actuelles, ne sont point suffisants pour nous les donner toutes, puisque les sens ne donnent jamais que des exemples, c'est-à-dire des vérités particulières ou individuelles. Or, tous les exemples qui confirment une vérité générale, en quelque nombre qu'ils soient, ne suffisent pas pour établir la nécessité universelle de cette même vérité; car il ne s'ensuit pas que ce qui est arrivé, arrivera toujours de même. Par exemple, les Grecs et les Romains ont toujours remarqué qu'avant la fin de vingt-quatre heures, le jour se change en nuit, et la nuit en jour: mais on se serait trompé, si l'on avait cru que la même

croirait

règle s'observe par-tout, puisqu'on a vu le contraire dans la Nouvelle-Zemble. Et celui-ci se tromperait encore, qui que c'est, au moins dans nos climats, une vérité nécessaire et éternelle, puisqu'on doit juger que la terre et le soleil même n'existent pas nécessairement, et qu'il y aura peut-être un temps où ce bel astre ne sera plus, avec tout son système, au moins dans sa présente forme.

« D'où il paraît que les vérités nécessaires, telles qu'on les trouve dans les mathématiques pures, et particulièrement dans l'arithmétique et la géométrie, doivent avoir des principes dont la preuve ne dépende point des exemples, ni par conséquent du témoignage des sens, quoique sans les sens on ne se serait jamais avisé d'y penser. C'est ce qu'il faut bien distinguer, et ce qu'Euclide a si bien compris, en montrant, par la raison, ce qui se voit assez par l'expérience et par les images sensibles. La logique encore, avec la métaphysique et la morale, dont l'une forme la théologie et l'autre la jurisprudence naturelles, sont pleines de telles vérités; et par conséquent leur preuve ne peut venir que des principes internes qu'on appelle innés.

« Il est vrai qu'il ne faut pas s'imaginer qu'on puisse lire ces éternelles lois de la raison, à livre ouvert, comme l'édit du préteur se lit sur son album, sans peine et sans recherche: mais c'est assez qu'on les puisse découvrir en nous, à force d'attention, de quoi les occasions sont fournies par les sens. Le succès des expériences sert de confirmation à la raison, à-peu-près comme les épreuves servent dans l'arithmétique, pour mieux éviter l'erreur du calcul, quand le raisonnement est long.

« C'est aussi en quoi les connaissances des hommes et celles des bêtes sont différentes; les bêtes sont purement empiriques, et ne font que se régler sur des exemples; car, autant qu'on en peut juger, elles n'arrivent jamais à former des propositions nécessaires, au lieu que les hommes sont capables de sciences démonstratives, en quoi la faculté qu'ont les bêtes de faire des consécutions est quelque chose d'inférieur à la raison qui est dans les hommes. Les consécutions des bêtes sont purement comme celles des empiriques, qui prétendent que ce qui est arrivé quelquefois, arrivera encore dans un cas où ce qui les frappe est pareil, sans être pour cela capables de juger si les mêmes raisons subsistent. C'est par là qu'il est aisé aux hommes d'attraper les bêtes, et qu'il est si facile aux simples empiriques de faire des fautes. Les personnes devenues habiles par l'expérience n'en sont pas même exemptes, lorsqu'elles se fient trop à leur expérience passée, comme cela est arrivé à quelques-uns, dans les affaires civiles et militaires; parce qu'on ne considère point assez que le monde change, et que les hommes deviennent plus habiles, en trouvant mille adresses nouvelles, au lieu que les cerfs et les lièvres de ce temps ne sont pas plus rusés que ceux du temps passé. Les consécutions des bêtes ne sont qu'une ombre de raisonnement, c'est-à-dire ne sont qu'une connexion d'imagination et un passage d'une image à une autre; parce que dans une rencontre nouvelle, qui paraît semblable à la précédente, elles s'attendent de nouveau à ce qu'elles y ont trouvé joint autrefois, comme si les choses étaient liées en effet, parce que leurs images le sont dans la mémoire. Il est bien vrai que la raison conseille qu'on s'attende, pour l'ordinaire, à voir arriver à l'avenir ce qui est conforme à une longue expérience du passé; mais ce n'est pas pour cela une vérité nécessaire et infaillible, et le succès peut cesser quand on s'y attend le moins, lorsque les raisons qui l'ont maintenu changent. Voilà pourquoi les plus sages ne s'y fient pas tant, qu'ils ne tâchent de pénétrer, s'il est possible, quelque chose de la raison de ce fait, pour juger quand il faudra faire des exceptions. Car la raison est seule capable d'établir des règles sûres, et de suppléer à ce qui manque à celles qui ne l'étaient point (en y faisant des exceptions), et enfin de trouver des liaisons certaines dans la force des conséquences nécessaires; ce qui donne seulement le moyen de prévoir l'évènement, sans avoir besoin d'expérimenter les liaisons sensibles des images; à quoi les bêtes sont réduites. De sorte que ce qui justifie les principes internes des vérités nécessaires, distingue encore l'homme de la bête.

<< Peut-être que notre habile auteur ne s'éloignera pas entièrement de mon sentiment; car, après avoir employé tout son premier livre à rejeter les lumières innées, prises dans un certain sens, il avoue pourtant, au commence-ment du second et dans la suite, que les idées qui n'ont point leur origine dans la sensation, viennent de la réflexion. Or, la réflexion n'est autre chose qu'une attention à ce qui est en nous, et les sens ne nous donnent point ce que nous portons déja avec nous. Cela étant, peut-on nier qu'il y ait beaucoup d'inné en nous, puisque nous sommes pour ainsi dire innés à nous-mêmes? Peut-on nier qu'il y ait en nous étre, unité, substance, durée, changement, action, perception, plaisir, et mille autres objets de nos idées intellectuelles? Ces mêmes objets étant immédiats et toujours présents à notre entendement (quoiqu'ils ne puissent pas être toujours aperçus, à cause de nos distractions et de nos besoins), pourquoi s'étonner que nous disions que ces idées nous sont innées, avec tout ce qui en dépend? Je me suis servi aussi de la comparaison d'une pierre de marbre qui a des veines, plutôt que d'une pierre de marbre tout unie, ou des tablettes vides, c'est-à-dire de ce qui s'appelle tabula rasa, chez les philosophes : car, si l'ame ressemblait à ces tablettes vides, les vérités seraient en nous comme la figure d'Hercule est dans un bloc de marbre, quand il est tout-à-fait indifférent à recevoir ou cette figure, ou quelque autre. Mais s'il y avait, dans la pierre, des veines qui marquassent la figure d'Hercule préférablement à d'autres figures, cette pierre y serait plus déterminée, et Hercule y serait comme inné, en quelque façon, quoiqu'il fallût du travail pour découvrir ces veines, et pour les nettoyer, en retranchant ce qui les empêche de paraître. C'est ainsi que les idées et les vérités nous sont innées comme des inclinations, des dispositions, des habitudes ou des virtualités naturelles, et non pas comme des actions, quoique ces virtualités soient toujours accompagnées de quelques actions, souvent' insensibles, qui y répondent.

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« Il semble que notre habile auteur prétend qu'il n'y ait rien de virtuel en nous, et même rien dont nous nous apercevions toujours actuellement; mais il ne peut pas prendre cela à la rigueur, autrement son sentiment serait trop paradoxe, puisque, encore que les habitudes acquises et les provisions de notre mémoire ne soient pas toujours aperçues, et même ne viennent pas toujours à notre secours au besoin, nous nous les remettons souvent aisément dans l'esprit, à quelque occasion légère qui nous en fait souvenir, comme il ne nous faut que le commencement d'une chanson, pour nous faire ressouvenir du reste. Il limite aussi sa thèse en d'autres endroits, en disant qu'il n'y a rien en nous dont nous ne nous soyons au moins aperçus autrefois; mais, outre que personne ne peut assurer, par la seule raison, jusqu'où peuvent être allées nos

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