tive. Je trouvai cette réflexion assez sensée pour | à nager une pirogue', il faut quelquefois pardes sauvages. Dans les momens que j'ai eu de loisir, j'ai dressé un petit plan des missions qu'on pourroit établir dans ces contrées parmi les nations sauvages qu'on a découvertes jusqu'à présent. J'ai profité des lumières de M. de La Garde, commandant pour le roi dans le fort d'Oyapoc, qui a beaucoup navigué sur ces rivières; voici le projet de cinq missions que nous avons formé ensemble. La première pourroit s'établir sur les bords du Ouanari: c'est une assez grande rivière qui se décharge dans l'embouchure même de l'Oyapoc, à la droite en allant de Cayenne au fort. Les peuples qui composeroient cette mission sont les Tocoyennes, les Maraones et les Maourions 1. L'avantage qu'on y trouveroit, c'est que le missionnaire qui cultiveroit ces nations sauvages ne seroit éloigné du fort que de trois ou quatre lieues; qu'il y pourroit faire de fréquentes excursions, et que d'ailleurs il n'auroit point d'autre langue à apprendre que celle des Galibis; que si l'on vouloit placer deux missionnaires au fort d'Oyapoc, l'un d'eux pourroit aisément vaquer à l'instruction des Indiens, et je puis assurer qu'en peu de temps il s'en trouveroit un grand nonbre qui seroient en état de recevoir le baptême. La seconde mission pourroit être composée des Palicours, des Caranarious et des Mayets, qui sont répandus dans les savanes aux environs du Couripi: c'est une autre grande rivière qui se décharge aussi dans l'Oyapoc à la gauche, vis-à-vis du Ouanari. Ces nations habitent maintenant des lieux presque impraticables, leurs cases sont submergées une partie de l'année: ainsi il faudroit les transporter vers le haut du Couripi. Ce qui facilitera la conversion de ces peuples, c'est que parmi eux on ne trouve pas de Pyayes comme ailleurs, et qu'ils n'ont jamais donné entrée à la polygamie. Ces deux missions n'étant pas éloignées du fort, fourniroient aisément les équipages nécessaires pour le service du roi, ce qui seroit d'un grand secours, car aujourd'hui pour trouver douze ou quinze Indiens propres courir vingt lieues de pays. En montant vers les sauts d'Oyapoc, on pourroit établir une troisième mission à quatre journées du fort: elle seroit placée à l'embouchure du Camopi et seroit composée des nations indiennes qui sont éparses çà et là depuis le fort jusqu'à cette rivière. Ces principales nations sont les Caranes, les Pirious et les Acoquas. A cinq ou six journées au-delà, en suivant toujours la même rivière et entrant un peu dans les terres, on pourroit former une quatrième mission composée des Macapas, des Ouayes, des Tarippis et des Pirious. Enfin, une cinquième mission pourroit être fixée à la crique des Palanques, qui se jette dans l'Oyapoc à sept journées du fort. Elle se formeroit des Palanques, des Ouens, des Tarippis, des Pirious, des Coussanis et des Macouanis. La même langue, qui est celle des terres, se parlera dans ces trois dernières missions. Je compte d'amener ici vers Pâques un Indien Carave qui sait le galibi et avec lequel je commencerai à déchiffrer cette langue. Nous avons encore dans notre voisinage un assez bon nombre d'Indiens Galibis, qui souhaitent qu'on les instruise des principes du christianisme: ils sont aux environs d'une rivière appelée Sinamari. Si ma présence n'eût pas été nécessaire à Oyapoc, je serois allé passer quelques mois avec eux. Le père Lombard, qui connoît la plupart de ces sauvages, assure qu'une mission qu'on y établiroit pourroit devenir aussi nombreuse que celle de Kou rou. Voilà, mon révérend père, une vaste carrière ouverte aux travaux apostoliques de dix ou douze missionnaires. Plaise au Seigneur d'envoyer au plus tôt ceux qu'il a destinés à recueillir une moisson si abondante. Comme c'est à vos soins et à votre zèle que nous devons la perfection de ce premier établissement, dont je viens de vous entretenir, les secours abondans que vous nous avez accordés nous mettent en état d'avancer la conversion de tant de peuples barbares. Je suis avec beaucoup de respect en l'union de vos saints sacrifices. Sur les bords du fleuve Maroni. 2 Espèce de magiciens. Grand bateau propre à contenir une cinquantaine de personnes. * C'est ainsi que dans le pays on appelle un gros ruisseau ou une petite rivière. * Nom d'une nation. LETTRE DU P. LOMBARD, DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS, SUPÉRIEUR DES MISSIONS DES SAUVAGES DE LA GUYANE, AU RÉVÉREND PÈRE CROISET, PROVINCIAL DE LA MÊME COMPAGNIE DANS LA PROVINCE DE LYON. Nouveaux établissemens.-Conversions. A Kourou, dans la Guyane, ce 23 février 1730. MON RÉVÉREND PÈRE, La paix de N. S. Je ne saurois trop tôt marquer à votre révérence combien cette mission lui est obligée d'y avoir envoyé le frère du Molard. Il est arrivé dans les circonstances les plus favorables, vu le dessein que nous avons formé d'établir au plus tôt plusieurs missions, non-seulement à Kourou, mais encore à Oyapoc. Habile et plein de bonne volonté comme il est, son secours nous étoit très nécessaire pour la construction et l'ornement des églises que nous devons élever dans toutes ces contrées barbares. La dernière lettre du père Fauque vous aura déjà fait connoître Oyapoc: c'est une grande rivière au-dessus de Cayenne; le roi vient d'y établir une colonie, dont il nous a confié le soin, pour ce qui regarde le spirituel, en nous chargeant en même temps de faire des missions aux environs de cette rivière, où les nations indiennes sont en bien plus grand nombre qu'à Kourou. Le frère du Molard va d'abord travailler à l'embellissement de l'église de Kourou et à la construction d'une maison pour les missionnaires: car jusqu'ici nous n'avons logé que dans de petites huttes à l'indienne. Après quoi, lorsqu'il s'agira de former des peuplades, il n'aura guère le temps de respirer.. Je prévois ce qu'il en coûtera de dangers et de fatigues aux missionnaires pour aller chercher les Indiens épars çà et là dans les retraites les plus sauvages où ils se cachent, et pour les rassembler dans un même lieu; je l'ai éprouvé plus d'une fois, et tout récemment une excursion que j'ai faite chez les Maraones m'a mis dans un état où pendant quelques jours on a appréhendé pour ma vie. Je croyois ne pouvoir jamais me tirer des bois et des ravines, et pour surcroît de disgrâces, étant tout couvert de sueur, il me fallut essuyer une pluie continuelle pendant une partie de la nuit. A deux heures du matin, j'arrivai tout transi de froid à la case, et dès le lendemain la pleurésie se déclara: heureusement la fièvre étoit intermittente et me donnoit quelque relâche. Ce fut dans un de ces intervalles qu'on m'apprit que deux missionnaires étoient morts le même jour à Cayenne, au service de la garnison, qui étoit attaquée d'une maladie contagieuse, et qu'il n'y en restoit plus qu'un seul d'une santé chancelante. Tout malade que j'étois, je pris le parti d'aller au secours de cette colonie qui se voyoit tout-à-coup privée de presque tous ses pasteurs. Je partis donc d'Oyapoc, et ayant fait ce trajet en moins de vingt-quatre heures, j'arrivai avec le père Catelin à Cayenne. Quelques Indiens de la mission de Kourou me témoignèrent en cette occasion leur zèle et leur attachement. A peine fus-je abordé qu'ils se présentèrent à moi pour me porter sur leurs épaules jusqu'à notre maison, qui est éloignée d'une demi-lieue de l'endroit où j'avois débarqué. Le violent accès de fièvre que j'avois eu toute la nuit m'avoit tellement abattu que je ne pouvois me soutenir qu'avec peine. L'affection de ces bons Indiens me consoloit, je les entendois se dire les uns aux autres : « Ayons grand soin de notre Baba, n'épargnons pas nos peines, car que deviendrions-nous s'il venoit à nous manquer? qui est-ce qui nous instruiroit? qui nous confesseroit? qui nous assisteroit à la mort? La consternation étoit générale à Cayenne quand j'y arrivai, à cause de la perte qu'on venoit de faire tout à la fois de trois missionnaires: une pareille mortalité étoit extraordinaire et l'on n'avoit rien vu de semblable depuis que nous y sommes établis. La bonté de l'air qu'on y respire et des alimens dont on se nourrit fait que communément il y a très peu de malades. Vous comprenez assez, mon révérend père, quels sont nos besoins et combien il est important de rempiacer au plus tôt ces pertes. Dix nouveaux missionnaires, s'ils arrivoient, auroient peine à suffire au travail qui se présente. Le peu de temps que j'ai demeuré à Oyapoc ne m'a pas permis de faire autant de découvertes que j'aurois souhaité: le pays est d'une vaste étendue et habité par quantité de diverses nations indiennes. On vient, depuis Vous souhaitez, mon révérend père, que je vous informe du progrès que fait la religion parmi ces peuples et des œuvres extraordinaires de piété qu'on leur voit pratiquer. Il me seroit difficile de vous rien mander de fort intéressant. Vous savez que cette mission n'est encore que dans sa naissance. On vous a déjà fait connoître le caractère de ces nations sau peu, d'en découvrir une qui est très-nombreuse | qui s'ouvre au zèle des ouvriers évangéliques. et qui est établie à deux cents lieues du fort d'Oyapoc: c'est la nation des Amikouanes, que l'on appelle autrement les Indiens à longues oreilles. Ils les ont effectivement fort longues, et elles leur pendent jusque sur les épaules. C'est à l'art, et non pas à la nature, qu'ils sont redevables d'un ornement si extraordinaire et qui leur plaît si fort. Ils s'y prennent de bonne heure pour se procurer cet agré-vages, leur légèreté, leur indolence et l'averment: ils ont grand soin de percer les oreilles à leurs enfans; ils y insèrent de petits bois pour empêcher que l'ouverture ne se ferme, et de temps en temps ils y en mettent d'autres toujours plus gros les uns que les autres, jusqu'à ce que le trou devienne assez grand, à la longue, pour y insinuer certains ouvrages qu'ils font exprès et qui ont deux ou trois pouces de dia mètre. sion qu'elles ont pour tout ce qui les gêne. Nous ne pouvons guère espérer de fruits solides de nos travaux que quand nous les aurons réunis dans différentes peuplades où l'on puisse les instruire à loisir et leur inculquer sans cesse les vérités chrétiennes. Le cœur de ces barbares est comme une terre ingrate, qui ne produit rien qu'à force de culture. Il a été un temps où leur inconstance naturelle et la difficulté de les fixer dans le bien me rebutoient extrêmement. Je craignois de m'être laissé tromper par des apparences et Cette nation, qui a été inconnue jusqu'ici, est extrêmement sauvage: on n'y a aucune connoissance du feu. Quand ces indiens veulent couper leur bois, ils se servent de certains cail-d'avoir conféré le baptême à des gens qui étoient indignes de le recevoir. Une espèce de dépit, qui me paroissoit raisonnable, me fit presque succomber à la tentation qui me prenoit de les abandonner. J'écoutai néanmoins de meilleurs conseils ; d'autres pensées, plus justes et plus conformes au caractère des peuples que Dieu avoit confiés à mes soins en m'appelant à cette mission, succédèrent aux premières idées qui me décourageoient : le Seigneur, mal loux qu'ils aiguisent les uns contre les autres pour les affiler et qu'ils insèrent dans un manche de bois en guise de hache. J'ai vu à Oyapoc une de ses sortes de haches: le manche a environ deux pieds, et au bout il y a une échancrure pour y insérer le caillou. Je l'examinai, mais bien qu'il soit si mince, il me parut peu tranchant. J'ai vu aussi un de leurs pendans d'oreilles: c'est un rouleau de feuilles de palmistes d'un pouce de large: ils gravent sur le | gré mes défiances et mes dégoûts, me donna la tranchant quelque figure bizarre qu'ils peignent en noir ou en rouge, et qui, attachée à leurs oreilles, leur donne un air tout-à-fait risible; mais, à leur goût, c'est une de leurs plus belles parures. force de m'appliquer avec encore plus d'ardeur à cultiver un champ qui me sembloit tout-à-fait stérile, et ce n'est que depuis quelques années que j'ai enfin reconnu, par le succès dont Dieu a béni ma persévérance, que la religion avoit jeté de profondes racines dans le cœur de plusieurs de ces barbares. En-deçà des Amikouanes, ils y a plusieurs autres nations; quoiqu'elles soient fort différentes et même qu'elles se fassent quelquefois la guerre les unes aux autres, il n'y a point de diversité pour la langue, qui est la même parmi toutes ces nations. Tels sont les Aromagatas, les Palunks; les Turupis, les Ouays, les Pirius, les Coustumis, les Acoquas et les Ca-ront pas de quoi vous frapper : vous avez reçu J'en ai été encore mieux convaincu par la sainte et édifiante mort de plusieurs néophytes que j'ai assistés en ce dernier moment. Je ne vous en rapporterai que trois ou quatre exemples. Je sais, mon révérend père, qu'ils n'au ranes. Toutes ces nations sont vers le haut de les derniers soupirs d'une infinité de personla rivière Oyapoc. Il y en a un grand nombre nes dont la vie, passée dans l'exercice de toutes d'autres sur les côtes, comme les Palicours, les sortes de vertus, a été couronnée par la mort Mayes, les Karnuarious, les Coussanis, les la plus sainte; mais enfin quand les mêmes Toukouyanes, les Rouourios et les Maraones. choses se rapportent d'un peuple sauvage et Voilà, comme vous voyez, un vaste champ | barbare, dont le naturel, les mœurs et l'éducation sont si opposées aux maximes du chris- | Sa femme et sa mère, qui étoient présentes, tianisme, on ne peut guère s'empêcher d'y reconnoître le doigt de Dieu et la puissance de la grâce, qui des rochers les plus durs en fait, quand il lui plaît, de véritables enfans d'Abraham. Je commence par un infidèle que je baptisai, il y a quelque temps, à l'article de la mort: c'étoit un Indien plein de bon sens; appelé Sany. J'allois souvent à Ikaroux, qui est le premier endroit où je m'étois établi avec le père Ramette. Ce bon sauvage ne manquoit pas de nous rendre de fréquentes visites, et nos entretiens rouloient toujours sur la religion chrétienne et sur la nécessité du baptême. Nos discours, aidés de la grâce, firent de vives impressions sur son cœur, et ces impressions se réveillèrent aux approches de la mort. Il s'étoit retiré dans un lieu très-sauvage, où ses ancêtres avoient demeuré autrefois et où étoit leur sépulture. Ce fut par un coup d'une providence particulière de Dieu que j'allai le voir dans un temps où ma présence étoit si nécessaire à son salut. Mon dessein étoit d'aller à cinq ou six lieues visiter un Indien dont j'avois appris la maladie depuis peu de jours. Je passai par un carbet voisin, où la plupart des sauvages qui l'habitoient étoient chrétiens: à peine fus-je arrivé qu'ils se mirent autour de moi et me demandèrent où je portois mes pas. Ayant satisfait à leur demande : « Tu vas chercher bien loin, me dirent-ils, ce que tu as auprès de toi: ton ami Sany, qui demeure à une demi-lieue d'ici, est à l'extrémité. Ne ferois-tu pas mieux de l'aller voir ? » J'y consentis très-volontiers, et deux Indiennes, parentes du moribond, s'offrirent à être mes guides. Nous nous mêmes en chemin, elles, mon petit nègre et moi; nous arrivames bientôt à une savane presque impraticable: les herbes et les joncs étoient montés si haut qu'on auroit eu de la peine à y découvrir un homme à cheval. Ces bonnes Indiennes marchèrent devant et me frayèrent le chemin en foulant aux pieds les joncs et les herbes : enfin elles me conduisirent à la pointe d'un bois épais, où le malade s'étoit fait transporter et où on lui avoit dressé une pauvre cabane. Aussitôt qu'il m'aperçut il s'écria tout transporté de joie: «Sois le bienvenu, Baba, je savois bien que tu viendrois me voir aujourd'hui; je t'ai vu en songe toute la nuit, et il me sembloit que tu me donnois le baptême. >>> m'assurèrent qu'en effet il n'avoit cessé de parler de moi toute la nuit, et qu'il leur avoit dit que j'arriverois ce jour-là même. Je profitai des momens de connoissance qui lui restoient et des heureuses dispositions que le ciel avoit mises dans son cœur, et comme il étoit déjà trèsinstruit des vérités de la religion, je le préparai au baptême, qu'il reçut avec une grande piété. Il expira entre mes bras la nuit suivante, pour aller jouir, comme il y a lieu de le croire, du bonheur que la grâce de ce sacrement venoit de lui inspirer. Une autre mort d'un jeune homme que j'ai élevé et qui se nomme Rémy, me remplit de consolation toutes les fois que j'y pense: il y avoit peu de temps qu'il étoit marié, et il avoit toujours fait paroître un grand attachement à tous les devoirs de la religion. Attaqué d'un violent mal de poitrine, dont tous les remèdes que je lui donnai ne purent le guérir, je lui annonçai que sa mort n'étoit pas éloignée. « II faut donc profiter, me répondit-il, du peu de tems qui me reste à vivre. Oui, mon Dieu, ajouta-t-il, c'est volontiers que je meurs, puisque vous le voulez, je souffre avec plaisir les douleurs auxquelles vous me condamnez: je les mérite, parce que j'ai été assez ingrat pour vous offenser. Aouerle, disait-il en sa langue, Aouerle Tamoussi yetombe eüa aroubou mappo epelagame ». Ce n'étoient pas là des sentimens que je lui eusse suggérés: le Saint-Esprit luimême, qui les avoit imprimés dans son cœur, les lui mettoit à la bouche: il les répétoit à tout moment, et je ne crois pas m'écarter de la vérité en assurant qu'il les prononçoit plus de trois cents fois par jour; mais il les prononçoit avec tant d'ardeur que j'en étois comme interdit, et je n'avois garde de lui inspirer d'autres sentimens. Dès qu'il se sentit plus mal qu'à l'ordinaire, il me demanda les sacremens. Après avoir entendu sa confession, qu'il fit avec des sentimens pleins de componction, j'allai lui chercher le saint viatique. A la vue de son Sauveur, il parut ranimer toute la ferveur de sa piété : il se jeta à genoux, et, prosterné jusqu'à terre, il adora Jésus-Christ, qu'il reçut ensuite avec le plus profond pespect; je lui administrai presque en même temps l'extrême onction, qu'il reçut avec une foi également vive; après quoi il ne cessa de s'entretenir avec Dieu jusqu'au dernier soupir. A une mort si édifiante, je joindrai celle de | et j'étois le sien: c'est, après les liaisons du Louis-Remi Tourappo, principal chef de nos Indiens et le premier de cette contrée qui ait embrassé la foi. C'étoit un homme d'esprit, parfaitement instruit des vérités de la religion, et qui m'a fourni en sa langue des termes trèspropres et très-énergiques pour exprimer nos divins mystères. Il a été pendant toute sa vie un modèle de vertu pour nos néophytes: presque tous les jours il assistoit au saint sacrifice de la messe. Le soir et le matin il ne manquoit jamais de rassembler tout son monde et il faisoit lui-même la prière à haute voix. Un flux de sang invétéré nous l'enleva. Aussitôt qu'il s'aperçut que son mal étoit sans remède, il ne songea plus qu'à se préparer à une mort chrétienne. Il reçut les derniers sacremens avec une dévotion qui en inspira au grand nombre de sauvages, dont sa case étoit remplie; je jugeai à propos, pour l'instruction et l'édification de cette multitude d'Indiens, de lui faire faire sa profession de foi avant que de lui donner le saint viatique. Je prononçai donc à haute voix tous les articles de notre croyance. A chaque article il me répondoit avec une présence d'esprit admirable et d'un ton assuré : << Oui, je le crois, » ajoutant toujours quelque chose qui marquoit sa ferme adhésion aux vérités chrétiennes. Ce fut dans ces sentimens pleins de foi et d'amour pour Dieu qu'il finit sa vie. sang, une sorte d'union, parmi les Indiens, la plus étroite qu'on puisse avoir. Nous honorames autant que nous pûmes ses obsèques : son cercueil; sur lequel on avoit posé son épée et son bâton de commandant, fut porté par quatre capitaines et conduit à l'église par presque tous les Indiens de la mission, qui tenoient chacun un cierge à la main. Il fut enterré au milieu de la nouvelle église. La reconnoissance demandoit qu'on lui fit cet honneur, parce que c'est lui qui a le plus contribué à la construction de ce saint édifice. Je n'ai garde, mon révérend père, de vous fatiguer plus long-temps par des répétitions ennuyeuses de faits qui sont assez semblables. Je finirai cette lettre par le récit de la mort d'un autre Indien nommé Denis, qui nous a constamment édifiés par une piété exemplaire par une extrême délicatesse de consience, et par la plus exacte fidélité à remplir toutes les obligations qu'impose le nom chrétien. Il lui arrivoit souvent de rester dans l'église après la grand'messe et d'y passer un temps considérable dans un profond recueillement et comme absorbé en lui-même par la ferveur de sa prière Je le considérois quelquefois et je me disois à moi-même : « Que ne puis-je pénétrer dans le cœur de ce pauvre sauvage et y découvrir les communications intimes qu'il paraît avoir avec Dieu ! » Attaqué d'un flux de ventre sanguinolent, il vit bien qu'il n'avoit que peu de jours à vivre; il ne songea plus qu'à se préparer à ce dernier passage: il purifia plusieurs fois sa consience par des confessions très exactes et avec les sentimens de la plus vive douleur. Dès qu'il eut reçu le corps adorable de J.-C., il n'eut plus d'autres pensées que celles de l'éternité. Il avoit sans cesse à la main le crucifix. Une fois entre autres que j'allai le voir, je lui trouvai les yeux collés sur ce signe de notre rédemption. Plusieurs Indiens l'environnoient dans un profond silence: je m'assis auprès de lui, et contre son ordinaire il ne me salua point tant il étoit appliqué à l'objet adorable qu'il tenoit entre les mains. « Hé bien! mon cher Denis, lui dis-je, cette image de J.-C. attaché à la croix pour ton salut ne t'inspire-t-elle pas une grande confiance en ses miséricordes? Oui, Baba, me répondit-il d'un air serein et tranquille. >>> Le lendemain je le trouvai tellement Comme je consolois sa fille aînée de la perte qu'elle venoit de faire, elle m'apprit que son père, peu de jours avant sa mort, avoit assemblé tous ceux sur qui il avoit de l'autorité pour leur déclarer ses dernières volontés. « Je meurs nous a-t-il dit, et je meurs chrétien: aidezmoi à en rendre grâces au Dieu des miséricordes. Je suis le premier capitaine qui ait reçu chez moi les missionnaires: vous savez que les autres capitaines m'en ont su mauvais gré et que j'ai été l'objet de leurs censures; mais je me suis mis au-dessus de leurs discours et je n'ai pas craint de leur déplaire. Imitez en cela mon exemple; regardez les missionnaires comme vos pères en J.-C.; ayez en eux une entière confiance, et prenez garde qu'une vie peu chrétienne ne les oblige malgré eux à vous abandonner.» J'ai été très-touché de cette mort: c'étoit un ancien ami que j'affectionnois fort, à cause de son zèle pour la religion, et qui m'étoit véritablement attaché. Il étoit mon banaré | affoibli que, n'ayant plus la force de tenir lui |