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SECONDE LETTRE

Sur les nouvelles missions du Paraguay. A M.

MONSIEUR,

La paix de N.-S.

C'est pour me conformer à vos désirs que je continue à vous entretenir des missions nouvellement établies dans la grande province du Paraguay et des moyens que prennent les missionnaires pour gagner tant de nations barbares, répandues dans d'immenses forêts, et les réunir dans des peuplades où l'on puisse les policer et les instruire des vérités de la foi. J'ai déjà eu l'honneur de vous dire que chaque peuplade chrétienne est sous la conduite de deux missionnaires, et qu'en certain temps de l'année, l'un d'eux parcourt les montagnes et les forêts pour chercher ces pauvres Indiens et les retirer des ténèbres de l'infidélité.

Le père Cavallero s'est rendu illustre en ces derniers temps par le succès de ces sortes d'excursions apostoliques et par la mort glorieuse dont son zèle a été couronné. Il fut tiré par ses supérieurs de la mission des Chiriguanes pour consacrer ses soins à celles des Chiquites. Il gouvernoit alors la peuplade de Saint-François-Xavier, d'où il avoit coutume chaque année de se répandre chez les Indiens infidèles; il avoit déjà disposé la nation des Indiens Purakis à écouter ses instructions, et il partit de sa peuplade en l'année 1704 pour se rendre chez eux et achever l'ouvrage de leur conversion.

Comme il approchoit des habitations indiennes, il aperçut une troupe d'Européens qui au mépris des lois, qu'ils croyoient pouvoir enfreindre impunément dans un lieu si éloigné des villes espagnoles, cherchoient à enlever le plus qu'ils pourroient de ces Indiens pour en faire un cruel trafic et les vendre comme autant d'esclaves. Le chef de la troupe aborda le missionnaire et, prenant un ton d'empire et d'autorité, il lui dit que c'étoit bien le temps de faire des missions: qu'il eût à retourner dans sa peuplade, et que s'il balançoit tant soit peu à se retirer, il sauroit bien l'y contraindre. Le père, nullement intimidé par ses menaces, lui fit une réponse honnête et suivit son chemin.

Quand il arriva aux habitations, il les trouva toutes désertes : à la vue des Européens, la peur avoit saisi ces Indiens, ils avoint pris la fuite et étoient allés se cacher dans les bois les plus épais et les moins accessibles. Il n'aperçut que deux ou trois jeunes Indiens montés à la cime des arbres pour observer la marche et la contenance des Européens. Quelque impénétrables que fussent ces bois, ils ne furent point un obstacle au zèle du père Cavallero : il en perça l'épaisseur et se rendit, quoique avec beaucoup de peine, au lieu où étoient ses chers Indiens.

Après leur avoir renouvelé ses instructions, il baptisa un bon nombre d'enfans qu'ils lui présentèrent. Lorsqu'il eut fini, ce pauvre peuple, consterné de la longue sécheresse qui ruinoit leurs moissons et qui leur annonçoit une famine générale, se jeta à ses pieds et le conjura avec larmes d'employer le pouvoir qu'il avoit auprès du vrai Dieu qu'il leur annonçoit pour en obtenir de la pluie.

Le père, que ce spectacle avoit attendri, ne put se refuser à de si fortes instances, qui étoient une preuve de leur foi et de confiance en Dieu: il planta à terre la croix qu'il portait toujours à la main, il ordonna à tous les Indiens de se mettre à genoux devant ce signe de notre salut, d'élever leurs mains au ciel et de répéter avec lui la prière qu'il alloit faire au souverain mattre de l'univers et au dispensateur de tous biens. Dieu daigna exaucer leur prière : à peine futelle achevée qu'une pluie abondante ressuscita leurs moissons et ranima les campagnes.

Le père n'eut pas le temps d'être témoin de leur reconnoissance; il partit aussitôt pour aller visiter les Indiens Tapacuras, avec promesse que ce voyage ne seroit que de peu de jours. Pendant son absence, les Européens dont je viens de parler eurent recours à un stratagème au moyen duquel ils se promettoient un double avantage; le premier, de rendre le missionnaire odieux et suspect aux Indiens, et le second, de se mettre en état de suivre leur proie sans obstacle. A cet effet, ils firent répandre parmi ces peuples, naturellement ombrageux, que le prétendu missionnaire auquel ils donnoient leur confiance étoit un Mamelus déguisé en jésuite, et qu'il étoit allé quérir ses compagnons pour venir fondre sur eux et les enlever; qu'ils le cherchoient pour lui mettre les fers aux pieds et aux mains, et le con

duire aux prisons de Sainte-Croix-de-la-Sierra. | sitions du jeune Indien donnèrent au père une

Quoique ce bruit ne les trouvât pas assez crédules pour y ajouter une foi entière, cependant une ruse pareille, employée plus d'une fois par les Mamelus, leur inspiroit je ne sais quelle défiance que le père eut bientôt dissipée à son retour en leur découvrant le piége qu'on avoit tendu à leur simplicité.

Cette fourberie ayant si mal réussi à ces Européens, ils résolurent d'employer la violence. Le chef, suivi de sa troupe et informé par ses espions de la marche du missionnaire, alla le trouver, et donnant à entendre qu'il étoit autorisé des magistrats et envoyé à la découverte des Mamelus, il l'accabla d'injures et leva même la main pour le frapper; puis avec un visage allumé de fureur : « C'est de la part du roi, lui dit-il, que je vous ordonne de sortir au plus tôt du pays et d'aller rendre compte de votre conduite au gouverneur de SainteCroix; obéissez. »

Ces nouvelles insultes ne causèrent pas la moindre émotion au père Cavallero. « Ne vous imaginez pas, lui répondit-il d'un air tranquille, que vos prétentions et vos vues criminelles me soient inconnues. Vous croyez que ces lieux déserts et écartés déroberont vos injustices à la connoissance de ceux qui ont l'autorité et l'obligation de les punir! Vous vous trompez. Sachez que le châtiment n'est pas si loin que vous le pensez. Du reste, vos menaces et vos artifices sont inutiles; jamais vous ne m'arracherez d'un lieu où Dieu demande ma présence, et je ne souffrirai point que vous attentiez à la liberté d'un peuple qui en jouit sous la protection du roi et de ses édits. >>>

idée favorable du caractère de cette nation, et dès lors ses pensées se tournérent à la conversion des Mannacicas.

Ce fut un grand sujet de joie pour ces pauvres Indiens de se voir délivrés de l'inquiétude que leur avoit causée cette troupe d'Européens. Leur cacique, venant lui en marquer sa reconnoissance, le pria de se transporter chez les Indiens Arupores. « Nous vous accompagnerons, lui dit-il, nous les entretiendrons des vérités de la religion, notre exemple les touchera, et nous les engagerons de se joindre à nous et aux Tubacis nos amis pour former tous ensemble une peuplade où vous puissiez nous enseigner la doctrine chrétienne et nous mettre, par le baptême, au rang des enfans de Dieu. >>>

Cette prière du cacique étoit trop conforme aux vues du missionnaire pour ne pas se rendre à ses désirs. Il se mit aussitôt en chemin avec sa suite, et il arriva en peu de jours chez ces Indiens. Il les trouva en effet si bien disposés à embrasser la foi qu'à cette première visite il baptisa plus de quatre-vingts enfans; car pour le baptême des adultes, il n'en est point ques❘tion: on ne le leur confère que quand ils sont fixés dans une peuplade où l'on ait tout le loisir de les instruire.

De là il passa dans un autre village de la même nation. Mais ces fatigues avec les mauvais alimens qu'il prenoit le jetèrent dans un état de langueur que son courage s'efforçoit en vain de surmonter; enfin il se sentit défaillir les forces et il tomba en foiblesse; une fièvre ardente quile saisit en même temps l'eut bientôt réduit à l'extrémité. Assis au pied d'un arbre, il n'attendoit plus que sa dernière heure, à laquelle il se disposcit. Ces pauvres Indiens étoient désolés de ce que la ruine de leurs cam

Ces dernières paroles, dites d'un ton ferme, étonnèrent le chef de ces brigands, et voyant | que ses impostures étoient découvertes, il prit ❘ parti lui-même d'aller chercher fortune ailleurs; on ne le vit plus reparoître. Peu après un In-pagnes les mettoient hors d'état de lui procurer

quelque secours. Enfin, après bien des mouvemens, le hasard leur fit trouver une poule qu'ils lui apportèrent, mais il la refusa constamment et la fit donner à un de ses néophytes qui étoit presque aussi mal que lui.

dien de la nation des Mannacicas, qu'il avoit fait esclave, ayant eu l'adresse de s'échapper de ses mains, vint se jeter entre les bras du missionnaire. Il entendoit un peu la langue des Chiquites et il paroissoit avoir naturellement du goût pour les exercices de la religion : il étudioit toutes les actions du père et il tâchoit de les imiter; on le voyoit se prosterner comme lui au pied de la croix, lever comme lui les mains vers le ciel et réciter comme lui à haute voix les prières. De si heureuses dispo- | pour les mettre dans la voie du salut. A peine Le père, qui l'avoit écouté sans l'interrompre, prit son crucifix à la main, et le lui montrant : « Voilà, lui répondit-il, le bouclier qui me dé- ❘ pourtant ranimé par la présence d'un jeune

Dans le triste état où il se trouvoit, il lui vint une forte pensée de promettre à Dieu que s'il lui rendoit la santé il la sacrifieroit à la conversion des Indiens Mannacicas, et qu'il verseroit volontiers jusqu'à la dernière goulle de son sang eut-il fait cette promesse, que la fièvre cessa, qu'il trouva du goût aux mets les plus insipides dont usent ces Indiens, et qu'en très-peu de temps il recouvra ses forces.

Le cacique du lieu nommé Pou, suivi de quelques-uns de ses vassaux, vint le féliciter du rétablissement de sa santé. Le père, qui connaissoit la sincérité de l'affection qu'il lui portoit, l'entretint du projet qu'il avoit formé, et qu'il étoit sur le point d'exécuter, en le priant de vouloir bien l'accompagner avec les siens dans une expédition où il s'agissoit de gagner tant d'âmes à Jésus-Christ.

Le cacique, qui auguroit mal du succès de cette entreprise, lui en exposa les dangers; il lui représenta que cette nation étoit très-nombreuse et encore plus redoutable par sa valeur; qu'elle étoit irritée au delà de tout ce qu'on peut dire contre les Espagnols, à cause du meurtre tout récent qu'ils avoient fait de quelques-uns des siens; qu'elle avoit juré de faire périr tout autant d'Espagnols qui tomberoient sous sa main; que se livrer témérairement à un peuple fier, vindicatif et outragé, c'étoit courir à une mort certaine; que tout le chemin qui conduit à leurs villages étoit semé de pointes d'un bois très-dur où il n'étoit pas possible de marcher sans s'estropier; que ces villages étoient fortifiés de palissades qu'il n'étoit pas aisé de franchir; enfin, lui témoignant qu'il l'aimoit comme son père : « Si ces furieux vous attaquent, lui dit-il, étant seul comme vous êtes, quelle sera votre défense? >>>

ne pas venger votre mort, dussent-ils nous hacher en pièces. >>> A l'instant il frappa sur ses armes. A ce signal une nombreuse troupe de braves Indiens parurent et promirent que si les Mannacicas osoient attenter à la personne du père, ils mourroient tous à ses côtés. Mais, avant que de partir, ils le prièrent de leur accorder un peu de temps pour les mieux instruire des vérités chrétiennes et pour conférer le baptême à leurs enfans.

Ce ne fut donc qu'après quelques jours qu'ils se mirent en marche. Lorsqu'ils eurent passé la rivière Arubaitu ou, comme d'autres l'appellent, Zuquibuiqui, à la vue des pointes aiguës dont le chemin étoit semé et des palissades qui environnoient le village, la frayeur s'empara des Indiens; ils parloient tous de retourner sur leurs pas et de renoncer à une entreprise qu'il n'étoit pas possible d'exécuter.

« J'avoue, dit le père dans une lettre qu'il écrivit en ce temps-là à son supérieur, que quelque brave que soit la nation des Purakis et quelque amour qu'elle me porte, il n'y a que Dieu qui ait pu donner assez d'efficacité à mes paroles pour relever leur courage abattu. A peine eus-je prononcé deux mots que le cacique, suivi de ses vassaux, s'avance, et marchant pas à pas dans un profond silence, il arriva jusqu'à la palissade, où il ne se trouva personne pour la défendre. Je ne vous dissimulerai point qu'après avoir passé cette palissade et que me voyant près d'être exposé à la fureur de ces barbares, et, selon les apparences, à teindre de mon sang leurs flèches empoisonnées, la crainte me saisit à mon tour. J'étois

fendra de leur fureur. Je ne crains rien quand Jésus-Christ m'ordonne de prêcher sa sainte loi: ils ne peuvent, sans sa permission, m'arracher un cheveu de la tête; et quand je devrois expirer sous leurs traits, puis-je aspirer à un plus grand bonheur? Si vous craignez, vous autres, vous n'avez qu'à demeurer un peu au loin derrière moi, tandis que j'entrerai tout seul dans le village. Si l'on m'y fait un bon accueil, je viendrai vous appeler ; si au contraire je suis mal reçu, vous n'aurez qu'à prendre la fuite.>>>

néophyte qui étoit à mes côtés et qui, levant ses mains innocentes vers le ciel, offroit sans cesse à Dieu ses sueurs et ses peines pour planter la foi chez ces infidèles et son sang pour le verser à son service. >>>

Ils entrèrent dans le village, qu'ils trouvèrent entièrement abandonné: on n'y voyoit que des ruines de cabanes que le feu avoit consumées et des cadavres dont la terre étoit jonchée. A la vue de ce spectacle, qui faisoit horreur, les Purakis exhortèrent le missionnaire à se retirer; mais un Indien Mannacica, nommé Izu, Une réponse si ferme et si hardie porta le qui leur servoit d'inteprète, leur assura qu'assez même courage dans le cœur du cacique. «Non près de là il y avoit d'autres terres et d'autres certes, nous ne fuirons pas, dit-il, et s'ils vevillages. A ce récit, le père réveilla le courage noient à vous tuer, nous vous aimons trop pour | de ses Indiens, et se mettant à leur tête, il eut bientôt gagné ce nouveau village. Il y entra seul avec Izu son interprète, laissant les Indiens derrière lui à une certaine distance.

à inspirer de la confiance en la divine miséricorde que de voir d'un côté des infidèles, qui n'étoient instruits que depuis peu de jours des vérités de la foi et qui n'avoient pas encore reçu le baptême devenir des prédicateurs de l'Evangile! et d'un autre côté une nation fière et orgueilleuse. qui ne respiroit que la haine et la vengeance, s'adoucir tout à coup et s'humilier aux pieds de Jésus-Christ!

Au même moment la place fut remplie des Indiens de l'une et l'autre nation, qui, déposant toute leur haine, se traitèrent avec amitié et jurèrent une paix durable, tandis que le néophyte Izu, aidé de ses parens, fabriquoit une grande croix. Le père la fit planter dans le lieu le plus apparent de la place, comme un monument de la victoire que le ciel remportoit sur l'enfer et de la possession que Jésus-Christ venoit prendre de cette terre consacrée aupara

Aussitôt que ces barbares l'aperçurent, ils poussèrent des cris affreux; ils firent sortir du village leurs femmes et leurs enfans, ils s'armèrent de leurs flèches avec un air menaçant et jetant sur lui des yeux étincelans de fureur. Le néophyte Izu, élevant la voix, les conjura de ne point faire de mal à un homme qui n'étoit rien moins que leur ennemi. « Je suis un missionnaire, s'écria le père, qui viens vous prêcher la sainte loi de Jésus-Christ. >>> Tout cela ne fit nulle impression sur ces barbares : on leur vit faire un mouvement qui n'annonçoit rien que de funeste. Alors le cacique Pou s'approchant du père : « N'apercevez-vous pas, lui dit-il, qu'ils forment un cercle pour nous environner de toutes parts, afin qu'aucun de nous n'échappe de leurs mains? >>> Il est éton-vant au démon. nant que le missionnaire, qui peu de jours auparavant frémissoit de peur à la seule pensée de ces barbares, parut alors imperturbable. « Je vous avouerai ingénument, dit-il dans une de ses lettres, qu'au milieu du plus grand péril où j'étois de perdre la vie, je n'avois pas la moindre crainte : une voix intérieure me disoit que cette fois-ci elle ne me seroit pas ravie, et quoique je me visse couvert d'une nuée de flèches, j'étois dans la place, le crucifix à la main, aussi tranquille qui si j'eusse été dans mon église au milieu de mes néophytes. >>>

Izu, à la vue du péril que couroit le missionnaire, s'avança jusqu'au milieu de ses compatriotes et, tout nouveau chrétien qu'il étoit, il leur parla avec tant de force et d'énergie des grandeurs de Dieu, de la sainteté de sa loi et de la nécessité de l'embrasser pour être heureux, que ces cœurs barbares, touchés en même temps par la grâce, furent tout à coup changés; leur fureur s'apaisa et toute leur haine se dissipa de telle sorte que, les mains encore pleines de flèches, ils vinrent à la file les uns des autres se mettre à genoux aux pieds du missionnaire et baiser avec une profonde vénération le crucifix qu'il tenoit entre les mains, à quoi ne contribua pas peu le cacique des Purakis, qui leur crioit de toutes ses forces: « Venez, mes amis, venez rendre hommage à Jésus-Christ notre créateur, adorez-le et rangez-vous au nombre de ses vassaux.>>>

Tout ce grand peuple rendit hommage à ce signe de notre rédemption et écouta attentivement les instructions que leur fit le missionnaire par le moyen de son interprète. Les principaux de la nation en furent si satisfaits qu'ils le prièrent avec instance de demeurer avec eux pour continuer à leur enseigner le chemin du ciel. Le père l'auroit fort souhaité ; mais on entroit dans l'hiver, qui lui auroit entièrement fermé le retour dans sa peuplade, où les besoins de ses néophytes demandoient sa présence. Obligé de les quitter, il leur promit de revenir au printemps suivant. On lui fournit un cheval, et comme il se préparoit à y monter, ces bons Indiens, à l'envi l'un de l'autre, s'empressoient à lui rendre service, et ils l'accompagnèrent pendant un long espace de chemin. Le père avoue qu'il n'avoit jamais reçu d'aucun autre peuple tant d'honnêtetés et tant de témoignages d'une affection sincère.

Son départ fut un coup de la Providence, car s'il fût demeuré plus longtemps avec les Indiens dont il s'étoit séparé, il y auroit eu peutêtre bien du sang de répandu à son occasion. Le mapono (c'est ainsi que se nomment les prêtres de leurs idoles ), le mapono des Sibacas, village de la même nation, ayant appris ce qui s'étoit passé dans le village voisin, entra en fureur, et s'adressant à son cacique: «Nos dieux vous ordonnent, lui dit-il, d'aller à la tête de vos vassaux tuer cet étranger qui est Quel spectacle plus consolant et plus propre ! venu dans notre voisinage et qui est leur ennemi capital; partez au plus tôt et attendez-le on y trouve quantité d'animaux farouches, sur le chemin, il ne pourra vous échapper. » entre lesquels il y en a un d'une espèce singuLe cacique lui répondit qu'il falloit s'informer ❘lière, on le nomme famacosio. Cet animal res

ce que c'étoit que cet étranger, quel étoit son dessein, quel sujet de plainte il avoit donné, n'étant pas raisonnable d'ôter la vie un homme qu'on ne connoissoit pas même de vue.

Cette réponse augmenta la rage du mapono: il se rendit avec un nombre des plus dévots à ses dieux au village où étoit venu le missionnaire, et s'adressant au cacique, qui se nomme Chabi : « Je viens savoir, dit-il, quel est cet étranger que vous avez reçu chez vous? Il est l'ennemi déclaré de nos dieux, c'est de leur part que je vous parle, et ils m'ordonnent de le tuer. - S'il avoit mérité la mort, répondit le cacique, je n'aurois pas besoin de votre secours, et j'ai en main de quoi punir ceux qui le méritent. Mais sachez que celui que vous appelez l'ennemi de vos dieux est mon ami : ii s'est livré avec confiance entre mes mains, il m'a comblé d'amitiés, et il doit compter sur la mienne et sur ma reconnoissance du bien qu'il m'a fait. De plus, nous sommes sincèrement réconciliés avec les Purakis, nos anciens ennemis. Ainsi retournez chez vous et soyezy tranquille. >> En même temps il ordonna à ses gens de prendre leurs armes. Le mapono, confus, ne répliqua point; il se retira la rage dans le cœur et jurant qu'au retour du missionnaire, l'année suivante, il sauroit bien venger ses dieux outragés; mais ses dieux ne furent guère sensibles à son zèle, car ils ne le préservèrent point, ni lui ni ses complices, d'une mort cruelle que leur causa peu après la maladie contagieuse, qui désola leur village.

Je ne dois pas vous laisser ignorer, monsieur, quelle est la nature du pays habité par tant de peuples qui forment cette nombreuse nation, quel est leur caractère, leur génie, leur religion, leurs cérémonies et leurs coutumes: c'est ce que je vais vous exposer le plus succinctement qu'il me sera possible.

La nation des Mannacicas est partagée en une grande multitude de villages qui sont situés vers le nord, à deux bonnes journées de la peuplade Saint-Xavier, entre de grandes forêts si épaisses qu'à peine y voit-on le soleil. Ces bois vont de l'orient à l'occident et se terminent à de vastes solitudes qui sont inondées la plus grande partie de l'année.

semble au tigre par la tête et au chien par le corps, à la réserve qu'il est sans queue. C'est de tous les animaux le plus féroce et le plus léger à la course, de sorte qu'on ne peut guère s'échapper de ses griffes: si l'on en rencontre quelqu'un en chemin et que, pour se dérober à sa fureur, on monte à un arbre, l'animal pousse un certain cri, et à l'instant on en voit plusieurs autres, qui tous ensemble creusent la terre autour de l'arbre, le déracinent et le font tomber.

Les Indiens ont trouvé le secret de se défaire de ces animaux: ils s'assemblent en certain nombre et forment une forte palissade dans laquelle ils se renferment, puis ils font de grands cris, ce qui fait accourir ces animaux de toutes parts, et tandis qu'ils travaillent à fouir la terre pour abattre les pieux de la palissade, les Indiens les tuent, sans aucun risque, à coups de flèches.

Tout ce pays est arrosé de plusieurs rivières fort poissonneuses qui fertilisent les terres et rendent les moissons abondantes. Ces Indiens ont le teint olivâtre et sont du reste bien pris dans leur taille. Il règne quelquefois parmi eux une maladie assez extraordinaire : c'est une espèce de lépre qui leur couvre tout le corps et y forme une croûte semblable à l'écaille de poisson; mais cette incommodité ne leur cause ni douleur ni dégoût. Ils sont aussi vaillans que les Chiquites, et même anciennement ils ne formoient tous ensemble qu'une seule nation; mais les troubles et les dissensions qui s'élevèrent parmi eux les obligèrent de se séparer. Depuis ce temps-là, par le commerce qu'eurent ces peuples avec d'autres nations, leur langage se corrompit entièrement; l'idolatrie, inconnue aux Chiquites, s'introduisit parmi eux, de même que l'usage barbare de manger la chair humaine.

Il y a de l'art dans la disposition de leurs villages; on y voit de grandes rues, des places publiques, trois ou quatre grandes maisons partagées en salles et en plusieurs chambres de suite: c'est où logent le principal cacique et les capitaines; ces maisons sont destinées aussi aux assemblées publiques et aux festins et servent de temples à leurs dieux. Les maisons

La terre y est abondante en fruits sauvages; des particuliers sont construites dans un cer

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