bonne garde à tous les passages qui peuvent donner entrée dans leurs peuplades, et ils sont résolus de mourir plutôt que de perdre un pouce de terre. C'est ce qui a arrêté les rebelles et qui les empêche de passer la rivière Tibiquari, laquelle sépare la province de BuenosAyres de celle du Paraguay. à former de nouveaux complots pour animer | Indiens en armes, au nombre de sept mille, font les peuples et les porter à cette sacrilége entreprise. Ils ont répandu de tous côtés que, par le moyen de leurs affidés, ils avoient entre les mains toutes vos procédures; ils les ont revêtues des circonstances les plus odieuses, entre autres que votre excellence avoit achevé d'instruire le procès de quatorze d'entre eux, qu'elle les avoit condamnés à mort et qu'elle avoit nommé un oydor de l'audience royale de Los Charcas pour en hater l'exécution. Et afin d'assouvir leur rage contre les jésuites, dont le zèle et la fidélité les importunent et traversent leurs desseins, ils ont publié que ces pères étoient les moteurs et les instigateurs de toutes les résolutions que votre excellence a prises. Les esprits s'étant échauffés par toutes ces impostures, ils allèrent vers le midi au collège au nombre de deux mille cavaliers, poussant des cris pleins de fureur; ils en rompirent les portes à grands coups de hache, y entrèrent à cheval, saccagèrent la maison et emportèrent tout ce qui se trouva sous leurs mains; ils en firent sortir les pères avec tant de précipitation qu'ils ne leur donnèrent pas le temps de prendre leur bréviaire ni d'aller dans leur église pour saluer le saint-sacrement et le mettre à couvert des profanations qu'on avoit lieu de craindre. Monseigneur l'évêque, ayant appris ces sacriléges excès, déclara que les rebelles avoient encouru l'excommunication et ordonna d'annoncer l'interdit par le son des cloches. C'est néanmoins ce qui ne s'exécuta point, car plusieurs des rebelles entourèrent la tour où sont les cloches et défendirent d'en approcher sous peine de la vie, tandis que d'autres postèrent des gardes autour du palais épiscopal, avec ordre à leur évêque de ne pas mettre les pieds même sur le seuil de sa porte. Votre excellence apprendra ce qui s'est passé depuis par les lettres que ce prélat m'a adressées pour faire tenir à votre excellence; elle verra que n'ayant pas même la liberté de punir les attentats commis contre sa personne, il a été forcé de lever l'excommunication, et elle jugera par là du pitoyable état où est cette province et du peu de religion de ses habitans. Ces rebelles, non contens d'avoir chassé les jésuites de leur maison et de la ville, les chassèrent encore de la province et les traînèrent jusqu'à celle de Buenos-Ayres. Cependant nos Les Indiens se maintiendront toujours dans ce poste, à moins qu'il ne leur vienne des ordres contraires de votre excellence. Elle peut s'assurer de leur fidélité et de leur bravoure, et quoique leur petit nombre suffise pour s'opposer aux entreprises des révoltés dans une guerre qui de leur part n'est que défensive, cependant si votre excellence a besoin d'un plus grand nombre de troupes pour le service du roi, elles seront prêtes à se mettre en campagne au premier ordre de votre excellence, sans qu'il soit nécessaire de tirer de la caisse royale de quoi fournir à leur subsistance: nos Indiens, que le roi a distingués de tous les autres Indiens du Pérou par les priviléges et les exemptions qu'il leur a accordés, ont toujours servi et continueront de servir sa majesté sans recevoir aucune solde. Je n'avance rien à votre excellence du courage et de la valeur de ces peuples dont je n'aie été moi-même le témoin. Je leur ai servi d'aumônier pendant huit ans de suite dans les guerres qu'ils ont eues avec les Indiens barbares Gucnoas, Bohanes, Charruas et Yaros, qu'ils défirent en bataille rangée et qu'ils mirent en déroute. Le succès de ces expéditions fut si agréable à sa majesté qu'elle leur fit écrire pour les remercier de leur zèle et pour leur témoigner combien elle étoit satisfaite de leurs services. Si j'insiste si fort sur le courage des Indiens, c'est pour rassurer votre excellence contre les discours de certaines personnes qui, ou par une fausse compassion pour les coupables, ou par une mauvaise volonté pour le gouvernement, s'efforcent de rabaisser la valeur indienne et d'exagérer les forces, le courage et le nombre des habitans du Paraguay pour persuader à ❘ votre excellence qu'il n'y a point de ressource ❘ contre un mal qui devient contagieux de plus en plus par la lenteur du remède et qui gagnera insensiblement les autres villes. Je crois toutefois représenter à votre excellence que si elle prend la résolution de réduire cette province par la force des armes, il est à propos qu'elle envoie un corps de troupes réglées et commandées par des chefs habiles et expérimentés. Deux raisons me portent à lui faire cette représentation. La première c'est que ce corps d'Espagnols sera comme l'âme qui donnera le mouvement à l'armée indienne, car bien que les Indiens soient intrépides et accoutumés à braver les périls, ils n'ont pas assez d'expérience de la guerre, et leur force augmentera de moitié lorsqu'ils seront assujettis aux lois de la discipline militaire. L'autre raison est qu'après avoir fait rentrer cette province dans l'obéissance qu'elle doit à son roi, il faut y maintenir la tranquillité et arracher jusqu'à la racine les semences de toute révolte; ce qui ne se peut pas faire à moins que le gouverneur qui y sera placé par votre excellence n'ait la force en main pour se faire respecter et obéir. Je suis convaincu qu'aussitôt que les rebelles apprendront que les troupes s'avancent pour leur faire la guerre, leurs chefs et ceux qui ont fomenté la rébellion, se voyant trop faibles pour se défendre, fuiront au plus vite dans les montagnes, d'où ils tiendront la province dans de continuelles alarmes. Il est donc nécessaire qu'on y entretienne pendant quelque temps une garnison de troupes réglées qui soient aux ordres et sous la conduite du gouverneur, afin qu'il en puisse disposer comme il le jugera à propos pour le plus grand service de sa majesté. Je me suis informé de don Louis Bareyro, qui s'est réfugié dans nos peuplades, quel pouvoit être le nombre des habitans qui sont sur la frontière de la province de Paraguay: il m'a répondu qu'étant l'année dernière président de cette province, il avoit fait faire le dénombrement de tous ceux qui étoient capables de porter les armes, et que ce nombre ne montoit qu'à cinq mille hommes ; mais il m'assure que maintenant il n'y en n'a pas plus de deux mille cinq cents qui soient en état de faire quelque résistance aux forces que votre excellence enverra pour rétablir la paix. Il m'a ajouté que, bien que les rebelles paroissent résolus de faire face à vos troupes et de se bien défendre à la faveur du terrain qu'ils occupent, ils ne verront pas plutôt approcher votre armée qu'ils s'enfuiront dans les montagnes. Tel est, monseigneur, l'état où se trouvent les rebelles de la province de Paraguay, c'està-dire presque tous ses habitans et ceux-lá même que la sainteté de leur profession oblige de contenir les peuples par leurs prédications et par leurs exemples dans l'observance des lois divines et ecclésiastiques et dans l'obéissance qu'ils doivent à leur souverain: on n'y voit plus que tumulte et que confusion; on ne sait ni qui commande ni qui obéit; on n'entend parler que de haines mortelles, que de pillages et de sacriléges. Monseigneur l'évêque a travaillé avec un zèle infatigable pour arrêter tant de désordres ; mais son zèle et ses travaux n'ont eu aucun succès auprès de ces hommes pervers, qui comme des frénétiques se sont jetés avec fureur sur le médecin charitable qui appliquoit le remède à leurs maux. Ils ont traité indignement sa personne, ainsi que votre excellence le verra par ses lettres, où il expose les raisons qui l'ont forcé d'absoudre de l'excommunica❘tion les sacriléges qui ont profané le lieu saint et violé l'immunité ecclésiastique. Il est vrai qu'il n'a exigé d'eux aucune satisfaction; mais en pouvoit-il espérer de gens obstinés dans leurs crimes, qui, par leurs menaces, par leurs cris et par les expressions impies qu'ils avoient continuellement à la bouche, ne faisoient que trop craindre qu'ils n'en vinssent jusqu'à secouer tout à fait le joug de l'obéissance qu'ils doivent à l'Église. Dieu veuille jeter sur eux des regards de miséricorde et les éclairer de ses divines lumières, afin qu'ils reviennent de leur aveuglement. Je prie le Seigneur qu'il conserve votre excellence pendant plusieurs années pour le bien de l'état et pour le rétablissement de la tranquillité, troublée par tant d'offenses commises contre la majesté divine et contre la majesté royale, etc. Depuis la date de cette lettre, nos Indiens se sont toujours tenus sous les armes et gardent avec soin le poste où ils sont placés sur les bords de la rivière Tibiquari. Cependant les communes de Paraguay sont dans de grandes inquiétudes, causées ou par ambition des uns, qui voudroient toujours gouverner, ou par la crainte qu'ont les autres des résolutions que prendra monseigneur notre vice-roi pour punir tant d'excès et une désobéissance si éclatante, Mais ce qui les inquiète encore davantage, | les rebelles du Paraguay se préparassent à quelque entreprise. Comme le lieutenant se mettoit en devoir d'exécuter cet ordre, les habitans l'emprisonnèrent en lui déclarant qu'ils étoient frères et amis des Paraguayens et unis d'intérêts avec eux pour la conservation et la défense de leurs droits et de leur liberté. En c'est de voir dans leur voisinage l'armée des Indiens Guaranis, prête à exécuter sur-lechamp les ordres qu'on jugera à propos de lui donner. Il n'y a point de moyen que ces rebelles n'aient employé pour persuader à nos Indiens qu'ils n'avoient jamais eu la pensée d'envahir aucune de leurs peuplades ni d'exer-suite, soit par crainte que le prisonnier n'é cer la moindre hostilité à leur égard; qu'ils devoient compter sur la sincérité de leurs paroles et se retirer dans leurs habitations sans rien craindre de leur part. Ces démarches n'ayant eu nul succès, ils eurent recours à monseigneur notre évêque et le prièrent fort inutilement d'interposer son autorité pour éloigner les Indiens. Enfin ils députérent deux de leurs régidors vers l'armée indienne pour lui donner de nouvelles assurances de leurs bonnes intentions et lui protester qu'ils n'avoient jamais eu le dessein de rien entreprendre contre les peuplades. chappât de leurs mains, soit dans la vue de mieux cimenter leur union réciproque, ils firent conduire ce lieutenant sur les terres du Paraguay pour y être en plus sûre garde. Ils eurent même l'audace d'envoyer des députés å monseigneur le gouverneur de Buenos-Ayres pour lui rendre compte de leur conduite et lui faire entendre qu'il devoit donner les mains à tout ce qu'ils avoient fait pour le grand service du roi et confirmer le nouveau gouvernement des Communes, approuver les officiers qu'ils avoient établis et abandonner à leur république le droit de les déposer ou de les placer selon qu'elle le jugeroit à propos. Un pareil discours fit assez connoître que ces peuples avoient secoué le joug de l'autorité souveraine et vouloient vivre dans une entière indépen Toute la réponse qu'ils reçurent des Indiens fut qu'ils occupoient ce poste par l'ordre de monseigneur don Bruno de Zavala, leur gouverneur, afin de défendre leurs terres et de prévenir toute surprise, et qu'ils y demeure-dance. ront constamment jusqu'à ce qu'il vint des ordres contraires de la part ou de son excellence ou de monseigneur le vice-roi; que du reste les habitans de Paraguay pouvoient s'adresser à l'un ou à l'autre de ces messieurs pour en obtenir ce qu'ils paroissoient souhaiter avec tant d'ardeur. Les députés s'en retournerent peu contens du succès de leur négociation et encore plus inquiets qu'auparavant, parce qu'ils avoient été témoins oculaires de la bonne disposition de ces troupes, de leur nombre, de leur valeur et de leur ferme résolution à ne pas désemparer du poste qu'ils occupoient. Dans ces circonstances il me fallut visiter la province pour remplir les obligations de ma charge. En arrivant à Buenos-Ayres, j'appris que les peuples de la ville de Las Corientes avoient imité l'exemple des habitans du Paraguay et étoient entrés dans leur révolte sous le même nom de Communes. Voici à quelle occasion leur soulèvement éclata. Monseigneur don Bruno avoit donné ordre à son lieutenant de cette ville d'envoyer un secours de deux cents hommes aux Indiens campés sur les bords de Tibiquari, au cas que Cependant les Paraguayens, charmés de trouver de si fidèles imitateurs, ne tardèrent pas à leur en marquer leur reconnoissance: ils leur envoyérent deux barques remplies de soldats pour les soutenir dans ce commencement de révolte et les attacher plus fortement aux intérêts communs. En même temps ils rassemblèrent leurs milices et firent descendre la rivière à deux mille de leurs soldats, commandés par le capitaine général de la province. Cette petite armée parut à la vue du camp de Tibiquari et s'y maintint jusqu'à la nuit du 15 de mai, qu'une troupe de nos Indiens passa la rivière à gué, donna vivement sur la cavalerie, qui étoit de trois cents hommes, et les amena au camp sans la moindre résistance. La terreur se mit dans le reste des troupes paraguayennes, qui cherchèrent leur salut dans une fuite précipitée. Deux de nos Indiens curent la hardiesse d'aller jusqu'à la ville de l'Assomption, et après en avoir reconnu l'assiette, les différentes entrées et sorties de la place, les diverses routes qui y conduisent, ils s'en retournèrent sains et saufs au camp, où ils firent le rapport de ce qu'ils avoient vu et examiné. Les choses étoient dans cet état lorsqu'on J'ai reçu la lettre que votre révérence m'a écrite le 15 mars, où elle expose dans un grand détail ce qui s'est passé dans la province de Paraguay, la rébellion de ses habitans et l'état où se trouvent les peuples voisins de cette pro-dience royale, où assista le seigneur don LauLe jugement d'un prince si éclairé et si équitable devoit faire rentrer en lui-même l'auteur du libelle: sa passion n'en fut que plus irritée. Il retourna en France, où il fit impri- | plique. apprit que monseigneur le vice-roi avoit nommé don Isidore de Mirones et Benéventé pour jugegouverneur et capitaine général de la province de Paraguay. Ce gentilhomme avoit la confiance du vice-roi et il la méritoit par son habileté et sa sagesse, dont il avoit donné des preuves toutes récentes en pacifiant avec une prudence admirable les troubles de la province de Cochabamba dans le Pérou. Il marchoit à grandes journées et approchoit de la province de Tucuman; il reçut un contre-ordre parce que sa majesté avoit pourvu du gouvernement de Paraguay don Manuel Augustin de Ruiloba de Calderon, capitaine général de la garnison de Callao. Le vice-roi lui ordonna de partir en toute diligence et de prévenir à l'heure même par ses lettres le gouverneur de Buenos-Ayres, afin qu'à son arrivée dans ce port il trouvât tout prêt et qu'il pût sans aucun retardement se rendre à son gouvernement avec les troupes espagnoles et indiennes qui doivent l'accompagner pour réduire cette province et la soumettre à l'obéissance de son légitime souverain. LETTRE DU MARQUIS DE CASTEL-FUERTE, VICE-ROI DU PÉROU, AU R. P. JÉROME HERRAN. Troubles dans les établissemens des jésuites. MON RÉVÉREND PÈRE, Comme je connois votre attachement pour la personne du roi et le zèle avec lequel vous vous portez à tout ce qui est du service de sa majesté, je ne doute point que vous ne continuiez d'apporter tous vos soins et de tirer des peuplades de vos missions les secours nécessaires pour faciliter au nouveau gouverneur l'exécution de ses ordres. La lettre ci-jointe, adressée à l'excellentissime seigneur don Bruno Zavala, contient des ordres qu'il doit exécuter d'avance, afin que don Manuel de Ruiloba trouve toutes choses prêtes à son arrivée et puisse agir dans le moment. Faites partir cette lettre par la voie la plus sûre et la plus courte, afin qu'elle soit remise promptement audit seigneur don Bruno, ainsi qu'il convient au service de sa majesté. Faites part aussi de ce que je vous mande à monseigneur l'évêque, en lui marquant combien je suis satisfait de sa conduite et du zèle avec lequel il a servi sa majesté. Que le Scigneur conserve plusieurs années votre révérence, comme je le desire. A Lima, le 24 de juin 1732. Le marquis de Castel-Fuerte. Copie de l'acte dressé dans le conseil royal de Lima relativement aux troubles du Paraguay. Dans la ville de Los Reyes du Pérou, le 24 juin de l'année 1732, furent présens dans le conseil royal de justice: excellentissime seigneur don Joseph d'Armandariz, marquis de Castel-Fuerte, capitaine général des armées du roi, vice-roi, gouverneur et capitaine général de ses royaumes du Pérou, et les seigneurs don Joseph de La Concha, marquis de Casa Concha; don Alvaro de Navia Bolanoy Moscoso; don Alvaro Cavero; don Alvaro Quitos; don Gasnar Perez Buelta; don Joseph Ignace d'Avilés, président et oydor de cette au vince, afin qu'étant bien informé de toute chose, je puisse y pourvoir de la manière qui convient au service de sa majesté. C'est sur quoi je n'ai point perdu de temps. Don Manuel Augustin de Ruiloba Calderon, commandant de la garnison de Callao, a été nommé par le roi gouverneur et capitaine général de la province de Paraguay; il part en toute diligence, après avoir reçu les ordres que je lui ai donnés pour apporter le remède convenable à ccs troubles. rent Antoine de La Puente, son avocat fiscal pour le civil; lecture fut faite de différentes lettres et autres papiers envoyés à son excellence, qui informent des troubles suscités dans la province de Paraguay par différentes personnes; laquelle lecture ayant été entendue, et après de mûres réflexions sur l'importance des faits que contiennent ces lettres, il a été résolu qu'on prieroit son excellence d'enjoindre au père provincial de la province de Paraguay, ou en son absence à celui qui gouverne les missions voisines de ladite province, de fournir promptement au seigneur don Bruno de Zavala et à don Manuel Augustin de Ruibola, gouverneur de Paraguay, le nombre d'Indiens Tapes et des autres peuplades bien armées qu'ils demanderont pour forcer les rebelles à rentrer dans l'obéissance qu'ils doivent à sa majesté et exécuter les résolutions que son excellence a prises de l'avis du conseil. Son excellence s'est conformée à cet avis. En foi de quoi, conjointement avec lesdits seigneurs, elle a paraphé la présente. Don Manuel François Fernandez de Parades, premier secrétaire du conseil pour les affaires du gouvernement et de la guerre. MÉMOIRE APOLOGÉTIQUE mm DBS MISSIONS ÉTABLIES PAR LES PÈRES JÉSUITES DANS LA Présenté au conseil royal et suprême des Indes PAR LE P. GASPARD RODERO, Contre un libelle diffamatoire répandu dans toutes les parties de l'Europe. Traduit de l'espagnol. Un ecclésiastique étranger, qui avoit sans doute ses raisons pour cacher son nom et sa patrie, parut en cette cour d'Espagne en l'année 1715. Il trouva le moyen d'approcher de la personne du roi et de lui présenter un mémoire où il renouveloit les anciennes calomnies dont on a tâché de noircir les missionnaires du Paraguay, et supplioit sa majesté de lui donner les pouvoirs nécessaires pour remédier au prétendu désordre de ces missions et pour travailler à la conversion des nations infidèles répandues dans ces vastes provinces. Le roi eut à peine jeté les yeux sur cet écrit qu'il aperçut la malignité de l'accusateur et la fausseté de ses accusations, où la vraisemblance n'était pas même gardée. C'est pourquoi, non content de rejeter cet indigne libelle, il porta un nouveau décret l'année suivante 1716, par lequel il ordonnoit de conserver aux Indiens de ces missions toutes les grâces et les priviléges que les rois ses prédécesseurs leur avoient accordés. On trouvera ce décret à la fin de ce mémoire. mer son écrit en françois et en latin: il le répandit en Angleterre, en Hollande et dans la Flandre, où il fut reçu avec applaudissement des gens animés de son même esprit et même de quelques catholiques portés naturellement à croire toutes les fables qu'on imagine et qu'on débite contre les jésuites. Comme ce libelle avoit indigné sa majesté catholique et tous ceux qui ayant vécu dans ces provinces éloignées avoient été témoins de ce qui s'y passe, il ne méritoit guère que les jésuites y fissent attention. Aussi n'en firent-ils pas plus de cas que de tant d'autres contes satiriques que les ennemis de l'église ne cessent de publier contre leur compagnie. Dix-huit ans après le mauvais succès que cet infortuné libelle avoit eu en Espagne, l'auteur ou quelqu'un de ses partisans a cru devoir le reproduire : les troubles arrivés en l'année 1732 dans la province de Paraguay lui ont paru une occasion favorable pour le remettre au jour, traduit en langue espagnole et simplement en manuscrit, comme s'il s'agissoit d'une découverte toute récente qu'on eût faite de la prévarication des missionnaires. Les agens des habitans de la ville de l'Assomption qui sont à la suite de la cour ont été le canal par où il a fait passer son écrit dans les mains d'un seigneur de grand mérite et qui approche de plus près la personne de monseigneur le prince des Asturies, ne doutant point qu'il ne fût communiqué à ce prince et qu'à la vue de ces priviléges accordés aux Indiens, et qu'on disoit être contraires aux droits héréditaires de la couronne, son altesse royale n'interposât son autorité pour les faire révoquer et ne prit des impressions désavantageuses aux jésuites. Mais quoique ce seigneur ignorât que ce mémoire eût déjà été rejeté du roi, il en conçut l'idée que méritoit un écrit où l'auteur n'osoit mettre son nom et qui rappeloit d'atroces calomnies dénuées de preuves et tant de fois détruites depuis plus d'un siècle par les témoignages les plus irréfragables. L'acharnement de l'anonyme à décrier de si saintes missions et l'audace avec laquelle il voudroit en imposer à toute l'Europe ne permettent pas de différer plus longtemps à le convaincre de ses calomnies par des preuves évidentes et auxquelles il n'y a point de ré |