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Tapamourou, dont je parlerai plus bas. Après un court entretien que j'eus avec eux, je continuai ma route et je fus fort surpris de ne point trouver ce jour-là d'habitations de sauvages. Je savois néanmoins qu'il y en avoit plusieurs répandues de côté et d'autre; mais outre que ceux qui m'accompagnoient ignoroient le chemin qui y conduit, il m'auroit été impossible d'y pénétrer, parce que les marais qu'il faut traverser étoient presque à sec.

prendre qu'un nombre de dignes ouvriers se préparent à venir cultiver cette abondante portion de la vigne du Seigneur.

Je me rendis de là chez mon banarė (c'est le nom qui se donne, parmi les Indiens, à ceux avec lesquels on contracte des liaisons d'amitié, qui s'entretiennent par de petits présens qu'on se fait mutuellement). Il n'omit rien pour me retenir le reste du jour; mais je ne pus lui donner cette satisfaction parce que j'avois dessein de me rendre chez le capitaine de toute la nation, auquel M. des Roses, chevalier de Saint-Louis et commandant pour le roi dans ce poste, a donné, depuis environ deux ans, un brevet avec la canne de commandant. Cette canne est un jonc orné d'une pomme d'argent, aux armes de France, qui se donne de la part du roi aux capitaines des sauvages. Youcara (c'est le nom de ce capi

Comme la nuit approchoit, je craignois fort d'être encore obligé de la passer dans mon canot, mais heureusement nous aperçûmes deux Indiens qui étoient à la pêche. Nous courûmes sur eux à force de rames, et eux, qui nous prenoient pour des coureurs de bois, fuyoient devant nous de toutes leurs forces, et nous eûmes bien de la peine à les atteindre. Nous les joignîmes enfin, et ils furent agréablement surpris de trouver dans moi toute la tendresse ❘taine) est, je crois, le plus âgé de tous les Pa

d'un père. Leur rencontre ne me fit pas moins de plaisir, surtout lorsqu'ils me dirent que leur demeure n'étoit pas fort éloignée. Ils m'y conduisirent, et le lendemain, fête de l'immaculée conception de la très-sainte Vierge, j'eus le bonheur d'y offrir le saint sacrifice de la

messe.

Dès que l'aube du jour commença à paroître, je dressai mon autel et je le plaçai hors de la case, afin que de tous côtés on pût aisé ment me voir célébrer les saints mystères. C'étoit une nouveauté pour ces peuples, sur tout pour les femmes et les enfans, qui n'étoient jamais sortis de leur pays. Aussi se placèrent-ils de telle sorte qu'il ne leur échappa pas la moindre cérémonie, et ils assistèrent à cette sainte action avec une modestie et une attention qui me charmèrent.

likours. Comme je l'avois vu plusieurs fois à Ouyapoc et que je lui avois souvent promis de l'aller voir chez lui, il me parut charmé que je lui eusse tenu enfin parole, et il n'oublia rien pour me dédommager de toutes les fatigues que j'avois eu à essuyer les jours précédens. Il me parut fort empressé à donner sur cela ses ordres à ses poitos, c'est-à-dire à ceux de sa dépendance, et surtout aux femmes, auxquelles appartient le soin du ménage.

Après les premiers complimens de part et d'autre, j'entrai d'abord en matière sérieuse et je lui dis que nous songions efficacement à nous établir parmi eux pour leur procurer le bonheur d'être chrétiens. Je lui exposai succinctement les motifs, soit surnaturels, soit humains, qui me parurent les plus propres à faire impression sur son esprit. Je n'oubliois pas la protection qu'ils auroient contre les vexations de ceux qui vont en traite, car je savois les sujets de mécontentement qu'il avoit sur cet article et qui lui tenoient au cœur. Comme il n'entend pas trop bien la langue galibi, dans laquelle je lui parlois, il me répondit qu'il feroit venir un interprète pour m'expliquer ses véritables sentimens. L'interprète arriva le lendemain matin, et après une courte répétition que je fis de ce que je lui avois dit la veille, il me répondit que sa nation seroit charmée d'avoir des missionnaires, et qu'ils ne viendroient jamais aussi tôt qu'elle le sou

Vous jugez bien, mon révérend père, que la conversion de nos Indiens fut le principal objet de mon attention dans le temps du sacrifice: me trouvant au milieu de ce peuple infidèle, devois-je appliquer à d'autres le fruit et le mérite de l'hostie sainte que j'offrois à Dieu! Je conjurois donc le père des lumières d'envoyer au plus tôt à ces nations infortunées les secours dont elles sont privées depuis tant de siècles et qui ne sont dans l'égarement que parce qu'elles n'ont personne qui leur enseigne la voie du salut. Je fis la même application de toutes les autres messes que je dis pendant mon voyage, et ma consolation est d'ap- | haitoit.

Nous délibérâmes alors sur l'endroit que | pour guérir les malades, etc. Il me pria d'en

nous choisirions pour y fixer la mission; mais comme je n'avois pas encore parcouru les rivières de Roucaoua et de Tapamourou, je ne pouvois guère juger quel terrain méritoit la préférence. Maintenant que je les ai parcourues, je crois qu'on ne peut mieux faire que de s'établir chez Youcara jusqu'à ce qu'on trouve un endroit plus convenable. Sa demeure est presque tout-à-fait à la source du Ouassa, d'où l'on peut en un jour entrer dans Cachipour par la communication d'une petite crique. Je crois même qu'il y aura là beaucoup moins de maques (c'est un insecte assez semblable aux cousins, mais beaucoup plus gros, et dont l'extrémité des pieds est blanche). Cela | seul mérite, je vous assure, quelque attention, car vous ne sauriez vous imaginer combien cette espèce d'insecte est incommode en certaines saisons de l'année. Il y en a quelquefois une si grande quantité que pour prendre son repas il faut se retirer dans quelque coin un peu à l'écart, souvent même on est obligé de manger en se promenant: c'est ce qui rend ce pays impraticable aux Européens. Quelques Indiens, pour se garantir de ces importuns insectes, se font des cases au milieu de l'eau, dans des marais fort éloignés de la terre, où ces petits animaux, ne trouvant ni arbres ni herbes aux environs pour se reposer, ne pénètrent guère, du moins en si grand nombre. La plupart dorment dans ce qu'ils appellent la tocaye (c'est une case écartée dans les bois, qui ressemble à une glacière): ils ne s'y rendent que vers les huit heures du soir, et sans bruit, de crainte que ces insectes ne les suivent, car leur instinct les porte à aller où il y a du feu et où ils entendent du bruit. Je n'ai jamais osé y coucher, de peur d'y être étouffé: vous jugez aisément quelle doit être la chaleur d'une chambre fermée hermétiquement, où respirent, pendant toute une nuit, trente ou quarante Indiens.

Je passai le jeudi et le vendredi chez Youcara. C'est une curiosité naturelle à nos Indiens de visiter les hardes des étrangers, sans cependant jamais y rien prendre. Notre capitaine ayant visité le panier où je portois mon petit meuble, me demanda ce que contenoit une fiole qui étoit remplie d'eau bénite. Je lui répondis que c'étoit une eau dont les chrétiens se servoient pour chasser le démon,

mettre sur quelques enfans qui languissoient depuis longtemps dans son carbet. Je les fis approcher et je leur fis le signe de la croix sur le front avec cette eau. Dieu en fut glorifié, car j'appris, peu de jours après, qu'ils jouissoient d'une santé parfaite.

Je trouvai dans ce capitaine des dispositions très favorables au christianisme, que je le pressois d'embrasser. En nous quittant, nous convinmes que dans trois jours il viendroit me joindre à l'embouchure de Tapamourou, où j'allois, et me confier deux jeunes Indiens que j'avois choisis chez lui pour les conduire à Kourou et les mettre en apprentissage de chirurgie. Il ne manqua pas au rendez-vous; mais comme je ne pus pas m'y rendre aussi exactement que lui, il planta une croix sur l'un des bords de la crique, pour me donner une preuve de son arrivée, après quoi il revira de bord. Heureusement les Indiens de ma suite ayant sonné du cor, il jugea que je n'étois pas loin et il s'arrêta pour m'attendre. Je vous avoue, mon révérend père, que je fus extrêmement surpris lorsque je vis le signe de notre rédemption arboré sur les bords de cette petite rivière, où je n'avois rien aperçu trois jours auparavant, et j'avois peine à me persuader que ce fût là l'ouvrage d'un sauvage. Il me dit qu'il l'avoit vu pratiquer ainsi autrefois à quelques François, dans les voyages qu'il avoit faits avec eux. Je le louai fort d'avoir retenu et imitè ce trait de leur piété.

Pour revenir à Tapamourou, je ne pus gagner les cases des Indiens que bien avant dans la nuit du samedi au dimanche, bien qu'on m'eût fait espérer que j'y arriverois en plein jour. La principale cause de ce retardement fut que nous trouvames le lit de cette petite rivière tout couvert d'herbes et d'une espèce de roseaux sur lesquels il fallut se pousser à force de lacaré, (c'est une perche fourchue dont on se sert en guise de harpon.) Cette manière de naviguer est très-fatigante et demande beaucoup de temps. On est sujet à cet inconvénient dans les rivières peu fréquentées parce queles halliers des deux bords, venant à se joindre, font une espèce de barrière qui arrête tout ce que l'eau entraîne. Cela est quelquefois si considérable qu'on fait des lieues entières où il semble qu'on soit sur une prairie flottante, tandis qu'on a au-dessous de soi trois ou quatre brasses d'eau. Mon inquiétude | enlever le peu que tu as, venoit maintenant t'é

étoit de nous voir obligés à passer encore la nuit dans notre canot, où nous n'aurions pas été fort en sûreté contre les crocodiles, dont nous étions environnés. Toutes ces rivières en foisonnent, et c'est ce qui contribue principalement à former l'embarras dont je viens de parler, car ces animaux, extrêmement voraces, en poursuivant les petits poissons dont ils se nourrissent, arrachent beaucoup de joncs, qui suivent ensuite le courant, et qui, venant à s'accrocher les uns les autres, couvrent toute la surface de l'eau.

gorger! si quelque tigre ou quelque crocodile se jetoit sur toi pour te dévorer! >> Car quelles horreurs n'inspirent pas les ténèbres d'une nuit obscure, surtout dans un pays barbare. Le lever de l'aurore vint enfin calmer mes inquiétudes, et après avoir célébré le saint sacrifice de la messe, j'allai visiter quelques habitations du voisinage.

J'entrai dans une case haute, que nous appelons Soura en langue galibi: m'entretenant avec ceux qui l'habitoient, je fus tout-à-coup saisi d'une odeur cadavérique, et comme j'en témoignai ma surprise, on me dit qu'on venoit de déterrer les ossemens d'un mort, qu'on devoit transporter dans une autre contrée, et l'on me montra en même temps une espèce d'urne qui renfermoit ce dépôt. Je me ressouvins alors que j'avois vu ici, il y a trois ou quatre ans, deux Palikours, lesquels étoient venus chercher les os d'un de leurs parens qui y étoit mort. Comme je ne pensai pas alors à les questionner sur cette pratique, je le fis en cette occasion, et ces sauvages me répondirent que l'usage de leur nation étoit de transporter les ossemens des morts dans le lieu de leur

Dans l'embarras où je me trouvai, je fis sonner de temps en temps du cor, afin d'avertir les sauvages de venir au devant de nous; mais ils ne portent pas jusque-là leur politesse: tout ce qu'ils firent, fut de nous apporter du feu à la descente de notre canot. Je bénis Dieu de bon cœur de me voir enfin à terre; je n'étois pas pourtant au bout de mes peines. Après avoir marché environ cent pas, nous trouvames un grand marais, qu'il fallut traverser pour se rendre au carbet. Les Indiens mettent d'ordinaire sur ces espèces d'étangs, des troncs d'arbres, qui se joignent bout à bout et qui forment une espèce de pont sur lequel ils courent | naissance, qu'ils regardent comme leur unique

comme des singes. Je voulus les imiter, à la faveur d'un tison de feu qu'on faisoit flamber devant moi pour m'éclairer; mais, soit que ma chaussure ne prêtât pas comme les pieds de mon guide, soit que je n'eusse pas autant de dextérité que lui, je tombai au second pas que je fis, et j'ai peine à comprendre comment je ne me brisai pas les côtes: le coup que je me donnai sur le côté gauche fut si violent que j'en ressentis une vive douleur pendant plusieurs mois. Je pris alors le parti de marcher dans le marais même, au risque d'être mordu des serpens, et j'arrivai enfin au gite sans autre inconvénient que celui d'être bien mouillé.

Je trouvai là une grande et vaste case: comme elle étoit environnée de marais et de terres noyées, et que le temps des maques n'étoit pas encore passé, tous les habitans du lieu et ceux même de ma suite m'abandonnèrent pour aller coucher dans le tocaye. Je vous avoue, mon révérend père, que pendant cette nuit où je me voyois tout seul, j'eus bien des pensées effrayantes, malgré tous les motifs de confiance en Dieu que je ne cessois de me rappeler à l'esprit. «Si quelque sauvage, me disois-je, pour

et véritable patrie. Cet usage est parfaitement conforme à la conduite que tint Joseph à l'égard de son père Jacob, et je dois vous dire en passant que nous remarquons parmi ces peuples tant de coutumes du peuple juif qu'on ne peut s'empêcher de croire qu'ils en descendent.

En continuant mes excursions dans mon canot, je trouvai deux cases de Caranarious. Ce sont des Indiens qui poussent encore plus loin que les autres sauvages le dénuement de toutes choses. Ils n'ont pas même de plantage; les graines des plantes et des arbres ou le poisson sont leur nourriture ordinaire. La cassaye, qui est un gâteau fait de la racine de manioc, et la boisson ordinaire des sauvages, qui se fait de la même racine, sont pour eux le plus grand régal. Quand ils veulent se le procurer, ils font une pêche abondante et ils portent leurs poissons chez les Palikours, quileur donnent du manioc en échange. Les Palikours ont pris sur eux un tel ascendant qu'ils en font en quelque sorte leurs esclaves, c'est-à-dire qu'ils s'en servent pour faire leurs abatis, leurs canots, leur pêche, etc; souvent même ils leur enlèvent de force le peu de traite qu'ils font chez | pourroit prendre pour faire chez eux un étales François, lorsqu'ils travaillent pour eux.

Ce que cette nation a de singulier c'est que presque tous ceux qui la composent, hommes et femmes, sont couverts d'une espèce de lè pre, c'est-à-dire que leur épiderme n'est qu'une dartre farineuse qui se lève comme par écailles. Je vous avoue qu'on ne peut guère rien voir de plus affreux ni de plus dégoûtant. On trouve parmi les Palikours une autre nation de cette espèce qu'on nomme Mayets; nous serons apparemment obligés de bâtir pour eux une église particulière, parce que leur lèpre qui flue de temps en tempsrépand une odeur si désagréable que les autres Indiens ne pourroient pas s'y accoutumer. Ce sont pourtant des âmes rachetées par le précieux sang de Jésus-Christ qui animent des corps si hideux et qui par-là méritent tous nos soins. Prions le Seigneur qu'il remplisse de son esprit ceux qui seront employés à leur conversion.

Je sortis le lundi de Tapamourou, et je couchai dans un petit bosquet sur l'un des bords du Ouassa; il me fallut y coucher encore le lendemain, parce que m'étant avancé jusqu'au milieu d'une crique qui conduisoit à d'autres habitations, l'eau qui y manquoit m'obligea de retourner sur mes pas. Le mercredi, j'arrivai chez un Indien nommé Coumarouma, qui m'avoit invité de l'aller voir et qui m'avoit même offert son emplacement pour y établir une mission: mais il n'est pas, à beaucoup près, si convenablequele hautdu Ouassadont j'ai parlé. Comme cet Indien étoit venu à Kourou et avoit été témoin de la charité des missionnaires pour leurs néophytes, nous nous entretînmes long-temps des mesures qu'on

Les Palikours étaient à l'est des Pirious et des Mayez. Ceux-ci habitaient la côte et dans les terres basses et marécageuses, ceux-là dans les savanes et les hautes terres.

Les Brésiliens leur ont fait une chasse à outrance et tout ce qu'ils ont pu saisir de ces peuplades ils l'ont transporté ailleurs et plus avant dans l'intérieur.

Cette partie de la côte entre l'Ouyapoc et l'Amazone, qui dépendait de la Guyane française, est depuis le traité de Vienne passé aux Portugais du

Brésil.

Cependant les sauvages de celle contrée gardaient

une affection vive pour les Français, et c'est une des causes principales qui les ont fait traiter sans pitié par le gouvernement brésilien.

blissement. Je lui dis, entre autres choses, que les pyayes, qui sont une espèce d'enchanteurs et de magiciens, étoient entièrement bannis de la mission du père Lombard, et que je n'en connoissois qu'un seul qui eût la réputation de l'être. Je le lui nommai: il le connoissoit; sachant qu'il étoit borgne : « Quoi! me dit-il en riant, un tel est pyaye? Et comment peut-il voir le diable, n'ayant qu'un œil ? » Cette plaisanterie de sa part me fit d'autant plus de plaisir qu'elle me confirma ce que je savois déjà, que les Palikours ne peuvent souffrir ces sortes de jongleurs: aussi les ont-ils tous fait périr, et il n'y a pas long-temps qu'une troupe de femmes en tuèrent un qui étoit de la nation des Caranarious, parce qu'elles le soupçonnèrent de vouloir exercer sur elles son art magique.

Le jeudi j'allai coucher à l'embouchure du Roucaoua, dans l'espérance de gagner le lendemain de bonne heure quelques habitations de sauvages; mais mon attente fut trompée, et il fallut coucher dehors cette nuit-là; cependant, ne pouvant me résoudre à dormir dans le canot, nous mîmes pied à terre et nous suspendîmes comme nous pûmes nos hamacs parmi les joncs et les broussailles, et le lendemain samedi, après avoir navigué toute la matinée avec beaucoup de peine et de fatigues, nous découvrîmes enfin des abatis de bois, et peu de temps après, des cases de sauvages. J'en connoissois plusieurs que j'avois vus au fort, et ils me reçurent fort bien. Je dis la messe le lendemain, et ce fut un grand sujet de satisfaction, surtout pour les femmes, les jeunes gens et tous ceux qui n'avoient jamais vu célébrer nos saints mystères. Je leur fis une explication succincte, avec un petit discours sur la nécessité d'embrasser la foi pour entrer dans la voie du salut. J'employai le reste de la journée et le lundi suivant à parcourir les carbets épars de côté et d'autre. J'y rencontrai un déserteur d'une des missions portugaises, qui sont sur les bords du fleuve des Amazones: il étoit venu s'établir là avec toute sa famille. Ce bon homme me fit une politesse à laquelle je n'avois pas lieu de m'attendre et qui me fit connoître le soin qu'ont les Portugais de civiliser les sauvages qu'ils rassemblent. Du plus loin qu'il m'aperçut, il vint au-devant de moi, tenant à la main une petite baguette dont il se servoit pour secouer la rosée des herbes

qui bordoient le sentier par où je passois, ne voulant pas, me dit-il ensuite, que, puisque je prenois la peine de le visiter, mes habits en fussent endommagés.

Le mardi, je retournai sur mes pas et j'allai chez des sauvages que je n'avois pu voir en entrant dans la rivière de Roucaoua. Depuis que je suis dans ce pays et que je fréquente les sauvages, je n'en ai point vu de si sales, ni de si malproprement logés: aussi le lendemain, dès que j'eus dit la messe, nous nous embarquâmes pour nous rendre à l'embouchure du Couripi. Quoiqu'il n'y ait point d'Indiens établis sur cette rivière, j'aurois bien voulu avoir le temps de la remonter, pour examiner le terrain, ayant ouï dire qu'il y avoit vers sa source une vaste montagne nommée Oucaillari, où une mission seroit très bien placée. Mais les fètes de Noël me rappeloient à Ouyарос.

Les Palikours ont des coutumes assez singulières, mais dont nous ne pourrons être instruits que quand nous demeurerons avec eux. Il y en a deux principalement qui me frappérent: la première c'est que les enfans mâles vont tout nus jusqu'à l'âge de puberté : alors on leur donne la camisa: c'est une aune et demie de toile qu'ils se passent entre les cuisses et qu'ils laissent pendre devant et derrière, par le moyen d'une corde qu'ils ont à la ceinture, Avant que de recevoir la camisa, ils doivent passer par des épreuves un peu dures: on les fait jeûner plusieurs jours, on les retient dans leur hamac, comme s'ils étoient malades, et on les fouette fréquemment, et cela, disent-ils, sert à leur inspirer de la bravoure. Ces cérémonies achevées, ils deviennent hommes faits.

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Les lettres qui me sont venues d'Europe en différens temps et de diverses personnes me donnent lieu de croire qu'on n'y a pas une idée assez juste de cette mission ni du genre de travaux que demande la conversion de nos sauvages. Quelques-uns s'imaginent que nous parcourons les villes et les bourgades à peu près comme il se pratique en Europe, où de zélés missionnaires, par de ferventes prédications, s'efforcent de réveiller les pécheurs qui s'endorment dans le vice, et d'affermir les justes dans les voies de la piété. D'autres, qui sont plus au fait de la situation de cette partie du

L'autre coutume, qui me surprit bien davantage, c'est que les personnes du sexe y sont entièrement découvertes: elles ne portent jus- | monde, croient qu'un missionnaire, sans se

fixer dans aucun endroit, court sans cesse dans les bois après les infidèles, pour les instruire et leur donner le baptême.

qu'au temps de leur mariage qu'une espèce de tablier d'environ un pied en quarré, fait d'un tissu de petits grains de verre, qu'on nomme rassade. Je ne sache point que dans tout ce continent il y ait aucune autre nation où règne une pareille indécence. J'espère qu'on aura peu de peine à leur faire quitter un usage si contraire à la raison et à la pudeur naturelle. Nous donnerons d'abord des juppes à toutes les femmes, et il y a lieu de croire qu'elles s'y accoutumeront, car j'en ai déjà vu quelquesunes en porter; elles seront bien plus honnêtement couvertes qu'avec leur tablier. Nous | forme d'abord où est le gros de la nation qui

Cette idée, comme vous le savez, mon révérend père, n'est rien moins que conforme à la vérité. Etre missionnaire parmi ces sauvages, c'est en assembler le plus qu'il est possible, pour en former une espèce de bourgade, afin qu'étant fixés dans un lieu, on puisse les former peu à peu aux devoirs de l'homme raisonnable, et aux vertus de l'homme chrétien. Ainsi, quand un missionnaire songe à établir une peuplade, il s'in

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