Les vaisseaux du roi nous ont apporté cette année les pères Hervieu, de La Fontaine et Noëlas, qui sont venus ici pour passer à la Chine. Le père de La Fontaine a été si édifié des travaux de nos pères et des grands biens de cette mission, qu'il a pris la résolution de demeurer parmi nous avec l'agrément des supérieurs. Il s'applique actuellement à apprendre la langue du pays, pour aller au plus tôt joindre le père Mauduit dans sa nouvelle mission. La ferveur est présentement pour la Chine; mais si nos pères avoient la même idée que nous avons de la sainte mission de Maduré, je ne doute pas qu'ils ne la préférassent aux missions de la Chine et du Canada. J'ose même vous assurer que la vie toute apostolique qu'on y mène, les souffrances et les travaux continuels auxquels on est exposé et les grands fruits qu'on y fait, passent tout ce qu'on peut dire de ces célèbres missions. Jugez-en par ce seul trait: Depuis quatre ans et demi que le père Bouchet est dans l'église d'Aour, qu'il a fondée, il a baptisé plus de dix mille âmes. C'est une chose charmante de voir la ferveur extraordinaire avec laquelle vivent ces nouveaux chrétiens. Ils récitent tous les jours ensemble les chapelets de Notre-Seigneur et de la sainte Vierge. Ils font le matin et le soir les prières et l'examen et quelques-uns même la méditation. Le père Martin, qui est depuis deux mois à Aour avec le père Bouchet, me mandoit, après trois semaines de séjour, qu'il avoit baptisé plus de soixante personnes pour sa part, qu'il ne se passoit presque aucun jour qu'il n'y eût des baptêmes et des mariages, et qu'il lui faudroit une relation entière pour me raconter tous les biens et toutes les choses édifiantes qu'il a vues dans cette mission. S'il m'envoie l'ample récit qu'il m'a promis, je vous en ferai part. Ce même père Martin entra dans la mission de Maduré le jour de la Sainte-Trinité 1699. A la prmeière résidence où il alla, il trouva un de nos pères qui venoit d'être chassé de son église et qu'on avoit si fort maltraité qu'on lui avoit fait sauter deux dents de la bouche à force de coups, parce qu'il avoit converti et baptisé un homme d'une grande caste (c'est ainsi qu'ils appellent ce que les Juifs appeloient tribus). J'ai reçu depuis peu une lettre du père Laynès, célèbre missionnaire du Maduré. Il étoit | allé au commencement de cette année secourir les chrétiens de Maravas, où le vénérable père Jean de Brito a été martyrisé. Le père Laynės y a passé cinq mois dans des dangers continuels, couché à l'ombre de quelque arbre ou au bord de quelque étang, où les naturels du pays viennent souvent se laver. Il les instruisoit de nos mystères, et Dieu donnoit tant de force et d'onction à ses paroles qu'en peu de mois il a baptisé quatre à cinq mille idolâtres, sans parler de plusieurs milliers de chrétiens auxquels il a administré les sacremens de la pénitence et de l'eucharistie. Il me marque qu'il ne sait comment il a pu suffire à un travail si excessif. C'est ce même père qui, revenant l'an passé d'assister les chrétiens d'Outremelour, qui est la dernière résidence de Maduré, souffrit un tourment bien douloureux et bien extraordinaire. Il avoit obtenu du durey (seigneur d'Outremelour) la permission de bâtir une église sur ses terres, vers le nord, et proche la célèbre ville de Cangibouram, qui est dans le royaume de Carnate'. Un gouverneur l'ayant arrêté, à la sollicitation de quelques Gentils, ennemis de notre sainte religion, ce barbare lacha sur lui quelques soldats à grande gueule (c'est ainsi qu'on les appelle), qui, comme autant de chiens enragés, le mordirent jusqu'au sang partout le corps et lui firent des plaies si profondes qu'il en a été long-temps très-incommodé. Je crois vous avoir déjà mandé cette action inhumaine. Je vous quitte pour aller baptiser trois adultes de plusieurs qui se font instruire. Je vous manderai la première fois ce que je fais ici pour rendre vénérable notre sainte religion aux Gentils, et pour les y attirer. Comme ils sont frappés singulièrement de nos fêtes et de nos cérémonies, j'imagine chaque jour quelque manière de les célébrer avec plus d'éclat et de pompe. Dans la dernière solennité du jour de l'Assomption de la sainte Vierge, vous eussiez été charmé de voir les Gentils même s'unir à nous pour contribuer à l'envi à honorer la reine du ciel. Je vous en enverrai une petite relation. Je me recommande à vos saints sacrifices, et je vous prie de croire que je suis avec bien du respect, etc. * Karnatik, présidence de Madras. LETTRE DU P. BOUCHET Efforts des ouvriers évangéliques. Succès croissans. A Maduré, le 1er de décembre 1700. MON RÉVEREND PÈRE, P. C. ww Notre mission de Maduré est plus florissante que jamais. Nous avons eu quatre grandes persécutions cette année. On a fait sauter les dents à coups de bâton à un de nos missionnaires, et actuellement je suis à la cour du prince de ces terres pour faire délivrer le père Borghèse, qui a déjà demeuré quarante jours dans les prisons de Trichirapali avec quatre de ses catéchistes qu'on a mis aux fers. Mais ces persécutions sont cause de l'augmentation de la religion. Plus l'enfer s'efforce de nous traverser, plus le ciel fait de nouvelles conquêtes. Le sang de nos chrétiens répandu pour Jésus-Christ est, comme autrefois, la semence d'une infinité de prosélytes. Dans mon particulier, ces cinq dernières années, j'ai baptisé plus de onze mille personnes et près de vingt mille depuis que je suis dans cette mission. J'ai soin de trente petites églises et d'environ trente mille chétiens; je ne saurois vous dire le nombre des confessions; je crois en avoir ouï plus de cent mille. Vous avez souvent entendu dire que les missionnaires de Maduré ne mangent ni viande, ni poisson, ni œufs; qu'ils ne boivent jamais de vin ni d'autres liqueurs semblables; qu'ils vivent dans de méchantes cabanes couvertes de paille, sans lit, sans siège, sans meubles ; qu'ils sont obligés de manger sans table, sans serviette, sans couteau, sans fourchette, sans cuillère. Cela paraît étonnant; mais croyez-moi, mon cher père, ce n'est pas là ce qui nous coûte le plus. Je vous avoue franchement que depuis douze ans que je mène cette vie, je n'y pense sculement pas. Les missionnaires ont ici des peines d'une autre nature, dont le père Martin vous écrira amplement l'année prochaine. Pour ce qui est de moi, je ne souffre que de n'avoir * C'est la ville où le roi de Maduré sait sa résidence ordinaire. pas de quoi entretenir plus de catéchistes, qui m'aideroient à travailler à la conversion des âmes. J'ai un déplaisir que je ne puis vous expliquer, quand je vois venir des idolâtres de plusieurs cantons, qui me demandent des mattres pour leur enseigner la loi de Dieu, et que je ne puis ni me multiplier moi-même ni multiplier mes catéchistes, faute de ce qui serait nécessaire à leur subsistance. Parvuli petierunt panem, et non erat qui frangeret eis. Ainsi je sèche de douleur de voir périr des âmes pour lesquelles Jésus-Christ a répandu son sang. Hélas! mon cher père, est-il possible qu'on ne sera point sensible à leur perte! J'ai vendu cette année un calice d'argent que j'avais, pour me donner un catéchiste de plus. Vous me demanderez ce que je veux, je vous réponds que je ne veux rien pour moi, mais rien, vous dis-je, rien du tout : ce que je souhaite, et ce que je vous demande par les entrailles de Jésus-Christ, c'est de me procurer autant d'aumones que vous pourrez pour ces catéchistes, et comptez qu'un catéchiste de plus ou de moins est une chose de la dernière conséquence. Je me recommande instamment à vos saints sacrifices, et je suis avec bien du respect, etc. LETTRE DU P. PIERRE MARTIN AU P. LE GOBIEN. Persécutions. - Prédications. - Dangers que courent les ministres de l'Évangile. A Aour, dans le royaume de Maduré, le 11 décembre 1700. MON RÉVÉREND PÈRE, P. C. Je vous tiens parole, et je reprends aujourd'hui la suite des nouvelles que je n'eus pas le temps de vous écrire dans ma dernière lettre. Je commence par une relation succincte de la persécution que le père de Saa a soufferte dans ces derniers temps. Ce missionnaire, qui me reçut avec tant de bonté à mon entrée dans le royaume de Maduré, avoit gagné à Jésus-Christ, entre plusieurs personnes considérables, un néophyte d'une caste très-distinguée et proche parent d'un ennemi mortel des chrétiens. Celui-ci se mit dans l'esprit de pervertir le nouveau chrétien et de le ramener au culte des idoles; mais voyant ses prières, ses promesses et ses menaces également inutiles et que rien ne pouvoit faire perdre à son parent le précieux don de la foi, il tourna toute sa fureur contre le missionnaire qui l'avoit converti, et résolut de le perdre avec tous les chrétiens. Dans ce dessein, il présenta une requête au gouverneur de la province, dans laquelle il demandoit qu'on arrêtât le docteur étranger qui séduisoit les peuples et qui empêchoit qu'on adorât les dieux du pays. trument de guerre qu'un d'eux tenoit alors à la main. Les soldats, plus humains que leurs maîtres, frappèrent le père, mais ils le faisoient mollement, et plusieurs coups ne portoient point. Le gouverneur s'en aperçut, et les menaçant de son sabre, il ne fut content qu'après qu'on eut cassé au père quatre ou cinq dents. La multitude des coups qu'il reçut sur la tête et sur le visage, et que sa fluxion rendoit infiniment douloureux, fit craindre qu'il n'expirât entre les mains de ses bourreaux; il éleva plus d'une fois les yeux et les mains au ciel, et offrit sa vie à Dieu, en le priant de vouloir bien éclairer ces pauvres aveugles. L'or qu'il fit briller aux yeux de cet officier Les catéchistes, les mains liées derrière le intéressé le rendit plus zélé et plus vif qu'il dos, assistèrent au supplice de leur maître. On n'eût apparemment été. Une compagnie de ses tâcha de les intimider; on ne réussit pas, et ils gardes eut ordre de s'assurer au plus tôt du mismarquèrent tous avoir de la peine de n'y pas sionnaire. Cette troupe, animée par l'auteur de participer. Il y en eut même un qui, plus coula persécution, qui se mit à leur tête, vient fonrageux que les autres, s'avança, et se mettant endre pendant la nuit sur la maison, y entre avec tre le père etles soldats, leur dit d'un ton de voix violence, la pille et la saccage, sans que le père élevé : «Pourquoi veut-on nous épargner? c'est de Saa pût dire une parole, quand il l'aurait nous, bien plus que notre maître, qui devons voulu. Il étoit arrêté par une fluxion violente, être punis, puisque c'est nous qui l'avons amené qui, s'étant jetée sur la gorge et sur le cou, lui dans ce pays et qui l'aidons en tout ce qu'il avoit ôté l'usage de la voix. Son état douloufait pour la gloire du créateur du ciel et de la reux ne toucha point ces barbares, ils l'arrê- ❘ terre que nous adorons. » Le gouverneur ne put tèrent avec tous ses catéchistes et le traînèrent avec ignominie à la maison du gouverneur. Cet officier fit au père de grands reproches de ce qu'il venoit suborner les peuples et détruire une religion qu'on professoit, disoit-il, dans tout le pays depuis plus de deux cent mille ans; que pour venger l'honneur de ses dieux offensés, il le condamnoit à avoir sans délai le nez et les oreilles coupées. C'étoit vouloir ôter au missionnaire toute créance et le mettre hors d'état de se faire écouter, car ce supplice rend infame dans les Indes non-seulement celui qui l'endure, mais ceux encore qui auroient le moindre commerce avec un homme ainsi mutilé. souffrir la sainte liberté du catéchiste, il le fit meurtrir de coups, et dans le transport de sa colère, il est certain qu'il l'eût fait mourir aussi bien que le père s'il en eût eu l'autorité. Après cette première exécution, on les renvoya tous en prison, dans l'espérance d'en tirer quelque grosse somme d'argent; mais le père manda qu'il faisoit profession de pauvreté, qu'on ne devoit rien attendre de lui ni de ses disciples, et que, d'ailleurs, il leur étoit si glorieux de souffrir pour la cause du Seigneur du ciel et de la terre, qu'ils donneroient volontiers de l'argent, s'ils en avoient, pour obtenir qu'on augmentât leurs supplices et qu'on voulût même leur òter la vie. Une réponse si ferme déconcerta le gouverneur, qui se contenta de bannir le père de Saa des terres de son gouvernement et de faire encore quelque mauvais traitement à ses catéchistes. La sentence du père portoit qu'on chassoit ce prédicateur étranger parce qu'il méprisoit les grands dieux du pays et qu'il faisoit tous ses efforts pour détruire le culte qu'on leur rendoit. Cet ordrebarbare alloit s'exécuter, et un soldat avoit déjà le sabre à la main, lorsqu'un des juges s'avisa de dire au gouverneur qu'il valoit mieux casser les dents à ce blasphémateur, pour proportionner en quelque sorte le châtiment au crime qu'il avoit fait de décrier leurs dieux. Le gouverneur, qui goûta cette raison, ordonna sur-le-champ à deux soldats de lui faire sauter les dents de la bouche à coups de C'est ainsi que ce saint missionnaire sortit de poing, ou, si cela ne suffisoit pas, avec un ins- | prison. Il avoit la tête et le visage si extraordinairement enflés qu'on auroit eu peine à le reconnoître. Les soldats qui avoient ordre de le conduire jusqu'au lieu de son exil ne purent le Après avoir demeuré près d'un mois à Cavoir dans un état si pitoyable sans en être tou-mien-naiken-patti, à cause des troubles du siblement ses serviteurs et ceux qui lui étoient recommandés de leur part. chés de compassion et sans lui demander pardon des mauvais traitemens qu'ils lui avoient faits malgré eux. Le père, attendri, leur donna sa bénédiction et pria Notre-Seigneur de dissiper les ténèbres de leur ignorance. royaume, qui rendoient les chemins impraticables, j'en partis pour me rendre à Aour, qui est la principale maison de la mission de Maduré. Le père Bouchet, qui a soin de cette maison et à qui je suis en partie redevable de la grâce que les pères portugais m'ont faite de me recevoir dans leur mission, ayant appris que j'étois arrivé sur la frontière de Maduré, mais que les Il se mit ensuite en chemin; mais comme sa foiblesse étoit extrême et comme il tomboit presque à chaque pas, les soldats s'offrirent à le porter tour à tour dans leurs bras. Il ne le voulut pas, et il se traîna comme il put jusqu'au | troupes répandues dans le royaume, à cause de terme de son bannissement. Je le trouvai presque guéri de ses plaies quand j'arrivai à Camien-naiken-patty. Ses dents, qui avoient été toutes ébranlées, lui causoient encore des maux très-aigus; mais la douleur ne lui ôtoit rien de sa gaité ni du désir ardent qu'il avoit de rentrer dans le champ de bataille à la première occasion qui se présenteroit. Le gouverneur qui l'avoit jugé ressentit bientôt les effets de la vengeance de Dieu. Le tonnerre tomba deux fois sur sa maison, désola ses troupeaux et lui tua, entre autres, une vache qu'il faisoit nourrir avec beaucoup de superstition. Cette mort le toucha sensiblement; mais ce qui augmenta sa douleur fut que le même coup de tonnerre qui frappa cet animal si cher fit disparoître une grosse somme d'or qui étoit le fruit de son avarice et de ses tyrannies. Enfin, pour mettre le comble à sa désolation, on lui ôta, presqu'au même temps, son gouvernement pour une raison que je n'ai pas su, on le mit aux fers et on le condamna à payer une grosse amende. Un soldat qui avoit paru plus ardent que les autres à tourmenter le père en fut puni d'une manière moins funeste. Il fut blessé dangereusement à la chasse, et regardant cet accident comme une punition de sa cruauté, il pria un de ses parens d'aller se jeter aux pieds du missionnaire, de lui demander pardon en son nom et de le supplier de procurer quelque soulagement à son mal. Le père le fit avec joie et lui envoya sur-le-champ des remèdes par un de ses catéchistes. Ces châtimens étonnérent les Gentils et donnèrent une haute idée du pouvoir du Seigneur du ciel, qui protégeoit si vi la guerre, m'empêchoient de l'aller joindre, envoya au devant de moi un fervent chrétien qui connoissoit parfaitement toutes les routes. Je me mis sous la conduite de ce guide, qui me fit bientôt quitter le grand chemin pour entrer dans le pays de la caste des Voleurs1. On la nomme ainsi parce que ceux qui la composent faisoient autrefois métier de voler sur les grands chemins. Quoique la plupart de ces gens-là se soient faits chrétiens et qu'ils aient aujourd'hui horreur de l'ombre même du vol, ils ne laissent pas de retenir leur ancien nom, et les voyageurs n'osent encore passer par leurs forêts. Les premiers missionnaires de Maduré furent assez heureux pour gagner l'estime de cette caste, de sorte qu'à présent il n'y a guère de lieu dans le royaume où nous soyons mieux reçus et plus en sûreté que dans leurs bois. Si quelqu'un, je dis de ceux mêmes qui ne sont point encore convertis, étoit assez téméraire pour enlever la moindre chose aux docteurs de la loi du vrai Dieu, on en feroit un châtiment exemplaire. Cependant comme l'ancienne habitude et l'inclination naturelle ne se perdent pas si vite ni si aisément, on éprouve long-s temps ceux qui demandent à se faire chrétiens; mais quand une fois ils le sont, on a la consolation de voir que, bien loin d'exercer leurs brigandages ou de faire le moindre tort à qui que ce soit, ils détournent autant qu'ils peuvent leurs compatriotes de ce vice. Depuis quelques années cette caste des Voleurs est devenue si puissante qu'elle s'est rendue comme indépendante du roi de Maduré, en sorte qu'elle ne lui paie que ce qu'elle juge à propos. Il n'y a que deux ans que les C'est le Marava habité par les Koulys. Voleurs, s'étant engagés dans le parti d'un prince qui prétendoit avoir droit à la couronne, assiégèrent la ville de Maduré, qui étoit autrefois capitale de cet état, la prirent et l'en mirent en possession; mais ils ne conservèrent pas longtemps leur conquête, étant beaucoup plus propres à faire un coup de main qu'à défendre une ville dans les formes. Sitôt que le femmes vinrent me saluer à leur tour et me prièrent instamment de presser les pères que j'allois trouver de leur envoyer quelque missionnaire pour rebâtir l'église d'Ariepaty et pour instruire un grand nombre de leurs compatriotes qui étoient disposés à entendre la parole de Dieu et à se convertir. Je les assurai que les pères souhaitoient ardemment de leur talavai (c'est le nom qu'on donne au prince | rendre service, de bâtir des églises et d'aug qui gouverne aujourd'hui le royaume sous l'autorité de la reine) eut appris la prise d'une place si importante, il assembla des troupes, se mit en marche, arriva de nuit devant la ville, en fit enfoncer une porte par trois ou quatre éléphans, et y rentra avec une partie de ses troupes avant que ses ennemis eussent le temps de se fortifier ni même de se reconnoître. On tua plusieurs des Voleurs dans l'ardeur du combat et on en prit un beaucoup plus grand nombre. Le prince rebelle fut assez heureux pour se sauver, pour se retirer dans les bois de sa caste, qui, depuis ce temps-là, a été beaucoup plus soumise au gouvernement. menter parmi eux le nombre des adorateurs du vrai Dieu; qu'il en viendroit bientôt quelqu'un et que moi-même je demeurerois volontiers dans leur pays si je n'avois ordre de me rendre au plus tôt à Aour. On fut content de ma réponse et l'on me donna des guides pour me conduire jusqu'à deux journées de là. Je me remis donc en chemin et j'arrivai ce jour-là même à un petit village situé entre deux montagnes et fameux par les vols qui s'y commettent. J'avois déjà choisi un lieu pour y passer la nuit, lorsqu'un des principaux habitans de ce village me vint trouver et me dit que je n'étois pas là en sûreté, qu'on craignoit qu'il ne m'arrivât quelque accident pendant la nuit, qu'il me prioit de le suivre et qu'il me mettroit hors d'insulte, « car si quelque étourdi venoit à perdre le respect qui vous est dû, m'ajouta-t-il, la faute en retomberoit sur le village entier, qui deviendroit par là odieux à toute la nation. >>> Je m'abandonnai à ce bon homme, qui me mena dans une grande pagode, la plus belle et la mieux bâtie que j'aie vue dans ce royaume. Elle a quarante-huit pieds de large sur près de quatre-vingts de long; mais la voûte n'est pas assez élevée : c'est le défaut de tous les temples des Indes. Elle est soutenue par divers piliers assez bien travaillés et tous d'une seule pierre. Le portique qui fait l'entrée de cette pagode et qui règne sur toute sa largeur est appuyé de même sur huit colonnes de pierre ciselées, qui ont leurs bases et leurs chapiteaux d'un goût, à la vérité, différent du nôtre, mais qui n'est point barbare et qui plairoit en Europe. Le temple, qui est bâti de belles pierres de taille, n'a aucune fenêtre. Les épaisses ténèbres et la Ce fut donc par le milieu de ces bois que je passai sans aucun danger et que je me rendis à Ariepaty, une de leurs principales bourgades. Nous y avions autrefois une église, mais elle a été ruinée depuis quelques années avec la forteresse que le prince de Maduré fit démolir après s'en être rendu maître. Étant arrivé, je me retirai avec mes gens sous des arbres un peu à l'écart, pour laisser passer la chaleur du jour; mais à peine y eus-je demeuré un quart d'heure que je vis venir à moi le chef d'Ariepaty accompagné des principaux habitans, qui me saluèrent en se prosternant de la manière que les chrétiens ont coutume de le faire devant les ouvriers évangéliques dans toute la mission, pour montrer aux idolâtres l'honneur et le respect qu'ils portent à ceux qui leur enseignent la sainte loi. Comme il y avoit plusieurs Gentils parmi ceux qui vinrent me saluer, les chrétiens s'en séparèrent pour venir en particulier recevoir ma bénédiction. Ils me marquèrent les uns et les autres beaucoup de joie de mon arrivée, et m'invitèrent à entrer dans leur bourgade. ❘ puanteur insupportable qui y règnent semblent |