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peuplée, mais sale et mal bâtie, comme ont coutume de l'être presque toutes les villes des Indes.

Je vis, les yeux baignés de larmes, de tristes restes d'une cérémonie diabolique que les Maures s'efforcent d'abolir depuis qu'ils se sont rendus maîtres de la plus grande partie de ce pays. Il y avoit peu de jours qu'une femme, ou pénétrée de douleur de la mort de son mari, ou touchée du désir de faire parler d'elle, s'étoit jetée dans le bûcher sur lequel on brûloit le corps du défunt, et y avoit été consumée par les flammes. On voyoit encore les colliers, les bracelets et les autres ornemens de cette malheureuse victime du démon attachés aux branches des arbres qui environnent le lieu où s'étoit faite cette triste cérémonie. On y avoit même élevé un mausolée pour conserver à la postérité la mémoire d'une action si héroïque dans l'idée de ces peuples, qui mettent les femmes au nombre de leurs divinités quand elles ont le courage de se brûler ainsi toutes vives après la mort de leurs époux.

dans de très-bonnes dispositions un homme et une femme de la secte des linganistes. Après les avoir instruits, je dis au mari qu'il falloit qu'il me mit entre les mains le lingan qu'il avoit au cou. Cette proposition lui fit changer de visage, ses yeux devinrent affreux et sa bouche demi-béante; enfin il me parut un autre homme; mais comme je le pressai vivement, il obéit et me donna son lingan. Le lingan est une figure monstrueuse et abominable, que quelques-uns de ces idolâtres portent au cou pour marquer le dévouement et l'attachement qu'ils ont à une espèce de Priape, la plus infâme de toutes les divinités. La femme de ce linganiste marqua beaucoup plus de ferveur que son mari, car elle arracha elle-même avec plaisir du cou et des bras de son fils je ne sais quelles écritures superstitieuses qu'on y avoit attachées. Je baptisai cet enfant et je laissai le père et la mère avec trois ou quatre personnes d'un village voisin entre les mains d'un bon chrétien pour achever de les instruire et pour les préparer au saint baptême, que j'espérois leur conférer à mon retour.

Je couchai à Alcatile dans la maison d'un brame qui adoroit tous les jours le démon sous la figure et sous le nom de Poulear. Ayant trouvé cette idole élevée dans la chambre où | beaucoup d'estime et de réputation dans tout pas de la connoître assez pour faire des voyages d'un fort long cours et pour se rendre au licu où l'on a dessein d'aller. » La comparaison lui plut; mais je ne pus l'engager à embrasser le christianisme ni le porter à faire connoître le vrai Dieu. Il étoit à peu près du caractère de ❘ plaisir et il me parut, autant que j'en pus juger mes gens que je laissai là quelques catéchu- | attendre longtemps à la porte, on me laissa mènes auxquels je promis de conférer le baptême à mon retour, je continuai mon voyage vers l'ouest.

l'on me logea, je crus devoir la renverser par terre. Le brame vint le lendemain avec des fleurs et de l'eau pour honorer, selon sa coutume, le dieu Poulear et pour lui faire un sacrifice; mais voyant et l'idole renversée et une espèce d'autel que j'avais dressé en sa place pour célébrer nos saints mystères, il se retira et me donna toute la commodité de faire les exercices de notre sainte religion. Je le fis en effet avec autant de paix et de tranquillité que dans une ville chrétienne. Mon arrivée attira plusieurs personnes dans cette maison, ce qui me donna occasion de leur parler de Dieu et du malheur qu'ils avoient de ne pas connoître cet Etre-Souverain, qui est la source de tous les biens. Ils écoutèrent avec attention tout ce que je leur dis, mais ils n'en furent point touchés et il n'y en eut aucun qui marquât pour lors vouloir embrasser la religion chrétienne. J'eus seulement la consolation de baptiser un enfant qui étoit à l'extrémité et qu'on m'apporta pour lui donner quelques remèdes. Je laissai encore

C'est le nom qu'on donne aux mahométans dans les Indes orientales.

Avant que de quitter Alcatile, j'allai voir un fameux docteur linganiste, qui s'étoit acquis

le pays. Je le trouvai occupé à la lecture d'un livre qui parloit du Seigneur du ciel et de la terre. Après les civilités ordinaires, il me demanda si la loi de ce souverain maître n'étoit pas la véritable religion. Je lui répondis qu'il n'en falloit pas douter et qu'il n'y en avoit point d'autre: j'ajoutai qu'il seroit inexcusable s'il n'embrassoit pas cette religion et s'il n'en suivoit pas les maximes. Il me parla de la religion chrétienne avec éloge et me montra même des livres qui en traitoient. Je lui dis que tout mon désir étoit de faire connoître à tous les peuples cet Etre souverain dont il m'avoit parlé, et que je le priois de vouloir bien m'aider dans une si sainte entreprise. « Ce travail serait fort inutile, me repartit ce docteur, l'esprit des Indiens est trop borné et ils ne sont point capables d'une connoissance si élevée. - Quoique les perfections infinies de ce souverain Etre soient incompréhensibles, lui dis-je, il n'y a personne qui ne le puisse connoître autant qu'il est nécessaire pour le salut, car il en est en quelque manière de Dieu comme de la mer: quoiqu'on n'en voie pas toute l'étendue et qu'on n'en connoisse pas la profondeur, on ne laisse le gouverneur de la ville), accompagné d'un grand nombre de personnes distinguées, me vint rendre visite. Je fis tomber la conversation sur le souverain Seigneur de toutes choses et sur ses admirables perfections. Il m'écouta avec

ceux dont parle l'apòtre, qui ayant connu Dieu, ne l'ont pas glorifié comme ils devoient. Les mœurs de ce docteur étoient trop corrompues et le gros lingan qu'il portoit au cou étoit comme le sceau de sa réprobation.

J'aurois fort souhaité convertir le brame qui m'avoit reçu si charitablement dans sa maison et qui paroissoit m'écouter avec beaucoup de docilité; mais il avoit trois femmes qu'il aimoit, et l'attachement qu'il avoit pour elles ne lui permettoit pas de suivre la lumière qui l'éclairoit. La polygamie a toujours été dans l'Orient un des plus grands obstacles qu'on ait trouvés à la conversion des Gentils.

Je laissai à Alcatile un de mes catéchistes pour instruire les catéchumènes que j'y avois faits, et je me disposai à continuer mon voyage toujours à l'ouest. J'y trouvai de grandes difficultés. On me dit que les Maures et les Marastes se faisoient de ce côté-là une cruelle guerre, et que tous les chemins étoient fermés. <<< Hé bien, nous prendrons la route du nord, repartis-je sur-le-champ à ceux qui sembloient vouloir m'effrayer, et après que nous aurons marché quelque temps de ce côté-là, nous tournerons vers le sud-ouest,» On m'assura que l'embarras seroit à peu près le même, à cause de la révolte des Paleagarens, qui sont de petits princes tributaires des Maures. Je vis bien à la manière dont on me parloit qu'on n'avoit envie que de rompre mon voyage et de m'empêcher de pénétrer plus avant dans le pays. Ainsi, sans m'arrêter davantage à tout ce qu'on me disoit, j'implorai l'assistance de Dieu et je pris la route de Velour, qui est à l'ouest d'Al

caltile.

J'entrai dans cette grande ville, accompagné de mes catéchistes, dont quelques-uns étoient brames, et j'allai loger chez un brame, ce qui m'attira beaucoup de considération et me fit passer pour un sanias d'une grande autorité. Sur le bruit qui s'en répandit, le durey (c'est

* Sujets du fameux Sevagi, qui se rendit au dernier siècle si redoutable dans les Indes. Lisez Mahrattes au lieu de Marastes.

2 C'est un religieux pénitent.

par ses discours, n'être pas éloigné du royaume de Dieu. La forteresse de Velour est une des plus considérables de tout le pays. Les officiers de ce poste important étoient alors brouillés avec les principaux brames de la ville. Le gouverneur me demanda s'ils ne se réconcilieroient pas bientôt et s'ils ne s'uniroient pas entre eux par une bonne paix. Je lui répondis que la paix leur étoit absolument nécessaire, et que s'ils vouloient suivre mes conseils, ils la feroient incessamment, puisque les Maures, qui les environnoient de toutes parts, ne cherchoient qu'à profiter de leurs divisions; que quelques Marastes avoient déjà pris leur parti, et qu'on ne devoit pas douter qu'un plus grand nombre ne suivit dans peu de temps un exemple si pernicieux. Le gouverneur, content de ma réponse, me quitta après m'avoir fait beaucoup d'honnêtetés et m'avoir assuré de sa protection. Les brames ayant fait réflexion aux avis que j'avois pris la liberté de leur donner, se réconcilièrent avec les officiers de la forteresse et firent avec eux une paix solide. Je ne manquai pas d'en faire compliment au gouverneur, qui fut si content de ma conduite qu'il eut la bonté de me donner une maison et de m'en mettre lui-même en possession, en me marquant qu'il feroit dans la suite quelque chose de plus pour moi. Il m'appela quelques jours après pour savoir mon sentiment sur la maladie de sa femme, qui étoit incommodée depuis longtemps. Je vis cette dame, je lui parlai de Dieu et de la nécessité qu'il y a de se sauver : elle m'écouta avec attention, et je la laissai dans de très-bonnes dispositions pour notre sainte religion.

Comme les Maures infestoient tout ce pays et qu'ils faisoient souvent des courses jusqu'aux portes de Velour, on n'y parlait que de guerre et on n'étoit occupé que des préparatifs qu'on faisoit pour se défendre et pour repousser les ennemis. Ainsi je ne crus pas devoir penser alors à aucun établissement dans cette grande ville. Je baptisai seulement douze ou quinze parias que je trouvai sunisamment instruits, | et après avoir recommandé à quelques-uns de Le pays est beau et agréable, et il me parut assez peuplé. Mais il l'étoit bien davantage avant que les Maures s'en fussent rendus les maîtres. Leurs troupes, qui étoient répandues dans la campagne, ne me causèrent aucun embarras. Je vis sur ma route plusieurs petites villes, et entre autres Palliconde, dont la situation est admirable. Les rajas putres, qui sont seigneurs de ces villes, me reçurent avec beaucoup de civilité. Ces princes, dont la caste est fort illustre, sont venus du nord s'établir en ce pays, et s'y maintiennent par la protection des Maures, dont ils ont embrassé les intérêts. Je me suis souvent entretenu avec ces rajas, et ils m'ont toujours marqué beaucoup d'amitié; ils m'ont même témoigné qu'ils auroient de la joie de voir quelque missionnaire s'établir dans leurs états.

Je passai ensuite par la petite ville de Kuryetam, et j'allai loger chez un marchand. Je fis tous les exercices de notre sainte religion dans sa maison, et j'annonçai Jésus-Christ à sa nombreuse famille et à plusieurs autres personnes qui n'en avoient point entendu parler. Ce marchand, touché de mes exhortations, m'apporta lui-même des fleurs et du sanbrani, qui est une espèce d'encens, pour l'offrir au vrai Dieu. J'aurois eu plus de joie s'il s'y étoit offert luimême; mais le temps n'était pas venu, et j'espère que Dieu achèvera ce qu'il semble avoir commencé pour la conversion de ces pauvres gens.

J'arrivai deux jours après à Erudurgam. C'est une ville située auprès de cette longue chaîne de montagnes qui courent presque d'une extrémité à l'autre de la grande péninsule de l'Inde qui est en deçà du Gange. On m'arrêta à la porte de cette ville, parce que le fameux Ram-Raja, qui a fait de si grandes conquêtes dans les Indes, surprenoit autrefois les villes et les forteresses sous un habit de sanias, c'est-à-dire sous un habit semblable à celui que je portois. Je dis aux officiers que je n'avois pas d'autre dessein en venant à Erudurgam que d'y faire connoître le véritable Dieu et de retirer les peuples de la profonde ignorance où ils étoient sur leur salut. On se contenta de cette réponse, et après m'avoir fait

enfin entrer. Dès le soir même, un docteur mahométan vint me voir avec quelques brames idolâtres. C'étoit un homme qui avoit de l'étude et de la capacité. Il me fit plusieurs questions fort spirituelles ; il parloit la langue talmul avec beaucoup de facilité et d'élégance, et je n'en fus pas surpris quand on m'apprit qu'il étoit du royaume de Tanjaour. Il me parut, par toutes ses manières, être un fort honnête homme et mériter l'estime qu'on avoit pour lui. J'aurois fort souhaité le gagner à JésusChrist et l'attacher à notre sainte religion; mais outre que je ne demeurai qu'un jour en ce lieu-là, ce docteur étoit Maure, c'est-àdire un homme beaucoup plus éloigné du royaume de Dieu que ne le sont les païens mêmes.

Je trouvai de grandes difficultés à continuer mon voyage. Il me falloit traverser des montagnes presque inaccessibles. Les catéchistes que j'avois envoyés de ce côté-là en avoient été effrayés plus d'une fois. Ils me disoient que les princes qui sont au-delà de ces hautes montagnes étoient en guerre et qu'il n'étoit pas de la prudence de s'exposer dans un temps si dangereux à aller dans un pays qu'on ne connoissoit pas. Les Indiens sont naturellement timides et tout les effraie. Sans avoir égard à leurs rapports, je me mis en chemin pour aller à Peddu-nayaken-durgam. Quoiqu'il n'y ait qu'une demi-journée d'Erudurgam jusqu'à cette grande ville, nous marchâmes deux jours entiers par des bois et des montagnes affreuses, sans savoir où nous allions, parce que nous nous étions égarés. Outre la faim et la lassitude dont nous étions accablés, les tigres et les autres bêtes féroces, dont ces montagnes sont pleines, nous donnoient de grandes inquiétudes. Dans cette extrémité, nous nous mîmes en prières et nous eûmes recours à la sainte Vierge, qui sembla nous exaucer, car un moment après nous découvrîmes une route qui nous remit dans notre chemin. Nous trouvâmes même de bonnes gens qui voulurent bien nous servir de guides jusqu'au village voisin.

Après nous être un peu délassés, nous passâmes enfin ces hautes montagnes dont on nous avoit fait tant de peur, et nous traversames un gros bourg sans trouver personne,

Les Ghattes.

de ses officiers de me donner à moi et à mes gens tout ce qui seroit nécessaire ce jour-là pour notre subsistance.

parce que tous les habitans avoient pris la ❘ commode pour ma demeure, et ordonna à un fuite par la crainte des Maures qui couraient la campagne. Enfin, après bien des fatigues, nous arrivâmes à Peddu-nayaken-durgam, petite ville, mais alors si peuplée, parce que les habitans des lieux circonvoisins s'y étoient réfugiés, que nous ne trouvâmes qu'une méchante cabane pour nous retirer. Nous y pas-réenne. Je trouvai cependant auprès de cette

Dès qu'on a passé les hautes montagnes dont je viens de parler, on ne se sert plus dans tout le pays que de la langue talanque ou cana

sâmes la nuit avec beaucoup d'incommodité, et j'allai le lendemain à la forteresse pour saluer le prince. On m'arrêta à la porte et je ne pus être admis à l'audience qu'après avoir été interrogé par quelques brames, qui me firent diverses questions et qui me conduisirent enfin par bien des détours dans l'appartement du paleagaren. Je trouvai un fort bon homme qui me reçut avec honnêteté. Je lui présentai quelques fruits du pays et un peu de jais, que les Indiens regardent comme quelque chose de précieux. Le prince étoit assis et avoit devant lui une espèce de petite estrade où il m'invita à m'asseoir. Comme je ne crus pas devoir me mettre dans un lieu plus élevé que celui où il étoit, j'étendis ma peau de tigre à terre, selon la coutume de ce pays; je m'assis ensuite et je lui exposai le sujet de mon voyage à peu près en ces termes : « Je n'ai quitté mon pays, seigneur, et je ne me suis rendu ici avec des peines et des travaux immenses, que pour retirer vos sujets des épaisses ténèbres où ils vivent depuis si longtemps en adorant des divinités qui sont l'ouvrage des mains des hommes. Il n'y a qu'un souverain Seigneur de toutes choses, qui a créé le ciel et la terre; c'est ce souverain Maître de l'univers que tous les hommes doivent connoître et à qui ils doivent être soumis; c'est sa loi qu'ils doivent suivre s'ils veulent être éternellement heureux, et c'est cette loi sainte dont je viens instruire vos peu- | pris la fuite à l'approche des Maures. Le len

ville un gros bourg rempli de talmulers, qui s'y étoient retirés pour se mettre à couvert de la violence des Maures. Plusieurs bramenati me visitèrent: c'est le nom qu'on donne aux femmes des brames. Elles me firent plusieurs questions, et entre autres, elles me demandérent si leurs maris, qui avoient entrepris de longs voyages, réussiroient, et s'ils seroient bientôt de retour en leur pays. Je leur répondis que je n'étois point venu pour les tromper, comme faisoient tous les jours leurs faux docteurs, qui les séduisoient par les sables qu'ils leur débitoient avec tant de faste et d'ostentation; mais que mon dessein étoit de leur ensei❘gner le chemin du ciel et de leur apprendre les moyens nécessaires pour y parvenir et ❘ pour acquérir les biens éternels. Elles m'écoutèrent avec attention, me saluèrent ensuite avec beaucoup de civilité, comme elles avoient fait d'abord, et se retirèrent sans me donner aucune espérance de conversion. Il y eut plusieurs autres personnes de moindre qualité qui demandérent à se faire instruire et qui furent plus dociles à mes instructions. C'est ce qui m'engagea à laisser un de mes catéchistes pour les disposer au saint baptême et à leur promettre que je repasserois par leur ville à mon retour.

J'allai ensuite à Bairepalli, mais je n'y trouvai qu'un seul homme, tous les habitans ayant

demain je me rendis à Tailur, c'est une petite ville qui appartient à un autre paleagaren. La forteresse en est assez bonne; j'y dis la messe, et j'y trouvai le chef d'une nombreuse famille qui m'écouta volontiers et qui me parut avoir un véritable désir de son salut, quoiqu'il fût de la secte des linganistes. Je passai ensuite par Sapour, qui n'est qu'à une petite journée de Tailur. Sapour étoit autrefois une ville fort peuplée; ce n'est plus aujourd'hui qu'un village, où plusieurs talmulers, qui s'y sont retirés depuis longtemps, m'écoutèrent

ples. S'ils l'embrassent et s'ils la gardent avec fidélité, on ne verra plus parmi eux ni troubles, nı divisions, ni violence, ni injustice. La charité, la douceur, la piété, la justice et toutes les autres vertus seront la règle de leur conduite. Soumis et fidèles au prince qui les gouverne, ils s'acquitteront de ce qu'ils doivent au souverain Seigneur et parviendront par là à la souveraine félicité. » Après lui avoir expliqué les principaux attributs de Dieu et lui avoir donné une grande idée de la morale chrétienne, je lui demandai sa protection. Il me la promit avec bonté, me fit trouver un logement | avec plaisir et me promirent de se servir des moyens que je leur marquai pour se faire ins- | avoit dit, l'idée que j'étois un franquis fit de

truire de notre sainte religion.

J'arrivai le même jour à Coralam, dont les Maures se sont rendus maîtres depuis peu de temps. Coralam a été une ville des plus considérables des Indes. Quoiqu'elle ait beaucoup perdu de l'éclat et de la splendeur qu'elle avoit autrefois, elle ne laisse pas d'être fort grande et fort peuplée. J'eus beaucoup de peine à y entrer et encore plus à y trouver une maison. Les personnes chez qui je logeai m'entendirent avec plaisir parler de Dieu, surtout les femmes, qui me marquèrent qu'elles étoient disposées à suivre la religion que je leur préchois, pourvu que leurs maris l'embrassassent, car c'est la coutume en ce pays que les femmes suivent la religion de leurs maris. Aussi le principal soin d'un missionnaire est de gagner les chefs de famille, qui font en peu de temps plus de fruit en leur maison que n'en pourroient faire les plus fervens catéchistes.

J'eus de longs entretiens avec un brame qui me fit diverses questions et qui me parla beaucoup du dieu Bruma. Je lui fis voir combien les sentimens qu'il avoit de la divinité étoient ridicules et extravagans. Tantôt il assuroit que Bruma avoit un corps, et tantôt qu'il n'en avoit point. « Si Bruma a un corps, lui disois-je, comment est-il partout? Et s'il n'en a point, comment osez-vous assurer que les brames sont sortis de son front, les rois de ses épaules, et les autres castes des autres parties de son corps?» Cette objection l'embarrassa et l'obligea de se retirer. Mais il me promit de me revenir voir. Il y revint en effet accompagné d'un Maure. Ce Maure, qui avoit beaucoup voyagé et qui avoit demeuré trois ans à Goa, me regarda attentivement, et élevant sa voix, s'écria que j'étois un franquis1. Cette parole fut un coup de foudre pour moi, parce que je ne doutois pas que ce seul soupçon ne fût capable de renverser tous nos projets, et je ne me trompai pas.

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si fortes impressions sur leurs esprits que je les vis en un moment entièrement changés à mon égard. Ils me traitèrent cependant toujours avec honneur; mais ils me firent dire que le temps n'étoit pas propre à faire un établissement; que le gouverneur devoit bientôt changer; qu'il falloit attendre son successeur et savoir sur cela ses sentimens, dont on ne pourroit s'informer que dans quelques mois. Je connus bientôt que tout ce qu'ils me disoient n'étoit qu'un honnête prétexte dont ils se servoient pour retirer la parole qu'ils m'avoient donnée et pour se défaire de moi. Quelque envie que j'eusse de commencer un établissement à Coralam, où il y a beaucoup à travailler pour la conversion des âmes, je ne crus pas devoir demeurer plus longtemps dans un lieu où le soupçon que j'étois franquis pouvoit avoir de fâcheuses suites pour nos desseins. Ainsi je résolus de partir incessamment. Je me trouvois alors au milieu des terres, c'est-à-dire également éloigné de la côte de Coromandel et de celle de Malabar. J'aurois bien souhaité poursuivre mon voyage du côté de l'ouest; mais la crainte d'être reconnu pour franquis et la saison des pluies, qui approchoit, m'obligèrent d'aller au nord chercher chez quelque paleagaren ce que je ne devois pas espérer de trouver parmi les Maures.

Je quittai donc Coralam, et le lendemain je m'arrêtai à Sonnakallu. C'est un lieu entouré de montagnes qui lui servent de défense. Je ne pus voir le paleagaren', parce qu'il avoit une grosse fluxion sur les yeux ; mais je saluai son premier ministre, qui me reçut avec honneur. Je parlai de notre sainte religion à plusieurs personnes, qui me parurent être touchées de ce que je leur disois et qui me prièrent de leur envoyer quelqu'un pour les instruire.

De là je vins à Ramasa-mutteram, qui est une ville assez considérable; mais avant que d'y entrer, nous nous arrêtâmes, mes gens et moi, pour nous reposer. A peine nous étionsnous assis qu'une bonne veuve s'approcha de nous pour savoir qui nous étions et quels étoient nos desseins. Nous les lui expliquâmes et nous lui dimes que nous étions des servi

Un des principaux de la ville m'avoit offert quelques jours auparavant de me bâtir une maison pour y faire en toute liberté les exercices de notre sainte religion, et plusieurs personnes m'avoient promis de se faire instruire; mais dès qu'ils eurent appris ce que le Maure | teurs du souverain Seigneur de l'univers, qui venions pour le faire connoître aux habitans

'C'est-à-dire un homme infâme, tel que les Indiens

regardent les Européens.

Polygar, chef de tribu.

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