seau pendant la nuit. Aussi vers les sept heures du soir mirent-ils deux pierriers aux fenêtres de la chambre, outre les douze qui étoient sur le bord le long du bâtiment. Mais le capi découvrir au large, c'étoit un flux et reflux de matelots qui montoient successivement à la hune et qui rapportoient toujours qu'ils ne voyoient rien. Mais environ les neuf heures le sicur Potter vint me dire lui-même qu'il ❘taine étoit fort tranquille; il me dit que bien avoit aperçu trois chaloupes qui, partant de Cayenne, prenoient le chemin de Macouria et alloient sans doute trouver ses gens. Pour le tranquilliser un peu, je lui répondis que ce pouvoient être des canots d'habitans, qui, après avoir entendu la messe, retournoient à leurs habitations. Non, non, répliqua-t-il, ce sont des chaloupes où il y a beaucoup de monde, je les découvre parfaitement bien avec ma lunette à longue vue. - Vos gens, ajoutai-je, seront peut-être sortis de la rivière avant que les nôtres y arrivent, et dès lors il n'y aura point de choc.-Tout cela ne m'inquiéte point, me répondit-il, mon monde est bien armé et plein de courage. Le sort de la guerre en décidera si les deux troupes en viennent aux mains. - Mais que pensez-vous de votre chaloupe? lui demandai-je. Je la crois prise, me dit-il. -Aussi, souffrez que je vous représente, ajoutai-je, qu'il y a un peu de témérité dans vous d'avoir hasardé une descente avec si peu de monde. Vous imaginiez-vous donc que Cayenne étoit un Oyapoc?-Ce n'étoit pas non plus mon sentiment, me répondit-il; mais c'est la trop grande ardeur et l'excessive vivacité du maître de l'équipage qui en est la cause; tant pis pour lui s'il lui est arrivé quelque malheur. J'en serois pourtant bien faché, continua-t-il, car je l'estime beaucoup et il m'est très-nécessaire. Il aura sans doute passé mes ordres, car je lui avois recommandé de ne pas mettre à terre, mais seulement d'examiner de près l'endroit le plus commode pour débarquer. Après nous être ainsi entretenus un peu de temps, il fit lever l'ancre et s'approcha le plus qu'il put de terre et de Macouria, tant pour couper chemin à nos chaloupes que pour couvrir ses gens et leur abréger le retour. loin d'appréhender qu'on vint l'attaquer, il le souhaitoit au contraire, espérant de se rendre maître de ceux qui oseroient l'approcher. Il étoit effectivement bien armé en corsaire : sabres, pistolets, fusils, lances, grenades, boulets garnis de goudron et de soufre, mitraille, rien ne manquoit. Je crois que personne ne dormit cette nuitlà; rien pourtant ne parut ni de Macouria ni de Cayenne, ce qui nous inquiétoit tous infiniment. Enfin, environ les huit heures du matin, le capitaine vint me dire qu'on découvroit beaucoup de fumée du côté de Macouria et que c'étoient ses gens sans doute qui avoient mis le feu aux maisons de madame Gislet (c'est le nom de la dame à l'habitation de laquelle les Anglois en vouloient singulièrement). J'en suis faché, ajouta-t-il, car j'avois défendu expressément de rien brûler. Peu après on aperçut du haut de la hune cinq canots ou chaloupes en mer qui paroissoient se poursuivre les uns les autres: c'étoient nos François qui donnoient la chasse aux Anglois. Le sieur Potter, en homme fait au métier, le connut bientôt et agit en conséquence, car il leva l'ancre, fit encore un petit mouvement pour s'approcher et ordonna à tout son monde de prendre les armes, ayant fait descendre en même temps dans la cale tous les prisonniers, soit François, soit Indiens. Je voulus y aller moi-même, mais il me dit que je pouvois rester dans la chambre et qu'il m'avertiroit quand il en seroit temps. Pendant toute cette agitation, un des canots qui étoit allé à Macouria s'approchoit de nous à force de rames, et pour s'assurer que c'étoient des Anglois, on arbora la flamme et le pavillon et l'on tira un coup de canon, auquel le canot ayant répondu par un coup de mousquet, signal dont ils étoient convenus, la tranquillité succéda à ce premier mouvement de crainte. Cependant tout le dimanche se passa dans de grandes inquiétudes. Nos ennemis étoient avertis qu'il y avoit trois vaisseaux en rade, parce que les canots allant à Macouria s'étoient assez approchés du port pour les découvrir, et qu'ils avoient fait les signaux convenus avec le capitaine Potter. Or, quelques-uns craignoient que ces navires ne vinssent attaquer le vais- | Aussi à peine l'officier qui avoit conduit le pre Mais il restoit encore un canot en arrière qui venoit fort doucement avec la pagaye (espèce de pelle ou d'aviron dont les sauvages se servent pour nager leurs canots), et l'on appréhendoit qu'il ne fût pris par nos chaloupes. mier eut-il fait décharger à la hâte le peu qu'il f toutes leurs armes et qu'on leur relâchât tous ordre de faire beaucoup de diligence, et comme | l'embrassant, de prier Dieu chaque jour de c'est un homme expéditif nous aurions eu une réponse prompte, mais le vent et le courant | étoient si contraires qu'il ne put gagner Cayenne. Nous en fumes tous extrêmement fachés, les Anglois parce qu'ils commençoient à manquer d'eau et que leur vaisseau dérivoit considérablement, n'ayant plus, comme je l'ai dit, qu'une fort petite ancre, qu'ils étoient obligés de mouiller avec un grappin, et nous autres François, parce que nous souhaitions d'être libres. Il fallut pourtant prendre patience et se résigner à la volonté de Dieu jusqu'à ce qu'il nous fit naître une nouvelle ressource. avoit apporté, qu'il courut au-devant pour le convoyer, et l'ayant enfin conduit à bon port, et tout le petit butin étant embarqué dans le vaisseau, chacun pensa à se délasser de son mieux des fatigues de la maraude. Le punch, la limonade, le vin, l'eau-de-vie, le sucre, rien n'étoit épargné. Ainsi se passa le reste du jour et de la nuit du lundi au mardi. Parmi tous ces succès qui, quelque peu considérables qu'ils fussent en soi, étoient pour eux autant de sujets de triomphe, il leur restoit un grand chagrin, c'étoit la prise de leur chaloupe et des dix hommes qui l'avoient conduite à terre. Il fallut donc penser sérieusement aux moyens de les ravoir: c'est pourquoi dès le mardi matin, après avoir conféré entre eux et tenu conseil sur conseil, ils vinrent me trouver et me dire que leur vaisseau chassant considérablement, soit à cause des courans, qui sont en effet très-forts dans ces parages, soit parce qu'il ne leur restoit plus qu'une petite ancre, ils ne pouvoient plus tenir la mer et qu'ils songeoient à aller à Surinam, colonie hollandoise à quatre-vingts lieues ou environ de Cayenne; qu'ils voudroient pourtant bien auparavant avoir des nouvelles de leur chaloupe et de leurs gens qui étoient allés à terre le samedi. Je leur répondis que cela étoit très-aisé, qu'ils n'avoient pour cela qu'à armer un des canots qu'ils nous avoient pris, l'envoyer à Cayenne proposer un échange de prisonniers. Mais voudra-t-on nous recevoir? me direntils. Ne nous fera-t-on aucun mal? nous serat-il permis de revenir? etc. Il me fut aisé de résoudre des doutes si mal fondés en leur disant, comme il est vrai, que le droit des gens est de toutes les nations; que les François ne se piquent pas moins que les Anglois de l'observer; qu'il n'y avoit rien de si ordinaire parmi les peuples civilisés que de voir des généraux s'envoyer mutuellement des hérauts d'armes, trompettes ou tambours porter des paroles d'accommodement, et qu'ainsi ils n'avoient rien à craindre pour ceux de leur équipage qu'ils enverroient à terre. Après de nouveaux entretiens qu'ils eurent entre eux, ils commencérent à faire leurs propositions, dont je trouvai quelques-unes toutà-fait déraisonnables: par exemple, ils vouloient qu'on leur rendît leur chaloupe avec leurs prisonniers, en quelque nombre qu'ils fussent, pour quatre François seulement que nous étions. Je leur répondis que je ne croyois pas qu'on leur passât l'article des armes ; que pour ce qui est des hommes, l'usage est de changer tête pour tête. Mais vous seul ne valezvous pas trente matelots? me dit un de l'assemblée. Non, certainement, lui dis-je: un homme de mon état, en fait de guerre, ne doit être compté pour rien. - Tout cela est bon pour la raillerie, dit le capitaine, et puisque vous le prenez sur ce ton, je m'en vais mettre à la voile; je puis fort aisément me passer de dix hommes : il me reste encore assez d'équipage pour continuer ma course. Sur-le-champ il sort de sa chambre, donne des ordres, on commence à manœuvrer, etc. Mais à travers tout ce manége je m'apercevois bien que ce n'étoit que feinte de leur part pour m'intimider et pour m'engager à leur offrir deux mille piastres qu'ils m'avoient déjà demandées pour ma rançon. Cependant comme j'avois grande envie de me tirer de leurs mains, quoique je ne le fisse point paroître à l'extérieur, je fis appeler le sieur Potter et je lui dis qu'il ne devoit pas s'en tenir à mon sentiment; qu'il pouvoit toujours envoyer un canot à Cayenne faire les propositions qu'il jugeroit à propos, sauf à M. le commandant de les accepter ou de les rejeter. Il prit ce parti et me pria de dicter moi-même la lettre qu'il vouloit écrire, ce que je fis en suivant exactement ce qu'il me faisoit dire par son secrétaire. J'écrivis moi-même un mot à M. d'Orvilliers et au père de Villeconte, notre supérieur-général, priant le premier de stipuler dans les articles de la négociation, si elle avoit lieu, qu'on me rendroit tout ce qui avoit appartenu à mon église, m'offrant à payer autant d'argent pesant que pesoit l'argenterie, et une certaine somme dont nous étions convenus pour les meubles, ornemens et linges; je priois en même temps nos pères, si l'affaire réussissoit, de m'envoyer de l'argent et des balances par le retour du canot à l'endroit où devoit se faire l'échange des prisonniers, c'est-à-dire en pleine mer, à michemin du vaisseau et de la terre. Toutes ces lettres étant finies, le canot fut expédié et on y mit pour porter les paquets un sergent fait prisonnier à Oyapoc. Il avoit vous éclairer sur le véritable chemin du ciel : Car, comme il n'y a qu'un Dieu, il ne peut y avoir qu'une véritable religion. Après quoi je descendis dans le canot qui devoit nous conduire, et aussitôt je vis tout le monde monter sur le gaillard; la flamme et le pavillon furent arborés, le tambour battit une diane, le canon tira, et nous fumes salués de plusieurs Houra! auxquels nous répondîmes par autant de Vive le roi! Enfin, le mercredi matin m'étant avisé de demander au capitaine quel parti il étoit déterminé de prendre, je fus agréablement surpris de lui entendre dire que si je voulois aller à Cayenne moi-même j'en étois le maître, avec cette condition que je ferois renvoyer tous les Anglois qui y étoient prisonniers. Cela ne dépend pas de moi, lui dis-je; mais je vous promets de faire tous mes efforts auprès de M. le commandant pour l'obtenir. Après quelques légères difficultés que je levai aisément, nous écrivîmes une nouvelle lettre à M. d'Orvilliers dont je devais être le porteur, et tout étant prêt, nous nous embarquâmes, quatre François et cinq Anglois, pour venir à Cayenne. En prenant congé du capitaine, je lui dis que si la guerre continuoit et que lui ou d'autres de sa nation vinssent à Cayenne, je ne pouvois plus être fait prisonnier. Il me répondit qu'il le savoit déjà, l'usage étant de ne pas faire deux fois prisonnier une même personne dans le cours d'une même guerre, à moins qu'il ne soit trouvé les armes à la main. Je le remerciai ensuite de ses manières honnêtes à mon égard, et en lui serrant la main : Monsieur, lui dis-je, deux choses me font de la peine en vous quittant: ce n'est pas précisément le pillage que vous avez fait à Oyapoc, parce que les François vous rendent peut-être actuellement la pareille avec usure; mais c'est en premier lieu que nous ne soyons pas de la même religion, et en second lieu, que vos gens n'aient pas voulu me rendre les effets de mon église aux conditions que je vous ai proposées, quelque raisonnables qu'elles soient, parce que j'appréhende que la profanation de ce qui appartient au temple du Seigneur n'attire sa colère sur vous. Je vous conseille, ajoutai-je en A peine eûmes-nous fait un quart de lieue de chemin que le vaisseau appareilla, et nous le perdîmes de vue vers les cinq heures. Cependant la mer étoit très-rude et nous n'avions que de mauvaises pagayes pour nager; mais par surcroît de malheur notre gouvernail manqua, c'est-à-dire qu'un gond de porte qui tenoit lieu de vis inférieure sortit de sa place et tomba dans la mer. Nous primes alors le parti, ne pouvant faire mieux, d'attacher la boucle du gouvernail à la planche qui ferme les derrières des canots; mais le fer eut bientôt rongé la corde et nous nous trouvames dans un trèsgrand danger. Ce qui augmentoit nos craintes, c'est que la nuit devenoit fort obscure et que nous étions très-éloignés de la terre. Nous nous déterminâmes donc à mouiller jusqu'au lendemain matin pour savoir comment nous pourrions nous tirer de ce mauvais pas, et comme les Anglois connoissoient mieux que nous le péril où nous étions, l'un d'eux me proposa de hisser un fanal au haut d'un des mâts pour demander du secours. Mais je lui en représentai l'inutilité, parce que nous étions trop au large pour être aperçus et que d'ailleurs personne n'auroit osé venir à nous dans l'incertitude si nous étions amis ou ennemis. Nous passâmes donc ainsi cette cruelle nuit entre la vie et la mort, et ce qu'il y a encore de bien surprenant, c'est que nous avions mouillé sans le savoir au milieu de deux grandes roches, que nous n'aperçûmes que lorsqu'il fit jour. Après avoir remercié Dieu de nous avoir si visiblement protégés, nous résolûmes de gagner le rivage afin de radouber notre canot s'il se pouvoit, ou d'en trouver un autre dans les habitations voisines, ou, au pis aller, de nous rendre par terre à Cayenne. Mais voici un nouvel accident: comme l'on ôtoit le grand mât et que nous étions foibles d'équipage, on le laissa aller du côté opposé à celui où il devoit naturellement tomber; nous crûmes tous qu'il avoit écrasé M. de La Landerie, mais heureusement il n'eut qu'une légère contusion. Nous primes pour lors une pagaye, le sergent et moi, pour gouverner; les autres s'armérent chacun de la leur pour nager, et, aidés partie par le vent (car nous portions notre misaine pour nous soutenir contre les brisans), partie par la marée, qui commençoit à monter, mais surtout conduits par la divine Providence qui nous guidoit, nous entrâmes le 26 au matin dans la petite rivière de Macouria, dont j'ai déja tant parlé, sans qu'aucun de nous en connût le chenal; en sorte que les Anglois avouérent hautement que c'étoit Dieu qui nous avoit conduits là sains et saufs, à travers tant de dangers. Nous songeâmes ensuite aux moyens de nous rendre à Cayenne, mais la chose ne fut pas aisée. Outre que nous ne trouvames point de canot ni de quoi raccommoder le nôtre, les nègres, qui étoient restés seuls sur les habitations, étoient si effrayés qu'ils ne vouloient pas nous reconnoître. Comme il avoit déjà transpiré que j'étois prisonnier, ils appréhendoient que les Anglois ne m'eussent mis à terre par feinte, afin d'attraper des esclaves par mon moyen. Cependant, après bien des protestations, des prières et des sollicitations, j'en rassurai quelques-uns qui, plus hardis que les autres, osèrent s'approcher, et ce fut par leur moyen que nous eûmes un peu de rafraîchissement, dont nous avions assurément grand besoin, moi surtout qui ne peux presque point prendre de nourriture, et qui pour cette raison étois si foible qu'à peine pouvois-je me soutenir. Lorsque chacun se fut un peu refait, je consignai aux nègres mêmes le canot, que nous laissions avec tous ses agrès et apparaux, et nous prîmes le chemin de Cayenne par les bords de la mer. Je ne voulois pas aller par l'intérieur des terres de peur de donner à nos ennemis des connoissances qui pourroient dans la suite nous être préjudiciables. La nuit, qui survint, favorisa mon dessein, et je puis dire avec vérité que les cinq Anglois que je menois avec moi n'ont rien vu qui puisse jamais leur servir si l'envie leur prenoit quelque jour de venir nous revoir dans le cours de cette guerre. Il me seroit difficile, pour ne pas dire impossible, mon révérend père, de vous exprimer ce que nous eûmes à souffrir dans ce trajet, qui n'est pourtant que de trois à quatre lieues. Comme la mer montoit et que par cette raison nous étions obligés de tenir le haut de l'anse, où le sable est extrêmement mouvant, nous enfoncions considérablement, et la plupart avoient toutes les peines du monde à se trainer, en sorte que je vis plusieurs fois le moment que la moitié de ma troupe resteroit en chemin. Les Anglois surtout, peu accoutumés à marcher, trouvoient la promenade longue et auroient bien voulu être encore dans leur vaisseau; mais c'étoit leur faute s'ils se trouvoient dans un tel embarras. En nous embarquant ils savoient eux-mêmes que le canot dans lequel on nous avoit mis ne valoit rien; ils auroient dû m'en avertir à temps, et j'en aurois demandé un autre au capitaine. Enfin, à force de les encourager et de les animer, nous arrivâmes tout proche de la pointe que la rivière forme et qui donne dans la rade. Il pouvoit être environ minuit. Nous nous arrêtâmes à l'habitation de Mme de Charanville, où les esclaves, connoissant le bon cœur et la générosité de leur maîtresse, quoique seuls, nous firent le meilleur accueil qu'ils purent pour nous dédommager de ce que nous venions de souffrir. J'avois eu la précaution d'envoyer avant nous un nègre de notre suite pour les rassurer sur notre arrivée, car sans cela nous aurions couru grand risque de n'être pas reçus, tant la frayeur avoit saisi partout ces pauvres misérables. Une si bonne réception fit grand plaisir aux Anglois, qui craignoient eux-mêmes d'être tués ou maltraités par les nègres, ce qui infailliblement seroit arrivé si je n'avois pas été avec eux : aussi ne me quittoient-ils point. Enfin, après avoir pris un peu de repos, nous nous mîmes dès qu'il fut jour dans une pirogue que nous trouvâmes et nous fimes route pour Cayenne. Du plus loin qu'on nous aperçut, on connut bien à notre pavillon blanc que nous étions des députés qui venoient faire des propositions, et on envoya aussitôt un détachement au port, qui nous reçut la baïonnette au bout du fusil et présentant les armes, comme c'est l'usage en pareille occasion. Tous les remparts qui donnent sur la rade, et le tertre sur lequel le fort est situé, étoient remplis de monde. J'ordonnai au sergent de | conduits les yeux bandés, suivant l'usage en rester dans la pirogue avec toute la troupe jusqu'à ce que j'eusse parlé au commandant, et je mis pied à terre. Le frère Pittet m'avoit reconnu avec une lunette à longue vue: il accourut pour me donner lui-même la main. pareil cas, au grand corps-de-garde qui devoit leur servir de prison: après quoi il prit les arrangemens nécessaires pour les renvoyer à leur vaisseau avec les sept autres prisonniers dont nous avons déjà parlé, et qu'il voulut bien élar Dès le lendemain 28, ils partirent pendant la nuit dans leur chaloupe avec tous les agrès et vivres nécessaires. Il est à souhaiter pour nous qu'ils soient arrivés à bon port, parce que nous avons écrit par eux au gouverneur de Surinam, et moi en Ce fut un spectacle bien consolant, mon ré-gir tous en grande partie à ma considération. vérend père, de voir tout Cayenne venir audevant de moi. Il y avoit dans les rues où je passois une si grande affluence de peuple que j'avois peine à me faire jour; les riches comme les pauvres, tous, jusqu'aux esclaves, s'empressèrent de me donner des marques de la joie que leur causoit mon élargissement. Plusieurs | particulier, pour tâcher d'avoir par son moyen m'arrosoient de leurs larmes en m'embrassant. Je ne rougis pas de dire que j'en versai moimême de reconnoissance pour de si grandes démonstrations d'amitié. Une grande foule me suivit même jusque dans l'église, où je fus d'abord rendre grâces à Dieu de tant de faveurs qu'il venoit de me faire, et dont je vous prie, mon révérend père, de vouloir bien le remercier aussi. Nos pères et nos frères se distinguèrent dans cette occasion et poussèrent la charité à mon égard aussi loin qu'elle puisse aller. Comme toutes mes hardes étoient dans un pitoyable état, on m'apporta avec empressement tout ce qui m'étoit nécessaire, de sorte que j'éprouvai à la lettre cette parole du Sauveur: Quiconque quittera son père, sa mère, ses frères pour l'amour de moi recevra le centuple en ce monde. Nous nous entretenons quelquefois ensemble des malheurs qui pourroient encore nous arriver, et je suis toujours extrêmement édifié de voir leur sainte émulation, chacun voulant se sacrifier pour secourir les blessés en cas d'attaque; mais je pense qu'ayant déjà vu le feu et ne pouvant plus être fait prisonnier dans le cours de cette guerre, je dois avoir la préférence et commencer à servir pour les fonctions de notre ministère. Il faut néanmoins espérer que nous ne serons pas obligés d'en venir lá, ni les uns ni les autres, et que les armes victorieuses du roi procureront bientôt une paix solide et durable. D'abord que j'eus fait mon rapport et remis mes lettres à M. d'Orvilliers qui s'étoit retiré dans notre maison à l'occasion de la mort de Mme son épouse, il donna ses ordres pour ce qui a appartenu à mon église aux conditions dont nous étions convenus avec le sieur Potter en nous séparant. Que si je ne réussis pas dans ce recouvrement, je me flatte que vous voudrez bien, mon révérend père, y suppléer en m'envoyant une chapelle complète, car tout a été perdu. A mon arrivée à Cayenne, j'y ai trouvé l'officier qui étoit à Oyapoc quand il fut pris, et qui s'étoit déjà rendu ici avec le chirurgienmajor et une partie des soldats. Depuis ce temps-là le commandant lui-même est revenu avec le reste du détachement pour attendre les ordres que la cour donnera touchant Oyарос. Ce fort, que nous venons de perdre, fut construit en 1725 sous feu M. d'Orvilliers, gouverneur de cette colonie : ainsi il n'a existé que dix-neuf ans: on ne sait si la cour jugera á propos de le faire rétablir. Je viens d'apprendre avec beaucoup de consolation que nos deux missionnaires, les pères d'Aurillac et d'Huberlant, étoient retournés chacun à son poste, après avoir essuyė bien des fatigues avant que de s'y rendre. Ils y auront encore beaucoup à souffrir jusqu'à ce que nous puissions leur fournir du secours. On me mande que les Indiens, qui avoient été d'abord extrêmement effrayés, commencent à se rassurer et qu'ils continuent à rendre tous les services dont ils sont capables aux habitans qui restent dans le quartier jusqu'à nouvel ordre. Voilà, mon révérend père, une lettre bien longue et peut-être un peu trop. Je m'estimerois heureux si elle pouvoit vous faire quelque plaisir, car je n'ai pas eu d'autre vue en l'écrivant. Je suis, avec respect, en l'union de vos que les cinq Anglois venus avec moi fussent | saints sacrifices, etc. |