Qu'un mari doit toujours avoir lieu de se plaindre. Jusques à ce moment j'avois su me contraindre; Mais, puisque le hasard a trahi mon secret, Avec vous désormais je serai moins discret.
Je ne vous comprends point.
Quoiqu'on en puisse dire....
ARISTE, l'interrompant.
Est un rude esclavage!
Bientôt vous aurez votre tour; Et de ce que je dis vous conviendrez un jour. Vous verrez qu'un mari qui s'est fait un systême De n'aimer que sa femme, et d'être aimé de même, Doit, pour se conserver cette félicité, N'avoir plus de raison, ni plus de volonté.
Pourquoi? quand une femme est douce et raisonnable...
ARISTE, l'interrompant.
Cent belles qualités rendent la mienne aimable; Mais elle ne veut point se contraindre pour moi,
Que lui reprochez-vous? Parlez de bonne foi ?
Son indiscrétion, qui me tient en cervelle, Et me cause, à toute heure, une frayeur mortelle.
Il semble que ce soit son plaisir favori
De laisser entrevoir que je suis son mari. Chaque jour elle fait nouvelle connoissance, Er chaque jour aussi nouvelle confidence, A des femmes, sur-tout. Jugez si mon secret
N'est pas en bonnes mains!
Que votre intention ne sera pas suivie.
Mais, au fond, pensez-vous que toute votre vie
Vous serez marié sans qu'on en sache rien?
Formé depuis deux ans à l'insçu de mon pere, M'expose, tôt ou tard, à sa juste colere.
Deux mots l'appaiseront. Son amitié pour vous....
ARISTE, l'interrompant.
Mais je crains sa douleur bien plus que son courroux. Vous savez à quel point je l'aime et le respecte?
Ma tendresse pour lui lui deviendra suspecte
S'il est instruit enfin d'un hymen contracté Sans son consentement, sans l'avoir consulté. Ce n'est pas seulement cette délicatesse Qui m'oblige au secret. Entre nous, ma foiblesse Est de rougir d'un titre et vénérable et doux, D'un titre autorisé, du beau titre d'époux, Qui me fait tressaillir lorsque je l'articule, Et que les mœurs du tems ont rendu ridicule. Ce motif, je le sens, n'est pas des plus sensés; Mais....
DAMON, l'interrompant.
C'est avec raison que vous vous dispensez
A tout autre qu'à moi d'en faire confidence. Et ce seroit à vous une grande imprudence, Si vous n'appuyiez pas sur un autre motif, Dicté par l'intérêt, et bien plus positif, Celui de ménager un oncle fort avare, Quoique puissamment riche; assez dur et bizarre Pour vous déshériter indubitablement S'il vous sait marié sans son consentement, Voilà pour votre femme une raison puissante. ARISTE.
La rage de parler est encor plus pressante. Mais ma femme, après tout, n'est pas la seule ici Qui m'expose à l'éclat et me met en souci. Sa sœur, plus imprudente et si capricieuse Qu'un moment elle est gaie, un moment sérieuse, Riant, pleurant, jasant, se taisant, tour à tour, Enfin, changeant d'humeur mille fois en un jour;
Sa sœur, votre future, et qui, par parenthese, Vous donnera tout lieu d'enrager à votre aise, Me met au désespoir par ses fréquens écarts, Et, de plus, nous amene ici, de toutes parts, Un tas d'originaux, d'ennuyeuses commeres, Qui me font avaler cent pillules ameres, Lorsque pour mon malheur je vais imprudemment Pour lui rendre visite, à son appartement. Dès que j'entre on se taît, on se parle à l'oreille, On sourit. Par degrés le caquet se réveille; Toutes parlent ensemble, et ce que je comprends Par leurs discours confus leurs gestes différens, C'est que ma belle-sœur, fine et dissimulée, A mis dans mon secret la discrete assemblée, Et que je dois compter que, dans fort peu de jours, J'aurai pour confidens la Ville et les Fauxbourgs.
Je suis au désespoir d'une telle imprudence, Et je vais, de ce pas, quereller d'importance Madame votre femme et votre belle-sœur,
Non, je crois qu'il vaut mieux leur parler en douceur. Mais avertissez bien ma prudente compagne Qu'elle me forcera de fuir à la campagne, Et de m'y confiner, pour n'en sortir jamais, Si le secret n'est pas mieux gardé désormais.
DAMON, avec un souris malin.
Soit.. Mais, vous, employez votre art, votre science, A vous mettre en état de prendre patience..
ARISTE, sur le même ion.
Et vous, pour m'imiter, et par précaution, D'avance faites-en bonne provision.
Vous en aurez, ma foi! plus besoin que moi-même. Je connois Céliante, et je crains...
DAMON, l'interrompant.
Ses défauts n'auroient rien qui me pût effrayer, S'il ne s'agissoit plus que de nous marier. Forcé de lui cacher mon nom et ma naissance, Je vois sur mon sujet que sa fierté balance, Excite son caprice, et lui fait croire, enfin, Qu'elle s'abaisséroit en me donnant la main. Mais elle m'aime, au fond, et si jamais mon frere Vient à bout d'assoupir la malheureuse affaire Que je n'ai sur les bras que par un point d'honneur, Je me ferai connoître à votre belle-sœur.
« PrécédentContinuer » |