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n'est pas non plus sans douceur. Pour moi, je suis convaincu que de toutes les harmonies il n'y en a point d'aussi agréable que le chant à l'unisson, et que, s'il nous faut des accords, c'est parce que nous avons le goût dépravé. En effet, toute l'harmonie ne se trouvet-elle pas dans un son quelconque? et qu'y pouvonsnous ajouter sans altérer les proportions que la nature a établies dans la force relative des sons harmonieux? En doublant les uns et non pas les autres, en ne les renforçant pas en même rapport, n'ôtons-nous pas à 10 l'instant ces proportions? La nature a tout fait le mieux qu'il était possible; mais nous voulons mieux faire encore, et nous gâtons tout.

Il y a une grande émulation pour ce travail du soir aussi bien que pour celui de la journée, et la filouterie 15 que j'y voulais employer m'attira hier un petit affront. Comme je ne suis pas des plus adroits à teiller et que j'ai souvent des distractions, ennuyé d'être toujours noté pour avoir fait le moins d'ouvrage je tirais doucement avec le pied des chènevottes de mes voisins pour 20 grossir mon tas; mais cette impitoyable Mme d'Orbe s'en étant aperçue, fit signe à Julie, qui, m'ayant pris sur le fait, me tança sévèrement. "Monsieur le fripon, me dit-elle tout haut, point d'injustice, même en plaisantant; c'est ainsi qu'on s'accoutume à devenir mé- 25 chant tout de bon, et, qui pis est, à plaisanter encore."

Voilà comment se passe la soirée. Quand l'heure de la retraite approche, Mme de Wolmar dit: "Allons tirer le feu d'artifice." A l'instant chacun prend son paquet de chènevottes, signe honorable de son travail; 30

on les porte en triomphe au milieu de la cour; on les rassemble en un tas; on en fait un trophée; on y met le feu; mais n'a pas cet honneur qui veut; Julie l'adjuge en présentant le flambeau à celui ou celle qui a fait ce 5 soir-là le plus d'ouvrage; fût-ce elle-même, elle se l'attribue sans façon. L'auguste cérémonie est accompagnée d'acclamations et de battements de mains. Les chènevottes font un feu clair et brillant qui s'élève jusqu'aux nues, un vrai feu de joie, autour duquel on IO saute, on rit. Ensuite on offre à boire à toute l'assemblée: chacun boit à la santé du vainqueur, et va se coucher content d'une journée passée dans le travail, la gaieté, l'innocence, et qu'on ne serait pas fâché de recommencer le lendemain, le surlendemain, et toute 15 sa vie.

-Cinquième Partie, Lettre VII.

REASONS FOR THE POPULARITY OF JULIE

(At the close of Julie Rousseau added this note which gives his views on his own work and the novel in general.)

En achevant de relire ce recueil, je crois voir pourquoi l'intérêt, tout faible qu'il est, m'en est si agréable, 25 et le sera, je pense, à tout lecteur d'un bon naturel:

c'est qu'au moins ce faible intérêt est pur et sans mélange de peine; qu'il n'est point excité par des noirceurs, par des crimes, ni mêlé du tourment de haïr. Je ne saurais concevoir quel plaisir on peut prendre à 30 imaginer et composer le personnage d'un scélérat, à se mettre à sa place tandis qu'on le représente, à lui prêter

l'éclat le plus imposant. Je plains beaucoup les auteurs de tant de tragédies pleines d'horreurs, lesquels passent leur vie à faire agir et parler des gens qu'on ne peut écouter ni voir sans souffrir. Il me semble qu'on devrait gémir d'être condamné à un travail si cruel: 5 ceux qui s'en font un amusement doivent être bien dévorés du zèle de l'utilité publique. Pour moi, j'admire de bon cœur leurs talents et leurs beaux génies. mais je remercie Dieu de ne me les avoir pas donnés.

ÉMILE

It is difficult for us to understand the keen interest and wide discussion aroused by the publication of Émile ou de l'Education in 1762. The popularity of the treatise was due in part to the vogue of works on education in the decade preceding its appearance.1 In even larger part it was due to the fact that it was presented as the romance of a child's development, his progress from infancy to maturity and marriage, from helplessness and dependence to complete mastery of self and assurance in independent activity. The love interest, though to later tastes somewhat forced, was supplied by the introduction of Sophie, Emile's feminine counterpart, and the volume concluded with a picture of the ideal life in the little house with the green shutters, not unlike the account of Julie's days at Clarens.

Of the influence of the volume upon even the greatest thinkers, especially in Germany, there can be no question. It was Kant's favorite. Goethe called it the "Bible of teachers," and Herder, Lessing and Schiller were among its admirers. Owing to its somewhat abstract presentation of Rousseau's general views on life its influence was greater on the pedagogical and philosophical than on the purely literary side.

1 For a list of such works see Mornet's Jean-Jacques Rousseau, Morceaux Choisis, 3e édition, pp. 42-43.

True to his belief in nature's goodness, Rousseau held that the first part of education until his pupil's tenth or twelfth year, should be "negative." It should close the door to vice and protect his charge from vicious contacts while developing his body and his senses which are to be the instruments of his later knowledge.

After this period instruction proper is to be given in those subjects on which the pupil's curiosity has been stimulated. This instruction is inculcated through example rather than theory. It is drawn from experiment and experience and its end is frankly utilitarian.

After the age of fifteen begins the time of Emile's moral education. This section of the work contained the famous confession of faith of the Savoyard Vicar who showed that the principles of Christianity could be derived from the contemplation of the harmonies of nature, thus doing away with the necessity for revelation. For this reason the work was condemned by the Parliament of Paris, and Rousseau was forced to leave France. Rousseau's reply, Lettre à Christophe de Beaumont, is one of the best expositions of his theory of education. It was, however, ineffective. Geneva was likewise hostile, and Rousseau was forced or believed himself forced to a long period of wandering.

Of the criticisms of that time, or of later times, those which attack the work on the ground that it is impossible to apply the system in detail are beside the point. Rousseau did not intend that his treatise should provide a practical manual but merely the broad lines of a system. He realized, and indeed admits, that it would be

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