d'un an pour la pratique; car, dans la carrière des idées morales, on ne peut avancer trop lentement, ni trop bien s'affermir à chaque pas. Jeunes maîtres, pensez, je vous prie, à cet exemple, et souvenez-vous qu'en toute chose vos leçons doivent être plus en actions 5 qu'en discours; car les enfants oublient aisément ce qu'ils ont dit et ce qu'on leur a dit, mais non pas ce qu'ils ont fait et ce qu'on leur a fait. De pareilles instructions se doivent donner, comme je l'ai dit, plus tôt ou plus tard, selon que le naturel 10 paisible ou turbulent de l'élève en accélère ou retarde le besoin; leur usage est d'une évidence qui saute aux yeux: mais, pour ne rien omettre d'important dans les choses difficiles, donnons encore un exemple. Votre enfant dyscole gâte tout ce qu'il touche: ne 15 vous fâchez point; mettez hors de sa portée ce qu'il peut gâter. Il brise les meubles dont il se sert; ne vous hâtez point de lui en donner d'autres: laissez-lui sentir le préjudice de la privation. Il casse les fenêtres de sa chambre; laissez le vent souffler sur lui nuit et jour, sans 20 vous soucier des rhumes; car il vaut mieux qu'il soit enrhumé que fou. Ne vous plaignez jamais des incommodités qu'il vous cause, mais faites qu'il les sente le premier. A la fin vous faites raccommoder les vitres, toujours sans rien dire. Il les casse encore? changez 25 alors de méthode; dites-lui sèchement, mais sans colère : Les fenêtres sont à moi; elles ont été mises là par mes soins; je veux les garantir. Puis vous l'enfermerez à l'obscurité dans un lieu sans fenêtre. A ce procédé si nouveau il commence par crier, tempêter: personne ne 30 l'écoute. Bientôt il se lasse et change de ton; il se plaint, il gémit: un domestique se présente, le mutin le prie de le délivrer. Sans chercher de prétexte pour n'en rien faire, le domestique répond: J'ai aussi des vitres à conserver, et s'en va. Enfin, après que l'enfant 5 aura demeuré là plusieurs heures, assez longtemps pour s'y ennuyer et s'en souvenir, quelqu'un lui suggérera de vous proposer un accord au moyen duquel vous lui rendriez la liberté, et il ne casserait plus de vitre. Il ne demandera pas mieux. Il vous fera prier de le venir 10 voir: vous viendrez; il vous fera sa proposition, et vous l'accepterez à l'instant, en lui disant: C'est très bien pensé; nous y gagnerons tous deux: que n'avez-vous eu plus tôt cette bonne idée! Et puis, sans lui demander ni protestation ni confirmation de sa promesse, vous 15 l'embrasserez avec joie et l'emmènerez sur-le-champ dans sa chambre, regardant cet accord comme sacré et inviolable autant que si le serment y avait passé. Quelle idée pensez-vous qu'il prendra, sur ce procédé, de la foi des engagements et de leur utilité? Je suis trompé 20 s'il y a sur la terre un seul enfant, non déjà gâté, à l'épreuve de cette conduite, et qui s'avise après cela de casser une fenêtre à dessein. Suivez la chaîne de tout cela. Le petit méchant ne songeait guère, en faisant un trou pour planter sa fêve, qu'il se creusait 25 un cachot où sa science ne tarderait pas à le faire enfermer. -Livre II. A LESSON IN Courtesy and the Ways of MAGNETIZED DUCKS 5 Depuis longtemps nous nous étions aperçus, mon élève et moi, que l'ambre, le verre, la cire, divers corps frottés, attiraient les pailles, et que d'autres ne les attiraient pas. Par hasard nous en trouvons un qui a une vertu plus singulière encore: c'est d'attirer à quelque distance, et sans être frotté, la limaille et d'autres brins de fer. Combien de temps cette qualité nous amuse, sans que nous puissions y rien voir de 10 plus! Enfin nous trouvons qu'elle se communique au fer même, aimanté dans un certain sens. Un jour nous allons à la foire; un joueur de gobelets attire avec un morceau de pain un canard de cire flottant sur un bassin d'eau. Fort surpris, nous ne disons pourtant 15 pas, C'est un sorcier, car nous ne savons ce que c'est qu'un sorcier. Sans cesse frappés d'effets dont nous ignorons les causes, nous ne nous pressons de juger de rien, et nous restons en repos dans notre ignorance jusqu'à ce que nous trouvions l'occasion d'en sortir. 20 De retour au logis, à force de parler du canard de la foire, nous allons nous mettre en tête de l'imiter: nous prenons une bonne aiguille bien aimantée, nous l'entourons de cire blanche, que nous façonnons de notre mieux en forme de canard, de sorte que l'aiguille 25 traverse le corps et que la tête fasse le bec. Nous posons sur l'eau le canard, nous approchons du bec un anneau de clef, et nous voyons, avec une joie facile à comprendre, que notre canard suit la clef précisément comme celui de la foire suivait le morceau de pain. 30 Observer dans quelle direction le canard s'arrête sur l'eau quand on l'y laisse en repos, c'est ce que nous pourrons faire une autre fois. Quant à présent, tout occupés de notre objet, nous n'en voulons pas davan5 tage. Dès le même soir nous retournons à la foire avec du pain préparé dans nos poches; et, sitôt que le joueur de gobelets a fait son tour, mon petit docteur, qui se contenait à peine, lui dit que ce tour n'est pas difficile, et ro que lui-même en fera bien autant. Il est pris au mot: à l'instant il tire de sa poche le pain où est caché le morceau de fer; en approchant de la table, le cœur lui bat; il présente le pain presque en tremblant; le canard vient et le suit: l'enfant s'écrie et tressaillit d'aise. Aux 15 battements de mains, aux acclamations de l'assemblée, la tête lui tourne, il est hors de lui. Le bateleur interdit vient pourtant l'embrasser, le féliciter, et le prie de l'honorer encore le lendemain de sa présence, ajoutant qu'il aura soin d'assembler plus de monde encore pour 20 applaudir à son habileté. Mon petit naturaliste enorgueilli veut babiller; mais sur-le-champ je lui ferme la bouche, et l'emmène comblé d'éloges. L'enfant, jusqu'au lendemain, compte les minutes avec une risible inquiétude. Il invite tout ce qu'il ren25 contre; il voudrait que tout le genre humain fût témoin de sa gloire; il attend l'heure avec peine, il la devance: on vole au rendez-vous; la salle est déjà pleine. En entrant son jeune cœur s'épanouit. D'autres jeux doivent précéder; le joueur de gobelets se surpasse et 30 fait des choses surprenantes. L'enfant ne voit rien de tout cela; il s'agite, il sue, il respire à peine; il passe son temps à manier dans sa poche son morceau de pain, d'une main tremblante d'impatience. Enfin son tour vient; le maître l'annonce au public avec pompe. Il s'approche un peu honteux, il tire son pain... Nouvelle vicissitude des choses humaines! le canard, si privé la 5 veille, est devenu sauvage aujourd'hui; au lieu de présenter le bec, il tourne la queue et s'enfuit; il évite le pain et la main qui le présente avec autant de soin qu'il les suivait auparavant. Après mille essais inutiles et toujours hués, l'enfant se plaint, dit qu'on le trompe, 10 que c'est un autre canard qu'on a substitué au premier, et défie le joueur de gobelets d'attirer celui-ci. Le joueur de gobelets, sans répondre, prend un morceau de pain, le présente au canard; à l'instant le canard suit le pain, et vient à la main qui le retire. L'enfant 15 prend le même morceau de pain; mais, loin de réussir mieux qu'auparavant, il voit le canard se moquer de lui, et faire des pirouettes tout autour du bassin; il s'éloigne enfin tout confus, et n'ose plus s'exposer aux huées. 20 Alors le joueur de gobelets prend le morceau de pain que l'enfant avait apporté, et s'en sert avec autant de succès que du sien: il en tire le fer devant tout le monde, autre risée à nos dépens; puis de ce pain ainsi vidé il attire le canard comme auparavant. Il fait la 25 même chose avec un autre morceau coupé devant tout le monde par une main tierce; il en fait autant avec son gant; avec le bout de son doigt; enfin il s'éloigne au milieu de la chambre, et, du ton d'emphase propre à ces gens-là, déclarant que son canard n'obéira pas 30 moins à sa voix qu'à son geste, il lui parle, et le canard |