AVERTISSEMENT2 Qu'est-ce que la célébrité? Voici le malheureux ouvrage à qui je dois la mienne. Il est certain que cette uven pièce, qui m'a valu un prix, et qui m'a fait un nom, est PRÉFACE IO Voici une des plus grandes et belles questions qui aient jamais été agitées. Il ne s'agit point dans ce discours de ces subtilités métaphysiques qui ont gagné toutes les parties de la littérature, et dont les program- 15 mes d'académie ne sont pas toujours exempts; mais il s'agit d'une de ces vérités qui tiennent au bonheur du genre humain. Je prévois qu'on me pardonnera difficilement le parti que j'ai osé prendre. Heurtant de front tout ce qui 20 fait aujourd'hui l'admiration des hommes, je ne puis 2 Rousseau liked to trace the beginning of his misfortunes to the celebrity which followed the publication of this Discourse. He consistently held it to be one of his poorest performances, "le plus faible de raisonnement et le plus pauvre de nombre et d'harmonie" (Vol. VIII, p. 250). He none the less took great pains with its preparation. The secret of his misfortunes, however, lies in his temperament (Cf. the Lettre à M. de Malesherbes. Jan. 12, 1762, which follows, pp. 194-199). 3 The recueil of Rousseau's works at this time contained the two Discours, La Lettre sur les Spectacles, Emile, La Nouvelle Héloïse and Le Contrat Social. ལཱ fn bu ནི་ལྟ་ སྟོམས ལི་མ་དུ་ m'attendre qu'à un blâme universel; et ce n'est pas pour avoir été honoré de l'approbation de quelques sages, que je dois compter sur celle du public: aussi mon parti est-il pris; je ne me soucie de plaire ni aux beaux 5 esprits ni aux gens à la mode. Il y aura dans tous les temps des hommes faits pour être subjugués par les opinions de leur siècle, de leur pays, et de leur société. Tel fait aujourd'hui l'esprit fort et le philosophe, qui, par la même raison, n'eût été qu'un fanatique du temps 10 de la Ligue. Il ne faut point écrire pour de tels lecteurs, quand on veut vivre au delà de son siècle. Un mot encore, et je finis. Comptant peu sur l'honneur que j'ai reçu, j'avais, depuis l'envoi, refondu et augmenté ce discours, au point d'en faire, en quelque 15 manière, un autre ouvrage. Aujourd'hui je me suis cru obligé de le rétablir dans l'état où il a été couronné. J'y ai seulement jeté quelques notes, et laissé deux additions faciles à reconnaître, et que l'Académie n'aurait peut-être pas approuvées. J'ai pensé que 20 l'équité, le respect et la reconnaissance exigeaient de moi cet avertissement. un honn estime pa Il sera à dire au blâmer le pagnies C Académi respect p et elles n que je n défends encore p doctes. l'assemb la consti l'orateur ancé à douteuse droit est et éclair A ce qui me ma lum 25 DISCOURS "Decipimur specie recti." -Hor., de Art. poet., v. 25. Le rétablissement des sciences et des arts a-t-il contribué à épurer ou à corrompre les mœurs? Voilà ce qu'il s'agit d'examiner. Quel parti dois-je prendre dans cette question? Celui, messieurs, qui convient à 4 The Ligue was the union of catholics formed in France at the close of the sixteenth century to combat protestantism. mon suc le trouv C'est sortir e efforts ténèbre un honnête homme qui ne sait rien, et qui ne s'en estime pas moins. 5 Il sera difficile, je le sens, d'approprier ce que j'ai à dire au tribunal où je comparais. Comment oser blâmer les sciences devant une des plus savantes compagnies de l'Europe, louer l'ignorance dans une célèbre Académie, et concilier le mépris pour l'étude avec le respect pour les vrais savants? J'ai vu ces contrariétés, et elles ne m'ont point rebuté. Ce n'est point la science que je maltraite, me suis-je dit, c'est la vertu que je 10 défends devant des hommes vertueux. La probité est encore plus chère aux gens de bien que l'érudition aux doctes. Qu'ai-je donc à redouter? Les lumières de l'assemblée qui m'écoute? Je l'avoue; mais c'est pour la constitution du discours, et non pour le sentiment de 15 l'orateur. Les souverains équitables n'ont jamais balancé à se condamner eux-mêmes dans les discussions douteuses; et la position la plus avantageuse au bon droit est d'avoir à se défendre contre une partie intègre et éclairée, juge en sa propre cause. A ce motif qui m'encourage, il s'en joint un autre qui me détermine; c'est qu'après avoir soutenu, selon ma lumière naturelle, le parti de la vérité, quel que soit mon succès, il est un prix qui ne peut me manquer; je le trouverai dans le fond de mon cœur. PREMIÈRE PARTIE 20 25 C'est un grand et beau spectacle de voir l'homme sortir en quelque manière du néant par ses propres efforts; dissiper, par les lumières de sa raison, les 30 ténèbres dans lesquelles la nature l'avait enveloppé; s'élever au-dessus de lui-même; s'élancer par l'esprit jusque dans les régions célestes; parcourir à pas de géant, ainsi que le soleil, la vaste étendue de l'univers; et, ce qui est encore plus grand et plus difficile, rentrer 5 en soi pour y étudier l'homme et connaître sa nature, ses devoirs et sa fin. Toutes ces merveilles se sont renouvelées depuis peu de générations." L'Europe était retombée dans la barbarie des premiers âges. Les peuples de cette partie du monde 10 aujourd'hui si éclairée vivaient, il y a quelques siècles, dans un état pire que l'ignorance. Je ne sais quel jargon scientifique, encore plus méprisable que l'ignorance, avait usurpé le nom du savoir, et opposait à son retour un obstacle presque invincible. Il fallait une 15 révolution pour ramener les hommes au sens commun; elle vint enfin du côté d'où on l'aurait le moins atten 5 Speculations that rested upon an idea of "evolution" and especially of human progress were very common in the eighteenth century, and the conception of development from lower to higher phases of life is thrown out and occasionally insisted upon in the works of many of the leading thinkers of that time. It can be found clearly stated in Diderot Œuvres, 1875, Vol. II, pp. 57-58, who received his suggestions from Maupertuis. Buffon hesitates between it and the creational view, cf. Marcel Landrieu, Lamarck et ses précurseurs, Revue Anthropologique, 1906, Vol. XVI, pp. 152-169. It must of course be understood that the idea of evolution was not presented as a completely developed scientific theory but as a random hypothesis among others. Condillac's psychology rests on a theory of progressive development of the intelligence, so too, Rousseau's own history of language. The belief in progress may be said to have been one of the most common and fruitful ideas of the century. It finds its apotheosis in Condorcet's Esquisse d'un Tableau historique des Progrès de l'Esprit humain (1794). 6 5 due. Ce fut le stupide musulman, ce fut l'éternel L'esprit a ses besoins, ainsi que le corps. Ceux-ci sont les fondements de la société, les autres en font l'agrément. Tandis que le gouvernement et les lois 15 pourvoient à la sûreté et au bien-être des hommes assemblés, les sciences, les lettres et les arts, moins despotiques et plus puissants peut-être, étendent des guirlandes de fleurs sur les chaînes de fer dont ils sont chargés, étouffent en eux le sentiment de cette liberté 20 originelle pour laquelle ils semblaient être nés, leur font aimer leur esclavage, et en forment ce qu'on appelle des peuples policés. Le besoin éleva les trônes, les sciences et les arts les ont affermis. Puissances de la terre, aimez les talents, et protégez ceux qui les culti- 25 6 If Rousseau's allusion here is unflattering, the Musulman, the Chinese, and the American Indian were often held up to eighteenth century readers as examples of virtue that might well be emulated. Such exoticism was à la mode. Cf. Du Fresny, Les amusements sérieux et comiques d'un Siamois (1707). Montesquieu's Les Lettres persanes, and Voltaire's Zaïre; and Chinard's L'Exotisme américain dans la littérature française. 1911. |