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sans le luxe qui les nourrit? Sans les injustices des
hommes, à quoi servirait la jurisprudence? Que de-
viendrait l'histoire, s'il n'y avait ni tyrans, ni guerres,
ni conspirateurs? Qui voudrait, en un mot, passer sa
vie à de stériles contemplations, si chacun, ne consul-
tant que les devoirs de l'homme et les besoins de la
nature, n'avait de temps que pour la patrie, pour les
malheureux, et pour ses amis? Sommes-nous donc
faits pour mourir attachés sur les bords du puits où la
vérité s'est retirée? Cette seule réflexion devrait re- 10
buter dès les premiers pas tout homme qui chercherait
sérieusement à s'instruire par l'étude de la philosophie.

Que de dangers, que de fausses routes dans l'investi-
gation des sciences! Par combien d'erreurs, mille fois
plus dangereuses que la vérité n'est utile, ne faut-il 15
point passer pour arriver à elle! Le désavantage est
visible: car le faux est susceptible d'une infinité de com-
binaisons: mais la vérité n'a qu'une manière d'être.
Qui est-ce d'ailleurs qui la cherche bien sincèrement?
Même avec la meilleure volonté, à quelles marques est- 20
on sûr de la reconnaître? Dans cette foule de senti-
ments différents, quel sera notre criterium pour en
bien juger? Et, ce qui est le plus difficile, si par bon-
heur nous le trouvons à la fin, qui de nous en saura
faire un bon usage?

Si nos sciences sont vaines dans l'objet qu'elles se

f Moins on sait, plus on croit savoir. Les péripatéticiens doutaient-ils de rien? Descartes n'a-t-il pas construit l'univers avec des cubes et des tourbillons? Et y a-t-il aujourd'hui même en Europe si mince physicien qui n'explique hardiment ce profond mystère de l'électricité qui fera peut-être à jamais le désespoir des vrais philosophes?

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proposent, elles sont encore plus dangereuses par les effets qu'elles produisent. Nées dans l'oisiveté, elles la nourrissent à leur tour; et la perte irréparable du temps est le premier préjudice qu'elles causent nécessairement à la société. En politique comme en morale, c'est un grand mal que de ne point faire de bien; et tout citoyen inutile peut être regardé comme un homme pernicieux. Répondez-moi donc, philosophes illustres, vous par qui nous savons en quelles raisons les 10 corps s'attirent dans le vide; quels sont, dans les révolutions des planètes, les rapports des aires parcourues en temps égaux; quelles courbes ont des points conjugués, des points d'inflexion et de rebroussement: comment l'homme voit tout en Dieu; comment l'âme 15 et le corps se correspondent sans communication, ainsi que feraient deux horloges; quels astres peuvent être habités; quels insectes se reproduisent d'une manière

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18 The eighteenth century was very generally and very keenly interested in the mathematical and later in the natural sciences. Lectures with experiments in physics and chemistry by "natural philosophers" were immensely popular. (Cf. Mornet, Les Sciences de la Nature en France an XVIIIe siècle. 1911). Rousseau had attended the courses of the elder Rouelle, who is counted as one of the founders of chemistry. He had as classmates Diderot, and possibly Lavoisier. He himself had written a treatise on this subject. The first part of the passage refers to definite discoveries, the second to more general problems of his time. It may be translated as follows: "Tell me then, illustrious philosophers, you through whom we know according to what law bodies attract one another in empty space (Newton's Law of Gravitation): what are, in the revolutions of the planets, the ratios of the areas described in equal times (Kepler's Second Law); what curves possess conjugate points, points of inflexion, and cusps (Theory of Singular Points of Curves)."

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extraordinaire: répondez-moi, dis-je, vous de qui nous
avons reçu tant de sublimes connaissances: quand vous
ne nous auriez jamais rien appris de ces choses, en
serions nous moins nombreux, moins bien gouvernés,
moins redoutables, moins florissants, ou plus pervers?
Revenez donc sur l'importance de vos productions; et
si les travaux des plus éclairés de nos savants et de nos
meilleurs citoyens nous procurent si peu d'utilité, dites-
nous ce que nous devons penser de cette foule d'écri-
vains obscurs et de lettrés oisifs qui dévorent en pure 10
perte la substance de l'État.

Que dis-je, oisifs? et plût à Dieu qu'ils le fussent en effet! Les mœurs en seraient plus saines et la société plus paisible. Mais ces vains et futiles déclamateurs vont de tous côtés, armés de leurs funestes paradoxes, 15 sapant les fondements de la foi, et anéantissant la vertu. Ils sourient dédaigneusement à ces vieux mots de patrie et de religion, et consacrent leurs talents et leur philosophie à détruire et avilir tout ce qu'il y a de sacré parmi les hommes. Non qu'au fond ils haïs- 20 sent ni la vertu ni nos dogmes; c'est de l'opinion publique qu'ils sont ennemis; et; pour les ramener au pied hel achers des autels, il suffirait de les reléguer parmi les athées. O fureur de se distinguer, que ne pouvez-vous point! C'est un grand mal que l'abus du temps. D'autres 25 maux pires encore suivent les lettres et les arts. Tel est le luxe, né comme eux de l'oisiveté et de la vanité des hommes. Le luxe va rarement sans les sciences et les arts, et jamais ils ne vont sans lui. Je sais que notre philosophie, toujours féconde en maximes sin- 30 gulières, prétend, contre l'expérience de tous les siècles,

ne

que le luxe fait la splendeur des États: mais, après avoir oublié la nécessité des lois somptuaires,19 osera-t-elle nier encore que les bonnes mœurs soient essentielles à la durée des empires, et que le 5 luxe ne soit diamétralement opposé aux bonnes mœurs? Que le luxe soit un signe certain des richesses: qu'il serve même si l'on veut à les multiplier: que faudra-t-il conclure de ce paradoxe si digne d'être né de nos jours? et que deviendra la vertu, quand il faudra 10 s'enrichir à quelque prix que ce soit? Les anciens

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politiques parlaient sans cesse de mœurs et de vertu; les nôtres ne parlent que de commerce et d'argent. L'un vous dira qu'un homme vaut en telle contrée la somme qu'on le vendrait à Alger; un autre, en suivant 15 ce calcul, trouvera des pays où un homme ne vaut rien, et d'autres où il vaut moins que rien. Ils évaluent les hommes comme des troupeaux de bétail. Selon eux, un homme ne vaut à l'État que la consommation qu'il y fait; ainsi un Sybarite20 aurait bien valu trente 20 Lacédémoniens. Qu'on devine donc laquelle de ces deux républiques, de Sparte ou de Sybaris, fut subju

19 Sumptuary laws were laws designed to curb excessive expenditure and luxurious living on the part of citizens. Some of the most famous were those established at Rome by Augustus. Montesquieu favored something of the sort as did Rousseau in his Discours sur l'économie politique. He was consistently opposed to luxurious living.

20 The modern science of economics arose in the eighteenth century, at that time it was far from "dismal" and speculations on this subject were dazzingly attractive.

20a Sybarite, one of the inhabitants of ancient Sybaris, a Greek city of southern Italy, noted for its love of luxury and pleasure; hence a person devoted to ease and luxury.

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guée par une poignée de paysans, et laquelle fit trembler l'Asie.

La monarchie de Cyrus a été conquise avec trente mille hommes par un prince plus pauvre que le moindre des satrapes de Perse; et les Scythes, le plus mis- 5 érable de tous les peuples, ont résisté aux plus puissants monarques de l'univers. Deux fameuses républiques se disputèrent l'empire du monde; l'une était très 1iche, l'autre n'avait rien, et ce fut celle-ci qui détruisit l'autre. L'empire romain, à son tour, après avoir englouti 10 toutes les richesses de l'univers, fut la proie des gens qui ne savaient pas même ce que c'était que richesse. Les Francs conquirent les Gaules, les Saxons l'Angleterre, sans autres trésors que leur bravoure et leur pauvreté. Une troupe de pauvres montagnards20b dont 15 toute l'avidité se bornait à quelques peaux de moutons, après avoir dompté la fierté autrichienne, écrasa cette opulente et redoutable maison de Bourgogne qui faisait trembler les potentats de l'Europe. Enfin toute la puissance et toute la sagesse de l'héritier de Charles- 20 Quint, soutenues de tous les trésors des Indes, vinrent se briser contre une poignée de pêcheurs de harengs.200 Que nos politiques daignent suspendre leurs calculs pour réfléchir à ces exemples, et qu'ils apprennent une fois qu'on a de tout avec de l'argent, hormis des 25 mœurs et des citoyens.

De quoi s'agit-il donc précisément dans cette question du luxe? De savoir lequel importe le plus aux empires, d'être brillants et momentanés ou vertueux et

20b The Swiss. 20c The Dutch.

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